• Aucun résultat trouvé

Chapitre 7 : Discussions et conclusion

7. Les trois phases de la recherche collaborative

7.2 La phase de la cosituation

Le questionnaire, qui a été complété par des enseignants associés et des superviseurs universitaires de deux universités québécoises, a permis de donner une légitimité à l’objet de recherche. C’est-à-dire que le questionnaire a mis en lumière le besoin des formateurs d’expliciter les attentes de développement par rapport aux compétences du référentiel (MEQ, 2001). Les superviseurs universitaires de l’université sélectionnés ont également partagé leur intérêt d’échanger sur les attentes de développement et d’évaluation des compétences professionnelles. Ces résultats au questionnaire électronique sont venus appuyer le «senti» des responsables de stage de l’université et renforcer les besoins que les formateurs avaient nommés lors des rencontres des stages.

De plus, les réponses des formateurs au questionnaire ont permis de cibler une compétence qui pouvait être travaillée tant par les enseignants associés que par les superviseurs universitaires. Trois des quatre compétences de l’acte d’enseigner (la gestion de classe, le pilotage et l’évaluation des apprentissages des élèves) ne sont pas évaluées à tous les stages par les superviseurs universitaires participant à cette étude. Il aurait donc été hasardeux de cibler l’une de ces trois compétences puisque les superviseurs universitaires les observent moins dans la pratique de leurs étudiants-stagiaires. Également, ils sont des généralistes. C’est-à- dire que les superviseurs universitaires accompagnent dans toutes les matières. Nous devions tenir compte de cette réalité dans le choix de la compétence : ils ne sont pas nécessairement des spécialistes des didactiques disciplinaires dans lesquelles ils supervisent. Pour toutes ces raisons, nous avons choisi la compétence Concevoir des situations d’enseignement-apprentissage. Une compétence qui est développée et évaluée à tous les stages par les deux formateurs (excepté au premier stage).

7.2.2 Les deux premières rencontres

Lors des deux premières rencontres avec les formateurs d’étudiants-stagiaires, nous avons réalisé l’écart des représentations entre les participants, notamment en lien avec les concepts théoriques, mais aussi avec la pratique: les divergences dans la négociation de sens étaient nombreuses et les discussions n’étaient pas productives pour le groupe. Rappelons que les enseignants associés et les superviseurs formaient, à ce moment-là, une seule communauté de pratique. Des questionnements par rapport à notre rôle de chercheuse ont donc émergé assez rapidement dans le processus de cosituation : nous souhaitions ne pas contaminer les échanges (Desgagné, 2001), mais nous étions devant une impasse. Les formateurs ne s’entendaient pas sur le vocabulaire qui allait être utilisé tout au long de la phase de la coproduction et nous sentions un sentiment de découragement chez certains qui jugeaient que ça n’avançait pas assez rapidement. Comment ne pas contaminer les échanges tout en permettant aux formateurs d’en arriver à une compréhension négociée ? La solution est venue d’eux : ils nous ont demandé de travailler en deux groupes distincts (superviseurs et enseignants associés) et de recevoir des lectures portant sur l’approche par compétences et sur la planification de situations d’enseignement-apprentissage.

Le critère de la double vraisemblance (posture de chercheuse et de formatrice) a donc représenté un défi lors de la cosituation : orienter les discussions autour des concepts et de la trajectoire de développement pour que la recherche et la formation se coconstituent sans contaminer les échanges par notre statut professionnel et par les lectures que nous avons proposées aux formateurs. Les préoccupations des praticiens (s’entendre sur un vocabulaire commun) nous semblaient compatibles avec notre rôle de chercheuse (fournir des lectures). Nous nous sommes demandée si les questions que nous leur avions posées lors de ces deux premières rencontres auraient pu être différentes et conduire à un consensus sans recourir à la lecture de textes, car même si nous avons cherché une certaine neutralité dans les lectures, nous ne les avons exposés qu’aux auteurs prônés par le référentiel des compétences professionnelles et qui s’intéressent à la professionnalisation des étudiants-stagiaires (MEQ, 2001). Nous aurions pu orienter les textes vers un courant pédagogique encyclopédique (Simard, 2004). Cependant, nous ressentions une responsabilité éthique d’amener les formateurs à s’insérer dans les fondements théoriques du programme de formation prescrit par le MEQ (2001). Nous sommes néanmoins conscientes que nos suggestions de lecture dérogent à la posture préconisée pas Desgagné (1997). Mais ce choix nous apparait tout à fait justifié devant l’impasse théorique à laquelle menaient les échanges entre les participants.

