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Comme dit Verneaux (1967, p. 89) : « La distinction entre matière et forme de la connaissance est une des pièces maîtresses du kantisme, peut-être même la pièce maîtresse, la base ou le pivot de la doctrine. »43

L’interprétation de Cassirer Cassirer, conformément à son interprétation rela- tionnelle générale des concepts kantiens, considère pour sa part que les concepts de matière et de forme sont inséparables l’un de l’autre : « Si donc on fait ressortir en tant qu’éléments « formels » les relations fondamentales constantes sur lesquelles repose la possibilité de l’expérience en général, tandis que les relations particulières et relativement changeantes sont imputées à la « matière » : alors une telle coupure méthodologique ne peut jamais signifier une séparation objective [sachliche Loslö- sung] d’un moment vis-à-vis de l’autre. Car le « quoi » du contenu d’expérience n’est jamais sans le « comment » : sa constitution [Beschaffenheit] particulière n’est jamais « donnée » sans les relations qu’il entretient avec d’autres éléments de même nature44. [...] De ce fait, la forme pure au sens strict, indépendamment

de tout matériau, n’« existe » pas plus qu’il n’y a de matière à disposition avant que cette dernière ne soit déterminée en propre comme quelque chose d’indépen- dant. » (Cassirer, 1920, p. 6). En d’autres termes, il serait absurde, pour Cassirer, de parler d’objet (de matière) indépendamment d’un sujet (de forme).

Cassirer reconnaît cependant que le statut du couple forme / matière évolue dans la Critique. Au début de l’ouvrage, en effet, « l’opposition entre matière et forme n’apparaît pas tant comme un point de vue [Gesichtspunkt] nécessaire du savoir que, bien plus, comme un antagonisme absolu appartenant au monde même des choses [Dingwelt] et le déterminant de fond en comble » (1920, p. 7). Dans l’Esthétique transcendantale, le concept de forme n’a ainsi qu’une signification « négative », en tant que limitation de la sensibilité. Mais dans la Logique trans- cendantale, il acquiert une signification proprement « positive », et, à sa suite, le

43. Mais Verneaux dit la même chose d’autres notions du kantisme (cf. par exemple la note 203 on page 150), ce qui montre la difficulté d’une présentation systématique du kantisme.

44. On aperçoit ici la chose en soi (un des « facteurs matériels » de la connaissance chez Kant, pour reprendre le mot de Cassirer (in Berner et al., 1998, p. 13), avec les données sensibles et les lois empiriques). Ainsi toute connaissance, pour Cassirer, « se meut dans le royaume de simples relations, mais ne peut jamais saisir ni déterminer positivement un « absolu » » (ibid.), pour reprendre sa description de la position de Zeller. Tout ce qu’on peut faire, comme on le verra chez Cassirer, c’est de confronter « en bloc » l’ensemble de notre connaissance (relationnelle) à l’expérience.

1.1. Objet et sujet « concept d’objectivité » (Gegenständlichkeit), en tant que « forme fondamentale » (Grundform) de la connaissance : « Dans la mesure où l’on s’en tient à cette pen- sée, la possibilité d’une séparation chosale [dinglichen Scheidung] de la forme et de la matière et sa coordination [Zuordnung] à deux « mondes » différents sont par principe écartées. Car non seulement l’énoncé de ce qu’est la matière, mais même l’énoncé qu’elle est, est maintenant manifeste : le simple « que » inclut immédia- tement un « comment », c.-à-d. la liaison à un complexe déterminé de conditions d’ordre [Ordnungsbedingungen]. » (Cassirer, 1920, p. 8). Cette progression fait dire à Cassirer qu’à ce point du raisonnement, il semble que « la critique de la raison ait, dans le but qu’elle réussit à atteindre, détruit son propre commencement » (1920, p. 8) :

Mais ce paradoxe fait en réalité partie de sa propre méthode. La réflexion [Besinnung] philosophique retourne elle-même à la question originelle : ce qui était auparavant présupposition peut et doit, à un ni- veau supérieur de considération, devenir problème. L’opposition entre forme et matière figure en quelque sorte d’abord un substrat solide du raisonnement critique ; mais dans la progression de ce dernier elle devient un moyen dont il se sert. (1920, p. 8)

Mais ce travail est, comme le dit Cassirer, celui des successeurs de Kant (au premier rang desquels lui-même), et je laisse son étude à la seconde partie.

