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CRITIQUE ET RÉÉLABORATION DE LA TYPOLOGIE DES MÉCANISMES DE COORDINATION

ID LES CONFIGURATIONS ORGANISATIONNELLES REVISITÉES : VERS UNE ARTICULATION DES APPROCHES CONTINGENTE ET POLITIQUE

1. CRITIQUE ET RÉÉLABORATION DE LA TYPOLOGIE DES MÉCANISMES DE COORDINATION

La distinction des mécanismes de coordination est une variable importante de la théorie de l'auteur, pour plusieurs raisons. Elle est centrale par rapport à la définition qu'il donne, dans l'ouvrage Structure et dynamique des organisations, de ce qu'est l'activité humaine organisée

qui, selon lui : "doit répondre àdeux exigences fondamentales et contradictoires : la division du travail entre les différentes tâches à accomplir et la coordination de ces tâches pour l'accomplissement du travail" (1982 : 18). La structure d'une organisation n'est d'ailleurs, pour Mintzberg, que "la somme totale des moyens employés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour ensuite assurer la coordination nécessaire entre ces tâches" (1982 : 18). Les mécanismes de coordination sont par ailleurs liés à bon nombre d'autres variables du modèle, telles que la taille des unités, le niveau de qualification des opérateurs, le degré de stabilité du marché, etc. Enfin, les mécanismes de configuration sont à la base de la typologie des configurations puisque, grosso modo, à chaque mécanisme de coordination correspond, dans la théorie, une des configurations.

Pourtant, les apports de l'auteur sur cette question ne vont pas sans poser un certains nombre de problèmes. Ainsi, le nombre de mécanismes varie en fonction des ouvrages. Dans Structure et dynamique des organisations (1982), Mintzberg propose une liste de cinq mécanismes:

l'ajustement mutuel, autrement dit, la communication informelle entre les opérateurs ;

• la supervision directe, lorsqu'une personne ayant la responsabilité du travail de plusieurs

autres leur donne des instructions, des ordres, et contrôle le travail qu'elles ont effectué; • la standardisation des procédés, lorsque des "analystes", extérieurs à la ligne de

commandement hiérarchique, programment les tâches que les opérateurs doivent réaliser (cette programmation pouvant se faire soit par l'élaboration d'un règlement, ou par la mise au point d'une machine, ou par l'introduction d'un système d'information, etc.) ;

• la standardisation des résultats, lorsque la programmation ne concerne plus les tâches

la standardisation des qualifications où ce qui est programmé, ce sont les formations spécifiques que doivent avoir suivies les opérateurs qui occupent tel ou tel poste de travail. Dans Le pouvoir dans les organisations (1986), l'auteur élabore une problématique des "systèmes d'influence" qui, manifestement, recoupe en grande partie cette distinction des mécanismes de coordination puisqu'un premier système d'influence, "le système d'autorité" couvre en fait la supervision directe ainsi que la standardisation des procédés et des résultats, tandis que le "système des compétences spécialisées" couvre la standardisation des qualifications et l'ajustement mutuel -ce sont en effet les deux mécanismes qui, selon l'auteur, seront le plus souvent à l'oeuvre lorsqu'on a affaire à des opérateurs très qualifiés. Pourtant, la liste des systèmes d'influence ne s'arrête pas là : on voit apparaître ce que l'auteur appelle le "système des politiques" -dont nous ne parlerons pas ici1 - mais aussi le "système d'idéologie". L'auteur définit l'idéologie comme "un système de croyances et de valeurs à propos de l'organisation, auquel tous les membres de l'organisation adhèrent" (1986 : 222) ; elle naît et se développe au cours d'un processus long, qui remonte souvent à la naissance de cette organisation : "une idéologie prend racine, dès lors qu'un groupe de personnes se constitue autour d'un chef pour créer une organisation, et que naît le sentiment d'une mission à accomplir. L'idéologie, ensuite, en créant des traditions, se développe à travers le temps" (1986 : 222).

