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Comprendre et représenter l’identité en Amérique latine

PREMIERE PARTIE Quel référent pour la photographie latino-américaine ?

1.2. Comprendre et représenter l’identité en Amérique latine

1.2.1. La question rhétorique : qu’est-ce-que le « latino-américain » ?

Un autre élément théorique et contextuel, étranger à la photographie elle-même, permet de comprendre pourquoi les discours s’autorisent l’emploi du terme rupture pour qualifier les pratiques photographiques contemporaines. L’évolution du statut de l’image photographique lui est parallèle et non connexe. Il s’agit du bouleversement qu’a connu la notion d’identité au cours des dernières décennies. Or, la manière dont la notion d’identité est théoriquement appréhendée joue un rôle crucial dans la manière dont l’adjectif latino-américain est attribué pour qualifier la photographie. Comme nous allons le voir, le passage d’une conception stable et à une conception dynamique de l’identité a non seulement modifié les manières de représenter l’identité en Amérique latine, mais a également mis en doute la possibilité même de la représenter. Sans faire l’histoire de la notion d’identité et de son évolution au cours du XXe siècle, on retracera brièvement cette évolution et on en montrera l’importance dans les discours sur la photographie latino-américaine. Nous nous appuierons sur la façon dont les acteurs du monde de l’art, plus que les chercheurs en sciences humaines, nous livrent dans des écrits non analytiques des indices de cette évolution et non des explications.

Comme en témoignent encore aujourd’hui les écrits sur la photographie produite en Amérique latine, l’histoire de la photographie latino-américaine a toujours été écrite en corrélation avec les débats autour la question rhétorique : qu’est-ce que le latino-américain ?

Dans un article écrit au sujet de l’exposition Mapas Abiertos, l’anthropologue Néstor García Canclini (1938-) formule de manière encore plus radicale cette question :       

76 Alejandro Castellote, Photoquai, op.cit., p. 22.

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« L’Amérique latine existe-t-elle ? », et y répond ainsi : « Nous n’avons aujourd’hui pas plus de réponses catégoriques à cette question que celles qui ont été élaborées au cours du XXe siècle. Notre unique avantage est peut-être de disposer de meilleurs arguments et de descriptions plus ajustées pour problématiser ce qui nous unit et ce qui nous sépare »77.

Bien que la question ne semble plus à l’ordre du jour de l’agenda des chercheurs et des acteurs du monde de l’art, comme l’indique la citation, elle a animé en Amérique latine de nombreuses discussions au cours du XXe siècle. L’enjeu de ces débats a essentiellement été de déterminer les modalités et les spécificités d’une différence (vis-à-vis de l’Occident) et d’une expression proprement latino-américaine78. À un tel enjeu, on comprend que des réponses de natures différentes aient pu être apportées. On identifie aussi clairement le caractère essentialiste de telles réponses. Il ne s’agit pas pour nous d’inventorier ces réponses, la tâche étant bien trop ambitieuse et n’étant pas non plus l’objet de cette thèse. À travers quelques exemples, nous désirons montrer les domaines de pensées qu’elles impliquent et leurs représentations respectives, pour présenter enfin la façon dont l’évolution de la notion d’identité a suscité le passage d’une situation à une autre en termes de mode de compréhension de l’identité en Amérique latine. Ces exemples n’ont pas été choisis au hasard ; au cours de nos analyses d’images, nous aurons plus tard des occasions de montrer leurs incidences sur les représentations de l’Amérique latine produites par la photographie contemporaine.

En philosophie, l’ouvrage du péruvien Augusto Salazar Bondy (1925-1974), intitulé ¿Existe una filosofía de nuestra América? (« Existe-t-il une philosophie de notre Amérique ? », l’expression « notre Amérique » fait explicitement référence à l’ouvrage du cubain José Marti paru en 1892 sous le même titre) et paru en 1968, est considéré comme l’élément déclencheur d’une polémique donnant naissance au mouvement de la philosophie de la libération (connexe à la théologie de la libération). Ce mouvement, revendiquant une contextualisation de la philosophie, tenta de définir une philosophie

      

77 Notre traduction de: « ¿Existe América Latina? No tenemos hoy respuestas mas rotundas a esta pregunta que las que se fueron elaborando a lo largo del siglo XX. Quizá nuestra única ventaja es disponer de mejores argumentos y descripciones mas ajustadas para problematizar los que nos une y lo que nos separa ».

