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Modalités esthétiques des rapports au passé

PREMIERE PARTIE Quel référent pour la photographie latino-américaine ?

CHAPITRE 3 L’image comme lieu de révision L’image comme lieu de révision

3.2. Modalités esthétiques des rapports au passé

Nous avons montré la manière dont les théories décoloniales, de l’hétérogénéité et de l’hybridité convergent dans leurs analyses pour fournir de nouveaux paradigmes de compréhension et d’interprétation du réel. Les deux précédents paragraphes (3.1.1. et 3.1.2.) nous ont permis de révéler en quoi, en Amérique latine, l’articulation passé/présent constitue un enjeu essentiel dû aux spécificités historico-culturelles de cet espace. Le caractère essentiel de cet enjeu a pu être recontextualisé et entendu comme

  169 tel au regard de l’évolution des méthodes historiographiques, que nous avons présentée antérieurement. Au fur et à mesure de ces réflexions, à la faveur des citations d’Ivonne Pini notamment et de l’exemple du « nouveau roman historique », nous avons pu montrer que cet enjeu trouve de vives répercussions dans le champ de l’art243 :

Le thème du temps étant l’un des plus complexes et des plus présents dans l’art contemporain, les perspectives qu’assument les artistes pour l’aborder sont diverses.

Entre elles, la mémoire culturelle et l’histoire collective occupent un premier plan. La perception critique du présent à travers la mémoire assume une importance singulière244.

Si cette citation atteste du fait que les artistes sont capables d’articuler, dans leurs œuvres, les catégories passé/présent, elle ne nous permet pas de comprendre comment.

Les expressions employées rendent confuses ces articulations, hormis la dernière phrase qui signale le passé comme prisme à travers lequel le présent est analysé. C’est pourquoi nous aurons à préciser l’usage des termes mémoire et histoire (avec les adjectifs qui leurs sont associés) pour décrire ces articulations. Quant à la manière dont elles sont construites par des œuvres, Ivonne Pini donne quelques indications qui étayent l’un de nos présupposés : « la tendance à emprunter et à recycler des référents provenant des plus diverses sources esthétiques redouble. Il semble y avoir dans le       

243 Dans un texte précédemment cité, Ivonne Pini analyse des expositions d’art latino-américain où la chronologie ne préside pas à l’organisation. Il s’agit d’expositions réalisées à partir des années 1990, car durant les années 1980, « la majorité des expositions étaient organisées par des Européens et des Nord-Américains qui dans beaucoup de cas continuaient d’utiliser des critères comme le primitivisme et l’exotisme » (p. 70). Ivonne Pini montre comment, à partir de la fin des années 1980, les conservateurs et les commissaires produisent des catégories thématiques « ouvertes et flexibles qui permettent de mettre en relation des artistes et des œuvres correspondant à différentes temporalités » (p. 73). Parmi ces expositions, nous pouvons citer :

- El espíritu latinoamericano: arte y artistas en los Estados Unidos, 1920-1970, Bronx Museum of the Arts, New York, 1989.

- Figuración-Fabulación. 75 años de pintura en América Latina, Museo de Bellas Artes, Caracas, 1990.

- Ante América, Museo de Arte Moderno, Bogotá, 1992.

- Heterotropías. Medio siglo sin lugar: 1918-1968. Madrid, Centro de Arte Reina Sofía, Madrid, 2001.

Ivonne Pini, « Revisiones al manejo del tiempo histórico desde el arte latinoamericano », in Artes, n° 6, op.cit.

244 Notre traduction de : « siendo el tema del tiempo uno de los mas complejos y que está más presente en el arte contemporáneo, son diversas las perspectivas que asumen los artistas para abordarlo. Entre ellos ocupa un primer plano la memoria cultural y la historia colectiva. La percepción crítica del presente a través de la memoria asume una singular importancia ».

Ibid., p. 77.

  170 regard vers le passé, […] la nécessité de signaler qu’il y a des traditions qui sont vives et qui continuent d’interagir »245. Concernant le domaine des images, la dernière partie de cette citation fait écho à la notion de survivance (Aby Warburg) que nous présenterons bientôt. Dans tous les cas, cette affirmation converge avec la description d’une Amérique latine où les temporalités sont imbriquées. La première partie de la citation conforte l’une de nos hypothèses initiales selon laquelle l’articulation des catégories passé/présent s’effectue à travers la cohabitation de références issues de temporalités hétérogènes.