L'idéologie qui fait ainsi son entrée, acquiert bientôt droit de cité parmi les mécanismes de coordination puisque, dans Le management (1990), l'auteur ajoute aux cinq mécanismes déjà présentés, ce qu'il appelle la standardisation des normes (ou encore des valeurs).

Telles sont donc les vues de l'auteur, par rapport auxquelles nous avons mené un travail de critique et de réélaboration que l'on peut reconstituer, après coup, comme comportant plusieurs étapes.

1. Il nous a d'abord semblé que la manière de conceptualiser l'idéologie ou les normes comme un ensemble de croyances et de valeurs propres à l'organisation, bref comme une "culture" au sens où la définissent les anthropologues, cadre mal avec la conception qu'a l'auteur de la notion de mécanisme de coordination, comme un ensemble de moyens utilisés par la direction d'une organisation pour façonner la structure de celle-ci, autrement dit, comme un ensemble de "paramètres de conception" de la structure. En d'autres mots encore, la manière de définir l'idéologie cadre mal avec la perspective "rationnelle" qui est celle de l'auteur dans Structure et dynamique des organisations (Nizet et Pichault 1995 : XV-XVI, 291-292). Il est d'ailleurs typique que lorsqu'il parle de cette notion, Mintzberg ne fasse pas référence à des analystes des normes alors qu'il parle par ailleurs d'analystes des procédés, des résultats et des qualifications.

Nous avons pris le parti de faire de la standardisation des normes un mécanisme de coordination à part entière, que l'on peut identifier dès que les dirigeants tentent de développer intentionnellement une "culture" ou un "projet d'entreprise", dès qu'ils recourent à la communication interne, ou encore à des formations dont le contenu est en partie de caractère idéologique, etc. Cette standardisation des normes implique selon nous une catégorie spécifique d'analystes (selon les cas, les responsables de la communication, le service formation, etc.).

2. Nous proposons de regrouper les six mécanismes de coordination en trois ensembles: • Un premier ensemble (ajustement mutuel et supervision directe) est fondé selon nous sur

l'établissement de relations interpersonnelles, latérales ou verticales.

• Un deuxième ensemble (standardisation des procédés et des résultats) repose sur un travail de formalisation qui requiert l'intervention d'experts (les analystes) dont la fonction consiste à programmer certains aspects du travail, de manière à leur conférer une certaine

Outre le caractère tautologique de cette définition (un système d'influence est qualifié de "politique" quand les jeux politiques y dominent), il ne nous semble pas qu'elle permette de caractériser une situation précise: de l'avis même de l'auteur, l'arène politique constitue davantage un état temporaire dans la vie d'une organisation, particulièrement lorsque celle-ci se trouve en situation de transition structurelle

stabilité dans le temps, une certaine homogénéité pour un même ensemble de travailleurs, etc.

Un troisième ensemble mise davantage sur la constitution de représentations mentales, qui résultent soit d'actions externes à l'organisation (les compétences acquises dans les institutions de formation, pour ce qui concerne la standardisation des qualifications) soit d'actions internes émanant des analystes des normes dont nous avons parlé ci-dessus. On peut ainsi apprécier les difficultés ou tensions que l'emploi simultané de différents mécanismes de coordination est susceptible de créer. Ainsi le recours conjoint à la standardisation des procédés et des résultats -qui correspond pourtant à une pratique très répandue dans la vie des organisations- s'avère souvent problématique: l'un des mécanismes pourra toujours être mobilisé contre l'autre pour justifier les manquements éventuels. De la même manière, les mécanismes basés sur la formalisation se concilient difficilement avec des mécanismes basés sur les relations interpersonnelles ou les représentations mentales : un certain nombre d'échecs subis par les expériences de qualité totale ou, plus récemment,

d'empowerment, peuvent se lire dans ces termes. En revanche, la standardisation des qualifications peut très bien se combiner avec l'ajustement mutuel, puisque, dans les deux cas, une large autonomie est conférée aux opérateurs. C'est donc la question du mode de contrôle associé aux mécanismes de coordination qui s'avère cruciale: on ne peut pas, par exemple, contrôler à la fois de manière permanente et a posteriori ; ou encore, supprimer en apparence toute forme de contrôle en maintenant néanmoins une surveillance étroite. Il convient dès lors de distinguer, à l'intérieur des trois ensembles que nous avons constitués, les modes de contrôle exercés selon qu'ils se rapprochent du pôle "externe" (contrainte exercée sur les acteurs) ou du pôle "interne" (autonomie relative laissée aux acteurs).