Néstor García Canclini, op.cit., p. 1.

78 Concernant les arts, parmi les auteurs d’ouvrages ayant alimenté ces débats, nous pouvons citer : Oswald de Andrade, Juan Acha, Marta Traba, Damián Bayón, Aracy Amaral, Mirko Lauer, Mario Pedroso, Frederico Morais.

  73 latino-américaine. Cette ambition souhaita d’abord rompre avec un système de dépendance vis-à-vis des modèles théoriques européens. C’est dans cette rupture que consistait la libération. Cette philosophie jouit encore d’une certaine notoriété en Amérique latine mais a néanmoins depuis transformé certains de ses arguments théoriques. Cette transformation a été synthétisée par une expression récente de ce qu’il est convenu d’appeler la pensée critique latino-américaine, le « tournant décolonial ».

L’expression a été forgée par des intellectuels contemporains réunis dans un groupe nommé Modernité/Colonialité79. Nous aurons l’occasion d’expliciter beaucoup plus les analyses et arguments développés au sein de ce groupe. Leurs conclusions ont eu des effets – implicites souvent – sur les représentations actuelles de l’Amérique latine, elles déterminent notamment certains types de rapports entre passé et présent, dont témoignent certains travaux photographiques. Ces images feront l’objet de notre analyse au cours de la troisième partie de cette thèse intitulée « Actualiser le passé ». D’ores et déjà, nous apercevons comment ces questionnements philosophiques ont pu participer aux tentatives de définition d’une identité latino-américaine. Mais c’est sans doute dans les liens entre philosophie et politique que ces tentatives apparaissent plus clairement.

1.2.2. Les réponses indigénistes et la photographie

L’indépendance des pays latino-américains, acquise au début du XIXe siècle, a conduit à différents mouvements politiques tâchant de définir les termes d’une identité nationale. Ces mouvements se sont traduits par des politiques d’intégration ayant pour vocation de produire une cohésion des sociétés latino-américaines sous le nouvel étendard des identités nationales. Chaque nation s’est ainsi forgé et approprié un répertoire de signes et de figures symboliques permettant de générer et d’alimenter un sentiment patriotique. Si l’échelle de ces politiques d’intégration se situe cette fois au niveau de chaque nation, elles sont élaborées à partir de réflexions menées par des intellectuels à des échelles transnationales. En effet, les mouvements que l’on peut observer, avec leurs modalités spécifiques, à l’échelle de chaque nation, ont su se

      

79 Pour une analyse approfondie des liens entre la philosophie de la libération et le « tournant décolonial », voir en français le n° 62 des Cahiers des Amériques Latines, paru en 2009, et en espagnol

« Teorías decoloniales », Nómadas, 26, Bogotá, Instituto de Estudios Sociales Contemporáneos/Universidad Central, 2007.

  74 conjuguer pour participer activement à l’élaboration d’une définition de l’identité latino-américaine.

À ce titre, certaines inflexions du courant de pensée dit indigéniste (qui traverse toute l’histoire de l’Amérique latine depuis la Conquête) sont tout à fait significatives de ce phénomène et de ces tentatives de définition. Au cours du XXe siècle, à la question

« qu’est-ce que le latino-américain ? », le courant de pensée indigéniste a préconisé la recherche d’une réponse dans les racines préhispaniques des populations métisses latino-américaines :

une forte tendance en Amérique latine a été de définir le latino-américain à partir de ces racines indigènes. Encouragés par les multiples et durables mouvements de résistance indienne, quelques anthropologues et mouvements sociaux trouvent dans l’indoaméricanisme la réserve critique et utopique d’une solidarité rebelle latino-américaine80.

Parfois ce mouvement s’est traduit par une volonté d’intégration des communautés indigènes à partir de la notion de métissage, comprise comme paradigme unificateur (en particulier au cours de la première moitié du XXe siècle). Parfois il s’est traduit également par une valorisation des éléments de cultures préhispaniques aux dépends d’autres constituants culturels des populations latino-américaines (afro-américaine, européenne et asiatique notamment)81. C’est de ce second paradigme que relève la photographie dite indigéniste. Au cours de cette thèse, nous aurons l’occasion d’étudier

      

80 Notre traduction de: « Una tendencia fuerte en América Latina ha sido definir lo latinoamericano a partir de las raíces indígenas. Alentados por los múltiples y duraderos movimientos de resistencia india, algunos antropólogos y movimientos sociales encuentran en el indoamericanismo la reserva critica y utópica de una solidaridad rebelde latinoamericana ».

