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Ambiguïtés d’une catégorie géographique de photographie

PREMIERE PARTIE Quel référent pour la photographie latino-américaine ?

1.1. Ambiguïtés d’une catégorie géographique de photographie

1.1.1. L’accès aux images

Les images qui font l’objet de notre analyse ont été sélectionnées auprès de différents médias appartenant au monde de l’art et en particulier de catalogues d’exposition. L’échelle et la période contemporaine sur laquelle se concentre notre analyse (soit des années 1990 à 2013) ne permet pas d’établir systématiquement un

      

48 Notre traduction de: « No existe UNA fotografía latinoamericana, porque hay influencias de todos lados. Pero hay realidades que son latinoamericanas y que no se dan en otros sitios. Y eso, yo creo que si, sin duda produce una forma de ver los temas y una forma de enfrentarse a esa realidad muy particular ».

Claudi Carreras, op.cit.

  58 contact direct avec les images. C’est pourquoi, nous nous sommes appuyé sur des catalogues d’exposition, présentés et édités en Amérique latine, mais aussi en France, en Espagne ou aux Etats-Unis, pour étayer nos connaissances du contexte artistique et photographique de l’Amérique latine. Nous avons aussi été attentif aux résultats des concours permettant à des photographes d’effectuer des résidences artistiques ou de promouvoir leurs travaux via l’édition d’un livre, la présentation sur internet ou la création d’une exposition. Enfin, diverses activités menées en parallèle de cette thèse nous ont malgré tout fourni de nombreuses occasions d’établir un contact direct avec les images. Ce fut le cas d’un stage réalisé en 2011 auprès du musée du Quai Branly durant la Biennale de photographies Photoquai. Cette expérience a permis de connaître les travaux de jeunes photographes latino-américains et d’échanger avec certains d’entre eux. En 2012, dans le cadre de la Biennale de photographie de Lima, un stage au sein d’un jeune musée de photographies créé en 2011, le FOLi, fut l’occasion de connaître les travaux de nombreux photographes latino-américains et de mesurer l’enthousiasme accompagnant la promotion et valorisation de la création photographique contemporaine ainsi que du patrimoine photographique. Il s’agissait de la première biennale de photographie de Lima et il est important de souligner la multiplication de ce type d’événements dans de nombreux pays latino-américains au cours des deux dernières décennies49.

Bien qu’il soit impossible de posséder une connaissance exhaustive de la création photographique en Amérique latine, de multiples et incessants contacts avec les images ont été maintenus au cours de ces années de recherche. De sorte que, progressivement, se sont imposées les « grandes » figures de la photographie latino-américaine contemporaine, autrement dit, les artistes dont l’œuvre bénéficie d’une reconnaissance et d’une notoriété bien établies auprès des commissaires et critiques d’exposition. Les commissaires d’exposition (très souvent formés à l’histoire de l’art), ou curateurs (en espagnol c’est le terme « curador » qui est le plus souvent employé), sont les acteurs principaux du monde de l’art contemporain qui s’efforcent de donner       

49 Notamment le « Foro Latino-Americano de Fotografia », qui a lieu tous les trois ans à Sao Paolo et dont la première édition s’est déroulée en 2007. On peut citer également le festival de Valparaiso créé en 2010 (« Festival Internacional de Fotografía de Valparaíso »), celui de Bogota en 2005 (« Encuentro Internacional de Fotografía »), ou encore celui de Buenos Aires en 2005 (« Buenos Aires Photo »). Celui de Mexico (« Bienal de Fotografía de México ») est sans doute le plus ancien festival de photographie en Amérique latine, il a été créé en 1980, soit deux ans après le premier Colloque de Photographie latino-américaine qui a également eu lieu au Mexique.

  59 une caractérisation à la fois contextuelle et globale (à l’échelle du marché et des tendances de la photographie et de l’art contemporain notamment) des œuvres qu’ils décident d’exposer. La lecture de leurs exégèses des œuvres et des « tendances » de la photographie a permis de constater la façon dont l’exposition et l’édition des images sont soumises aux décisions d’un nombre relativement réduit de personnes.

