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Chapitre 3 : Méthodologie

3. La méthodologie de la recherche

1.1 Les fondements de la recherche collaborative

La recherche dite scientifique en éducation, c’est-à-dire celle qui vise la collecte systématique de données, leur analyse, leur interprétation et leur diffusion rejoint difficilement les milieux scolaires et a donc peu d’influence sur les pratiques enseignantes (Savoie-Zajc, 2001). Dans les années 40, une nouvelle approche nait aux États-Unis afin d’apporter une solution à ce manque de retombées de la recherche : la recherche-action. Kurt Lewin (1972) en est le fondateur. Selon Barbier (2004), qui cite Hugon et Seibel (1988, p.13) les recherches-action :

[…] représentent des recherches dans lesquelles il y a une action délibérée de transformation de la réalité; recherches ayant un double objectif : transformer la réalité et produire des connaissances concernant ces transformations.(p.1)

À cette définition, Lavoie, Marquis et Laurin (1996) cités dans Savoie-Zajc (2001) ajoutent qu’il s’agit d’une démarche de recherche, à caractère social, fondée sur la conviction que la recherche et l’action peuvent être combinées et évoluer dans un contexte dynamique.

Dans les années 1970, une deuxième «génération» de recherche-action voit le jour, la première n’ayant pas survécu aux critiques des puristes de la recherche traditionnelle, pour qui les critères n’étaient pas suffisamment rigoureux. Elle invite les enseignants anglais à réfléchir à leurs pratiques pédagogiques en plus d’encourager le développement d’une attitude critique face au programme de formation (Savoie-Zajc, 2001). La recherche collaborative apparaît à ce moment-là, prenant ses racines dans l’approche épistémologique de la recherche-action. Tout comme pour la recherche-action, elle est basée sur le principe que le savoir n’est pas un objet séparé du praticien, mais est plutôt construit par l’expérience professionnelle et les échanges avec les collègues (Bourassa, Bélair, et Chevalier, 2007). Cette démarche se situe dans le paradigme du constructivisme social puisqu’elle vise le regroupement et l’engagement d’individus pour « co-créer » des solutions à une problématique soulevée (Savoie-Zajc, 2001).

La recherche collaborative nous intéresse puisqu’elle s’insère dans l’idée de réaliser de la recherche «avec» plutôt que «sur» les praticiens (Desgagné, Bednarz, Lebuis, Poirier et Couture, 2001). La recherche collaborative poursuit deux finalités : résoudre un problème vécu dans la pratique et permettre aux participants qui le résolvent d’enrichir leur pratique, et de s’auto-former (Desgagné, et al.). Elle permet aussi un rapprochement entre chercheurs et praticiens (Desgagné, 2005). La construction de connaissances liées à une pratique professionnelle donnée ne se fait pas sans considération du contexte où cette pratique est actualisée. De plus, cela implique que la construction de l’objet de recherche se réalise en tenant compte de la compréhension qu’a le praticien des situations de pratique à l’intérieur desquelles il évolue (Desgagné, 1997).

Cette recherche collaborative s'est articulée autour d’un objet commun : le développement des compétences professionnelles des étudiants-stagiaires, dont l'intérêt d'investigation reposait sur la compréhension qu’avaient les praticiens, en interaction avec la chercheuse, de leur pratique professionnelle (Desgagné, 1997). C’est le rapprochement entre la chercheuse et les formateurs d’étudiants-stagiaires qui est souhaité afin de réduire l’écart entre la formation universitaire et le «terrain», entre la théorie et la pratique.

[…] les connaissances qui se construisaient à propos de la pratique, et dont étaient responsables les universités à travers leurs facultés d'éducation ne semblaient pas se transposer dans la pratique et ainsi aider les enseignants à mieux composer avec la complexité des situations éducatives auxquelles ils ont à faire face quotidiennement. (Desgagné, 1997, p.371).

Pour reprendre Desgagné (2001), l’activité réflexive, aménagée de différentes façons, fut au cœur de notre modèle collaboratif et elle a répondu aux besoins exprimés des formateurs de stagiaire.

