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Contingence et stratégie : revenir aux fondements communs de ces deux approches

ID LES CONFIGURATIONS ORGANISATIONNELLES REVISITÉES : VERS UNE ARTICULATION DES APPROCHES CONTINGENTE ET POLITIQUE

II. Armand HATCHUEL

3. Contingence et stratégie : revenir aux fondements communs de ces deux approches

Pichault et Nizet remarquent à juste titre que les paramètres de contingence ne sont pas des «données» et peuvent être construits par les acteurs en fonction de leur analyse stratégique des situations. En tant que chercheurs intervenants, il leur semble donc nécessaire de mobiliser alternativement les deux approches : les jeux de pouvoir prennent d'abord le pas pour la définition des paramètres de conception, puis ceux-ci imposent des configurations cohérentes qui ensuite engendrent de nouveaux jeux de pouvoir et ainsi de suite.

Cette vision ne manque pas d'intérêt. Elle consiste àlimiter l'autonomie de chacune des deux approches : les jeux de pouvoir ne s'exercent pas dans le «vide », et les paramètres de contingence ne sont pas des «données» purement objectives de l'action.

En première approximation, cette approche me paraît acceptable. Mais je crois qu'elle néglige de grandes difficultés. Qu'est-ce qui impose en effet aux acteurs «stratèges» d'accepter les théorèmes de l'approche contingente? Pourquoi le choix, même «subjectif» ou «stratégique», de tel paramètre de conception conduit-il àla configuration anticipée par Mintzberg ? N'est-ce pas substituer un déterminisme «subjectif» au déterminisme «objectif» que l'on critique par ailleurs ? Inversement, comment peut-on mettre en place un mode de coordination par la standardisation des procédés: on voit bien qu'il ne suffit pas d'avoir un environnement stable pour y arriver. Il faut pour le moins qu'analystes et opérateurs puissent coopérer. Et quels jeux politiques suscitent une telle coopération ? Doit-on se contenter de penser que le chef d'entreprise trouvera bien le moyen d'imposer ses vues?

On ne peut donc juxtaposer sans incohérence une vision qui privilégie le point de vue des acteurs (stratégique) à une vision qui se place du point de vue de Sirius et constate des invariants structurels.

Je crois pour ma part que la seule manière de lever ces incohérences consiste à revenir au fondements communs aux deux approches. L'analyse stratégique n'est pas une théorie de la

coordination puisqu'elle ne veut faire aucune hypothèse sur les «objets» de cette coopération et se limite à prédire des logiques d'influence. L'approche de Mintzberg, n'est pas non plus une théorie de la coordination, puisqu'elle nous présente des «formes» figées sans nous parler des relations entre les acteurs.

Si l'on adopte ce point de vue, bien des problèmes disparaissent. Par exemple, on comprend pourquoi Mintzberg ne pouvait prévoir le Toyotisme : celui-ci est une crise de la coordination par la standardisation par les procédés, mais qui ne débouche pas pour autant sur l'un des autres types. On peut de même mieux comprendre certaines des crises de l'institution hospitalière sans que celle-ci ne quitte le cadre général des bureaucraties professionnelles. En bref, seule une théorie de la coordination intégrant dans un même raisonnement, jeux politiques et dispositifs cognitifs de l'action pourrait permettre de dépasser les deux approches en les unifiant. C'est du moins la position que j'ai défendue dans plusieurs écrits.

Je ne demande pas que les auteurs me suivent sans réserve sur cette voie, mais au moins pouvons-nous partager le constat que la juxtaposition des deux approches pose plus de problèmes théoriques qu'elle ne peut en résoudre.

Ces discussions ne font que souligner la richesse des débats soulevés par Pichault et Nizet. Je les remercie de cette contribution, et de cette occasion d'enrichir mutuellement nos perspectives

Réponses de Jean NIZET et François PICHAULT

Existe-t-il une organisation, en tant que structure finalisée ? Il nous semble que la typologie des configurations ne sert pas seulement à dire: "un hôpital est une bureaucratie professionnelle" Nous pensons qu'elle peut servir à analyser des situations locales. Il peut exister, dans une même entreprise, des tensions ou des contradictions entre des unités ne répondant pas à une même configuration.

Toute organisation est à la fois une bureaucratie professionnelle et une adhocratie. Nous avons essayé de défendre l'idée selon laquelle toute organisation concrète est l'objet d'une tension permanente entre des modèles différents. Toute organisation n'est pas une bureaucratie professionnelle. Elle est une tension entre ce modèle et d'autres. Les tenants d'un modèle ne sont pas à tout moment les mêmes.