Retour à Kant

Cela étant, que dit exactement Kant ? Pour ce dernier, la « matière » (Materie) de la connaissance, ou, ce qui est équivalent, son « contenu » (Inhalt), désigne son « rapport à l’objet » [III, 77]. En effet :

[...] nous devons bien distinguer ce qui, dans notre connaissance, appartient à la matière de cette dernière et se rapporte à l’objet, de ce qui concerne la seule forme, comme la condition sans laquelle une connaissance ne serait en général absolument pas une connaissance. [IX, 50]

Kant, on l’a vu (cf. citation IX, 33 p. 62), désigne aussi, par abus de langage, la matière comme étant l’ « objet » de la connaissance. Dans le premier cas, l’objet est bien sûr « hors de moi », autrement dit il s’agit de l’objet (ou plus exactement, de la chose) en soi ; dans le second cas, il s’agit de l’objet de la connaissance « en moi », c.-à-d. de la représentation-objet (qui correspond aux cases de la figure 1.3)45.

45. Cf. également III, 168 : 13-14, où Kant évoque la signification du mot « objet » (Object) pour les phénomènes, « non pas dans la mesure où ils sont (en tant que représentations) des objets, mais en tant qu’ils désignent seulement un objet », ce qui montre bien la double signification de ce terme.

1. De la connaissance

Dans le cas de la connaissance empirique, cette représentation-objet correspond bien au rapport de ma connaissance à l’objet (à la chose) en soi (à l’impression laissée par ce dernier sur notre sensibilité)46. La citation suivante, sur le diallèle,

illustre bien ce point :

La vérité, dit-on, consiste dans l’accord de la connaissance avec l’ob- jet. Suite à cette simple explication de mot, ma connaissance, pour va- loir comme vraie, doit donc s’accorder avec l’objet. Or je ne peux com- parer l’objet qu’avec ma connaissance, du fait que je le connais [Nun kann ich aber das Object nur mit meinem Erkenntnisse vergleichen, dadurch daß ich es erkenne]. Ma connaissance doit donc se confirmer elle-même, ce qui est cependant encore loin de suffire à la vérité. Car puisque l’objet est en dehors de moi et la connaissance en moi, je ne peux jamais que juger si ma connaissance de l’objet s’accorde avec ma connaissance de l’objet. [IX, 50]

On comprend donc qu’on puisse parler d’objet de la connaissance tout en restant au sein du sujet de la connaissance (le domaine de droite de la figure figure 1.2) : c’est là, bien sûr, le double sens du génitif dans l’expression « critique de la raison pure » (qui est à la fois objet et sujet de l’investigation). Dans ce qui suit, je m’efforcerai, dans un souci de clarté, d’utiliser le terme d’objet pour désigner la représentation objet (au sein du sujet), et de réserver celui de chose à la réalité extérieure au sujet.

Inversement, la forme de la connaissance désigne le rapport de cette dernière au sujet : ici, la raison n’est donc plus objet mais sujet (actif) de la connaissance, elle lie les différentes représentations objets entre elles, comme on va le voir.