7.2.3 Tensions entre savoirs pratiques et savoirs théoriques

Rappelons que les questions ouvertes proposées comme amorce de discussion lors des deux premières rencontres étaient, 1) qu’est-ce qu’une compétence professionnelle et 2) que signifie concevoir des situations

d’enseignement-apprentissage ? Elles devaient permettre d’établir les bases des discussions : si les participants ont des représentations différentes du concept compétences professionnelles et de la conception de situations d’enseignement-apprentissage cela jouera nécessairement sur les choix des composantes, des attentes de développement, des ressources et des situations professionnelles à mobiliser. Rappelons que nous nous étions référées notamment à Le Boterf (2010), Legendre (2011) et Rey (2009) qui soulignent l’importance de partager nos représentations lorsqu’il est question des compétences étant donné la complexité de ce concept et le manque de balises dans les référentiels. Les formateurs des étudiants-stagiaires contextualisaient leurs discussions en les campant dans leurs expériences professionnelles ce qui aurait pu permettre de faire émerger un discours collectif, une représentation commune, mais ce ne fut pas le cas, car ils ne pouvaient pas la définir eux-mêmes. Ils évaluaient les compétences professionnelles sans savoir ce que représente ce concept et nous pensons que ce ne sont pas tous les formateurs qui étaient en mesure de nommer certains savoirs théoriques essentiels au développement de la trajectoire. Ces savoirs n’étaient peut- être pas aisés à verbaliser étant donné les expériences professionnelles diversifiées. La négociation de sens sur la compréhension des concepts porteurs pour le développement de la trajectoire aurait été probablement ralentie ou impossible puisque les formateurs ne semblaient pas pouvoir s’entendre alors que les textes ont uniformisé le vocabulaire de leurs discussions.

Fox (2003) ainsi que Rock et Kevin (2002) avancent que la recherche collaborative est nécessaire dans le milieu de l’éducation sans quoi chercheurs et praticiens resteront cantonnés dans leurs perceptions et dans leurs idéaux pédagogiques. Darling-Hammond (2010) et Ravitch (2010) ajoutent que chercheur et praticiens apprennent l’un de l’autre dans ce type de recherche et que ce terrain d’entente est négociable : afin de pouvoir répondre à la question de recherche, il est vital qu’ils aillent chercher les outils et les connaissances nécessaires. Pour les praticiens, cette intégration à la recherche leur permet de sortir de leur rôle péjoratif de « technicien » et d’accéder à un véritable rôle de professionnel (Ravitch, 2010). Les chercheurs, eux, s’émergent dans la réalité professionnelle que vivent les praticiens afin de faire ressortir les données de recherche (Cochran-Smith & Lytle, 2009). Dans la recherche que nous avons menée, nous réalisons que les praticiens et les chercheurs ont eu besoin d’établir un vocabulaire théorique commun afin de pouvoir réaliser la trajectoire de développement. Nous pensons donc que la non-intervention du chercheur n’est pas toujours possible et que la formation continue des praticiens peut comporter un apport plus théorique offert par le chercheur, au même titre que les praticiens offrent à ce dernier des savoirs expérientiels (Buysse, 2011). Selon nous, l’apport du chercheur devrait être adapté et exprimé par les praticiens sous la forme de besoins. Nous sommes également d’accord avec Fox (2003) ainsi que Rock et Kevin (2002) pour qui les participants à ce type de recherche doivent résister à la tentation d’imposer leur vision et leurs connaissances afin de ne pas restreindre la collaboration entre eux : l’imposition des idées est le principal piège de la recherche

collaborative. Reste à savoir si les textes présentés aux praticiens les ont plongés dans ce piège ou s’ils ont été un gain à leur formation continue.