Juxtaposition entre pouvoir et structure. Nous avons plutôt essayé de travailler l'articulation que la juxtaposition. Le coeur de la théorie, c'est la manière dont les acteurs -et pas seulement les équipes dirigeantes, bien sûr!- construisent l'organisation. Des groupes d'acteurs s'affrontent pour imposer leur image de l'organisation.

Existe-t-il une théorie de la coordination dans notre analyse? Nous avons construit la théorie, non pas de manière duale, mais en gardant à l'esprit, implicitement, le mode de contrôle des opérateurs. Donc, derrière nos trois catégories -relations interpersonnelles, formalisation, représentations mentales-, se profile la question du mode de contrôle des opérateurs. La standardisation des procédés, par exemple, suppose un contrôle permanent sur la manière de faire. La standardisation des résultats suppose uniquement un contrôle a posteriori. Ce problème est effectivement le fond de la construction de la typologie.

Toute théorie comporte des limites. Retravailler cette théorie ne permet pas de dépasser ces limites. Pour les dépasser, il faut changer de cadre théorique. Par exemple, la théorie de Mintzberg ignore les contextes institutionnel, politique, culturel des organisations. Il n'y a pas non plus de cognitif, ni de théorie de la communication interpersonnelle. Il faut en prendre acte, c'est tout.

DISCUSSION

Jean-Claude Sardas : J'ai été intéressé par votre projet théorique, et son caractère global. Dans chaque situation concrète, on veut effectivement, à la fois comprendre d'où viennent les formes organisationnelles, quel rôle elles jouent dans la situation, mais aussi comment interagissent les acteurs. J'aurais quand même tendance à critiquer certains de vos énoncés. Je suis d'accord avec le fait qu'il n'y ait pas déterminisme entre l'environnement et l'organisation ; je pense qu'il ne faut pas tomber dans l'excès inverse et affirmer que les acteurs construisent l'environnement. Ils ont des représentations, mais ces représentations sont plus ou moins justes et il y a des sanctions en cas de désajustement. Pour en revenir au problème de la coordination, il me semble que Mintzberg traite surtout du problème de l'articulation entre contrôle et délégation. Il ne parle quasiment pas du problème de la coordination transversale dans l'organisation, par exemple entre métiers.

Jean Nizet : Je crois que l'on peut dire que les acteurs construisent partiellement l'environnement. Ce dernier, comme facteur de contingence, conserve un poids sur les acteurs. François Pichault : Est-ce que représentation équivaut à construction? C'est un peu le sens de votre question. Je pense qu'il y a construction, au sens où les acteurs peuvent sélectionner les éléments de l'environnement, qui sont bien réels, auxquels ils vont répondre.

Armand Hatchuel : Juste une mise au point. Je n'ai pas posé la question de la coordination uniquement au niveau micro-sociologique, comme vous semblez le penser. Vous répondez à partir du problème du contrôle Très bien, mais qu'est-ce que le contrôle en dehors de la coordination ?

Alain-Charles Martinet : Je voudrais revenir sur la fin de votre exposé. J'ai apprecre l'évaluation de votre propre théorie, et j'en ai été surpris en même temps : vous utilisez des critères d'évaluation positivistes, alors que vous vous réclamez du constructivisme! Personnellement, j'irai plus loin: Mintzberg a-t-il construit une théorie de la dynamique des organisations? Je ne le pense pas. Si vous répondez oui à cette question, vous pouvez effectivement évaluer de manière positiviste votre apport àladite théorie mintzbergienne. Si l'on répond non, comme je le fais, on est dans un autre cas de figure.

Jean Nizet : Je ne suis pas d'accord avec vous sur le fait que les critères présentés soient de nature positiviste.

François Pichault : On est renvoyé là à la question: "qu'est-ce qu'une théorie?" D'accord, il y a un côté "survey" chez Mintzberg. A propos de la question du contrôle (celle d'Armand Hatchuel) : je pense effectivement que la question du contrôle est liée à celle de la coordination. Prenons l'exemple de Médecins Sans Frontières. On contrôle a priori les gens avant de les envoyer, seuls, du jour au lendemain, dans des situations extrêmes.

IV. LES PROCÉDURES PARFAITES DE DÉCISION