3.1.1 Le double agenda de recherche et de formation

Pour la chercheuse collaborative, l’élaboration d’une trajectoire de développement (Tardif, 2006), passe par l’agir des superviseurs et des enseignants associés. Rappelons que dans le modèle de recherche-collaborative de Desgagné (1997), l’investigation du savoir-faire d’un groupe de formateurs jugés compétents dans l’accompagnement du développement professionnel de leurs étudiants-stagiaires, visera l’intégration des points de vue de ces acteurs concernés afin d’arriver à la coproduction de savoirs (tant pour eux que pour nous). La recherche collaborative établit donc un partenariat de recherche entre le milieu universitaire et le milieu scolaire. Elle poursuit deux finalités à l’intérieur de ce partenariat. Elle encourage d’abord le développement professionnel des praticiens en leur permettant d’enrichir leur pratique sous la forme de formation continue. Également, la création de nouvelles connaissances par la recherche transforme les pratiques et les actions (Beillerot, 1991; Desgagné, 2005; Desgagné et al., 2001). La poursuite de ces deux finalités, soit la formation et la recherche, implique que la construction de l’objet de recherche se réalise en tenant compte de la compréhension qu’ont les praticiens des situations de pratique à l’intérieur desquelles ils évoluent (Desgagné, 1997).

Puisque l’élaboration d’une trajectoire de développement passe par l’agir des superviseurs universitaires et des enseignants associés, c’est à ces praticiens formateurs de étudiants-stagiaires que nous avons proposé de discuter du développement d’une compétence professionnelle. Pour Desgagné (1997), la chercheuse s'engage à créer les conditions nécessaires pour que les formateurs entrent avec elle dans une démarche de réflexion. D'une part, sur le plan de la recherche, la collaboration des formateurs a été sollicitée pour bâtir une trajectoire de développement. Des dispositifs ont été mis en place, entre autres, pour la cueillette et d'analyse de données en vue d'une production de connaissances. D'autre part, sur le plan de la formation, les formateurs ont accepté de participer à une démarche de réflexion, démarche susceptible de répondre à leur besoin de perfectionnement qui avait ressorti dans les résultats du premier article. Les balises de la recherche ont été identifées ainsi que les éléments d’un protocole d’entente : le partenariat de recherche débuta alors. La Figure 3.1 illustre la double dimension de formation et de recherche. Elle est inspirée de la schématisation proposée par Desgagné et al. (2001, p.41) :

Figure 3.1. Design du projet de recherche collaboratif

3.1.2 Le critère de double vraisemblance

Retombées pour la communauté de recherche

Avancement de la recherche sur le développement des compétences professionnelles en enseignement: réfléchir à l’interrelation entre les compétences, facilité l’approche- programme, développer un processus pour définir les attentes liées aux compétences professionnelles

Thématique générale

La mobilisation des compétences professionnelles des étudiants-stagiaires dans le programme de

formation en enseignement secondaire

Objets de formation (activité réflexive pour les formateurs)

Développer une représentation

partagée du concept de compétences professionnelles et de la compétence 3.

Réfléchir à l’accompagnement des

étudiants-étudiants-stagiaires

Participer à l’élaboration d’une

trajectoire de développement pour une compétence liée à la conception de situations d’enseignement- apprentissage Objets de recherche (objet de recherche) Trajectoire de développement :

Développer une trajectoire de

développement

Développer un modèle cognitif : quatre

niveaux de développement (apprentissages critiques).

À partir de la trajectoire, cibler des situations professionnelles et des domaines de ressources

Activité réflexive

Retombées sur la communauté de pratique

Trajectoire de développement pour la formation pratique et continue des formateurs de étudiants-stagiaires

