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2.1 SRUCTURATION ET HIÉRARCHISATION SPATIALE DE L'HABITAT

2.1.1 Structure et dynamique du peuplement

2.1.1.1 Peuplement et aspects démographiques

Contrairement à l'information quantitative dont dispose le géographe, nous ne disposons que de données relativement pauvres pour rendre compte de l'évolution du peuplement au sens démographique du terme. Aucune source écrite et/ou statistique ne fournit de chiffres ou d'estimations régulières de la population au cours de l'antiquité et encore moins à l'Âge du Fer. Dans ces conditions, les deux principaux critères retenus pour appréhender la dynamique du peuplement, sont le nombre d'établissements et la superficie qu'ils occupent.

La dynamique du peuplement reflétée par le nombre des établissements occupés à chaque époque montre une progression très contrastée (Figure 12). Elle peut être résumé en trois phases : une augmentation continue du nombre des établissements du VIIe au Ve s., puis une diminution observée au cours des IV et IIIe s. et enfin un accroissement au IIe et Ier s. av. J.-C. Cette dynamique du nombre des établissements semble assez fidèle au comportement observé dans l'ensemble du sud de la France, notamment en ce qui concerne le creux du IVe- IIIe s., que l'on retrouve en Provence (région Maures-Argens et Etang de Berre), dans la moyenne vallée du Rhône (région du Tricastin et de la Valdaine), en Languedoc central (Bassin de Thau) et occidental (Bassin de l'Aude)55

. La faiblesse des indices d'établissement lors de cette période des IVe-IIIe s. av. J.-C. est aussi remarquable en Gaule du nord, notamment en pays Eduen, défini essentiellement par les départements actuels de la Nièvre et de la Saône-et-Loire (Barral, Guillaumet 2000 : 65-68). L'hypothèse selon laquelle nous ne disposerions que d'une vision tronquée de cette période, en raison d'une mauvaise reconnaissance des indicateurs chronologiques (Mauné 1998b : 69-70), paraît cependant devoir être remise en cause eu égard à la croissance de la superficie globale occupée. En effet, l'effectif des établissements occupés à une époque donnée doit être manipulé avec précaution, car ce type d’analyse reste assujetti à la nature des établissements concernés. Par exemple, une petite ferme sera comptabilisée au même titre qu'une agglomération alors que leur poids démographique n’est pas comparable. Il convient donc de pondérer la fréquence des établissements par la superficie qu'ils occupent. Nous rappellerons néanmoins que l'utilisation de la superficie reste délicate dans la perspective d'une estimation de population. D'une part, parce que les superficies enregistrées en prospection de surface sont presque toujours "exagérées par rapport à l'extension réelle des vestiges" (Trément 2000 : 93-94). D'autre part, selon la période ou la culture considérée, l'espace habité varie fortement. Par exemple, la structure architecturale à plusieurs étages de la période médiévale a tendance à concentrer la population sur une faible superficie, tandis que les villas gallo-romaines sont plus étendues à cause de la présence de nombreux bâtiments d'exploitations alignés dans la pars rustica.

55. Pour la Provence, la moyenne vallée du Rhône et le Languedoc central (Favory, al. 1999 : 23, fig. 5). Pour le Languedoc occidental (Guilaine 1995 : 110-129).

Comme cela a déjà été mentionné, "À niveau social équivalent, l'aristocrate gallo-romain et le seigneur médiéval expriment leur rang selon des modes de représentation et de consommation de l'espace radicalement opposé" (Durand-Dastes, et al. 1998 : 165). En ce qui concerne l'Âge du Fer, la structure architecturale observée en fouille montre une assez grande stabilité dans l'utilisation de l'espace au cours de la période. La superficie des habitations est globalement comprise entre 10 et 50 m2 dans la région nîmoise (Py 1990 : 675, doc. 220) et entre 20 et 100 m2

à Lattes avec une moyenne de 65 m2

quelle que soit la période considérée (Py 1996 : 235- 241, fig. 18 et 20). Quant aux architectures à étages, elles sont peu attestées en Languedoc oriental. Au deuxième Âge du Fer, un seul cas apparaît probable dans la région nîmoise, aux Castels, à Nages (Py 1990 : 657). Il faut signaler, en revanche, que l'urbanisme dans les habitats agglomérés a évolué vers une concentration très forte des habitations, sur l'ensemble de la période. D'après les estimations de M. Py sur le village de la Liquière (Vg233) au VIe s. av. J.-C., la densité de l'habitat est d'une cabane tous les 150 m2 (Py 1990 : 70). Sur la même surface, le plan d'urbanisme de Nages au IIe s., sans tenir compte des fortifications, englobe en général 1 à 2 habitations, parfois 2,5. À surface égale, on peut donc estimer un rapport moyen de 1 à 1,5 habitations entre le début et la fin de la période. D'un point de vue démographique, si l'on s'appuie sur l'estimation large de M. Py sur la Liquière, soit 250 à 500 habitants pour 1 à 2 ha (Py 1990 : 70), on aurait grossièrement un rapport de 4 à 6 habitants pour 150 m2

entre le début et la fin de la période. La structure des habitats hors agglomération demeure quant à elle méconnue, faute de fouilles. Toutefois, sa représentation en prospection, généralement sous forme d'aires de quelques dizaines voire quelques centaines de m2, s'apparente aux mêmes échelles de surface si l'on tient compte des difficultés d'enregistrement qui ont tendance à légèrement survaloriser les emprises réelles.

