• Aucun résultat trouvé

Cependant, Kant remarque ensuite que ce sont bien « les mêmes objets qui peuvent être considérés de deux côtés différents, d’un côté comme objets des sens et de l’entendement pour l’expérience, et de l’autre côté cependant, comme objets que l’on pense simplement, dans tous les cas pour la raison isolée qui dépasse les limites de l’expérience » [III, 13]. Qu’est-ce à dire ? Il faut reconnaître qu’il y a là, quoi qu’en dise F. Marty (in Kant, 1980, p. 1569)23, une certaine « dualité »

entre le physique et le métaphysique. En effet dans le premier cas l’objet désigne le phénomène, et dans le second la chose en elle-même24, comme le confirme la note

suivante de Kant, qui évoque la séparation de « la pure connaissance a priori en

observateur » [III, 14]. Cependant, la citation à laquelle se réfère la note 242 on page 166 va à l’encontre de l’interprétation simpliste qui réduirait la « révolution » kantienne à un rationalisme exacerbé, dans la mesure où elle soumet l’activité constituante de l’entendement à la réceptivité sensible.

21. Plus exactement, c’est l’ « objet [Gegenstand] (en tant qu’objet [Objekt] des sens) », « ou, ce qui revient au même, l’expérience », qui se règle sur nos « intuitions » et « concepts » [III, 12]. Je reviendrai sur tous ces termes.

22. L’équivalence entre ces deux notions constitue ce que j’appellerai plus loin le présupposé transcendental kantien, selon lequel toute certitude (ou nécessité) est d’origine a priori (au sens que Kant donne à ce mot). Cette connaissance certaine étant effectivement donnée, pour Kant, par la mathématique et la physique, elle doit donc tirer sa certitude de la structure a priori de notre subjectivité (dont l’élucidation incombe à la métaphysique).

23. Il est souvent difficile de savoir ce que veulent dire les commentateurs de la Pléiade, en raison de leur propos excessivement généraux et alambiqués. Ainsi Marty écrit-il que « ce sont « les mêmes objets » que l’on considère de deux points de vue, ce qui prévient une lecture dualiste ; physique et métaphysique ne se séparent pas dans la Critique de la raison pure. D’autre part, il faut voir dans la démarche critique une « expérimentation » (Kant emploie le terme d’Experiment), épreuve de réalité, là même où il n’y a pas d’ « expérience » directe possible. Dans cette « expérimentation », nous pensons qu’il faut voir l’intelligibilité apportée (l’ « accord avec le principe de la raison »), mais aussi le fait que les objets considérés ont toujours rapport avec la physique (comportant expression mathématique). » Or « l’expérimentation de la raison pure » [III, 13] n’est qu’une analogie purement méthodologique (cf. infra) avec l’expérimentation du physicien ou du chimiste, il ne s’agit pas du tout de la physique elle-même (a fortiori dans la seconde signification de l’objet, en tant que chose en elle-même).

24. Et non pas, comme l’écrit Marty, le noumène - ce qui, on le verra, n’est pas la même chose.

1.1. Objet et sujet deux éléments très dissemblables, à savoir ceux des choses en tant que phénomènes et ensuite [ceux] des choses en elles-mêmes » [III, 13, mes italiques]. Pour éclaircir ce point, il faudra expliciter ces deux concepts, mais auparavant, il vaut la peine d’analyser les notes de bas de page [III, 12 et 13] où apparaissent ces remarques, car elles sont très significatives d’un point de vue méthodologique, qui est celui qui nous occupera par la suite.

Dans la première (dont est tirée la citation précédente) [III, 12], Kant explique vouloir imiter, en métaphysique, la méthode du chercheur en science de la na- ture (Naturforscher), « en cherchant ce qui se laisse confirmer ou infirmer par une expérimentation [Experiment] » : « Or s’il se trouve que lorsqu’on considère les choses de ce double point de vue [précédemment évoqué], il y a accord avec le principe de la raison pure, tandis que d’un seul point de vue naît un conflit inévi- table de la raison avec elle-même, alors l’expérimentation décide en faveur de la justesse de cette distinction »25. La suite du texte de Kant, qui annonce les « résul-

tats » des deux grandes « parties » de la Critique (l’Analytique et la Dialectique), permet de mieux comprendre cette démarche d’expérimentation, que Kant pré- sente comme un « essai » devant par la suite être « fondé », ou une « hypothèse » devant être « prouvée » [III, 13 sq.]26. Le résultat de la « première partie de la mé-

taphysique »27 est la limitation de la connaissance à l’expérience possible28. Kant

annonce ensuite la seconde partie : « Mais ici se trouve justement l’expérimenta- tion d’une contre-épreuve [Gegenprobe] de la vérité du résultat de cette première évaluation de notre connaissance rationnelle a priori, à savoir qu’elle ne va qu’aux phénomènes, et laisse en revanche la chose en elle-même certes réelle pour soi, mais