Néstor García Canclini, op.cit., p. 1.

81 « on a presque toujours nié aux grands contingents afro-américains des territoires, des droits communs et même la possibilité d’être considérés par les politiques nationales et les symposiums sur le développement latino-américain ».

Néstor García Canclini, op.cit., p. 2.

Notre traduction de: « a los grandes contingentes afroamericanos se les ha negado casi siempre territorios, derechos básicos y aun la posibilidad de ser considerados en las políticas nacionales y los simposios sobre el desarrollo latinoamericano ».

  75 les incidences du courant de pensée indigéniste sur les représentations de l’Amérique latine à partir de différentes analyses d’images82.

Les différents mouvements, ou les différentes tentatives de définition de l’identité latino-américaine, ont été produits à partir d’une conception essentialiste de l’identité. Cette conception appréhende l’identité comme une entité stable et singulière, contenant un certain nombre d’éléments constitutifs compris comme permanents. La photographie a joué un rôle important pour ces différents mouvements, elle a fourni des représentations permettant d’appuyer et de corroborer en images certains discours essentialistes sur l’identité. En guise d’exemple, nous pouvons nous référer au célèbre photographe péruvien Martín Chambi (1891-1973). Non que nous souhaitions comprendre et résumer son travail comme une théorisation en images d’une lecture identitaire en termes indigéniste, il nous faut néanmoins considérer de manière contextuelle les discours ayant accompagné la réception de ses images.

Appartenant à la communauté indigène quechua des Andes péruviennes, Martín Chambi a été catégorisé par les historiens de la photographie latino-américaine comme un photographe indigéniste83. Or, si, parmi les photographies qu’il a produites, les images représentant la communauté quechua sont nombreuses, cette catégorisation ne permet pas d’intégrer l’ensemble de ses productions photographiques. C’est le cas de toutes les photographies qui représentent la jeune bourgeoisie péruvienne de Cuzco.

Cependant, et à juste titre eu égard à la question de l’accès à la représentation, c’est au regard de la visibilité nouvelle qu’il offre à la communauté indigène quechua que son travail est le plus souvent mis en valeur. À la manière d’autres artistes qui furent ses contemporains, dont les célèbres peintres indigénistes José Sabogal (1888-1956) au Pérou et Oswaldo Guayasamín (1919-1999) en Equateur par exemple, son travail a       

82 Pour une analyse concise du courant de pensée indigéniste en Amérique latine, voir l’ouvrage d’Henri Favre, L’indigénisme, paru en 1996 dans la collection « Que sais-je ? » des Presses Universitaires de France et Le mouvement indigéniste en Amérique latine, Paris, L'Harmattan, 2009.

83 Cf. Luisa Bellido Gant, Artigrama, n° 17, édition du Département d’histoire de l’art de l’Universidad de Zaragoza 2002, p. 116.

http://www.unizar.es/artigrama/pdf/17/2monografico/05.pdf, page internet consultée le 6 juin 2012.

Il semble difficile de dater précisément la période couverte par la photographie dite indigéniste. En outre, il semble tout aussi difficile de déterminer quels photographes font partie de cette catégorie. Le fait qu’une image possède des références qui renvoient aux communautés indigènes est un critère lâche pour effectuer cette catégorisation. Si nous l’appliquions ainsi, bon nombre de photographes contemporains pourraient être qualifiés d’indigéniste. Nous considérons que le critère présidant à la catégorisation

« photographie indigéniste » réside dans le fait de représenter les communautés indigènes de manière atemporelle, autrement dit, comme possédant des manifestations culturelles ayant traversé sans altération les évolutions historiques.

