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Il faut que chaque individu engagé dans une procédure de partage pragmatique reconnaisse la participation de l'autre et accepte les règles du jeu. Ces deux conditions ne sont pas solidaires. On peut accepter la participation d'un individu sans pour autant accepter les règles lorsque, par exemple, on ne reconnaît pas à cet individu un droit égal au sien. On peut accepter la règle mais ne pas reconnaître à tel individu le droit de participer au partage. Reconnaître la participation d'un individu revient à lui conférer un droit sur la chose à partager.

Accepter la règle, c'est accepter que les participants ont un droit égal. L'acceptation de la participation précède l'acceptation de la règle. Jusqu'ici, la règle de partage implique que les droits sont égaux.

Remarquons cependant que la règle peut être modifiée pour inclure des droits inégaux. Supposons par exemple que le droit d'Armand soit de 113 et celui de Berthe de 2/3 ; une fois qu'Armand a divisé en deux parts inégales, Berthe peut soit prendre la grande part, soit le double de la petite. Sans doute, les participants pourraient-ils ne pas être d'accord sur l'évaluation du double de la petite part, et, dans ce sens, la procédure n'est-elle plus très "parfaite". On pourrait alors proposer qu'Armand coupe le gâteau en trois parts qu'il estime égales (il faudrait alors lui laisser la possibilité de recouper, ou de réajuster ses parts, s'il n'est pas satisfait de son premier partage), et Berthe choisit 2 parts, celle qui reste revenant à Armand. Il y a encore d'autres règles permettant d'attribuer des parts à des individus qui ont des droits de participation inégaux.

Plus de deux participants

La procédure du partage pragmatique peut être étendue à plusieurs participants. Cette extension est due à deux mathématiciens polonais (cités par Steinhaus, 1948, 1949), Bronislaw Knaster et Stefan Banach. La méthode est la suivante. Soit n participants ; le premier participant coupe une tranche qu'il estime être au moins le 114 du gâteau ( nous continuons, pour simplifier, à parler de gâteau). Le second peut, s'il le souhaite, diminuer cette part (et restituer ce qu'il a coupé, éventuellement quelques miettes, au reste du gâteau). Les suivants, jusqu'à 4, ont cette possibilité de diminuer la tranche. La règle veut que le dernier diminueur

prenne la tranche (qu'il a été le dernier à diminuer). Le participant suivant coupe une tranche que les autres peuvent diminuer, etc., jusqu'au participantn-1, n prenant la dernière tranche.

Cette procédure a été trouvée au terme d'une longue discussion entre Banach, Knaster et Steinhaus et d'autres mathématiciens polonais. Avant la solution de Banach et Knaster (qui date du milieu des années 40), Steinhaus avait lui-même proposé une méthode de partage à trois, méthode que discute Knaster (1946) et qui est assez laborieuse. Le problème rencontré par Steinhaus peut être illustré de la manière suivante. Soit 3 individus, l'un d'ente eux, tiré au hasard, coupe le gâteau en 3 parts qu'il estime égales; chacun des deux autres dit quelle est la part qu'il préfère. Deux cas peuvent se présenter:

1) Ils préfèrent chacun une part différente. 2) Ils préfèrent tous deux la même part.

Le premier cas ne présente pas de problème. Les deux participants obtiennent la part qu'ils préfèrent et le premier obtient la part qui reste. Pour résoudre le 2ème cas, Steinhaus introduit des évaluations multiples (où les 2 derniers participants comparent les 3 parts). Il trouva une procédure pour trois personnes, mais fut incapable de la généraliser à 4 personnes ou plus.

La méthode de Fink

Fink (1964) a proposé une autre procédure de partage garantissant la satisfaction des participants pour 4 personnes. Illustrons-la dans le cas d'un partage entre 3 personnes: Armand, Berthe et Caroline.