25. En ce qui concerne par exemple le principe de causalité, il ne vaut pour les choses que comme phénomènes, mais non comme choses en soi. Ainsi, « la même volonté dans le phénomène (les actions visibles) sera pensée comme nécessairement conforme à la loi de la nature et dans cette mesure non libre, et d’un autre côté cependant comme appartenant à une chose en soi, non soumise à cette loi, donc comme libre, sans qu’il y ait là de contradiction » [III, 17].

26. Cf. également le texte suivant : « Je présente dans cette préface le changement de la façon de penser analogue à cette hypothèse [des « lois centrales du mouvement » de Copernic], seulement en tant qu’hypothèse, bien qu’il soit prouvé dans le traité même non pas hypothétiquement mais apodictiquement, à partir de la constitution de nos représentations d’espace et de temps et des concepts élémentaires de l’entendement, seulement pour faire remarquer les premiers essais d’un tel changement, qui sont toujours hypothétiques. » [III, 14]. On est donc en droit d’attendre une preuve apodictique, c.-à-d. nécessaire (et non pas seulement suffisante), dans le corps même du traité. J’y reviendrai.

27. Qui correspond à la « philosophie transcendentale », la « partie transcendentale de la mé- taphysique de la nature » (cf. section §2.4).

28. On notera que la première partie n’est censée expliquer que la « possibilité » d’une connais- sance a priori, et n’apporter que les « preuves suffisantes [genugthuenden] » (mais non pas néces- saires, à comparer avec la note 26) des lois a priori au fondement de la nature comme « ensemble des objets de l’expérience » (autrement dit, de la nature matérielle, cf. section §1.2.4), démarche caractéristique de la méthode analytique, comme on verra.

1. De la connaissance

inconnue de nous. » [III, 13, mes italiques]. Il évoque alors l’ « inconditionné », qui ne peut être pensé sans contradiction si nous admettons que nos représentations se règlent sur les objets comme choses en soi, tandis qu’au contraire la contradiction disparaît si, inversement, ces objets comme phénomènes se règlent sur nos repré- sentations. C’est donc l’absence de contradiction de la raison pure avec elle-même (« l’accord avec le principe de la raison pure » précédemment évoqué) qui doit permettre de valider l’hypothèse (de « fonder l’essai ») du double point de vue en question. Il convient cependant de remarquer qu’à ce stade, l’hypothèse trou- vée n’est nullement nécessaire, elle est seulement suffisante (comme le reconnaît d’ailleurs Kant par ailleurs29) : il pourrait en effet y avoir d’autres hypothèses

qui permettent d’éviter la contradiction : pour conclure nécessairement, il faudrait montrer en plus que c’est la seule hypothèse possible.

Or, c’est précisément à ce stade qu’intervient la deuxième note [III, 13], dans laquelle Kant compare son « expérimentation de la raison pure » à ce que le chi- miste appelle parfois « essai de réduction, mais en général procédé synthétique » : « L’analyse du métaphysicien sépare la pure connaissance a priori en deux élé- ments très dissemblables, à savoir ceux des choses en tant que phénomènes et ensuite [ceux] des choses en elles-mêmes. La dialectique relie derechef les deux pour faire l’unanimité [Einhelligkeit] avec la nécessaire idée de raison de l’incon- ditionné, et trouve que cette unanimité n’arrive jamais que par cette distinction, qui est donc la vraie. » [III, 13, mes italiques. ]. La démarche méthodologique de la critique se veut donc successivement analytique, puis synthétique, la synthèse devant servir, comme on l’a vu, de « contre-épreuve » à l’analyse (en re-combinant pour ainsi dire les éléments séparés par celle-ci). On voit de plus que le réquisit d’unicité du fondement est ici clairement formulé. Or ce réquisit est bien sûr im- possible à satisfaire (ce dont Kant lui-même, on le verra, est bien conscient lorsqu’il évoque l’analyse). En particulier, Kant présuppose déjà une disjonction dans son raisonnement (soit nos représentations se règlent sur les objets comme en choses en soi, soit ces objets comme phénomènes se règlent sur nos représentations) : il n’y a pas d’hypothèse intermédiaire (laissant une place à l’induction par exemple). De plus, cette (fausse) alternative est elle-même, comme on l’a vu, basée sur sa préconception a priori des sciences (il est hors de question de remettre en cause l’apriorité de nos représentations).

