Pour réaliser l’étude envisagée dans les paragraphes précédents, il était donc nécessaire de sélectionner des microalgues à la fois présentes dans les eaux côtières de Roscoff, et disponibles sous forme de culture à la collection de culture de Roscoff (RCC). Pour cela, nous nous sommes appuyés sur la base de données des suivis de phytoplancton à SOMLIT-‐Astan réalisés entre 2000 et 2013 (Guilloux et al., 2013 et la base de données complète de 2000 à 2013) et sur le catalogue des souches phytoplanctoniques disponibles à la RCC (http://roscoff-‐culture-‐collection.org). Différentes cultures de microalgues ont ensuite été analysées par microscopie pour identifier celles qui présentaient le plus fort taux de bactéries attachées à la surface de leurs cellules. Enfin les meilleurs candidats ont ensuite été utilisés pour cultiver et identifier leurs épibiontes bactériens.
Les microalgues analysées pour détecter la présence de bactéries attachées à leur paroi étaient les diatomées Thalassiosira delicatula (RCC 2560), Chaetoceros danicus (RCC 2565), Skeletonema sp. (RCC 1866), Pseudo-‐nitzschia pungens (RCC 3098 et RCC 3104), P.
delicatula (RCC 3079), G. flaccida (RCC 3087) et G. striata (RCC 3078) et les dinoflagellés Alexandrium minutum (RCC 2331), Scripsiella trochoidea (RCC 1627) et Heterocapsa triquetra
(RCC 3596). Pour cette étape de criblage, les cellules ont été fixées avec 1% de paraformaldéhyde et marquées avec 1 µg.mL-‐1 de 4',6'-‐diamidino-‐2-‐phénylindole (couramment appelé DAPI). Lors de l’observation des cellules ainsi traitées, il était parfois difficile de distinguer les bactéries des microalgues car le noyau des cellules algales était également marqué et générait un signal masquant les éventuels signaux bactériens (Figure 33A). Des observations similaires ont été reportées par Farnelid et al. (2016), qui malgré l’utilisation de sondes oligonucléotidiques spécifiques des bactéries (EUB338), distinguait difficilement les bactéries des chloroplastes des microalgues. En revanche, les appendices éloignés du noyau de certaines microalgues, comme les soies de Chaetoceros danicus RCC 2565, étaient facilement analysables par cette technique (Figure 33).
Figure 33 : Analyse microscopique de cellules de Chaetoceros danicus RCC 2656 marquées au DAPI. (A) Le noyau de la cellule algale présente un marquage trop intense, empêchant la visualisation d’éventuelles bactéries attachées à sa surface. (A et B) Cependant, les soies des cellules algales, étant plus distantes du noyau, laissent apparaître des bactéries attachées. Les flèches blanches indiquent le noyau de la cellule algale. Les flèches blanches indiquent les bactéries attachées aux soies des microalgues.
La majorité des cultures algales montrait des bactéries attachées à leur surface cellulaire. Cependant, l’identification certaine de cellules bactériennes était parfois problématique. Nous n’avons pas visualisé de bactéries sur les cellules de P. pungens RCC 3104, A. minutum (RCC 2331), H. triquetra (RCC 2540) et celles des souches appartenant au genre Guinardia. Toutes les autres souches analysées étaient de bonnes candidates pour notre étude et certaines ont été retenues pour la deuxième phase du criblage. Il s’agissait de
Thalassiosira delicatula (RCC 2560), Chaetoceros danicus (RCC 2565), Pseudo-‐nitzschia pungens (RCC 3098) et Skeletonema sp. (RCC 1866) et les dinoflagellés Scripsiella trochoidea
(RCC 1627) et Heterocapsa triquetra (RCC 3596). Des isolements de bactéries attachées à la surface de ces microalgues ont été réalisés (méthode des micropipetages successifs et tri par
cytométrie). Les résultats de cette seconde analyse sont présentés dans le Tableau 6. Cette étape nous a permis d’écarter les microalgues (S. trochoidea, H. triquetra, P. pungens et
Skeletonema sp.) pour lesquelles une trop faible quantité de bactéries attachées a été