Par ailleurs, la distinction entre matière et forme correspond directement à celle de l’ « origine » (Ursprung) de la connaissance, notion au fondement du kantisme :

On peut en effet distinguer des connaissances

1) d’après leur origine objective, c.-à-d. d’après les sources [Quellen] à partir desquelles seules une connaissance est possible. De ce point de vue toutes les connaissance sont soit rationnelles soit empiriques ;

2) d’après leur origine subjective, c.-à-d. d’après la façon [Art] dont une connaissance peut être acquise [erworben] par les hommes. De ce dernier point de vue, les connaissances sont soit rationnelles soit histo- riques, quelle que soit la façon dont elles sont nées en soi [c.-à-d. quelle

46. Cf. la citation suivante : « Le pouvoir sensible d’intuition n’est proprement qu’une récep- tivité, d’être affecté d’une certaine façon avec des représentations, dont la relation de l’une à l’autre est une intuition pure de l’espace et du temps (simples formes de notre sensibilité), et qui, dans la mesure où elles sont connectées et déterminables dans cette relation (l’espace et le temps) d’après des lois de l’unité de l’expérience, s’appellent objets. » [III, 340]

1.1. Objet et sujet que soit leur origine objective]. Quelque chose peut donc être objecti- vement une connaissance [issue] de la raison, qui subjectivement n’est pourtant qu’historique. [IX, 22]

Pour autant que je sache, l’équivalence entre matière et origine objective d’une part, et plus encore entre forme et origine subjective d’autre part, n’est nulle part explicitée, mais toujours sous-entendue par Kant, comme le montrent les passages qui suivent :

Si je fais abstraction de tout contenu [c.-à-d. de toute matière] de la connaissance, objectivement considérée, tout connaissance est alors, subjectivement, soit historique soit rationnelle [quant à sa forme]. [III, 540, mes italiques]

Du point de vue de cette distinction entre le rapport objectif, matériel et subjectif, formel dans notre connaissance [...] [IX, 50, mes italiques] Le plus souvent, Kant parle simplement de « connaissance rationnelle » ou « pure » (ou « empirique »), sans préciser « objectivement » (respectivement, « subjective- ment »), ou « d’origine objective » (resp., « subjective »)47. De même,

[La logique] est une science rationnelle [Vernunftwissenschaft] non seulement d’après la forme, mais d’après la matière, étant donné que ses règles ne sont pas tirées de l’expérience et qu’elle a en même temps la raison comme objet [Objecte]. [IX, 14]

Étant donné que la logique universelle fait abstraction de tout contenu de la connaissance par concepts, ou de toute matière de la pensée, elle ne peut examiner le concept que du point de vue de sa forme, c.-à-d. subjectivement [subjectivisch] ; elle ne peut pas examiner comment il détermine un objet par un caractère, mais seulement comment il peut être rapporté à plusieurs objets. La logique universelle n’a donc pas à rechercher la source des concepts, elle n’a pas à rechercher com- ment ils naissent comme représentations, mais seulement comment des représentations données deviennent des concepts dans la pensée ; ces concepts peuvent du reste contenir quelque chose qui est tiré de l’expé- rience, ou bien quelque chose d’inventé, ou bien emprunté à la nature de l’entendement. [IX, 94, mes italiques]

En définitive, il y a équivalence entre :

47. Par exemple, « un concept pur est tel qu’il n’est pas tiré [abgezogen] de l’expérience, mais qui provient [entspringt], même quant à son contenu [Inhalte, c.-à-d. sa matière], de l’enten- dement. [...] Le concept empirique provient des sens à travers la comparaison des objets de l’expérience et ne reçoit de l’entendement que la forme de l’universalité. La réalité [Realität] de ces concepts repose sur l’expérience réelle [wirklichen], dont il sont, quant à leur contenu, puisés [geschöpft]. » [IX, 92].