Il est important de signaler que ces acteurs du monde de l’art ne sont pas représentatifs de la diversité des pays latino-américains. La grande majorité provient du Mexique, du Brésil, de l’Argentine, du Chili mais aussi de l’Espagne et des Etats-Unis, pays qui manifestent un intérêt certain pour la photographie latino-américaine par l’intermédiaire de la recherche académique et des structures de diffusion institutionnelles50. Il s’agit de pays possédant un ancrage historique conséquent, un patrimoine photographique, et d’importantes structures de diffusion des images (institutionnelles et éditoriales). Cet élément contextuel importe dans la mesure où il explique en grande partie les écarts de représentativité entre les différents pays d’Amérique latine sur le marché de la photographie dite latino-américaine. Dépendante de ces circuits de diffusion pour avoir accès aux images, cette recherche témoigne également d’écarts de représentativité dans le choix des images qui font l’objet de notre analyse.

À travers les écrits des commissaires et critiques, on a pu identifier un vocable récurrent pour qualifier la photographie contemporaine latino-américaine. Or, les différentes intentions qui motivent ces écrits ont en commun la volonté de signaler une rupture avec la photographie produite en Amérique latine avant les années quatre-vingt-dix, ainsi qu’une volonté d’ancrage dans le panorama mondial de l’art contemporain.

Cet ancrage manifeste de la part des acteurs du monde de l’art l’intention de légitimer la pertinence artistique des propositions photographiques latino-américaines au regard du marché de l’art contemporain et des catégories de l’histoire de l’art occidentale.

Enfin, comme nous allons le voir, dans les discours sur la photographie latino-américaine, les commissaires et les critiques associent très souvent l’adjectif à deux propositions devenues fréquentes depuis les années 1990 : d’une part, l’identification de thèmes présentés comme récurrents dans les propositions artistiques latino-américaines       

50 À ce sujet, il est intéressant de constater qu’en Amérique latine les commissaires d’exposition sont bien souvent issus du domaine de la recherche académique. Ils exercent souvent de concert ces deux activités et y ajoutent aussi fréquemment l’enseignement.

  60 et, d’autre part, l’affirmation d’une rupture vis-à-vis des représentations dites traditionnelles de l’Amérique latine.

1.1.2. 1990, rupture dans les représentations de l’Amérique latine

Les thèmes identifiés comme récurrents dans la photographie latino-américaine contemporaine relèvent d’un découpage établi sans véritable égard pour la cohérence des références qu’ils indiquent. En effet, si l’on prend par exemple le découpage thématique ayant présidé à l’organisation de la grande exposition Mapas Abiertos, fotografía latino-americana, 1991-2002 (« Cartes Ouvertes, photographie latino-américaine, 1991-2002 »)51, on trouve trois catégories : « Rituales de identitad » (« Rituels d’identité »), « Escenarios » (à la fois « Mises en scène » et

« Environnements ») et « Historias alternativas » (« Histoires alternatives »). Les termes employés pour nommer ces catégories relèvent du vocable fréquemment utilisé par les critiques et commissaires d’exposition pour caractériser à la fois les pratiques et les productions artistiques.

L’expression « Mise en scène » fait référence à la manière dont les photographies sont produites et en particulier à une pratique de la photographie, tandis que les deux autres expressions utilisées font référence aux contenus et aux positionnements des propositions artistiques. Dans le texte d’introduction du catalogue de cette exposition, il est indiqué que ces noyaux thématiques renvoient aux « idées les plus fréquentées par les artistes durant les années quatre-vingt-dix », à savoir,

« l’identité et la mémoire, les genres, les villes, le reflet social, les mythes et les rituels, etc. »52. Cette citation dévoile clairement la difficulté conceptuelle à laquelle est soumise toute tentative de caractérisation globale de la photographie latino-américaine.

Il est évident que cette difficulté est inhérente à tout projet d’exposition souhaitant se

      

51 Remarque : l’exposition de photographies intitulée Mapas Abiertos, fotografía latino-americana, 1991-2002 est l’une des plus importantes qui ait été réalisée pour la photographie latino-américaine au cours des deux dernières décennies. Elle a réuni les travaux de près de quatre-vingt-dix artistes. Nous nous y référerons plusieurs fois au cours de cette thèse, tant pour les images qui y ont été présentées que pour les écrits qui les accompagnent.

52 Notre traduction de: « se ha pretendido incluir las ideas más frecuentadas por los artistas en la década de los noventa: la identidad y la memoria, los géneros, las ciudades, el espejo social, los mitos y los rituales, etc ».

Alejandro Castellote, Mapas Abiertos, fotografía latino-americana, 1991-2002, Barcelona, Lunwerg, 2003, p. 16.

