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Avant de développer quatre points, je voudrais dire que l'aspect le plus intéressant de ce texte me paraît être la distinction entre outil et règle. L'outil de gestion n'est pas seulement de la régulation et ceci est bien analysé dans le texte.

1. Ma première question est la suivante: que recherche-t-on lorsque l'on mène des recherches sur les outils de gestion ?

En deux mots: autant les choses me semblent claires lorsque l'on parle des outils, autant elles me semblent nettement moins claires lorsque l'on parle de gestion. Quand on dit que les outils de gestion sont des savoirs, composants de l'organisation, on tombe dans la tautologie. Dans la gestion, il y a du pouvoir, de la contrainte. Quiconque a fait l'expérience d'introduire des outils de gestion sait qu'il a, ce faisant, mis en place des contraintes - et des marges d'autonomie également. Donc, l'un des rôles du chercheur consiste à décrypter les enjeux. S'il ne le fait pas, il passe àcôté de choses importantes. Ces enjeux sont hétérogènes. Je suis toujours gêné lorsque l'on parle de représentations partagées Toutes les représentations ne sont pas partagées : il y a des conflits entre représentations hétérogènes

2. Pourquoi rabattre les outils de gestion dans la rationalité instrumentale? Il existe d'autres formes de rationalité: la rationalité orientée sur l'éthique, la rationalité communicationnelle, etc. L'outil de gestion participe de ces différents types de rationalité. En introduisant un nouvel outil de gestion, qu'essaie-t-on de rationaliser?

3. Le texte ne distingue pas les périodicités dans la manière d'aborder les outils de gestion. Je pense à la périodicité économique ou àla périodicité des systèmes de production. J'ai du mal à parler des outils, aujourd'hui, sans disposer d'une perspective sur la périodicité économique. Je pense qu'il y a eu un tournant dans les années 90, tournant que j'ai constaté dans les systèmes de contrôle de gestion sur lesquels je travaille. L'économique est toujours présent dans les outils de gestion et, quand on annonce un objectif de réduction des coûts de 20%, les outils de gestion se trouvent ébranlés.

4. Dans le texte un accent particulier est mis sur les savoirs, sur le cognitif. Or, l'un des enjeux de l'introduction de nouveaux outils de gestion me paraît être, non pas d'accroître les savoirs, mais de modifier les critères de justice et d'équité. Manquent les rapports sociaux, dans ce texte.

Réponse de Jean-Claude MOISDON

Les outils de gestion ne sont pas que des savoirs. Je ne crois pas avoir dit ou écrit cela Je suis donc d'accord avec vous. Je constate simplement une certaine ouverture des outils dans la période récente.

Philippe Zarifian Ne croyez-vous pas, tout au contraire, que la conformation revient en force?

Pierre Romelaer : On rejoint ici le problème de la "discutabilité".

Jean-Claude Moisdon : Je suis aujourd'hui sur trois terrains -l'hôpital, la requalification, la conception chez Renault-. Cette apparition de la face "savoirs" des outils est claire sur ces trois terrains, Cela dit, un chercheur canadien en économie de la santé m'a un jour objecté, un peu comme vous: "oui, mais dans les situations de crise, le savoir disparaît: on coupe dans les budgets et dans le personnel, et c'est tout !"

Sur la rationalité instrumentale, J'ai parlé de ce type de rationalité, mais sur le mode de la référence. Personnellement, je n'adopte pas ce modèle.

Sur la périodicité: je suis d'accord avec vous. Il est possible qu'elle n'apparaisse pas bien dans mon texte, qui est l'introduction du livre Mais elle me semble nettement sensible dans les chapitres qui suivent et qui sont autant d'analyses de cas.

Sur les critères d'équité. Ce qui m'intéresse est le croisement des deux. Comment un outil produit des savoirs et opère en même temps une révision des critères d'équité.

Denis Bayart : Pourquoi ce titre. N'est-ce qu'un clin d'oeil, ou la référence à Simondon est- elle plus profonde?

Jean-Claude Moisdon: Il s'agit d'une référence forte, parce qu'elle nous amène au coeur du sujet. Armand Hatchuel peut peut-être en parler mieux que moi, il a été le premier à faire référence à Simondon.

Armand Hatchuel : Le livre de Simondon est un livre important, et si la référence qui nous y faisons incite des gens à le lire, j'en serais heureux. Le projet de Simondon consiste à réintégrer l'objet technique dans la culture. Simondon considère que la culture s'est construite en expulsant hors d'elle-même l'objet technique et qu'il faut désormais le réintégrer. Notre projet s'inscrit -modestement- dans la lignée du sien: nous avons cherché à réintégrer l'outil de gestion dans la culture. Il y a deux approches. L'une consiste à partir de l'organisation et à s'efforcer de penser l'outil de gestion à partir d'elle. L'autre consiste à partir de l'analyse des outils de gestion pour poser le problème de l'organisation. Si l'on peut parler du "plus produit" du livre, il réside dans une tentative faite pour proposer une vision nouvelle de l'organisation qui réponde aux outils de gestion.

Bertrand Venard : Vous êtes-vous posé le problème de la dissonance possible des outils entre eux?