Ces réflexions nous conduisent à orienter notre analyse vers le domaine de l’esthétique, alors que des considérations éthiques – avec les théories décoloniales et le procès de l’histoire officielle – nous ont jusqu’à présent permis de justifier le fait que l’articulation des catégories passé/présent est un enjeu essentiel en Amérique latine. Ce passage du domaine de l’éthique à celui de l’esthétique n’est pas seulement induit par le fait que nous avons sollicité les propos d’une historienne de l’art. En effet, nos lectures nous ont permis de voir comment ces deux domaines interagissent au cœur des arguments développés par les théories décoloniales, de l’hétérogénéité et de l’hybridité, comme en témoigne par exemple la citation suivante d’Aníbal Quijano : « De quelle manière, sinon esthétique-mythique, est-il possible de rendre compte de cette simultanéité des temps historiques dans un même temps ? De quelle autre manière qu’en convertissant tous les temps en un seul ? »246. À ces deux questions rhétoriques, Aníbal Quijano répond en sollicitant quelques célèbres exemples issus de la littérature : Gabriel García Marquez, Juan Rulfo, José María Arguedas. Si la référence au domaine de la création artistique fait ainsi brutalement irruption dans son essai politique, c’est parce que c’est depuis le domaine de l’esthétique que les modalités de cette multitemporalité ont sans doute été le mieux décrites. L’utilisation d’un vocable similaire par les théories décoloniales, de l’hétérogénéité et de l’hybridité en constituait déjà un indice.

      

245 Notre traduction de : « se redobla la tendencia a pedir prestado y reciclar referentes que proceden de las más diversas vertientes estéticas. Parece existir en la mirada al pasado, […] la necesidad de señalar que hay tradiciones que están vivas y que siguen interactuando »

Ibid., p. 68.

246 Notre traduction de « ¿de qué modo sino estético-mítico, se puede dar cuenta de esta simultaneidad de todos los tiempos históricos en un mismo tiempo? ¿De qué otro modo que convirtiendo todos los tiempos en un tiempo? »

Aníbal Quijano, op.cit., p. 62.

  171 3.2.1. Décrire la multitemporalité

En Amérique latine, le terme baroque renvoie souvent à la peinture coloniale, mais c’est depuis la littérature qu’il a refait florès au cours XXe du siècle, avec les travaux théoriques de José Lezama Lima, Alejo Carpentier et Severo Sarduy. Bien qu’élaborées depuis la littérature, leurs théories ont proposé des systèmes d’interprétation aux prétentions plus vastes que celles des productions littéraires. Les théories du baroque élaborées en Amérique latine sont parfois appelées néobaroques.

Elles s’inscrivent dans la tradition esthétique247 d’où dérive le mot mais prétendent s’être actualisées à partir d’une extension des « potentialités expérimentales du baroque » et d’une révision des « valeurs idéologiques de la modernité »248. Dans un ouvrage intitulé Barroco y modernidad (2000), Irlemar Chiampi justifie le regain des théories du baroque au XXe siècle en mettant en parallèle les XVIe et XXe siècles : « Si le baroque est l’esthétique des effets de la Contre-Réforme, le néobaroque l’est de la contre-modernité »249. L’idée que les théories baroques en Amérique latine sont le signe d’une « dissonance de la modernité avec la culture d’Amérique Latine »250 devient très vite dans l’ouvrage l’argument majeur permettant d’expliquer la nouvelle vitalité de ces théories et d’exposer leur valeur critique.

Toutefois, avant d’aller plus loin dans les fondements éthiques et esthétiques de ces théories, il est important de signaler le fait que le terme baroque semble avoir déserté le vocabulaire des intellectuels d’Amérique latine depuis les années 1990. Si, Antonio Cornejo Polar s’inscrit dans les travaux de Severo Sarduy lorsque, comme lui, il réemploie les concepts bakhtiniens, à aucun moment il n’utilise le terme baroque. Le même constat peut être fait pour les théories décoloniales et de l’hybridité. Expliquer le succès puis l’infortune théorique contemporaine du baroque en Amérique latine nécessiterait d’autres recherches. Nous pouvons néanmoins déjà formuler l’hypothèse que le désinvestissement du terme baroque est, d’une part, une conséquence indirecte du       

247 Si tant est que l’on puisse parler d’une tradition, le paradigme baroque ayant connu de multiples inflexions en Europe comme en Amérique latine.

248 Irlemar Chiampi, Barroco y modernidad, México, Fondo de Cultura Económica, 2000, p. 29.

249 Notre traduction de : « Si el barroco es la estética de los efectos de la Contrarreforma, el neobarroco lo es de la contramodernidad ».

