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La phase de remplissage de la matrice et de transfert de la poudre

compres-sion par approche macroscopique, l’hypothèse de densité uniforme après la phase de transfert est très

souvent adoptée. Cette hypothèse reposait naguère en grande partie sur les travaux de Scott [Scott

(1960)] (voir Sec. 2.4.2) et reflétait un manque de connaissance de la microstructure du milieu

gra-nulaire découlant de techniques d’investigations encore approximatives. Aujourd’hui grâce aux

tech-niques expérimentales (imageries, caméra rapide, tomographies, ...) plus évoluées, il est possible de

montrer qu’au sein d’un empilement avant la phase de compression existent des régions à forte

varia-tion de compacité d’au moins 10% existent. Cette variavaria-tion entraîne, lors de la phase de compression,

une hétérogénéité des champs de pression à la surface des poinçons et parfois une augmentation de la

force totale appliquée sur ces mêmes poinçons pour un déplacement donné.

Fig. 1.4 –Remplissage d’une matrice transparente avec un sabot. Le sabot en plexiglas se translate

grâce à un actionneur pneumatique linéaire qui est contrôlé par un automate digital. Ce banc d’essai

possède également deux types de poinçons placés en dessous et au dessus de la matrice pour réaliser

la phase de transfert.

Il est difficile d’appréhender la présence d’hétérogénéité de la répartition de densité au sein

d’une matrice avant la phase de compression en sachant que la façon dont s’écoule la poudre change

avec l’humidité, la température, la pression de l’air et la présence de phénomènes vibratoires ce qui

complexifie encore plus l’exercice. Par conséquent, l’étude du milieu granulaire lors des phases de

remplissage et de transfert connaît un nouvel engouement. Ce type d’études ne pouvant plus se faire

avec les systèmes connus de mesure d’écoulement de la poudre (l’angle de repos, le taux

d’écou-lement, l’indice de Hausner,...) [Taberlet (2002)], il a été impératif d’opérer sur un environnement

similaire à celui du process industriel. Dans cette optique, une équipe de scientifiques à Leicester

dirigée par le Pr. Cocks à cette époque, a mis au point un banc expérimental de remplissage par un

sabot similaire aux technologies industrielles [Wuet al.(2003a),Wuet al.(2003b)]. Ce banc d’essai

comprenant une caméra rapide avait pour particularité une matrice et un sabot constitués de parois

en plexiglas, des poinçons pouvant se mouvoir de bas en haut pour réaliser la phase de transfert de la

poudre (voir Fig. 1.4).

A l’aide de ce dispositif expérimental a été mise en évidence la très forte influence de l’air

présent dans la matrice sur la morphologie des écoulements des grains au cours du remplissage et

sur la répartition de la compacité dans le milieu granulaire en fin de remplissage. En effet, lorsque le

poinçon est dans sa position basse avant le remplissage, la matrice contient son propre volume d’air

ambiant. Lors du remplissage, la poudre composée de particules fines s’écoule comme un fluide. Elle

va emprisonner sur de courtes durées une part de ce volume d’air dans des poches qui vont au fur

et à mesure du remplissage exercer une pression sur les particules et ainsi perturber les modes de

répartition spatiale de la poudre. Une façon d’annihiler l’apparition de ces poches d’air consiste à

réaliser un remplissage expérimental en ayant préalablement appliqué le vide au sein des cavités de

remplissage. Il en résulte une morphologie radicalement différente des écoulements.

Les figures 1.5a-f présentent des images prises par caméra rapide du remplissage d’une matrice

avec une poudre Distaloy AE qui illustrent parfaitement la formation de plusieurs poches d’air

confi-nées par les écoulements. Notamment, les figures 1.5b-c mettent en évidence l’effet de déviation de

l’écoulement de la poudre dû à la poche d’air située à proximité de la paroi droite de la matrice. Par

la suite, cette poche d’air poursuit son ascension vers la région haute de la matrice en contact avec

le sabot, ceci permettant finalement à la poudre de combler progressivement et complètement cette

partie de la matrice. Toutefois, sur les figures 1.5d-e, une deuxième poche d’air est créée au niveau

de l’angle du poinçon inférieur et empêche la poudre de remplir totalement le volume en cette zone.

Sur la dernière image (voir Fig. 1.5-f), il apparaît une cavité persistante non résorbée au sein de

l’em-pilement ce qui induit la présence d’une forte hétérogénéité locale de la compacité dans le milieu

granulaire.

Fig. 1.5 –Ecoulement de la poudre Distaloy AE au sein d’une matrice avec une vitesse du sabot de

200mm/s de droite à gauche. Les sections entourées en blanc montrent les différentes poches d’air

qui sont créées au fur et à mesure du remplissage de la matrice.