Phénomène

Le phénomène, comme l’indique son nom allemand (Erscheinung : littéralement l’« apparition »30), désigne la réalité telle qu’elle apparaît au sujet connaissant :

29. Cf. note 28.

30. À distinguer de l’ « apparence » (Schein). Je conserverai cependant le terme consacré de « phénomène », le terme d’apparition étant connoté en français, et je reprendrai le terme grec

1.1. Objet et sujet Ce qui ne peut absolument pas se rencontrer dans l’objet [Objekte] en soi, mais toujours dans son rapport au sujet, et n’est pas séparable de la représentation de ce dernier, est phénomène [Erscheinung]. [III, 71]

Il s’agit, en d’autres termes, de la réalité « sensible », dont on peut faire l’« ex- périence » (que Kant appelle également la « réalité empirique »). Ce caractère intrinsèquement sensible du phénomène31 est explicité lorsque Kant le redéfinit

plus loin comme « objet des sens » (par opposition au « noumenon » qui est un pur « objet de l’entendement »). Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme F. Marty (in Kant, 1980, p. 1580), Kant distingue bien l’Erscheinung du Phaenomenon :

Des phénomènes [Erscheinungen], dans la mesure où ils sont pensés comme objets d’après l’unité des catégories, s’appellent phaenomena. [IV, 162 sq.]32

En toute rigueur, le « phénomène » (Erscheinung) est « l’objet indéterminé d’une intuition empirique » (dont il faut distinguer la « matière » donnée « a posteriori », et la « forme » présente « a priori dans l’esprit ») [III, 50]. Le phénomène est donc seulement « donné » dans la sensibilité, tandis que le phaenomenon est de plus « pensé » par l’entendement (cf. infra).

Chose en soi

La « chose en soi » (selon l’expression française consacrée), ou « en elle-même » (an sich selbst, expression à laquelle Kant semble avoir davantage recours), ne désigne pas toujours (comme on pourrait le croire) la réalité telle qu’elle est en soi, indépendamment de tout sujet connaissant, mais est un concept à la signification fluente. Comme dit Alquié, ceux qui interprètent le kantisme comme théorie de la méthode (autrement dit, les néo-kantiens de Marbourg) « insistent sur le fait que la chose en soi, affirmée dans l’« Esthétique » comme une réalité affectante extérieure à l’esprit, devient noumène dans l’ « Analytique », pour finalement se réduire à une idée transcendantale, idée d’une connaissance inconditionnée et complète constituant l’expérience comme système » (in Kant, 1980, p. 707 sq.)33.

On peut en effet distinguer trois significations différentes dans le concept de chose en soi chez Kant, qui correspondent grosso modo à la progression de la Critique :

de phaenomenon lorsque Kant l’utilise, ce qui préviendra toute confusion.

31. Implicite dans la définition précédente, où Kant ne prend que des exemples de prédicats sensibles (comme la couleur rouge ou l’odeur de la rose).

32. Kant poursuit : « Mais si je suppose des choses qui sont simplement des objets de l’enten- dement, et qui pourtant peuvent être données comme telles à une intuition, bien que non sensible (en tant que coram intuitu intellectuali), alors de telles choses s’appelleraient des noumena (in- telligibilia). » Je reviendrai sur le concept de noumenon.

1. De la connaissance

1. la réalité physique indépendante (extérieure au sujet connaissant) : cette signification est surtout développée dans les Prolégomènes, et (de façon un peu moins réaliste) dans l’Esthétique transcendentale34;

2. le « noumenon » (ou « noumène », selon la traduction française consacrée) : signification développée dans l’Analytique (cf. section 1.3.2) ;

3. l’ « idée » transcendentale : dans la Dialectique (cf. principalement sec- tion 1.3.1).

