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PREMIERE PARTIE Quel référent pour la photographie latino-américaine ?

CHAPITRE 2 La photographie, témoin et acteur dans les représentations de La photographie, témoin et acteur dans les représentations de

l’Amérique latine

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  91 Au cours du XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui, différents termes ont été utilisés pour décrire et caractériser les productions culturelles et l’identité en Amérique latine, parmi lesquels « métissage », « syncrétisme », « hybridité » et « hétérogénéité » en particulier95. Le terme métissage fournit une matrice épistémologique et historique pour caractériser l’identité en Amérique latine, mais l’histoire de ses usages révèle les différents mode de compréhension de l’identité auquel il est susceptible de renvoyer.

Afin de limiter les risques de confusion, nous préciserons le mode de compréhension ou la théorie sollicitée lorsque nous en ferons usage. Si ce n’est pas le cas, nous considérerons alors que le terme renvoie aux mélanges raciaux que le métissage désigne dans sa première acception. Le terme syncrétisme est souvent utilisé pour caractériser les manifestations culturelles engendrées par les processus de métissage. Comme ce dernier, le terme a suscité différents modes de compréhension de ces manifestations culturelles et du métissage lui-même. C’est ce que nous verrons prochainement, avec l’analyse d’une image produite par l’artiste costaricaine Sussy Vargas notamment.

Toutefois, le terme de syncrétisme renvoie souvent à des manifestations culturelles d’ordre religieux qui mélangent différentes traditions. C’est pourquoi, les chercheurs latino-contemporains lui préfèrent aujourd’hui les termes d’hybridité ou d’hétérogénéité selon la théorie dans laquelle ils s’inscrivent pour penser l’identité et les productions culturelles latino-américaines. Nous aurons bientôt l’occasion de présenter brièvement chacune de ces deux théories.

Nous retrouvons ces termes dans le vocable utilisé par les commentateurs de la photographie latino-américaine contemporaine. Si l’on s’attarde sur les significations qu’ils impliquent selon les usages qui en sont en fait, on constate qu’ils caractérisent davantage un « fonctionnement » culturel qu’ils ne définissent les attributs d’une identité stable et homogène. Cependant, pour comprendre l’évolution de la notion d’identité et le passage d’une situation à une autre, il faut remarquer un déplacement dans la manière dont les discours s’emparent de ces termes et en font usage. Pour reprendre une interrogation posée par l’anthropologue Néstor García Canclini, il s’agit de répondre à la question : « comment les chercheurs et les photographes sont en train

      

95 À ce sujet, voir notamment l’article de Fabiola Velasco intitulé « Quelques notes sur des concepts pour penser l’Amérique Latine », http://hibridaciones.hypotheses.org/51, site internet consulté le 13 septembre 2013.

  92 de réviser la question de savoir si l’Amérique latine existe et comment s’articulent les différents composants qui la constituent »96.

Dans les discours essentialistes sur l’Amérique latine et la photographie latino-américaine antérieurs aux années quatre-vingt-dix, l’identification de certaines caractéristiques (signalées par l’usage de certains termes) s’ancre dans une volonté de reconnaître de manière pérenne un ensemble d’attributs et de référents. Dans les discours contemporains, ces mêmes caractéristiques persistent mais leurs mentions n’ont plus vocation à produire une définition stable. En effet, l’identification de ces caractéristiques conduit moins à circonscrire des attributs et des référents communément partagés qu’à identifier des mécanismes de fonctionnement (socio-culturels et artistiques) entendus comme latino-américains. Cette évolution a conduit à une révision des modes de compréhension de l’identité en Amérique latine.

Les discours sur la photographie latino-américaine contemporaine témoignent et participent à cette révision par bien des modalités communicationnelles. C’est pourquoi, l’historicité et l’évolution des termes qui identifient ces caractéristiques méritent d’être commentées et nous nous attacherons en particulier à l’analyse de l’évolution des termes métissage, hybridité et hétérogénéité. Pour appréhender ces modalités communicationnelles, nous nous appuierons notamment sur l’analyse que fait Michel de Certeau dans l’ouvrage, L’écriture de l’histoire, paru en 1975, de l’évolution de la discipline historiographique. La recherche que nous effectuons nous permet en effet de considérer que l’évolution qu’il constate et analyse est aussi à l’œuvre dans les discours des historiens de l’art sur la photographie latino-américaine. Enfin, si nous souhaitons retracer l’évolution de ces termes et appréhender correctement les théories auxquels ils font référence, c’est parce qu’on les retrouve dans le vocabulaire des commissaires et des critiques (qui sont souvent des historiens de l’art). Mais, c’est également parce que l’une de nos hypothèses est que ces théories décrivent une situation qui est aussi iconique et qui peut être appréhendée depuis les productions photographiques d’Amérique latine.