CATEGORIES contrôle "externe" contrôle "interne" relations interpersonnelles supervision directe ajustement mutuel

formalisation standardisation des procédés standardisation des résultats représentations mentales standardisation des normes standardisation des qualifications 3. Un des avantages du regroupement en trois catégories est qu'il est susceptible de

s'appliquer également à la question de la coordination entre les différentes unités qui constituent l'organisation. Jusqu'à présent, nous n'avons en effet traité que de la

coordination au niveau des opérateurs, soit si l'on veut, "à la base" de l'organisation. Or Mintzberg aborde cette question de la coordination également aux autres niveaux de la structure. Il repère, là aussi, différents mécanismes, que notre distinction permet également de regrouper.

Certains reposent en effet sur des relations interpersonnelles: postes de liaison, groupes de projet, comités permanents, etc.

D'autres reposent sur la formalisation: plans, programmes, contrôles de qualité, contrôle des coûts, etc.

D'autres enfin visent, au niveau des représentations, à réduire les disparités et les tensions entre les différentes unités de l'organisation, pour faire prévaloir les buts généraux : socialisation par des formations axées sur la coopération entre différents services, sur la politique générale de l'organisation, etc. ; mobilisation idéologique par des programmes de qualité totale qui cherchent à placer le client et ses exigences au centre de la vie de l'organisation, etc.

Ajustement mutuel Agents de liaison

Relations Comités permanents

Interpersonnelles Task forces

Supervision directe Structure matricielle Formalisation Standardisation des procédés Planification des activités

Standardisation des résultats Contrôle des performances Représentations mentales Standardisation des qualifications Socialisation

4. Le fait de disposer d'une distinction commune pour caractériser les modalités de coordination au niveau des opérateurs, d'une part et des unités, de l'autre, présente l'avantage de permettre de comparer, pour une même organisation, la manière dont la coordination s'opère à ces deux niveaux, et de repérer des formes de continuité, ou de décalage en fonction de contraintes spécifiques On peut très bien observer, par exemple, des unités de production ayant recours à la standardisation des procédés étant donné les exigences techniques auxquelles elles sont soumises alors que la coordination entre départements s'effectue davantage par mobilisation idéologique, dans le cadre d'une opération de type "qualité totale". Ou encore : des opérateurs qualifiés dont le travail est coordonné par un mélange d'ajustement mutuel et de standardisation des qualifications alors que les unités dans lesquelles ils se trouvent sont de plus en plus soumises au contrôle des coûts. De telles discontinuités ne vont pas, on l'imagine, sans poser des problèmes délicats de cohérence: comment, par exemple, obtenir l'implication de tous les membres du personnel dans un projet d'entreprise si, par ailleurs, le travail quotidien fait l'objet d'une formalisation étroite et d'un contrôle très strict?

La critique et la réélaboration de la problématique des mécanismes de coordination illustre le travail que nous avons mené par rapport à plusieurs points de la théorie de Mintzberg qui nous semblaient, pour des raisons et dans des mesures diverses, insatisfaisants. C'est ainsi que nous avons retravaillé sa typologie des acteurs internes et externes à l'organisation (Nizet et Pichault 1995: 143-149), sa problématiques relative aux liens existant entre les différents buts organisationnels (115-118), sa problématique des ressources du pouvoir (144-149), etc.

En plus de ces réélaborations "locales", nous nous sommes également attelés à revisiter la théorie de Mintzberg dans une perspective constructiviste.