Le chercheur collaboratif ne peut pas se cantonner au terrain ou à la recherche. Il s’investit du défi d’unir les deux «mondes» (Dubet, 1994). Chacun ne doit pas s’emmurer dans sa logique, mais plutôt s’ouvrir à celle de l’autre, l’interinfluence étant souhaitée (Boyer, 2013). Pour Desgagné (1997), le chercheur doit : «faire en sorte que recherche et formation se costituent, s’intègrent l’une dans l’autre, dans la démarche de coproduction ou de réflexion, qui en constitue le pivot» (p. 378). La double vraisemblance est présente à toutes les étapes de la recherche collaborative : le chercheur met de l’avant des activités de formation dans lesquelles les praticiens et lui vont cosituer la recherche pour répondre à des préoccupations partagées. Ils discuteront ensemble de l’horaire et du déroulement des activités de formation. Ils coopéreront également afin de faire émerger des données par l’activité réflexive. Pour reprendre Desgagné (2001), l’activité réflexive, aménagée de différentes façons, est au cœur du modèle collaboratif afin de répondre également à la coopération entre les formateurs. Pour les praticiens, ce souci de «partir de leurs besoins» peut favoriser l’explicitation et la structuration de leurs expériences de pratique. Dans le cas de la présente recherche, le besoin des formateurs qui est ressorti lors de l’analyse des réponses au questionnaire (premier article) est celui de se concerter afin d’identifier les attentes de développement. La coproduction de l’objet de recherche, la trajectoire de développement, permet la «mise en forme» des résultats. Le savoir d’action du praticien est donc un incontournable. Leur jugement professionnel ainsi mis à contribution permet une valorisation de leur pratique. L’utilisation du «co» pour nommer ainsi les étapes de la recherche collaborative n’implique pas nécessairement les praticiens à toutes ces étapes. Le «co» renvoie plutôt à l’omniprésence de la double vraisemblance tout au long du processus de recherche.

3.1.3 Les rôles de la chercheuse collaborative

Nous l’avons vu précédemment, la recherche collaborative vise le rapprochement de la culture pratique des formateurs d’étudiants-stagiaires et la culture de recherche universitaire. Chercheurs et praticiens provenant de communautés de pratique différentes ne conçoivent pas la réalité de la même manière (Desgagné, 2001). Desgagné et Bednarz (2005) parlent de médiation entre recherche et pratique en éducation puisque la construction des savoirs engendrés par cette recherche collaborative sera le fruit d’un rapprochement entre les deux cultures. La Figure 9 a permis de distinguer ce qui « appartient » à chacune de ces cultures. Notre rôle de médiation se retrouve donc à cheval entre une posture de formatrice et une de chercheuse. Nous faisons cheminer les formateurs dans un questionnement pratique lié à l’objet de recherche (Richardson, 1994).

Le rôle de formatrice

L’activité de recherche s’est déroulée auprès d’enseignants associés et de superviseurs universitaires qui ont eu l’opportunité d’accompagner des étudiants-stagiaires aux quatre stages offerts dans le cadre du baccalauréat en enseignement au secondaire d’une université québécoise. La recherche collaborative a permis à ces formateurs de

discuter de leur accompagnement et de leurs attentes auprès des étudiants-stagiaires. Également, cette recherche a répondu à des besoins de formation exprimés par les praticiens au questionnaire: le travail de collaboration entre formateurs exige du temps et une volonté de coopération des enseignants associés et des superviseurs

universitaires (Toupin, 2001).

Le rôle de formatrice consiste à faire émerger les points communs, à relancer les débats, à prêter une oreille attentive aux difficultés rencontrées. Dubet (1994) mentionne qu’un formateur doit faire émerger le savoir partagé par les praticiens en les plaçant dans un environnement d’échange ouvert, convivial et libre de tout jugement tout en assurant le dynamisme des discussions. Selon Desgagné (2001), le rôle de formatrice ne vise pas à contaminer les échanges entre les participants en fournissant des textes scientifiques par exemple. Le formateur ou la formatrice reste neutre.

Le rôle de chercheuse

La chercheuse n’a pas participé aux discussions. Malgré ce que Dubet (1994) avance concernant l’importance que le chercheur partage ses opinions afin quelles soient négociées comme celles des praticiens, la chercheuse a évité d’aller dans cette direction afin de ne pas contaminer les échanges (Desgagné, 2001). De plus, l’analyse des données recueillies s’est déroulée sans la participation des formateurs. La chercheuse se situait alors dans un double rapport d’engagement et de distanciation. D’engagement par sa préparation et son animation des rencontres avec les formateurs de étudiants-stagiaires et cela, en favorisant l’objectivation des pratiques véhiculées. Cette objectivation a permis de faire ressortir le développement des étudiants-stagiaires à l’intérieur des quatre stages. De distanciation par son travail d’interprétation puisque son rôle a été de reprendre les aspects essentiels de nos discussions pour pouvoir bâtir la trajectoire de développement.