cultivée. En revanche, C. danicus RCC 2565 et T. delicatula RCC 2560 s’avéraient être les cellules algales qui avaient la plus forte intensité de colonisation bactérienne. Les différences observées peuvent s’expliquer par la morphologie de la paroi des cellules algales (plus ou moins poreuse et donc susceptible de favoriser l’attachement des bactéries) (Feng et al., 2015; Losic et al., 2007; Montanaro & Arciola, 2000; Youn & Hur, 2007)., la taille des cellules (moins de surface d’attachement chez les microalgues de petite taille, plus faible périmètre de diffusion des molécules sécrétées) (Amin et al., 2012), la capacité de production d’exsudats (polysaccharides, petits acides aminés, sucres, protéoglycanes ou glycoprotéines) par les microalgues qui servent de substrats aux bactéries (Passow, 2002) et qui peuvent être spécifiques à certaines espèces bactériennes ou encore la plus ou moins forte sélectivité des microalgues vis-‐à-‐vis bactéries (sécrétion d’antibiotiques, compétition, prédation) (Guzman-‐ Murillo & Ascencio, 2000; Senhorinh et al., 2015). Par exemple, dans l’analyse, les diatomées ont présenté un plus fort taux de colonisation bactérienne que les dinoflagellés. Cela pourrait s’expliquer par une plus forte production d’exsudats de la part de ces diatomées, car on sait que ce paramètre est variable entre les espèces algales. Il est également possible de dire que la paroi cellulaire des diatomées présente des caractéristiques physiques (porosité, appendices, etc.) potentiellement plus favorables à l’attachement bactérien que la paroi des dinoflagellés. En effet, il a été démontré que certaines bactéries présentaient un attachement privilégié au niveau des jonctions du cingulum ou sur la fente du raphé, qui sont des éléments morphologiques caractéristiques des diatomées et où de la matière organique est sécrétée (Kaczmarska et al., 2005). Une autre hypothèse pourrait être la plus forte pression de sélection de la part des dinoflagellés testés, qui sécrèteraient par exemple plus de composés toxiques vis-‐à-‐vis des bactéries. Parmi les diatomées étudiées, Skeletonema sp. RCC 1866 s’est avérée être celle qui présentait la plus faible intensité de colonisation. Cette souche d’une plus petite taille que celle des autres ditaomées testées, elle dispose donc d’une plus faible surface cellulaire, ce qui réduit les possibilités d’attachement des bactéries. Certaines microalgues écartées présentaient aussi d’autres inconvénients, comme la difficulté de les isoler par micropipetages successifs liée à leur trop petite taille (Skeletonema sp.) ou à la formation de longues chaines (Skeletonema sp. et P. pungens). Or, l’isolement par
micropipetage était indispensable pour parvenir à isoler sélectivement certains genres algaux dans les échantillons environnementaux (étape ultérieure du projet).
Tableau 6 : Bilan de la présence de bactéries épibiontes cultivables sur les différentes microalgues sélectionnées. L’isolement de cellules algales a été réalisé par micropipetages successifs (ms) ou par tri en cytomètre en flux (c), selon les méthodes décrites précédemment. (a) valeur déterminée après culture en milieu LNHM liquide et incubation à 18°C. La présence des bactéries a été examinée par cytométrie en flux. Ces résultats ne tiennent compte que des isolements pour lesquels les contrôles de rinçage et de milieu étaient valides.
T. delicatula C. danicus S. trochoidea H. triquetra P. pungens Skeletonema sp.
Nombre de cellules algales
isolées 118
ms 112ms 46ms + 560c 1040c 117ms 400c Nombrea de cultures de
bactéries épibiontes 69 32 7 1 15 16
Finalement, T. delicatula et C. danicus ont été choisis comme étant les meilleurs candidats et ont été retenus pour l’analyse de la diversité présentée dans la partie 3 de ce chapitre. Les genres Thalassiosira et Chaetoceros sont d’autant plus intéressants à étudier, qu’ils font partie des diatomées les plus représentées dans les océans contemporains, d’après une récente étude se basant sur la campagne océanographique Tara Oceans (Malviya et al., 2016).