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2.1 Le code orthographique du français

2.1.2 L’influence des propriétés du code orthographique

2.1.2.1 Les phénomènes visuels sublexicaux

Les phénomènes sublexicaux se rapportent aux marques graphiques à l’intérieur des mots (Daigle et Montésinos-Gelet, 2013; Plisson, 2017). Cinq phénomènes sublexicaux sont répertoriés : les règles de positionnement, les lettres muettes non porteuses de sens, les mots irréguliers, la multigraphémie et la légalité orthographique.

Les règles de positionnement se rapportent à l’environnement orthographique de certains graphèmes. L’application de ces règles implique parfois un changement de prononciation, alors que d’autres fois, aucune modification n’est observée. Par exemple, la règle de positionnement qui stipule que lorsque la lettre -n se trouve devant les consonnes -b et -p, elle doit être remplacée par un -m (Lecavalier et Bonneville, 2011; Sprenger-Charolles, 2017) n’engendre pas de changement dans la prononciation des mots concernés (ex. : remplir, ambassade). Seule une répercussion sur l’orthographe de ces mots est observée. Le traitement effectué par le scripteur est donc purement visuel pour cette règle de position. Dans le cas où la règle de positionnement modifie la prononciation des mots, comme c’est le cas avec la règle « La lettre -c produit le son dur [k] devant les voyelles -a, -o, -u et le son sifflant [s] devant -e, -i, -y » (Lecavalier et Bonneville, 2011, p. 69), deux types de traitement doivent être mis en place. Le premier traitement est de nature visuelle ; il permet de repérer la voyelle adjacente au graphème -c). Le deuxième traitement est de nature phonologique, car il permet, selon la voyelle adjacente, de récupérer la valeur phonologique du graphème - c (Plisson, 2017).

Les lettres muettes non porteuses de sens sont des graphèmes qui ne se prononcent pas et qui ne transmettent pas de sens. La grande majorité des lettres muettes sont placées en fin de mot. D’ailleurs, selon Gingras et Sénéchal (2016), 28 % des mots en français se terminent par des lettres muettes. Il faut faire attention pour ne pas les confondre avec les morphogrammes lexicaux. En effet, les morphogrammes lexicaux sont porteurs de sens, alors que les lettres muettes n’en portent pas. À titre d’exemple, le -s de toujours ou le -e de vie sont des lettres muettes qui ne transmettent pas de sens, ce qui n’est pas le cas avec la

lettre -s de tapis qui permet de faire des liens avec des mots de même famille comme tapisserie, tapisser, etc. Enfin les lettres sont parfois des vestiges du passé (ex. : homme → hominem). C’est ce que Catach (2008) appelle des lettres étymologiques.

Les mots irréguliers contiennent des séquences de graphèmes atypiques, dont la prononciation ne respecte pas les règles de conversion graphophonologiques (Sprenger- Charolles, 2017), mais ils ne sont pas complètement irréguliers en termes de correspondances graphophonologiques. En effet, seulement certaines séquences s’avèrent irrégulières (ex. : femme, tabac). Les mots irréguliers sont donc composés à la fois de graphèmes réguliers et de séquences graphémiques irrégulières. Par exemple, dans le mot femme, seul le graphème -e est atypique, car c'est le seul qui ne se prononce pas comme à l’habitude. Ici, il est prononcé [a].

La multigraphémie désigne l’ensemble des phonèmes pouvant être transcrits de différentes manières à l’écrit (c’est ce que Sprenger-Charolles (2017) nomme aussi des allographes). Par exemple, le phonème [o] peut être orthographié avec les graphèmes -o, -au, -eau, -ô (Morin et al., 2018; Sprenger-Charolles, 2017). Les connaissances nécessaires à la prise en compte de la multigraphémie sont nombreuses (Plisson, 2017). En effet, le scripteur doit connaître l’identité du phonème concerné, repérer sa position dans le mot, connaître les graphies possibles pour transcrire ce phonème, etc. Il doit aussi avoir emmagasiné beaucoup d’informations à propos des régularités statistiques associées à ces visuogrammes (fréquences d’occurrences en fonction de la position). Par exemple, le graphème -l est utilisé plus fréquemment que le graphème -ll pour transcrire le phonème [l]. De plus, la fréquence des graphèmes possibles pour un même phonème peut varier selon la position dans laquelle il se trouve dans le mot : en position initiale, le phonème [o] est plus fréquemment transcrit avec le graphème -o, mais le graphème -eau est plus fréquent (Catach, 2008; Daigle et Montésinos-Gelet, 2013; Pacton, 2008). Au contraire, pour le graphème [ɑ̃], la fréquence des graphies possibles pour transcrire ce phonème ne varie pas vraiment selon la position dans le mot. En effet, les probabilités que ce son soit transcrit par la graphie -en ou -an sont pratiquement équivalentes (Catach, 2008; Pérez, 2014).

La légalité orthographique correspond à ce qui est autorisé et possible, ou non, par la norme orthographique. L’identité des lettres pouvant être doublées ou encore le nombre de consonnes pouvant être juxtaposées sont des exemples qui relèvent de la légalité

orthographique. Par exemple, en français, certaines consonnes se doublent (ex. : -l, -m, -r, -s), alors que d’autres consonnes ne se doublent pas (ex. : -j, -k, -v). De plus, le doublement n’est légal qu’en milieu de mot. Il est impossible qu’un mot commence ou se termine par une double consonne en français (Pacton, 2008). Les exceptions associées à cette règle sont généralement des mots qui sont empruntés de l’anglais comme jazz, stress ou boycott par exemple.

Il importe de noter que certains auteurs (notamment en français, Pacton, Perruchet, Fayol et Cleermans, 2001; Pacton et al., 2002, 2005; en anglais, Treiman et Kessler, 2006) se sont intéressés à l’acquisition de certains phénomènes visuels sublexicaux décrits dans cette section. Ces phonèmes sont regroupés sous l’appellation connaissances graphotactiques. Les connaissances graphotactiques sont définies comme des régularités relatives à la fréquence de combinaison des graphèmes (Pacton et Jaco, 2015). Les enfants deviendraient sensibles à ces régularités à travers leurs lectures. Sans trop entrer dans les détails, les connaissances graphotactiques correspondraient à la fois aux règles de positionnement, à la multigraphémie ainsi qu’à la légalité orthographique. Même si les travaux sur l’apprentissage des régularités graphotactiques ont certainement grandement contribué aux connaissances actuelles sur l’acquisition des connaissances orthographiques, la typologie développée par Daigle et Montésinos-Gelet (2013) a été privilégiée. Comme cette typologie

est plus précise, cela guide davantage les enseignants dans les interventions pédagogiques à

mettre en place pour enseigner l’orthographe lexicale.