Je ne m’intéresserai, dans cette section, qu’à la première signification. Sans rentrer dans le détail des deux autres, on peut alors opposer le phénomène en tant qu’objet connaissable, à la chose en soi en tant qu’objet inconnaissable - mais néanmoins pensable, comme on le verra. La Critique insiste en fait sur ce dernier point, inti- mement lié au concept de noumène (sur lequel je reviendrai). Ainsi Kant écrit-il qu’il faut bien que l’on puisse penser la chose en soi, « car sinon il s’en suivrait cette proposition absurde qu’il y aurait un phénomène [littéralement, une appa- rition] sans rien qui apparaisse [erscheint] » [III, 17]. De même, « quand les sens nous représentent quelque chose simplement comme il apparaît, il faut bien que ce quelque chose soit aussi en soi-même une chose » [IV, 163]35. Ainsi, le concept

même de phénomène (ce qui apparaît) implique nécessairement celui de chose en soi (ce qui apparaît) :

Tel était le résultat de toute l’esthétique transcendentale, et il suit aussi naturellement du concept d’un phénomène en général, qu’il doive lui correspondre quelque chose, qui n’est pas en soi phénomène, puisque le phénomène ne peut rien être pour lui-même et en dehors de notre mode de représentation [Vorstellungsart], par conséquent, pour qu’il n’y ait pas de cercle perpétuel, le mot phénomène indique déjà un rapport à quelque chose, dont la représentation immédiate est certes sensible, mais qui, en soi-même, même sans cette constitution de notre sensibilité (sur laquelle se fonde la forme de notre intuition), doit être quelque chose, c’est-à-dire un objet indépendant de la sensibilité. [IV, 164]36

34. Pour Cassirer (1920, p. 7 sq.), répétons-le, cette chose en soi de l’Esthétique n’a aucune consistance propre, ce n’est qu’un « reste in-conçu [unbegriffener Rest], qui, pour le savoir, demeure en retrait » (cf. les notes 11 et 44).

35. Je tronque ici, à dessein, la citation qui traite du noumène (en tant qu’ « objet d’une intuition non sensible », alors que je ne m’intéresse ici qu’à la chose en soi comme réalité indé- pendante), concept sur lequel je reviendrai à la fin de ce chapitre.

36. Kant poursuit : « De là naît le concept d’un noumenon... », mais, encore une fois, sans encore évoquer ce concept (qui n’apparaît que dans l’Analytique), on peut utiliser cette citation comme preuve de la chose en soi en tant que réalité affectante extérieure au sujet, telle que conceptualisée dans l’Esthétique (ce que résume bien ici Kant au début de la citation).

1.1. Objet et sujet Mais c’est dans les Prolégomènes que la réalité indépendante de la chose en soi est le plus clairement affirmée :

En fait, lorsque nous considérons les objets des sens, ce qui est justifié, comme simples phénomènes, nous admettons pourtant en même temps par là qu’ils ont pour fondement une chose en elle-même, bien que nous ne sachions pas comment elle est constituée, mais seulement son phénomène, c.-à-d. la façon dont nos sens sont affectés par ce quelque chose d’inconnu. L’entendement donc, justement parce qu’il admet des phénomènes, accorde aussi l’existence de choses en elles-mêmes, et dans cette mesure nous pouvons dire que la représentation de tels êtres qui sont au fondement des phénomènes, par conséquent de simples êtres de l’entendement, est non seulement fiable, mais même inévitable. [IV, 314 sq.]

La chose en soi est donc ce qui nous « affecte » [III, 50] dans notre sensibilité, ce qui est au « fondement » du phénomène, nous en « donne » la matière37. L’ « idéa-

lisme transcendental » de Kant est donc « précisément le contraire » de l’idéalisme classique, qui affirme « qu’il n’y a pas d’autres êtres que les êtres pensants », et que « les choses restantes, que nous croyons percevoir dans l’intuition, ne seraient que des représentations dans les êtres pensants, auxquelles ne correspondrait en fait aucun objet se trouvant en dehors de ces derniers » [IV, 288] :

Je dis au contraire : il nous est donné des choses en tant qu’objets de nos sens situés hors de nous, seulement, de ce qu’elles peuvent être en elles-mêmes nous n’en savons rien, mais nous ne connaissons que leurs phénomènes, c.-à-d. les représentations qu’elles produisent [wirken] en nous, tandis qu’elles affectent nos sens. En conséquence je conviens en effet qu’il y a des corps hors de nous, c.-à-d. des choses que, bien qu’elles nous demeurent entièrement inconnues quant à ce qu’elles peuvent être en elles-mêmes, nous connaissons à travers les représentations que leur influence sur notre sensibilité nous procure [verschafft], et auxquelles nous donnons la dénomination de corps ; mot qui signifie simplement le phénomène de cet objet inconnu de nous, mais pas moins réel. [IV, 289]