Ibid., p. 37.

250 Ibid.

  172 succès de la théorie d’Alejo Carpentier. Ce succès a intimement rattaché la notion de baroque latino-américain à l’expression de réalisme magique et la réception exotisante des productions culturelles associées à la théorie de Carpentier a suscité à partir des années 1990 en Amérique latine un abandon et un rejet des termes qui en relèvent.

D’autre part, le désinvestissement du terme baroque se comprend au regard du fait que, depuis la fin des années 1980, historiens, critiques et commissaires ont cessé de chercher et défendre l’idée d’une expression artistique qui serait proprement latino-américaine. C’est en particulier dans les années 1920-1930 que la recherche de « lo propio » 251 a été la plus intense parmi les artistes et les théoriciens en Amérique latine.

Les théories du baroque n’ont néanmoins pas cessé de contribuer à étayer l’argumentaire des partisans de la perspective essentialiste. Rappelons-nous la question, et sa réponse, d’Alejo Carpentier : « Et pourquoi l’Amérique latine est-elle la terre d’élection du baroque ? Parce que toute symbiose, tout métissage, engendre un baroquisme »252.

Le refleurissement du baroque au XXe siècle dans la littérature en Amérique latine serait le signe de l’incompatibilité d’une conception européenne, puis occidentale, de la modernité avec les spécificités historico-culturelles de l’Amérique latine. Cette conception s’avèrerait inapte à permettre l’incorporation d’éléments non occidentaux aux projets d’intégration et de constitution des identités nationales. Pour Irlemar Chiampi, les textes néobaroques mettent en évidence la « crise de la modernité », c’est pourquoi ils ne sauraient être réduits à « un maniérisme rétro et réactionnaire ». Face à la crise des grands récits traditionnels, « ce n’est pas un hasard que ce soit justement le baroque – avant les Lumières, prémoderne, prébourgeois, préhégélien – l’esthétique réappropriée depuis cette périphérie, qui a seulement recueilli les restes de la modernisation, pour renverser le canon historiciste de la modernité »253. Ainsi, comme chez Aníbal Quijano, la critique de la modernité conduit à une critique de l’historiographie traditionnelle, qu’induit le concept de modernité. Or, si, pour Aníbal Quijano, la modernité ne tolère pas l’imbrication des temporalités, au contraire le       

251 A ce sujet, voir, en espagnol : Ivonne Pini, En busca de lo propio. Inicios de la modernidad en el arte de Cuba, Mexico, Uruguay y Colombia, Bogotá, Universidad Nacional de Colombia, 2000.

252 Déjà cité, Alejo Carpentier, cf. note de bas de page n° 132.

253 Notre traduction de : « No es casual, pues, que sea justamente el barroco – preiluminista, premoderno, preburgués, prehegeliano – la estética reapropiada desde esta periferia, que sólo recogió las sobras de la modernización, para revertir el canon historicista de lo moderno ».

Irlemar Chiampi, op.cit., p. 38.

  173 baroque serait le paradigme esthétique permettant de la mettre en évidence : « les textes baroques latino-américains […] sont des conjonctions d’hétérogénéité […] un mélange inflationniste de strates et portées, de simultanéités et de synchronies qui n’atteignent pas l’unification »254. Les textes néobaroques255, par leur pratique discursive de la dialogisme, polyphonie, parodie, carnavalisation258 – et les applique à la littérature latino-américaine. Vingt ans plus tard, sans utiliser le terme baroque, Antonio Cornejo Polar reprend à son tour les concepts bakhtiniens pour élaborer la théorie de l’hétérogénéité. Pour Severo Sarduy, le caractère polyphonique des œuvres baroques s’explique par les spécificités historico-culturelles de l’Amérique latine. La cohabitation de références hétérogènes relèverait en effet de la manière dont l’Amérique latine a été depuis le XVIe siècle et jusqu’aujourd’hui « le carrefour de langues, races, parlers, traditions, mythes et pratiques sociales »259. Toutefois, ce qui distingue les œuvres baroques ne serait pas tant la cohabitation de ces références que les modalités esthétiques de leur cohabitation, car c’est là que résiderait le caractère subversif du baroque. La polyphonie, la parodie, le détournement, l’artificialisation, la carnavalisation seraient les modalités grâce auxquelles les œuvres assumeraient une fonction critique vis-à-vis des récits traditionnels, ceux de l’histoire et de l’identité

      

254 Notre traduction de : « los textos neobarrocos latinoamericanos […] son conjunciones de heterogeneidades […] un revoltijo inflacionario de estratos y camadas, de simultaneidades y sincronías que no alcanzan la unificación »

Ibid., p. 33.