1. De la connaissance

— tout ce qui se rapporte à l’objet d’une part : matière / contenu / origine objective, pouvant être :

— soit « rationnel[le] », ou « pur[e] », ou « a priori » ; — soit « empirique » ou « a posteriori » ;

— tout ce qui se rapporte au sujet d’autre part : forme / origine subjective / toutes les formes de « liaison » (Verbindung) ou de « synthèse » (Synthe- sis)48 / « espèce » (de connaissance : Erkenntnisart), « façon » (de penser

ou d’enseigner : Denk- ou Lehrart)49 ou encore « modus », qui peut être :

— soit « historique » (que l’on peut voir comme l’équivalent, au niveau de la forme, de l’ « empirique » [cf. XX, 341]), ou « issue de données » (cognitio ex datis, lorsqu’il s’agit d’une connaissance passivement « apprise » ou « imitée » [III, 540]), ou encore « connexion [Verknüpfung] de coordina- tion50» [XXIV, 291] ;

— soit « rationnelle », ou « issue de principes » (cognitio ex principiis) [III, 540]51, ou encore « connexion de subordination » [XXIV, 291], lorsqu’il

48. Cf. par exemple le texte suivant : « toute liaison [...] est une action de l’entendement, à laquelle nous voudrions adjoindre l’appellation générale de synthèse, pour montrer par là en même temps que nous ne pouvons rien nous représenter comme lié dans l’objet, sans l’avoir nous- même lié auparavant, et parmi toutes les représentations la liaison est la seule qui ne peut pas être donnée par l’objet, mais qui ne peut être accomplie que par le sujet lui-même, parce qu’elle est un actus de son activité propre [Selbstthätigkeit] » [III, 107]. De manière générale, toute la connaissance, chez Kant, peut être vue comme une liaison (successivement : de data empiriques de la sensation, liés en images de la sensibilité, puis concepts, puis jugements, etc.).

49. « Méthode » (Methode) et « manière » (Manier) sont ainsi des modes de liaison (respective- ment logique et esthétique) des éléments constitutifs d’une science (ou d’un agrégat), autrement dit les formes d’un « tout » ou d’un « ensemble » de connaissances.

50. Sur la coordination et la subordination, cf. le texte suivant : « Sont coordonnés [...] les éléments dont la relation réciproque est celle de réalités complémentaires formant un tout ; sont subordonnés les éléments dont la relation est analogue à celle de l’effet et de la cause, ou, gé- néralement, du principe et de la conséquence. La première de ces relations est réciproque et homonyme, en sorte que chacun des termes corrélatifs est, par rapport à l’autre, à la fois dé- terminant et déterminé ; la seconde est hétéronyme, car, d’un côté, elle est seulement relation de dépendance, de l’autre, elle est relation de causalité. » [II, 390, trad. 1980, p. 633 sq.]. Cf. également la note de III, 148 sq. : « Toute liaison [Verbindung] (conjunctio) est soit composition [Zusammensetzung] (compositio) soit connexion [Verknüpfung] (nexus). La première est la syn- thèse du divers de ce qui n’appartient pas nécessairement l’un à l’autre [...] ; et de ce genre est la synthèse de l’homogène [Gleichartigen] dans tout ce qui peut être étudié mathématiquement [...]. La seconde liaison (nexus) est la synthèse du divers, dans la mesure où il appartient néces- sairement l’un à l’autre, comme par ex. l’accident à quelque substance, ou l’effet à la cause -, par conséquent même en tant qu’hétérogène, est représenté pourtant [comme] lié a priori ; laquelle liaison, parce qu’elle n’est pas arbitraire, je nomme pour cette raison dynamique, parce qu’elle concerne la liaison de l’existence du divers (qui peut être à nouveau divisée en [liaison] physique des phénomènes les uns sous les autres, et [liaison] métaphysique, leur liaison dans le pouvoir de connaître a priori). »

51. On verra ainsi que la méthode peut être considérée comme la forme rationnelle de la

1.1. Objet et sujet s’agit d’une connaissance activement « produite » (erzeugen) [III, 540] par « l’exercice de sa propre raison » [IX, 25]. La forme rationnelle est ainsi par définition une représentation pratique (technique), qui doit fon- damentalement être « exercée ».