  76 contribué à promouvoir une représentation intégratrice de la communauté indigène au sein de la société péruvienne. Nous pouvons aussi souligner les photographies réalisées par Grete Stern dans la région du Chacho argentin aux cours des années 1958-1959 et 1964. Elle y documente les mœurs de la communauté indigène de cette région non sans complaisance esthétique comme dans la photographie qui fait écho à une célèbre peinture de Diego Rivera (Figure 10). Entre les années 1960 et 1990, l’écrivain argentin Sixto Vásquez Zuleta a aussi utilisé la photographie pour documenter les modes de vie des communautés indigènes de l’Argentine et en promouvoir l’identité et la valeur culturelle (Figures 11 et 12). Contrairement à Grete Stern, Sixto Vásquez Zuleta s’identifie aux communautés qu’il photographie et les décrit dans ses ouvrages.

Toutefois, dans un article consacré à la représentation photographique des communautés indigènes en Argentine, les historiennes de l’art Mariana Giordano et Alejandra Reyero estiment qu’il « recourt à des genres, des poses et des constructions de scènes occidentales, et bien qu’il se situe depuis un point de vue intérieur à la représentation, les stratégies formelles [qu’ils emploient] sont les archétypiques de la photographie documentaire occidentale »84.

De manière évidente, les images produites par les photographes indigénistes n’ont pas permis de promulguer une représentation de l’identité latino-américaine. Elles ont contribué à une revalorisation des communautés indigènes auxquelles ils appartenaient ou auprès desquelles ils ont travaillées. À l’échelle de l’Amérique latine, cette revalorisation a alimenté une compréhension et une représentation de l’identité qui fait du constituant indigène un élément central. Cette définition et cette représentation ont connu un succès certain, bien au-delà de l’Amérique latine. À ce propos, il n’est pas anecdotique de signaler que Martín Chambi fut l’un des premiers photographes latino-américains exposé au-delà des frontières de l’Amérique latine. Aux Etats-Unis, le Moma lui dédia en 1979 une exposition monographique et le consacra

« père de la photographie latino-américaine ». Cet élément est sans doute aujourd’hui l’un des objets de la critique contemporaine lorsqu’elle affirme qu’il faut se défaire des représentations traditionnelles de l’Amérique latine. La question de la réception de ces       

84 Notre traduction de : « Zuleta recurre a géneros, poses y construcciones de escenas occidentales, y aunque se ubica en un punto de vision interior a la representación, las estrategias formales son las arquetípicas de la fotografía documentalista occidental ».

Mariana Giordano et Alejandra Reyero, « La estetización del indígena argentino en la fotografía contemporánea », in Ramona, n° 94, Buenos Aires, septembre 2009, p. 32.

  77 images en Occident, qui mobilise la notion d’exotisme, est l’un des éléments moteurs de cette critique. Nous présenterons un peu plus tard dans cette première partie les problématiques et les réactions suscitées par la notion d’exotisme parmi les représentations contemporaines de l’Amérique latine. Remarquons néanmoins maintenant que cette réception exotisante a donné à l’expression photographie indigéniste une connotation péjorative et a progressivement été remplacée par l’expression photographie ethnographique.

Concernant les représentations indigénistes de l’identité latino-américaine, on considère aujourd’hui que l’un des travers de la photographie indigéniste est d’avoir élaboré une représentation rurale, souvent pittoresque et passéiste des communautés indigènes. Dans ces représentations, l’indigène est souvent appréhendé comme un être peu soumis au cours de l’histoire. En tant que constituant de l’identité latino-américaine, parce que ses manifestations culturelles auraient perduré en dépit de la force coercitive de la Conquête, il témoigne d’une capacité de résistance au processus d’acculturation qui fait honneur à l’idée d’une identité latino-américaine. En effet, selon ce raisonnement et par extension, c’est au latino-américain dans son ensemble que l’on prête cette capacité de résistance. Or, cette capacité de résistance est entendue dans les années 1960 et 1970 comme un argument politique pour défendre une intégrité de l’Amérique latine face aux influences occidentales (économiques, politiques, culturelles et artistiques).

Dans une photographie de Martín Chambi (Figure 13), datée de 1931, cette conception se conjugue avec la volonté d’ancrer la représentation dans le contexte du développement moderne du Pérou, l’arrière-plan utilisé nous permet en effet d’historiciser l’image. Sa temporalité renvoie aux intérieurs bourgeois de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. En représentant des femmes appartenant à la communauté quechua dans leur costume traditionnel (il s’agit d’un groupe folklorique), Chambi ne souhaite pas tant créer un anachronisme que montrer la vitalité de la culture indigène. La représentation de l’indigène qui en découle s’attache à le décrire comme un élément de culture, ayant traversé l’histoire sans être altéré par les évolutions de l’époque de moderne.