255 Dans son ouvrage, Irlemar Chiampi cite notamment les romans de Severo Sarduy, Luis Rafael Sánchez, Augusto Roa Bastos, Haroldo de Campos, Carlos Germán Belli, Alejo Carpentier, Miguel Ángel Asturias, José Lezama Lima, Guillermo Cabrera Infante, Carlos Fuentes, ou encore Fernando del Paso.

256 L’une des œuvres les plus souvent reprises en guise d’exemple est peut être celle de l’écrivain et anthropologue péruvien José María Arguedas, et notamment El Zorro de arriba y el Zorro de abajo (1971). Dans ses romans, il choisit de raconter la vie des mondes andins en espagnol, tout en manifestant, dans la structure de la langue et dans les références, la force expressive du quechua.

257 Severo Sarduy, « Barroco y neobarroco » (1972), op.cit.

258 Cf. Supra note de page n° 180.

259 Irlemar Chiampi, op.cit., p. 50.

  174 notamment. Il n’est pas étonnant que les textes néobaroques refusent le récit classique porté par une seule et même instance narrative dans la mesure où « l’histoire traditionnelle […] a longtemps été de préférence une histoire-récit, une narration »260. Enfin, parce que les œuvres baroques ne dissimuleraient pas ces différentes modalités, elles se caractériseraient aussi par une mise en évidence de leur structure formelle, par l’exposition de leur « grammaire » (Irlemar Chiampi).

3.2.2. Baroque pour la littérature, postmoderne pour la photographie ?

Il est intéressant de remarquer que le vocable utilisé par les acteurs du monde de l’art pour qualifier la photographie contemporaine en Amérique latine fait état des mêmes modalités, lorsqu’il s’agit de commenter le fonctionnement des images. Non que nous souhaitions qualifier les photographies de baroque, l’enjeu est pour nous de remarquer une convergence des analyses et un partage des préoccupations. Défendant le caractère subversif de la photographie latino-américaine contemporaine, Alejandro Castellote emploie les termes « irrévérence », « ironie », « sarcasme ». Il parle de

« détournement » des langages médiatiques (ceux de la publicité, du cinéma, de l’histoire de l’art) et de « grammaires métisses »261. Le critique Juan Antonio Molina parle quant à lui de « scepticisme et d’irrévérence envers l’historique »262. Il estime que la « parodie, la carnavalisation et le travestissement des identités collectives nationales, apportent une vision critique ou idéologique de la société »263. Le terme baroque n’est pourtant que très rarement utilisé pour qualifier les photographies. De plus, lorsqu’il est utilisé, la référence aux théories du baroque latino-américain n’est jamais explicitée.

On trouve par exemple un tel emploi du terme dans le texte qui accompagne les photographies du brésilien Miguel Rio Branco lors de l’exposition « América Latina 1960-2013 » : des « compositions baroques, chargées d’une iconographie dépareillée ou hétérogène » 264 (Figures 74 et 75). Le vocabulaire utilisé renvoie pourtant implicitement à l’analyse proposée par les théories que nous avons présentées, comme en témoigne le terme « hétérogène ». Les photographies de Miguel Rio Branco ne sont       

260 Jacques Le Goff, op.cit., p. 39.

261 Alejandro Castellote, Photoquai, op.cit., pp. 22-24.

262 Juan Antonio Molina, « La historia a contrapelo », op.cit.

263 Juan Antonio Molina cité par Alejandro Castellote, Ibid., p. 24.

264 Sagrario Berti, América Latina, 1960-2013, Photographies, Paris, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Museo Amparo de Puebla, 2013, p. 140.

  175 pas des mises en scène, sa pratique de la photographie pourrait s’inscrire dans la catégorie du photoreportage d’auteur265. Cette catégorie suppose un engagement personnel du photographe dans la situation photographiée, une proximité avec son sujet qui se traduit par des effets stylistiques tels que le décadrage, le flou et la saturation des contrastes. Le propos choisit de ne pas s’ancrer dans cette référence à une catégorie récente de l’histoire de la photographie. Il s’attache plutôt à décrire la manière dont ces images intègrent différents types de langages iconographiques : « des morceaux d’affiches publicitaires, des lambeaux d’images érotiques, de vieilles pages de journaux »266. Il s’agit donc de mettre en évidence les énonciations diverses qui composent les images ou leur caractère polyphonique, pour reprendre volontairement un terme utilisé par les théories du baroque. Enfin, le commentaire insiste sur la saturation des couleurs que certains historiens ont identifiée comme caractéristique de la photographie brésilienne, utilisant parfois l’adjectif tropicaliste267.