      

96 Notre traduction de: « cómo están revisando los científicos sociales y los fotógrafos la cuestión de si existe América Latina, y cómo se articulan los componentes diversos que la constituyen ».

Néstor García Canclini, « Las imágenes de Latinoamérica en el siglo XXI », op.cit., p. 1.

  93 2.1. Déplacement des discours ontologiques sur l’Amérique latine

2.1.1. Reconfigurer la notion d’identité

À propos des bouleversements qui touchent la discipline historiographique à partir de la seconde moitié du XXe siècle, Michel de Certeau déclare :

celui qui fait de l’histoire aujourd’hui semble perdre le moyen de saisir une affirmation de sens comme objet de son travail, mais trouver cette affirmation sur le mode de son activité elle-même. Ce qui disparaît du produit apparaît dans la production97.

Constater l’impossibilité de définir l’identité latino-américaine pourrait signifier que l’identité n’est désormais plus un objet d’étude pour les sciences humaines ni pour les acteurs du monde de l’art. La volonté de représenter les attributs de cette identité semble avoir disparu des images et des écrits qui les organisent et les interprètent, de même que toute ambition de définir la photographie latino-américaine. Pour autant, malgré ce renoncement explicite98, l’adjectif latino-américain revêt encore des significations qui, pour la photographie, sont impliquées par les différents systèmes d’interprétation des images que les dispositifs d’exposition proposent, à travers les représentations qu’ils sélectionnent et mettent en relation, les découpages thématiques qu’ils opèrent, les difficultés et les limites qu’ils reconnaissent, ainsi que par l’emploi de l’expression

« photographie latino-américaine » qu’ils font encore.

      

97 Michel de Certeau, L'Écriture de l'histoire [1975], Paris, Gallimard, 2002, p. 49 et 50.

98 En guise d’exemples, nous pouvons citer certains fragments du texte introduisant le catalogue de l’exposition « Mapas abiertos » :

- « Plus qu’élaborer une thèse sur l’existence d’une photographie qui puisse se définir comme latino-américaine, ce projet prétend contraster certains des arguments qui coexistent à ce sujet avec la certitude que, en fin de compte, les contenus offriront un panorama ouvert susceptible d’être interprété de façon complexe ».

Texte original : « Más que elaborar una tesis sobre la existencia de una fotografía que pueda definirse como latinoamericana, este proyecto pretende contrastar algunos de los argumentos que coexisten al respecto con la certeza de que, al final, los contenidos ofrecerán un panorama abierto susceptible de ser interpretado poliédricamente ».

- « le livre a vocation à être une “carte ouverte“. La sélection des auteurs pour le portfolio […] répond à des critères subjectifs afin de rendre plus intelligible la structure du projet ».

Texte original : « el libro tiene vocación de ser un “mapa abierto”. La selección de los autores para el Portafolio […] responde a criterios subjetivos orientados a hacer mas inteligible la estructura del proyecto ».

Alejandro Castellote, Mapas abiertos, op.cit., p.16 et 17.