  61 situer à l’échelle de toute l’Amérique latine. Cependant, il faut relever le fait que cette volonté de caractérisation existe et cohabite – de manière presque paradoxale – avec la reconnaissance de la diversité des pratiques photographiques latino-américaines. Il est d’ailleurs très intéressant de voir les façons dont ces deux propositions sont énoncées et cohabitent dans les écrits. En guise d’exemple, examinons les premières phrases qui ouvrent le catalogue de l’exposition précédemment mentionnée :

Le sous-titre de ce projet contient deux concepts, « photographie » et « Amérique latine », qui ont convoqué d’amples et contradictoires débats au cours des dernières décennies, soulignant leur instabilité comme termes d’attribution pour des collectifs déterminés et dénotant une certaine schizophrénie concernant leur définition et interprétation. […] Considérer la photographie latino-américaine comme une entité différenciée doit avoir été initié par les colloques, les expositions, les congrès, les rencontres institutionnelles. […] En premier lieu, il faut reconnaître que le terme

« Amérique latine » n’implique pas une unité de laquelle attendre une cohérence et une communauté d’intérêts et de sensibilisation. Le terme tend même à être considéré comme un réductionnisme et, pour cela, une étiquette classificatoire53.

La note d’intention qui ouvre le catalogue de cette exposition affirme l’inanité de toute ambition de définir en termes cohérents ce que l’expression « photographie latino-américaine » implique. Cette affirmation est devenue un lieu commun dans les écrits des commissaires d’exposition qui réunissent différents photographes d’Amérique latine. On la retrouve par exemple dans l’exposition (Re)presentaciones qui a eu lieu en 2013 au cours du festival de photographie « FotoEspaña » de Madrid : « La diversité de ses langages et intérêts rompt avec n’importe quelle tentative de montrer un groupe homogène sous l’épigraphe “photographie latino-américaine“ »54. Néanmoins, en

      

53 Notre traduction de: « El subtitulo de este proyecto contiene dos conceptos, “fotografía” y

“Latinoamérica”, que en las ultimas décadas han convocado amplios y contradictorios debates, subrayando su inestabilidad como términos de adscripción para determinados colectivos y denotando una cierta esquizofrenia respecto a su definición e interpretación. […] Considerar la fotografía latinoamericana como una entidad diferenciaba debe haberse originado en los coloquios, las exposiciones, los congresos, los encuentros institucionales […] Lo primero será reconocer que el termino

“Latinoamérica” no implica una unidad de la que se debe esperar una coherencia y una comunidad de intereses y de sensibilización. El mismo termino tiende a ser considerado un reduccionismo y, por ello, una etiqueta clasificadora ».

Ibid., p. 15.

54 Notre traduction de: « La diversidad de sus lenguajes e intereses rompe con cualquier intento de mostrar un grupo homogéneo bajo el epígrafe de “fotografía latinoamericana“ ».

  62 cherchant les raisons qui motivent cette affirmation, on s’aperçoit très vite qu’elle s’établit sur la base d’un rejet des représentations identifiées et médiatisées par l’adjectif latino-américain antérieurement aux années quatre-vingt-dix. On constate en effet dans les écrits la volonté de signaler une rupture avec une caractérisation historique de la photographie latino-américaine. Cette rupture relèverait davantage d’un constat effectué à partir d’un regard sur les propositions artistiques des deux dernières décennies, que d’un repositionnement théorique des discours curatoriaux. Ces discours prétendent souvent refléter un contexte général de création et n’assument guère la responsabilité des partis-pris curatoriaux sur le façonnement du paysage artistique contemporain.

1.1.3. Expliquer la rupture : rejet des caractérisations antérieures de la

« photographie latino-américaine »

Le moment initial de l’écriture d’une histoire de la photographie latino-américaine est aujourd’hui souvent situé en 1978, lors du premier Colloque de Photographie Latino-américaine organisé à Mexico. Ce premier colloque marque la reconnaissance institutionnelle de la photographie par les acteurs du monde de l’art en Amérique Latine. On constate qu’alors que cette reconnaissance institutionnelle de la photographie intervient au même moment en France, elle s’y traduit par l’affirmation d’une photographie dite plasticienne, c’est-à-dire travaillant sur des problématiques proprement plastiques et artistiques, par opposition à une photographie dite documentaire et travaillant avec des éléments vernaculaires. On retrouve aujourd’hui dans les écrits des commissaires latino-américains un raisonnement similaire dans la mesure où les travaux documentaires sont volontairement écartés des expositions :

« nous avons tâché d’éviter les “thèmes classiques“ qui depuis notre contexte sont le plus associés à la photographie latino-américaine, concrètement, la photographie documentaire »55.