Dans les discours, au terme baroque les acteurs du monde de l’art semblent avoir substitué celui de postmoderne. Alejandro Castellote parle d’ « institutionnalisation du postmodernisme dans la photographie contemporaine »268 tandis que Juan Antonio Molina évoque la « condition postmoderne » de la photographie269. Pour Irlemar Chiampi, l’esthétique néobaroque est une esthétique postmoderniste. En effet, toutes deux se caractériseraient par un déplacement, et même parfois une disparition, du sujet de l’énonciation et une rupture du mouvement historique linéaire : « le néobaroque investit, dans sa pratique discursive de l’affaiblissement de l’historicité et du décentrement du sujet, le paradigme de la vision pessimiste de l’histoire »270. Ces deux idées d’une disparition du sujet et d’une crise de l’histoire ont été particulièrement       

265 Voir Michel Poivert, La photographie contemporaine, Flammarion, Paris, 2002 et Gaëlle Morel, Le photoreportage d’auteur, L’institution culturelle de la photographie en France depuis les années 70, CNRS Editions, Paris, 2006.

266 Sagrario Berti, América Latina, 1960-2013, Photographies, op.cit., p. 140.

267 « la photographie brésilienne s’est caractérisée, dans un moment déterminé, par la couleur, par une tropicalité… »

Iatã Cannabrava, entretien publié sur le site internet :

historicidad y del descentramiento del sujeto, el paradigma de la visión pesimista de la historia oficial ».

Irlemar Chiampi, op.cit., p. 36.

  176 développées par les penseurs postmodernes au cours des années 1970-1980271. Pourtant, pour Irlemar Chiampi, le baroque ne saurait être réduit à une esthétique postmoderniste :

La fonction critique du baroque ne s’épuise pas, cependant, dans la vision pessimiste de l’histoire que contient l’entropie de la modernité historiciste. La réappropriation esthétique du baroque a été un ressort pour recréer l’histoire à la lumière des nouveaux défis du présent272.

Le terme histoire, tel qu’il est utilisé dans cette dernière phrase de la citation, pourrait nous faire croire que les textes néobaroques se sont substitués à l’historiographie traditionnelle. Ces textes peuvent probablement être davantage assimilés à la catégorie histoires alternatives, qu’identifie Juan Antonio Molina au sujet de la photographie contemporaine, qu’à celle d’Histoire. Dans tous les cas, l’affirmation d’une photographie à la fois postmoderne et capable de créer des histoires alternatives n’offre pas un véritable cadre d’interprétation des images. En effet, si l’expression

« photographie postmoderne » suggère un décentrement ou une disparition du sujet (en tant qu’énonciation et en tant qu’objet de référence), comment la photographie pourrait-elle être alors le support d’histoires alternatives, pourrait-elles-mêmes portées par les revendications de mémoires collectives ? L’adjectif postmoderne offre une catégorisation trop imprécise et lâche des images.

Les acteurs du monde de l’art ont préféré au terme baroque celui de postmoderne pour qualifier les photographies, bien que le vocabulaire qu’ils emploient relève implicitement des théories baroques et des concepts bakhtiniens. Cette préférence s’explique sans doute par la fortune théorique qu’ont connue les théories postmodernes jusqu’au début des années 2000. Les travaux menés par le sémiologue italien Omar Calabrese (1949-2012)273 à propos de l’art aurait néanmoins pu inscrire le terme néobaroque dans le vocabulaire des critiques. Dans La guerre des images, l’historien Serge Gruzinski, spécialiste du Mexique colonial, n’hésite pas à associer les termes

Les acteurs du monde de l’art ont préféré au terme baroque celui de postmoderne pour qualifier les photographies, bien que le vocabulaire qu’ils emploient relève implicitement des théories baroques et des concepts bakhtiniens. Cette préférence s’explique sans doute par la fortune théorique qu’ont connue les théories postmodernes jusqu’au début des années 2000. Les travaux menés par le sémiologue italien Omar Calabrese (1949-2012)273 à propos de l’art aurait néanmoins pu inscrire le terme néobaroque dans le vocabulaire des critiques. Dans La guerre des images, l’historien Serge Gruzinski, spécialiste du Mexique colonial, n’hésite pas à associer les termes