Il vaut la peine de remarquer que l’origine rationnelle - qu’elle soit objective ou subjective - de la connaissance implique52 directement, chez Kant, sa « validité »

(Gültigkeit) objective ou subjective, respectivement53.

La matière, comme objet indéterminé, est liée par la forme pour former un objet déterminé (c.-à-d. produire une nouvelle connaissance), qui peut à son tour servir de matière (d’objet indéterminé54) à un niveau supérieur de connaissance, selon

la conception « trichotomique » de Kant :

On a trouvé douteux que mes divisions [Eintheilungen] dans la phi- losophie pure soient presque toujours tripartites. Mais c’est dans la nature de la chose. Si une division doit se faire a priori, soit elle sera analytique d’après le principe de contradiction ; et alors elle est toujours bipartite (quodlibet ens est aut A aut non A). Soit elle est synthétique ; et si dans ce cas elle doit être conduite à partir de concepts a priori (non comme dans la mathématique à partir de l’intuition correspondant a priori au concept), alors il faut, d’après ce qui est requis pour l’unité synthétique en général, savoir 1) la condition, 2) un conditionné, 3) le concept qui naît de l’union [Vereinigung] du conditionné avec sa condi- tion, que la division soit nécessairement une trichotomie. [V, 197]55

C’est donc la forme qui représente ici le « concept de liaison », la « dérivation » ou l’ « union » entre les deux premiers termes56.

science, en tant que « procédé d’après des principes » [III, 551].

52. Mais n’est pas équivalente à : ainsi une connaissance peut être d’origine empirique et avoir une validité objective (tel est le cas des jugements d’expérience, cf. section 1.2.3). Cependant, cette distinction soulève un certain nombres de problèmes, comme on le verra (il s’agit en fait de la réponse kantienne au problème de l’induction).

53. À ne pas confondre (comme le fait la Pléiade) avec sa « valeur » (Werth, cf. note 97 on page 101).

54. C’est pourquoi la matière n’est pas forcément empirique (comme dans le cas du phéno- mène).

55. Cf. également le texte suivant : « La polytomie ne peut être enseignée dans la logique, car la connaissance de l’objet en fait partie. Mais la dichotomie n’a besoin que du principe de contradiction, sans connaître le concept que l’on veut diviser [eintheilen] quant à son contenu. La polytomie a besoin d’intuition ; soit a priori, comme dans la mathématique (par ex. la division des sections coniques), soit d’intuition empirique, comme dans la description de la nature. Pourtant la division issue du principe de la synthèse a priori comporte une trichotomie, à savoir : 1) le concept comme condition, 2) le conditionné, et 3) la dérivation [Ableitung] du second à partir du premier. » [IX, 147 sq.]

56. C’est le cas du « schème » (Schema) en tant que « troisième [représentation] médiatrice » qui « rend tout d’abord possible l’application [Anwendung] » de la représentation conditionnante

1. De la connaissance

matière condition / fondement

matière conditionnée / fondée

forme de liaison

Figure1.3. – Matière et forme de la connaissance (déterminée).

La figure 1.3 poursuit la représentation graphique précédente, où la matière de la connaissance est représentée par des objets (des cases), et sa forme par des liaisons (des lignes entre ces cases), étant entendu qu’on se situera dorénavant au sein du seul sujet (avec, entre parenthèses, l’exemple de la connaissance déterminée57).