Néanmoins, à partir de la fin des années soixante-dix, la reconnaissance artistique d’une photographie dite latino-américaine a suivi un mouvement inverse – que reprendront d’ailleurs certaines politiques muséales en France sous prétexte d’une       

Ana Berruguete, PhotoEspaña, 2013, texte écrit dans pour accompagner l’exposition « (Re) presentaciones, Fotografía latinoamericana contemporánea », présentée à Madrid à la Tabacalera.

55 Notre traduction de: « se ha tendido mas a evitar los “temas clásicos“ que desde nuestro contexto se asocian mas a la fotografía latinoamericana, en concreto, la fotografía documental ».

Ana Berruguete, PhotoEspaña, 2013, op.cit.

  63 affirmation des spécificités du médium – en s’appuyant plus sur une mise en valeur des dimensions éthique et politique des photographies, que sur leur valeur artistique56. En 1978, dans le texte d’introduction du catalogue de l’exposition qui accompagna le premier Colloque de Photographie Latino-américaine (avec près de deux cent photographes exposés), la critique d’art Raquel Tibol déclarait que « ce que les photographes latino-américains ont un commun [est] le mépris des descriptions superficielles qui n’aspirent pas à révéler les relations entre l’homme et son espace social et naturel »57

Au cours de ce colloque, la photographie latino-américaine va être caractérisée comme « documentaire » et « engagée politiquement »58, et l’expression « photographie de la libération » va être utilisée pour mettre en évidence le supposé caractère politique de la photographie latino-américaine, en référence à la célèbre théologie de la libération.

La relation est entérinée par le fait que cette photographie et cette théologie ont pour volonté commune une réhabilitation de la dignité des oubliés et des victimes de l’histoire de l’Amérique latine, et de sa réalité socioéconomique, les minorités ethniques, en particulier d’origine préhispanique, et la classe populaire, ouvrière et agricole. Il s’agissait alors de privilégier une conception sociale et politique du rôle de l’art et des images. Cette conception est intimement liée aux nombreux bouleversements politiques du contexte latino-américain (et mondial) des années 1960 et 1970 : la révolution cubaine et la véhémence des gauches latino-américaines, de même que les dictatures qui s’imposent dans de nombreux pays d’Amérique latine. Défendant la caractérisation de la photographie latino-américaine qu’elle établit, Raquel Tibol déclare :

Des énoncés comme celui-ci constituent sans doute la plate-forme commune aux photographes latino-américains, fréquemment dédiés aux problèmes nationaux, pour se considérer concerné par les pressions économiques, politiques et militaires qui se       

56 Nous continuons pour autant à parler de reconnaissance artistique car, si des problématiques proprement plastiques ne sont pas véritablement évoquées, il s’agit bien d’une reconnaissance institutionnelle notamment parce que ce colloque est organisé par des acteurs du monde l’art, en particulier la critique mexicaine Raquel Tibol qui écrivit l’introduction au catalogue des photographies qui furent présentées lors de ce colloque.

57 Raquel Tibol, Hecho en Latinoamérica, Primera muestra de la Fotografia Latinoamericana Contemporanea, op.cit., p. 24. Texte traduit en français dans le catalogue de l’exposition.

Remarque : le texte d’introduction au catalogue a été publié en castillan, en anglais et en français.

58 Alejandro Castellote, Mapas Abiertos, fotografía latino-americana, 1991-2002, op.cit., p. 15.

  64 produisent à l’intérieur du processus de dépendance de l’impérialisme et d’exploitation oligarchique dans laquelle vit la grande majorité des pays d’Amérique latine59.

L’une des photographies du catalogue de l’exposition illustre la relation entre ce contexte politique et la théologie de la libération (Figure 1). Cette image réalisée par la célèbre photographe mexicaine Graciela Iturbide représente en effet la caution morale que fournissent à l’époque certains membres du clergé aux luttes politiques.