Jean-Claude Moisdon: De très nombreuses fois Nous avons étudié le mode d'incorporation des outils dans l'organisation, les phénomènes de contextualisation, et de rigidification de l'organisation par I'Instrument, susceptible de s'opposer par la suite à l'importation de nouveaux outils.

Jacques Girin : Une des choses qui m'a un peu étonné, c'est l'idée que les outils sont toujours capables d'adaptation, qu'ils ne sont jamais figés. Est-ce vrai du PMSI et de ses GHM (Groupes Homogènes de Malades) ? J'en doute, notamment en raison du coût énorme qu'ils ont représenté...

Jean-Claude Moisdon: Les GHM représentent un coût de 500 millions par an. Il est vrai qu'à ce prix, l'apprentissage est un luxe... Mais, même dans les hôpitaux, on assiste à des phénomènes d'adaptation dans l'appropriation. Dans le cas que j'ai évoqué, la conception chez Renault, les outils changent en permanence. C'est même un problème pour les intervenants: à chaque fois qu'ils reviennent sur le terrain, les choses ont changé ...

Erhard Friedberg : Je ressens la même difficulté avec cette idée de volatilité. L'intérêt d'un outil est quand même qu'il est figé et qu'il fige les choses. S'il change sans cesse, quel intérêt peut-on y trouver? Que mesure-t-on si on change de mesure en permanence?

Deuxième remarque. J'ai été gêné par le fait qu'un problème, fondamental à mes yeux, n'a pas été posé. Que se passe-t-il quand l'introduction d'un outil objective des choses que tout le monde savait mais qui sont intolérables lorsqu'elles s'objectivent? Vous donnez l'impression

qu'on peut toujours introduire des outils de gestion. Il me semble qu'il existe des cas où c'est impossible.

Troisième point.. J'ai l'impression qu'un diagnostic organisationnel, au début de l'intervention, peut quand même faire gagner beaucoup de temps, qu'il est plus rapide notamment qu'une discussion à partir d'une tentative de formalisation dans un outil de gestion.

Jean-Claude Moisdon : J'ai évoqué le deuxième problème. Il était impensable, il y a un certain temps, d'introduire à l'hôpital un outil de calcul des coûts de séjour. Aujourd'hui, cela se fait.

Sur la volatilité: dans les entreprises, on mesure de nombreuses choses, on se sert d'outils, mais on change de mesures très souvent dans certains cas, qui correspondent aux usages émergents que nous citons. C'est vrai que d'autres situations restent davantage stables.

Pierre Romelaer : Pour reprendre ce point. Ne pensez-vous pas qu'il peut y avoir, dans ce type de cas, des illusions d'utilisation des outils? J'ai l'expérience d'un grand groupe dans lequel, lorsque l'on interrogeait le directeur général, il expliquait que le groupe avait radicalement changé ses façons de faire, alors qu'un directeur d'usine, interrogé lui aussi, parlait du directeur général comme de "Monsieur 1.5%".

Philippe Zarifian : Je voudrais réagir à l'intervention d'Armand Hatchuel. Je suis d'accord avec lui qu'il existe un réel enjeu, fort, à réintroduire les outils de gestion dans la culture. Mais je pourrais citer des cas dans lesquels des ouvriers, ou des infirmières, refusent de s'impliquer dans l'utilisation de nouveaux outils de gestion.

Armand Hatchuel : Je pense que ce point de vue est lié au fait que vous étudiez le contrôle de gestion, qui relève d'une classe d'outils particulière. Si on décontextualise l'outil, on s'aperçoit que les gens sont souvent porteurs de la formalisation. On parle souvent, chez les ouvriers, de langage commun, cela suppose un certain type de formalisation.

Philippe Zarifian : Ce n'est pas là ce que vous appelez des outils de gestion...

Armand Hatchuel : Il y a là un vrai débat. Au début, j'ai été réticent à l'utilisation de l'expression d' «outil de gestion». Si on veut réintroduire les outils de gestion dans la culture, je crois qu'il faut faire exploser cette notion.

Marc Barbier : Dans les travaux du CGS, il y a une étude forte des outils de gestion. Mais, pour un gestionnaire, ne faut-il pas s'intéresser plutôt aux dispositifs de gestion? Quelle différence faites-vous entre outils et dispositifs?

Jean-Claude Moisdon: L'outil apparaît lorsque l'on met en relation telle variable avec telle autre. L'outil, c'est toute forme de modélisation. Le dispositif est plutôt une procédure. Il peut comporter des outils, mais il s'agit d'un concept plus large. Nous nous intéressons plutôt, au CGS, aux dispositifs. Mais nous avons essayé dans ce livre de faire le point sur les outils, sur les formalisations. Quels sont les effets? Quels sont les usages?

Francis Pavé : N'y a-t-il pas un paradoxe dans le fait que vous vous référiez à Simondon, et que Philippe Zarifian vous reproche de méconnaître les rapports sociaux? Reprenons le cas de l'hôpital. Pourquoi un outil rejeté tout d'abord par le corps médical est-il finalement adopté? Jean-Claude Moisdon: Il y a sans doute des réponses multiples. J'ai pourtant un élément de réponse à proposer. Un instrument, considéré au départ comme non probant par les médecins, a fini par produire des résultats non-contestables.

II. GÉRER LA SINGULARITÉ À GRANDE ÉCHELLE: LE CAS DES PATIENTS