1) Armand coupe le gâteau en 2 parts qu'il estime égales 2) Berthe choisit la part qu'elle estime la plus grande

3) Armand et Berthe coupent chacun leur part en morceaux qu'ils estiment égaux. Caroline choisit le morceau qu'elle préfère dans la part d'Armand et dans celle de Berthe.

Armand reçoit ainsi les 2/3 de ce qu'il estime être la moitié, c'est-à-dire qu'il obtient ce qu'il estime être le tiers du gâteau. Berthe reçoit au moins ce qu'elle estime être les 2/3 de ce qu'elle estime être la moitié. Quant à Caroline, elle obtient au moins 1/6 plus au moins 1/6, c'est-à-dire qu'elle obtient ce qu'elle estime être au moins le tiers.

Cette procédure est donc dans le prolongement direct du partage pragmatique, et a l'avantage d'une certaine simplicité. Elle devient cependant d'autant plus complexe qu'il y a plus dindividusl, à la différence de la méthode du dernier diminueur. A posteriori, il est surprenant

que Steinhaus, son équipe et ses collègues, qui ont consacré une dizaine d'années à réfléchir à ce problème, n'y aient pas pensé.

Notons en passant que la condition de non envie n'est pas réalisée. En effet, Armand (réciproquement Berthe) peut penser que Berthe ne coupe pas 3 parts égales et que Caroline serait ainsi privilégiée. Caroline elle-même peut envier Armand (ou Berthe) en pensant que la part d'Armand est nettement plus grande que celle de Berthe.

LE PARTAGE DES BIENS NON DIVISIBLES

La question du partage d'un bien non divisible est déjà présente dans l'ancien testament. Le roi Salomon fait triompher la justice quand il propose de couper le bébé - réclamé par deux mères - en deux. Mais il s'agit là plutôt d'une astuce permettant de savoir laquelle des deux est la vraie mère plutôt que d'une authentique procédure de partage-.

Si n = 4, Armand, Berthe et Caroline, après avoir obtenu ce qu'ils estiment être le tiers du gâteau, coupent leur part en 4 parties qu'ils estiment égales, le 4ème individu choisissant celle qu'il pense être la plus grande partie chez chacun des 3 individus.

2 Comme le remarque Brams (1980), nombreux sont les problèmes d'équité et d'inéquité dans l'Ancien Testament: par exemple, le meurtre d'Abel par Cain est provoqué par ce que Cain estime être un traitement injuste de la part de Dieu" Jacob trouve injuste qu'on lui propose d'épouser Léa alors qu'on lui avait promis Rachel.

Les procédures décrites jusqu'ici ne permettent pas de partager des biens non divisibles. Elles conviennent pour partager des gâteaux ou des territoires, c'est-à-dire des choses qui peuvent être divisées n'importe où. Tel n'est pas le cas lorsque des individus doivent se partager des meubles par exemple. De tels partages sont évidemment beaucoup plus fréquents que les partages de biens divisibles.

Une procédure simple a été proposée par Knaster et Banach (Steinhaus, 1948 ; Moessinger et Koerffy, 1972). Supposons qu'A et B ont à se partager un objet auquel A attribue une valeur de 1000F et B une valeur de 800F. Si les droits sont égaux, la participation de A, selon sa propre estimation est de SOOF, celle de B de 400F. La règle est alors la suivante: 1) Celui qui a

fait la plus grande estimation (ici A) obtient l'objet. 2) A donne à Bles 400F auxquels elle estime avoir droit. 3) A partage le reste de son excédent en deux parts égales (SOF et SOF), et

donne une part à B. Au terme de ce partage, A aura obtenu l'objet et déboursé 4.50F (au lieu de SOOF selon sa propre estimation), et B aura obtenu 4.50F (au lieu de 400F selon sa propre

estimation). On retrouve donc cette propriété centrale des procédures parfaites, à savoir que chacun est sûr d'obtenir au moins ce qu'il estime être le lin de la valeur de la chose à partager (ici n

=

2).