37. On ne peut pas dire en effet que la chose en soi est la « cause » du phénomène (car cette « catégorie » ne s’applique pas à elle ; elle s’appliquera, en revanche, à l’objet transcendental : cf. par exemple la citation à laquelle se réfère la note 237 on page 164), ni son « origine » ou sa « source » (autrement dit sa matière), mais plutôt qu’elle « donne » cette dernière, qu’elle en est le « fondement » : « [la critique] dit : les objets [Gegenstände] comme choses en soi donnent le matériau [Stoff ] aux intuitions empiriques (ils contiennent le fondement [Grund] pour déterminer la faculté de représentation conformément à sa sensibilité), mais ils ne sont pas le matériau de ces dernières » [VIII, 215, mes italiques].

1. De la connaissance phaenomenon phénomène concept pur forme de l’entendement sujet connaissant réalité extérieure

chose / objet en soi sensation

e n te n d e me n t se n si b ili intuition empirique matière du phénomène intuition pure forme de la sensibilité formedu phénomène

Figure 1.2. – La conception kantienne de la connaissance empirique.

1.1. Objet et sujet En définitive, pour reprendre l’expression de B. d’Espagnat (in Bitbol et Lau- gier, 1997, p. 50, 76 sq.)38, la notion d’existence (d’une réalité indépendante) est

bien première par rapport à la notion de connaissance chez Kant : il y a une réa- lité indépendante, antérieure à la scission sujet-objet, contrairement à ce que dit Natorp (1912, p. 202), qui évoque « la décision radicale de Kant, dans laquelle tout le sens, toute la légitimité [Recht] de la méthode transcendentale se fonde : toute relation en général à l’objet, tout concept de l’objet, et donc du sujet, naît seulement dans la connaissance, d’après sa loi ».

La figure 1.2 est une tentative de représenter graphiquement le phénomène (Erscheinung) et le phaenomenon. Le premier représente l’objet empirique in- déterminé, qui est une « perception objective », une « intuition » ou encore une « connaissance » au sens large39 du terme [III, 250]. Pour conclure ce point, la

citation suivante résume bien le raisonnement d’ensemble que suit Kant et que j’évoquais en début de section, à savoir, que le caractère phénoménal permet d’as- surer la certitude de la connaissance :

Que la nature doive se régler sur notre fondement subjectif de l’aper- ception, qu’elle doive même en dépendre quant à sa conformité à des lois, semble très absurde et étrange. Si l’on songe cependant que cette nature n’est en soi rien qu’un ensemble de phénomènes, par conséquent pas une chose en soi, mais seulement une multitude de représentations de l’esprit, on ne s’étonnera pas de la voir simplement dans la faculté radicale de toute notre connaissance, à savoir dans l’aperception trans- cendentale, en cette unité qui seule lui permet d’être appelée objet de toute expérience possible, c.-à-d. nature ; et que par là même nous puis- sions connaître cette unité a priori, par conséquent comme nécessaire, ce à quoi nous devrions renoncer, si elle était donnée en elle-même, indépendamment des sources premières de notre pensée. Car je ne sau- rais alors où nous devrions prendre les propositions synthétiques d’une telle unité universelle de la nature, puisqu’il faudrait en pareil cas les emprunter aux objets de la nature même. Mais comme cela ne pour- rait avoir lieu qu’empiriquement, on n’en pourrait tirer d’autre d’unité que simplement contingente, qui serait loin de suffire à la connexion nécessaire, que l’on veut dire quand on parle de nature. [IV, 85 sq., mes italiques]

Il vaut la peine, pour ce qui suit, de remarquer que la connaissance phénoménale correspond à ce que Kant appelle la « nature matérielle » (sur le concept de na-

38. Il s’agit du premier postulat du « réalisme ouvert » de d’Espagnat, mais ce dernier l’attribue également, à juste titre, à Kant.

39. Plus exactement, le phénomène correspond au quatrième degré de « teneur objective » de la connaissance [IX, 65].

1. De la connaissance

ture chez Kant, cf. section §1.2.4), en tant qu’ « ensemble [Inbegriff ] de tous les phénomènes (natura materialiter spectata) » [III, 126]. Or, de même que les phé- nomènes relèvent de la sensibilité, de même les lois des phénomènes relèvent de l’entendement :

Il n’est en rien plus étrange que les lois des phénomènes dans la na-

Documents relatifs