Représentation et présentation

Le concept de « connaissance » (Erkenntnis) illustre bien cette trichotomie : — au sens large, ce peut être une simple « représentation » (Vorstellung), « in-

tuition » ou « concept » ;

— au sens strict, c’est une « présentation » (Darstellung) - sous la forme soit d’une « construction », soit d’une « schématisation » - d’une intuition cor-

(principalement, les concepts purs de l’entendement, mais aussi, on le verra, de la raison) à la représentation conditionnée (respectivement, l’intuition ou la connaissance déjà constituée) [III, 134 sqq.]. Le schème (ou sa mise en application, le « schématisme » (Schematismus)), en tant que « règle », « méthode » ou « procédé » (Verfahren), apparaît ainsi comme la forme pratique- technique d’une connaissance ou d’un ensemble de connaissances. Le schème « applique » ainsi le concept supérieur vis-à-vis du concept inférieur, en tant que règle il « détermine » le second « conformément » au premier. Le schème « réalise » ainsi le concept supérieur en lui conférant une « signification » (c.-à-d. une réalité objective) dans le concept inférieur : « les schèmes des concepts purs de l’entendement sont donc les vraies et seules conditions pour procurer à ces derniers une relation à des objets, par conséquent une signification » [III, 138]. Mais en même temps le schème restreint la catégorie : « Mais il saute en même temps aux yeux que, bien que les schèmes de la sensibilité réalisent [realisieren] tout d’abord les catégories, ils les restreignent [restringieren] néanmoins aussi, c.-à-d. les bornent à des conditions qui se trouvent en dehors de l’entendement (à savoir dans la sensibilité). » [III, 139]

57. Si l’on dit : la connaissance objective, il faut préciser en plus constitutive comme on le verra.

1.1. Objet et sujet respondant au concept58.

Au sens large, « toutes les connaissances, c’est-à-dire toutes les représentations avec conscience rapportées à un objet, sont soit des intuitions soit des concepts. L’intuition est une représentation singulière59 [einzelne Vorstellung] (repraesen-

tat. singularis), le concept une représentation générale [allgemeine60] (repraesen-

tat. per notas communes) ou réfléchie [reflektierte] (repraesentat. discursiva) » [IX, 91]. L’intuition est une connaissance qui se rapporte « immédiatement » à l’objet, tandis que le concept ne s’y rapporte que « médiatement » (au moyen d’un « caractère » [Merkmal] qui peut être commun à plusieurs choses) [III, 250]. Au sens strict, la représentation seule (intuition ou concept) ne suffit pas à constituer

58. Par abus de langage, une « connaissance » peut désigner un ensemble de connaissances, c.- à-d. une science entière (mais Kant parle le plus souvent d’un « tout » (Ganzes) de connaissances). Je laisse pour le moment de côté cette acception, qui fera l’objet du prochain chapitre.

59. Dès la Dissertation de 1770, Kant conceptualise l’espace et le temps, non pas comme des concepts généraux sous lesquels sont pensés des objets sensibles, mais comme des concepts singuliers dans lesquels ils sont pensés ; des concepts, qui plus est, non pas abstraits des sens, mais supposés par eux : en somme des intuitions pures [cf. par exemple II, 391, 398 sq., 402 ; dans la Critique, cf. par exemple III, 53].

60. L’allemand allgemein peut se traduire de deux manières en français :

— Par « général », si l’on se place, comme ici, du point de vue de la seule représentation. Un concept est ainsi une représentation « commune » (gemeinsame), « de ce qui est commun [gemein] à plusieurs objets », par opposition à une intuition qui est une représentation « singulière » (repraesentat. singularis) ou « unique » (einzelne) [IX, 91]. C’est donc une « pure tautologie », comme dit Kant, « de parler de concepts généraux [allgemeinen] ou communs [gemeinsamen] - une faute qui se fonde sur une division [Eintheilung] in- exacte des concepts en universels, particuliers et singuliers. Ce ne sont pas les concepts eux-mêmes, mais seulement leur usage [dans les jugements] qui peut être ainsi divisé. » Cependant, Kant parle aussi, lorsqu’il considère le seul concept, de « représentation uni- versellement valide », qui « contient ce qui est commun à plusieurs représentations de différentes choses » [IX, 96], et ne distingue donc pas véritablement la généralité de l’uni- versalité du concept.

— Par « universel », si l’on se place du point de la connaissance (au sens stricte), c.-à-d. des

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