Dans un article récent publié à l’occasion de l’exposition América Latina 1960 - 2013 (Fondation Cartier, Paris, 2013/2014), le critique et commissaire Régis Durand, interrogeant les possibilités offertes pour analyser la photographie latino-américaine et en faire l’histoire (« L’exposition qu’organise la Fondation Cartier […] est une tentative pour écrire une histoire de la photographie latino-américaine60 »), déclarait qu’au-delà de la diversité et des particularités de chaque pays « un trait commun traverse le continent : elle est toujours liée au contexte politique dans lequel elle se développe que ce soient la révolution cubaine ou les régimes dictatoriaux »61. L’exposition présente d’ailleurs des exemples de photographes qui, si l’on reprend l’expression, pourraient être dits de la libération, bien qu’à aucun moment l’expression n’apparaisse dans les textes accompagnant l’exposition. Parmi ces photographes, nous pouvons citer Marcelo Montecino (Figures 2 et 3), Paolo Gasparini (Figures 4 et 5), Ever Astudillo (Figure 6), Roberto Fantozzi (Figure 7) ou encore José A. Figueroa (Figures 8 et 9) dont toutes les images présentées ont été réalisées durant les années 1970.

Cette conception de l’art qui fait la part belle à l’engagement politique et social des artistes a conduit certains historiens à caractériser la photographie latino-américaine comme anti-formaliste et fermée aux expérimentations artistiques (c’est particulièrement le cas d’Erika Billeter que nous présenterons dans les pages qui viennent). De nombreux commissaires et critiques contemporains regrettent les termes de cette caractérisation qui attribua aux images l’adjectif latino-américain à partir de modalités éthiques et non esthétiques. Pourtant, il faut signaler que des recherches récentes (donnant lieu à des expositions) ont montré combien les productions artistiques de cette période ont su faire part de créativité formelle pour diffuser leur engagement

      

59 Raquel Tibol, op.cit.

60 Régis Durand, « Photographie(s) en Amérique latine », Artpress, novembre 2013, p. 40.

61 Ibid.

  65 politique62. Or, ceux qui regrettent aujourd’hui cette caractérisation de la photographie à partir de modalités éthiques arguent qu’elle a donné lieu à des représentations stéréotypées de l’Amérique latine : « rurale, violente et tiers-mondiste »63.

À ce sujet, examinons un instant le parti pris de l’exposition América Latina 1960 - 2013 organisée conjointement par la Fondation Cartier et le musée Amparo de Puebla au Mexique. En faisant du politique un caractère essentiel et fédérateur de la photographie latino-américaine de 1960 à 2013, l’exposition renoue avec l’une des premières caractérisations de la photographie latino-américaine, celle du colloque de 1978 qui forgea l’expression désormais obsolète de « photographie de la libération ».

Cependant, aucun des termes ayant par le passé contribué à caractériser cette photographie n’est repris dans l’exposition (« photographie de la libération » ;

« indigénisme » ; « réalisme magique »). De plus, à aucun moment l’exposition ne fait référence aux Colloques de Photographie Latino-américaine. Parce que l’exposition a lieu à Paris et non pas en Amérique latine, cette constatation indique que certains enjeux éthiques relèvent d’une question d’énonciation muséale. Face à un tel constat, il faut souligner l’équilibre que le parti pris de cette exposition tente de trouver. En renouant implicitement avec la première caractérisation de la photographie latino-américaine, elle souhaite malgré tout éviter les écueils des caractérisations précédentes. C’est pourquoi elle escamote certains termes traditionnellement associés aux productions photographiques des années 1960, 1970 et 198064. L’originalité du parti pris réside justement dans la volonté de renouer et de dépasser en même temps cette première caractérisation. Pour opérer ce dépassement, la caractérisation politique de la

      

62 Nous pouvons signaler l’ouvrage d’Horacio Fernandez, Les livres de photographie latino-américaine, Marseille, RM/Images en manœuvre, 2012, ou le catalogue de l’exposition América latina 1960-2013 de la Fondation Cartier, paru en novembre 2013 aux éditions Actes Sud.

63 Alejandro Castellote, Photoquai, op.cit., 2007, p. 22.

64 Mentionnons ici les enjeux liés à la situation spatiotemporelle de l’énonciation muséale. Ces enjeux nous apparaitront beaucoup plus clairement au cours du second chapitre de cette première partie, lorsque nous aurons traité la question de l’exotisme. Cependant, nous pouvons d’ores et déjà signaler le fait que

64 Mentionnons ici les enjeux liés à la situation spatiotemporelle de l’énonciation muséale. Ces enjeux nous apparaitront beaucoup plus clairement au cours du second chapitre de cette première partie, lorsque nous aurons traité la question de l’exotisme. Cependant, nous pouvons d’ores et déjà signaler le fait que