Cette image nous sert d’exemple pour montrer comment la photographie a pu contribuer à établir des représentations de l’identité en tant qu’entités stables et

  78 homogènes. Dans cette perspective, les qualités d’attestation du réel traditionnellement prêtées à la photographie ont joué un rôle important pour cautionner une description de l’identité en termes stables. On comprend dès lors pourquoi, lorsqu’il s’agit de défaire les représentations traditionnelles de l’Amérique latine, les discours et les expositions prétendent aujourd’hui constater une importance moindre de ces travaux dans la création photographique contemporaine.

L’image photographique et la notion d’identité ont connu au cours des dernières décennies des évolutions similaires. Tandis que la photographie s’est progressivement émancipée de sa qualité d’enregistrement du réel (dans les pratiques artistiques pour le moins), la notion d’identité est passée d’une conception stable à une conception dynamique. Ces évolutions nous permettent de constater dans certaines images des situations d’interdépendances entre les qualités prêtées à l’image photographique et celles prêtées à la notion d’identité. Cette situation d’interdépendance se comprend à l’aune d’une analyse esthétique des images. L’évolution du statut de l’image photographique peut donc être appréhendée comme partie prenante du passage d’une situation à une autre, caractérisée par une conception renouvelée de la notion d’identité.

D’autres exemples peuvent nous permettre de constater ce regard porté sur les communautés indigènes avec le concours de l’image photographique. C’est notamment le cas des photographies du chilien Sergio Larrain qui voyagea en Bolivie et au Pérou durant l’année 1958. Dans son journal, dont certains fragments ont été exposés côte à côte avec ses photographies durant l’exposition monographique des Rencontres d’Arles de l’été 2013, il déclare : « Quatre cents ans après l’arrivée des Espagnols au Pérou, après la mise en place implacable de leur gouvernement, dépossédant et massacrant les Incas, l’empire inca demeure malgré tout. Comme un corps sans tête, l’ancienne culture inca continue d’exister malgré les changements imposés »85. Les photographies qu’il réalise relèvent d’une description pittoresque des communautés indigènes andines (Figures 14, 15 et 16). L’intérêt pour le vêtement traditionnel, les manifestations publiques (marchés populaires et célébrations), l’inscription de l’individu dans le paysage aride et accidenté des Andes, sont des constantes de ce type de représentations.

On peut nous rétorquer que l’utilisation que nous faisons du terme pittoresque relève du       

85 Citation extraite des fragments du journal de Sergio Larrain exposés aux Rencontres d’Arles de l’été 2013 et reproduits dans l’ouvrage intitulé Sergio Larrain.

Agnès Sire, Sergio Larrain, Paris, Editions Xavier Barral, 2013, p. 114.

  79 point de vue occidental qui est le nôtre et qu’en ce sens il s’agit d’une réception exotisante de ces images. Si cette considération n’est pas sans fondement au regard de l’imaginaire occidental et de sa culture visuelle, il ne faut pas négliger l’impact symbolique exercé par les communautés indigènes sur les populations métisses ou créoles latino-américaines. À ce titre, la citation suivante, extraite du journal de Sergio Larrain, est tout à fait significative de l’attrait exotisant qu’elles exercent sur lui :

Sucre 23 août 1958. Je passe maintenant par la Bolivie. Aujourd’hui, je suis descendu de l’Altiplano gelé et je commence à sentir la chaleur tropicale ; demain je vais photographier l’un des endroits pour lequel je fais ce voyage, le marché de Tarabuco près de Sucre. Il y a des indiens extraordinaires, et je crois que cela peut donner quelque

Sucre 23 août 1958. Je passe maintenant par la Bolivie. Aujourd’hui, je suis descendu de l’Altiplano gelé et je commence à sentir la chaleur tropicale ; demain je vais photographier l’un des endroits pour lequel je fais ce voyage, le marché de Tarabuco près de Sucre. Il y a des indiens extraordinaires, et je crois que cela peut donner quelque