  94 Dans les images, l’abondance de références issues de répertoires iconographiques ayant contribué à caractériser l’identité en Amérique latine met en évidence une interrogation épistémologique quant à la possibilité de définir l’identité. Si cette interrogation témoigne d’une prise de distance critique vis-à-vis des discours essentialistes sur l’identité, elle produit une reconfiguration de la notion. Cette reconfiguration n’est pas le fruit d’une volonté de considérer l’identité comme objet à figurer, au sens de donner une forme extérieure, elle est déterminée par le mode réflexif de son activité elle-même. La manière dont les références à des répertoires iconographiques appartenant au passé et ayant contribué à caractériser l’identité sont mobilisées nous informe de cette activité. Nous avons montré précédemment à travers un exemple issu du travail de l’artiste Vik Muniz comment les altérations auxquelles les travaux photographiques contemporains soumettent ces répertoires iconographiques manifestent une volonté d’interroger l’actualité des valeurs qu’ils véhiculent. Or, l’activité réflexive engagée par ces interrogations – via la mobilisation ou l’actualisation des références dans le présent – produit une reconfiguration de la notion d’identité en Amérique latine et non un abandon de cette notion. Dans ces conditions, la caractérisation de l’identité et de l’Amérique latine ne se produit plus par l’observation et l’enregistrement de la réalité par la photographie (vocation qui était encouragée par les qualités traditionnellement prêtées à la photographie), mais « par l’analyse des options ou des organisations de sens impliquées par des opérations interprétatives »99. Autrement dit, l’interrogation des répertoires iconographiques élaborés par le passé permet de révéler et de modifier les opérations interprétatives ayant conduit à caractériser l’identité en Amérique latine. Cette activité d’interrogation reconfigure, à partir de son propre fonctionnement, les significations attribuées à l’adjectif latino-américain.

Par conséquent, les pratiques artistiques qui interrogent la valeur des références ayant contribué à définir l’identité en Amérique latine ne créent pas de nouvelles représentations qui complètent ou se substituent aux précédentes. Le dialogisme dont elles font preuve, en mettant en relation des références issues de temporalités distinctes, permet de figurer des modes de compréhension et d’interprétation du réel et, parfois, d’en proposer de nouveaux. Les représentations qui en résultent se caractérisent par une       

99 Michel de Certeau, op.cit., p. 50.

  95 praxis, et non par une affirmation de sens appuyée sur les qualités d’attestation du réel de la photographie. L’ancrage contextuel singulier des images, de leurs références et des jeux de langage, déterminent quels sont les objets des modes de compréhension explicités et reconfigurés. C’est l’analyse esthétique des images, des ressources formelles qu’elles emploient et des références qu’elles articulent, qui nous permettra d’identifier ces objets et de déterminer les modes de compréhension qui leur sont appliqués.

Afin d’illustrer ce phénomène, examinons une image réalisée en 2002 par l’artiste costaricaine Sussy Vargas (Figure 24). Cette image est un exemple simple et symptomatique de la situation que nous tâchons de décrire, notamment parce que la notion d’identité est au cœur de son propos. Un seul et unique corps, nu, de face et de plein pied est représenté. L’image est constituée à partir de photographies de fragments de différents corps, sans que l’on puisse déterminer si l’individu représenté appartient au sexe masculin ou féminin. Ce procédé manifeste la volonté de ne pas céder à la tentation d’une représentation stable, induite par la nature immanente de l’image photographique.

Le titre de l’image, Todo mezclado… (« Tout mélangé ») indique que la notion de métissage est l’objet de la représentation. La nudité du corps représenté témoigne d’une volonté d’appréhender cette notion en dehors d’un contexte temporel précis. Le montage des photographies permet de ne pas attribuer au métissage une représentation univoque, à partir d’un corps ayant valeur d’exemple. Au contraire, il permet d’exemplifier le fonctionnement même de la notion de métissage. La pluralité des fragments photographiques renvoie en effet à l’hétérogénéité des individus que le phénomène du métissage est susceptible d’engendrer. La démarche s’explique donc davantage par la praxis qui caractérise le fonctionnement de la notion de métissage que par l’attribution d’une représentation visuelle à la notion. La représentation qui en découle manifeste par conséquent un mode de compréhension de la notion d’identité.

De plus, si les fragments photographiques s’accordent pour permettre la représentation d’un seul et même corps, ils ne coïncident pas de manière tout à fait harmonieuse, comme en témoigne les décalages, les manques et les césures dans le collage des fragments. Cette non-coïncidence est révélatrice d’une conception contemporaine de la notion d’identité en Amérique latine. En prétendant que l’identité

  96 métisse se caractérise par la polyphonie et la contradiction, elle entend mettre l’accent sur la dimension politique et conflictuelle des phénomènes de métissage. Nous aurons bientôt l’occasion d’étudier cette conception de la notion d’identité lorsque nous commenterons la théorie du péruvien Antonio Cornejo Polar (1936-1997) et les appropriations latino-américaines de la théorie littéraire de Mikhaïl Bakhtine (1895-1975).