La comparaison de la surface globale occupée par les établissements au cours des différentes périodes de l'Âge du Fer montre une croissance régulière du VIIe au Ier s. av. J.- C.56 Cette croissance peut-être exprimée sous la forme d'un modèle linéaire (Pumain, St Julien 2001 : 137-140) du type : Y = aT+b où Y représente la superficie globale occupée et T la période considérée. Cette fonction montre qu'à chaque pas de temps, c'est-à-dire ici à chaque siècle, la superficie augmente de manière constante avec un coefficient multiplicateur "a" d'environ 0,04 (Figure 12). L'ajustement au modèle est très fort puisque le coefficient de détermination de la droite (r2

) s'élève à 0,99, ce qui signifie que seulement 1% de l'information s'écarte du modèle. Ces écarts montrent une croissance relative de la superficie occupée plus forte aux VIIe, Ier et surtout au IVe s., tandis que celle des VIe, Ve et IIe s. apparaît légèrement ralentie (Figure 13). Enfin, il faut noter la position moyenne du IIIe s., qui suit quasiment la même progression que celle du modèle.

56. Le VIIIe s. av. J.-C. n'a pas été pris en compte dans les calculs dans la mesure où cette période se situe dans la transition entre la phase du Bronze final IIIb et le premier Âge du Fer qui est difficile à cerner d'un point de vue chronologique car elle s'étend sur près de trois siècles.

y = 0,0421x - 0,0256 R2 = 0,9907 0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% 40% 45% 50%

VIIe VIe Ve IVe IIIe IIe Ier

siècles % de surface occupée (sur 598,86 ha)

% d'établissement occupés (sur 414) Droite d'ajustement linéaire

Figure 12- Evolution du nombre d'établissements et de la surface occupée durant l'Âge du Fer en Languedoc oriental VIIe Ve IVe Ier IIIe IIe VIe -1,5% -1,0% -0,5% 0,0% 0,5% 1,0% 1,5%

Figure 13- Représentation des écarts au modèle de croissance de la superficie occupée durant l'Âge du Fer en Languedoc oriental

Pour exprimer cette croissance en termes démographiques, il faudrait prendre en compte les quelques remarques formulées sur l'organisation de l'habitat aggloméré. Nous avons effectué plusieurs tests sur ce type d'habitat en multipliant leur superficie, que nous

considérons comme un étalon relatif de la population, par des coefficients de 1 à 1,5, en fonction du développement des plans d'urbanisme. Ces opérations montrent la constance de la tendance linéaire, avec des droites de régression dont le coefficient de détermination avoisine 0,99, soit une adéquation dans 99% des cas. Cette tendance est probablement maintenue par le poids que représentent les établissements dispersés. En revanche, nous avons pu constater que le coefficient multiplicateur du modèle est beaucoup plus fort quand nous avons pondéré la surface des agglomérations. À titre d'exemple, l'application à notre échantillon des deux modèles linéaires, l'un sans et l'autre avec pondération de la surface des agglomérations, sur la base de 250 personnes par ha au début de la période (Py 1990 : 70), entraîne un écart d'environ 17000 habitants en bout de processus, au Ier s., pour une fourchette comprise entre 40000 personnes (sans pondération de l'emprise des agglomérations) et 57000 personnes (avec pondération de l'emprise des agglomérations).

y = 25,395x - 15,457 ; R2 = 0,9907 y = 37,85x - 35,636 ; R2 = 0,9891 0 50 100 150 200 250

VIIe VIe Ve IVe IIIe IIe Ier

siècles Ha

Surface réelle

Surface agglomération pondérée Linéaire (Surface réelle)

Linéaire (Surface agglomération pondérée)

Figure 14 – Évolution de la surface globale occupée au cours de l'Âge du Fer en Languedoc oriental et modèles de croissance "démographique"

Quoi qu'il en soit, même l'estimation haute reste largement en deçà des chiffres proposés par C. Goudineau pour le site d'Entremont (Goudineau 1980 : 152). Cet auteur estime une population de 2 à 3000 habitants pour cette agglomération, soit une densité comprise entre 0,05 et 0,22 habitants par m2 en habitat groupé, tandis que celles issues de notre calcul sont situées entre 0,02 et 0,03 habitants par m2. Dans ces conditions, si nous pouvons considérer que le modèle linéaire est représentatif de la croissance de la population

au cours de l'Âge du Fer en Languedoc oriental, son degré d'augmentation mérite quant à lui une détermination plus précise sur la base d'une enquête spatiale systématique prenant en compte l'espace occupé dans chaque agglomération par période. En outre, il faut souligner la nécessité persistante de fouiller les différents types des établissements les plus modestes, sur plusieurs périodes, afin de mieux estimer la part de l'habitat dispersé dans l'occupation de l'espace. C'est une lacune actuelle de la documentation archéologique et elle limite la portée des études.

Dans ces conditions, nous pouvons supposer que la variation relative de l'effectif des établissements, confrontée à la croissance de la superficie globale occupée, suggère des changements dans l'organisation de l'habitat, plutôt que des fluctuations dues à des récessions d'ordre démographique. Le IIIe et surtout le IVe s., semblent montrer une concentration de l'habitat avec une diminution du nombre d'établissements et une augmentation relativement forte de la superficie occupée. Au contraire, les deux périodes qui les encadrent, le premier Âge du Fer jusqu'à la charnière avec le deuxième Âge du Fer (VIIe, VIe et Ve s.) et surtout la fin du deuxième Âge du Fer (IIe et Ier s.) tendent visiblement vers une dispersion de l'habitat.