Dans ce champ expérimental, un plan d’expériences a été mené avec d’autres types de poudres

pour varier le coefficient de frottement et les valeurs de vitesse de translation variées du sabot, ceci

afin de tenter d’établir une relation cohérente entre le système de remplissage et la distribution de la

compacité dans la matrice. Les résultats issus du plan d’expériences montrent que l’écoulement de

la poudre ne se fait pas au delà d’une certaine vitesse de translation du sabot et que les particules de

forme polygonale (rectangulaire, hexagonale) s’écoulent plus faiblement que les particules de forme

régulière.

De sorte à circonscrire les influences des paramètres de remplissage, il est aussi intéressant de faire

appel à la modélisation numérique. L’intérêt de prédire des aspects comportementaux concerne à la

fois l’influence de la forme de la matrice et des conditions d’écoulement, mais également le recueil

d’informations complémentaires sur l’évolution de la texture granulaire pendant cette phase de

rem-plissage. Ces modèles numériques nécessitant l’intégration de lois de comportement mécaniques

per-mettent finalement de développer une compréhension approfondie des phénomènes mis en jeu. Pour

leur part, les auteurs ayant réalisé l’expérience avec la matrice et le sabot transparents ont modélisé

cette expérience avec la méthode des éléments discrets (voir Sec. 2.2). Cette méthode de simulation,

qui reflète des caractéristiques essentielles des milieux divisés par rapport à la méthode continue par

éléments finis, va permettre de reproduire avec précision le remplissage de la matrice par des grains

de forme anguleuse. Nous ne présenterons pas les généralités associées à cette méthode de

simula-tion particulaire dans ce chapitre bien qu’elle soit omniprésente tout au long de nos travaux; ainsi

des développements exhaustifs concerneront le prochain chapitre. Néanmoins, il convient de rappeler

très sommairement que la méthode des éléments discrets est un outil numérique capable de

repro-duire le comportement global d’un volume de poudre fixé en représentant celui-ci par un ensemble

de particules individuelles (sphériques ou polyédriques) interagissant les unes avec les autres (forces

de contact) et pouvant subir des actions extérieures (force gravitaire, action de la pression de l’air,...).

Gillia, Cocks et Wu ont su adapter pour une configuration bidimensionnelle cette méthode

numé-rique à leur expérience en développant un code capable de reproduire de façon fidèle l’écoulement

granulaire présenté ci-dessus par la série des images expérimentales (voir Fig. 1.5). Ce programme

spécifique intègre à la fois des particules de forme polyédrique, l’interaction de l’air avec les

parti-cules, la gravité et un type d’interaction inter-particulaire réaliste (voir Fig. 1.6) [Wuet al.(2003a),Wu

et al.(2003b)].

Fig. 1.6 – Simulation avec la méthode des éléments discrets de l’écoulement des poudres au sein

d’une matrice avec un sabot se translatant à une vitesse de200mm/s. Les différentes poches d’air

sont similaires à celles observées à la figure 1.5.

Les figures 1.6 montrent plusieurs étapes simulées de la phase de remplissage de la matrice via

la méthode des éléments discrets. Il est possible de conclure sur la base de ces images que les

cinéma-tiques des 2.000 particules polygonales permettent qualitativement à bien reproduire la morphologie

des écoulements observés avec la caméra rapide (voir Fig. 1.5). L’intérêt d’une telle simulation est

de pouvoir également comprendre les mécanismes de construction d’un empilement stabilisé encore

très lâche, celui-ci résultant de blocages internes en rotation de particules créées par l’apparition de

voûtes par exemple. Ce phénomène de voûtes est provoqué par le ralentissement de l’écoulement dû

à la pression de l’air sur les particules et par la forme très anguleuse de celles-ci. De plus, dans toutes

les sections étroites et dans toutes les zones où sont apparues des poches d’air lors du remplissage

de très faibles compacités sont créées et maintenues avec l’apparition de phénomène de voûtes entre

les particules (voir Fig. 1.7-B). Il est en effet évident que plus les particules présentent des formes

anguleuses accentuées, plus le gradient de compacité (i.e., la distribution spatiale de la compacité) au

sein de la matrice est accentué. Dans le cas de la poudre Distaloy AE, on peut voir sur la figure 1.7-A

issue d’une simulation que la variation spatiale de la compacité est importante. Ce type de phénomène

observé également lors de la phase de transfert est néfaste au procédé de fabrication, dans la mesure

où il entraine, en condition initiale à la phase de compression, des hétérogénéités de densité. Ainsi

ces hétérogénéités peuvent être la source de l’apparition de défauts et de fissures dans le comprimé

qui, une fois apparus, sont difficiles à résorber et annihiler. Pour éviter la formation de forts gradients

spatiaux de densité, voire de cavités locales, il est nécessaire de réduire le niveau de frottement entre

les particules. Ce niveau de frottement conditionné à la fois par la forme des particules, leurs tailles

et la nature physico-chimique de leur surface reste au demeurant, comme les phénomènes d’adhésion

entre particules, une propriété mécanique qui est favorable pour la bonne tenue mécanique de la pièce

à vert lors de la phase d’éjection.