Pour l’instant, il faut souligner que la représentation créée par Sussy Vargas s’oppose aux différentes conceptions du métissage qui, durant la première moitié du XXe siècle, ont fait de la notion un paradigme unificateur pour concevoir l’identité. En guise d’exemple, pour le mexicain Justo Sierra (1848-1912), le métissage représente le

« facteur dynamique » de l’histoire : « Le métis est l’homme nouveau sur lequel le pays tend à projeter sa conception totalisante du destin collectif »100. La théorie du métissage comme paradigme engendrant une « race latino-américaine » a trouvé de nombreux défenseurs durant cette période. Les plus célèbres sont probablement les Mexicains Andrés Molina Enriquez (1866-1940) et José Vasconcelos (1881-1959).

2.1.2. Rendre visible des modes de compréhension

L’exemple précédent illustre la manière dont la notion d’identité en Amérique latine trouve son « affirmation sur le mode de son activité elle-même » pour reprendre les termes utilisés par Michel de Certeau. Le déplacement auquel la notion a été soumise indique une modification du rapport au réel. Or, le fait que les commentateurs de la photographie contemporaine latino-américaine prétendent constater moins de travaux documentaires dans la photographie contemporaine est un signe que le rapport au réel s’est modifié. Pour autant,

on ne saurait en conclure l’effacement de la référence au réel. Cette référence a plutôt été déplacée. Elle n’est plus immédiatement donnée par les objets narrés ou

« reconstitués ». Elle est impliquée par la création de « modèles » (destinés à rendre

« pensables » des objets) proportionnés à des pratiques101.

      

100 Henri Favre, L’indigénisme, Que sais-je ?, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 33. Les premiers guillemets indiquent une citation non référencée de Justo Sierra par Henri Favre.

101 Michel de Certeau, op.cit., p. 68.

  97 À ce que Michel de Certeau qualifie de « modèles » pour penser les objets, on pourrait, pour penser les images, faire correspondre l’articulation de références. En ne se positionnant plus comme un enregistrement du réel sinon comme une reconstruction, les œuvres proposent des jeux de langage qui sont autant de manières de figurer et reconfigurer (soit des « pratiques ») des modes de compréhension du réel (soit des

« modèles »), et non le réel lui-même. Le passage d’une situation à une autre a modifié fondamentalement la notion de réel qui ne doit désormais plus être appréhendée en tant que donnée objective, dont la photographie pourrait rendre compte grâce à sa capacité d’attestation. La photographie contemporaine a renoncé à un réalisme basé sur la transparence photographique sans renoncer à un travail sur le réel. La nature indicielle de l’image photographique n’est remise en cause que dans son acceptation première.

L’acte descriptif, supposé s’inscrire dans la nature de l’image photographique, est conceptuellement et plastiquement dépassé et réinterprété102.

À la nature indiciaire de l’image correspondait sans doute un usage mémoriel de la photographie : témoigner d’un instant nécessairement situé dans le passé, soit le fameux « ça a été » de Roland Barthes. Selon cette conception traditionnelle, l’image issue du médium photographique est strictement rattachée à une dimension spatiotemporelle ponctuelle (bien qu’elle puisse aussi devenir symbole, comme dans le cas de la photographie d’Alberto Korda). Or, comme en témoigne les usages photographiques contemporains, débarrassée de sa fonction testimoniale traditionnelle, la photographie est capable d’élargir ses rapports au temps et à l’espace. Les représentations contemporaines de la photographie latino-américaine n’entendent plus montrer ce qui est (ou ce qui a été), mais travaillent à rendre visible des modes de compréhension. Et, comme le déclare Michel Foucault (1926-1984), « c’est en ce sens que la description doit toujours être faite selon cette espèce de fracture virtuelle, qui ouvre un espace de liberté, entendue comme espace de liberté concrète, c’est-à-dire de transformations possibles »103.

Dans l’exemple précédent, la métaphore de la notion de métissage créée par Sussy Vargas permet de redécrire la notion d’identité en Amérique latine. Or, la

      

102 À ce sujet voir notamment les ouvrages de Michel Poivert, La photographie contemporaine, Paris, Flammarion, 2002 et André Rouillé, La Photographie, Paris, Gallimard, 2005.

103 Michel Foucault, «Structuralisme et poststructuralisme» ; entretien avec G. Raulet, Telos, vol. XVI, n°

55, printemps 1983, pp. 195-211, dans Dits et Ecrits IV, Paris, Gallimard, 1994, texte 330.