Fig. 1.7 –A) Modélisation par la DEM de la distribution de la compacité en fin de remplissage de

la matrice (Fig. 1.6-f) Wu et al.(2003b). La compacité est calculée numériquement en scindant la

matrice par une grille puis en calculant la fraction solide en chaque subdivision de cette grille. B)

Représentation schématique des espaces vides (pores) créées par le blocage en forme de voûte des

particules Schneider (2003).

Pour tenter de corriger ces imperfections, le second aspect à considérer est la phase de transfert

de la poudre avant la compression. La phase de transfert implique de grands déplacements au sein

du massif de poudre à l’état pulvérulent. Elle peut potentiellement, par arrangement conduire par

réarrangement à réduire les espaces de vide et rendre plus homogène la compacité au sein de

l’empi-lement qui reste encore à l’état lâche avant la compression. En effet, la forme du volume occupé par

la poudre après le remplissage est grandement modifiée au sein de la matrice par une série de

mou-vements d’outils. Le but principal de cette manœuvre est de produire une nouvelle forme qui tend à

s’approcher de la forme finale de la pièce à vert. Le nombre d’outils intégré dans la matrice dépend de

la complexité de la forme de la pièce. Plus la pièce possède d’épaulements (voir annexe B) et plus la

poudre présentera de zones cisaillées lors de la phase de transfert. La figure 1.8 illustre le mouvement

des outils dans le cas d’une pièce de section en H et le phénomène de cisaillement direct appliqué

à la poudre par les poinçons. On notera au passage que la création de ce profil nécessite la mise en

place de deux types de poinçons indépendants : les poinçons extérieurs sont placés en contact avec la

poudre et les poinçons intérieurs vont se translater à l’intérieur de la matrice à la même vitesse (voir

Fig. 1.8).

Fig. 1.8 –Illustration du process de transfert de poudre dans la matrice. Pendant le transfert de la

poudre, une fois que le poinçon extérieur haut touche la poudre, il est fixé à cette position, tandis que

les poinçons intérieurs sont translatés vers le bas à la même vitesse constante pour réaliser le profil

en H.

Cet exemple de pièce à profil en H est issu du même banc expérimental que celui présenté en

figure 1.4. Encore une fois grâce à ce système ingénieux, l’équipe de recherche de Leicester a pu

observer et étudier le réarrangement des grains pendant cette phase préliminaire à la compression.

Les expériences ont également été conduites avec des poudres de granulométrie différente dont

la Distaloy AE. Application riche d’enseignements, car il a pu être observé lors du transfert de la

poudre, qu’un fort réarrangement se produit. Le phénomène est encore plus accentué lorsque la poudre

est fortement irrégulière (i.e., particules de formes polygonales). C’est pour cela que l’empilement de

poudre après la phase de transfert est souvent plus dense et la compacité un peu plus homogène

comparativement aux caractéristiques de l’empilement en fin de remplissage.

Dans le cadre du transfert, la méthode de simulation par les éléments discrets, qui a fait ses

preuves lors de la modélisation de la phase de remplissage, a également été utilisée pour reproduire

ce transfert des grains et calculer la répartition de la compacité. La figure 1.9 montre ainsi les

évolu-tions de la distribution de la compacité tout au long de la phase de transfert; ce résultat étant obtenu

après application d’un post-traitement à la simulation discrète. Sur cette représentation, la baisse du

niveau de la surface libre de poudre résultant du réarrangement des grains, et donc de la diminution

du volume occupé par la masse fixée de poudre, est observable. Le transfert a également pour effet

de tendre à uniformiser la distribution de la compacité, mais un gradient subsiste malgré tout avant la

phase de compaction.

Considérant la figure Fig. 1.9-f), il ressort que la poudre a tendance à être très lâche au voisinage

des parois de la matrice et des poinçons. Ce phénomène peut être expliqué par les effets combinés

du frottement des grains sur les parois et de la modification générale de forme imposée au massif de

Fig. 1.9 – Evolution de la distribution de la compacité pendant le transfert de poudre Wu et al.

poudre, qui produisent des modes de déformation par cisaillement de grandes amplitudes. Au sein de

la largeur de ces bandes de cisaillement, les particules subissent de grands déplacements relatifs et

de grandes amplitudes de rotation individuelle qui ont tendance à construire des zones à empilements

très lâches. Ce phénomène néfaste de bandes de cisaillement, formateur de fort gradients locaux de

densité, est bien connu et pose des problèmes lors de la phase de compression que nous allons décrire

dans la section suivante.