  98 représentation élaborée s’appuie sur une fracture virtuelle. Le métissage n’est pas manifesté en montrant sur une même image différents individus dont les traits renverraient à différentes origines ethniques ou raciales. Le métissage que l’image exemplifie (grâce au montage et collage des fragments photographiques) donne lieu à la représentation d’un seul et même corps, mais qui est doté d’une double (au moins) fonction signifiante. Il fait référence au métissage que chaque corps est susceptible d’incarner. Mais, cette référence se déploie au-delà de lui-même en tant que représentation individuée, elle renvoie plus à un fonctionnement qu’à un produit. La description du métissage et de l’identité s’appuie donc sur une fracture virtuelle, celle qui sépare le fonctionnement d’une notion, de la pluralité potentielle de ses productions104. L’image représente donc un mode de compréhension plus qu’elle ne spécifie son objet. La notion d’identité, qui « renvoie presque toujours aux origines »105, est généralement tournée vers le passé. Mais, grâce à la notion de métissage, elle peut être pensée comme un devenir potentiel, comme une configuration dynamique et inattendue.

Cet exemple peut être considéré comme symptomatique d’un grand nombre de productions photographiques latino-américaines contemporaines qui offrent au spectateur la possibilité de suivre le travail formel effectué par l’artiste et qui par conséquent désinvestissent volontairement la conception traditionnelle de la photographie comme enregistrement du réel. En effet, nombreuses sont les images qui mettent en évidence leurs propres modes de construction, qu’il s’agisse de mises en scène, de collages et montages de fragments d’images ou d’interventions manuelles sur les images : « prévaut la construction d’images qui éludent l’exotisme ou les certitudes

      

104 Pour Paul Ricœur, le montage est l’instance de production de la métaphore. Il permet d’établir la double fonction caractéristique de la métaphore :

- double fonction signifiante, le signe signifie mais il signifie au-delà de lui-même ;

- double fonction référentielle, le signe fait référence, mais sa référence est élargie, elle dépasse le cadre signifiant du signe lui-même.

C’est cette double fonction qui donne à la métaphore cette capacité de redescription : « La métaphore a ainsi le pouvoir “de projeter et de révéler un monde“ ».

Cf. Paul Ricœur, La métaphore vive, Paris, Le Seuil, 1975, p. 120.

105 François Laplantine, « Le métissage, moment improbable d’une connaissance vibratoire », in X-Alta, n° 2/3, Multiculturalisme, novembre 1999, p. 35.

  99 idéologiques, qui explicitent les changements et leurs propres opérations de modification du ”réel”, qu’elles soient technologiques ou politiques »106.

2.1.3. Modifier le rapport au réel

Ces considérations permettent de donner un sens plus précis à la rupture que les commentateurs de la photographie prétendent observer dans les pratiques contemporaines. Au terme de rupture, on préfèrera plutôt celui de déplacement, qui suggère le passage d’une situation à une autre. La rupture suppose en effet une césure nette entre passé et présent (un passé qui serait celui des pratiques photographiques et des objets de la représentation antérieurs aux années quatre-vingt-dix). Or, si pratiques et objets se modifient, le passé revient néanmoins au cœur du processus de production des images, « Le mort resurgit, intérieur au travail qui postulait sa disparition et la possibilité de l’analyser comme objet »107. Bien que ce ne soit pas le cas dans l’image de Sussy Vargas qui précède (faute de pouvoir appréhender l’historicité des référents), dans de nombreuses images, l’ancrage dans le présent s’effectue à partir d’une

Ces considérations permettent de donner un sens plus précis à la rupture que les commentateurs de la photographie prétendent observer dans les pratiques contemporaines. Au terme de rupture, on préfèrera plutôt celui de déplacement, qui suggère le passage d’une situation à une autre. La rupture suppose en effet une césure nette entre passé et présent (un passé qui serait celui des pratiques photographiques et des objets de la représentation antérieurs aux années quatre-vingt-dix). Or, si pratiques et objets se modifient, le passé revient néanmoins au cœur du processus de production des images, « Le mort resurgit, intérieur au travail qui postulait sa disparition et la possibilité de l’analyser comme objet »107. Bien que ce ne soit pas le cas dans l’image de Sussy Vargas qui précède (faute de pouvoir appréhender l’historicité des référents), dans de nombreuses images, l’ancrage dans le présent s’effectue à partir d’une