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Petit historique de la chasse à la baleine européenne : des baleiniers basques au début du dix-neuvième siècle

3. Un travail de recherche

3.2. Utilisation du savoir des marins

3.2.1. Lacépède et la chasse à la baleine

3.2.1.1. Petit historique de la chasse à la baleine européenne : des baleiniers basques au début du dix-neuvième siècle

Il paraît impossible de présenter en quelques lignes l’histoire de la chasse à la baleine depuis le commencement, nous nous limiterons donc ici à quelques éléments d’ordre chronologique et géographique afin de mieux comprendre la provenance des sources vernaculaires marines venant de baleiniers qui auraient pu faire trajet jusqu’à Paris.

Il est difficile de dater avec précision les premières chasses à la baleine. En Europe, les Basques la pratiquent dès le onzième siècle. La chasse dure six mois de l’année, au moment où la Baleine franche noire (Eubalaena glacialis) vient mettre bas dans la baie de Biscaye, ce qui explique un de ses noms communs : Baleine franche de Biscaye. Mais, chassées pendant plusieurs siècles avec ferveur, de moins en moins de baleines ne viennent s’aventurer sur les côtes basques. Ne

pouvant plus alimenter un marché pour le moins lucratif, les Basques prennent la mer, embarquant parfois avec eux des marins normands pour les conduire au large de l’Islande, du Groenland et même jusqu’aux côtes du Canada.

Longtemps laissée sous silence dans l’historiographie – peut-être parce qu’au Canada la pêche à la baleine a presque toujours été pratiquée par des étrangers201 - la présence basque au seizième

siècle sur les côtes du Labrador est régulière en saison pendant près de soixante-dix ans. Ils chassent toujours la Baleine franche noire, et installent des fours pour faire fondre la graisse à même les côtes, laissant de nombreux vestiges archéologiques nous permettant de définir aujourd’hui les ports les plus utilisés. Les travaux de Selma Barkham nous permettent d’estimer leur présence des années 1530 à 1603, d’après les archives basques espagnoles qui gardent les traces de contrats d’armement des navires202. Le schéma d’extinction se répétant à nouveau, les

baleiniers basques doivent trouver un autre terrain de chasse. Le chargement d’un baleinier au seizième siècle représente environ 5 millions de dollars actuels, attirant les convoitises d’autres nations pour cette huile servant à l’éclairage (l’éclairage de nuit de plus en plus pratiqué dans les villes d’Europe), à l’industrie pharmaceutique et à la fabrication de savon203.

Au début du dix-septième siècle, les Hollandais édifient sur les côtes du Spitzberg de véritables stations de chasse possédant des fonderies de lards, des magasins et des entrepôts204. Le savoir

des baleiniers basques fut, dans un premier temps, d’une grande utilité pour ces nouveaux acteurs voulant s’instruire sur les pratiques de cette chasse ancestrale. C’est donc au large de la mer du Groenland qu’on y pratique les pêches du Nord ou Northern Fisheries avec pour objectif de capturer la Baleine franche du Groenland (Balaena Mysticetus), proche voisine de la Baleine franche noire mais bien plus grosse (et donc avec plus de lard). Les Hollandais et les Anglais se disputent les monopoles et stations de cette région pendant plusieurs siècles, alors que de l’autre côté de l’Atlantique, les baleiniers de Nantucket, en Nouvelle-Angleterre, prennent le large pour chercher de nouvelles proies après que leurs populations côtières soient décimées.

201 Mario Lalancette, « PROULX, Jean-Pierre, La pêche de la baleine dans l’Atlantique Nord jusqu’au milieu du

XIXe siècle. Parcs Canada, Études en archéologie, architecture et histoire, 1986. 119 p », Revue d'histoire de

l'Amérique française, vol. 41, no 3, 1988.

202 John C Kennedy, Encounters: An Anthropological History of Southeastern Labrador, McGill-Queen's Press-

MQUP, 2015.

203 Ibid.p.26

Dès 1774, les Nantucketois205 partent pour de longs voyages en mer, ils bravent les intempéries

pour chasser le cachalot sur les bancs du Brésil et au large de la Patagonie206. C’est le début des

pêches du Sud ou Southern Fisheries, elles se distinguent des pêches du Nord par plusieurs aspects. Déjà elles ne sont pas fixes : nombreux sont les parcours que peuvent effectuer ces navires. Leur mobilité les oblige à embarquer à leur bord des fours pour faire fondre la graisse à même les navires afin de ne pas être dépendants de stations terrestres. La durée des voyages est beaucoup plus longue, plusieurs années, durant lesquelles ils naviguent les mers chaudes du globe à la recherche particulièrement de cachalots. Le cachalot (Physeter Macrocéphalus) est plus féroce que la Baleine franche (que l’on chasse toujours aussi volontiers) mais son huile est réputée pour être de meilleure qualité et est particulièrement appréciée dans l’économie américaine207.

Et les Français de tout cela? Aucun chauvinisme dans cette question, le but de ce mémoire étant de tenter de rapprocher cette étude française de cétologie avec le savoir vernaculaire des marins et tout particulièrement des baleiniers. Lacépède parait être pour le moins sédentaire au moment où il rédige l’ouvrage, il nous faut donc se demander si ce type d’informations pouvait affluer vers le centre parisien. Quand nous lisons l’historiographie de la chasse à la baleine, les baleiniers basques (il serait ici périlleux de faire un raccourci douteux et de les assimiler sous le nom de Français) sont omniprésents dans l’histoire des premières pêcheries et sont, sûrement internationalement, reconnus comme des précurseurs de cette pratique. Mais au-delà du dix- septième siècle, les Basques perdent de leur influence et surtout leur monopole. Ils sont vites évincés de la partie, et après cela la France semble disparaître de l’histoire de ces pêcheries. Pourtant, comme le démontre Thierry Du Pasquier, la France ne se résigne pas à abandonner un marché aussi lucratif. D’abord parce que l’importation de ces produits coute cher mais aussi parce qu’il est bien contraignant – en ces temps diplomatiques incertains – de laisser un quasi- monopole à l’industrie britannique. À la fin du dix-huitième siècle, la France – par l’intermédiaire de ses ministres et de François Jean Coffyn, alors échevin de Dunkerque – va donc profiter du contexte des guerres d’indépendance américaines et des échanges difficiles avec la Grande-Bretagne pour attirer quelques familles de Nantucketois fameuses sur ses côtes. Ainsi la famille Rotch – parmi d’autres – s’installe en avril-mai 1786 avec à la clé des avantages

205 Après que les populations côtières de l’île aient été décimées durant les siècles précédents, voir Bolster (2012) 206 Jean Thierry Du Pasquier, Les baleiniers français au XIXe siècle, 1814-1868, Terre et mer, 1982.p.10

fiscaux non négligeables sur son commerce. Dès lors en 1792, on compte plus de 30 navires baleiniers expédiés depuis le port de Dunkerque (principalement pour des pêcheries du Sud dont les Nantuckois étaient les maitres). La guerre avec la Grande-Bretagne mettra fin à cet élan, notamment avec le retour de nombreuses familles en Amérique. Du Pasquier argumente par la suite sur une renaissance de l’industrie de la chasse à la baleine en France après 1814, période qui suit celle qui nous intéresse dans le cadre de ce mémoire208.

Après ces brèves considérations sur un sujet amplement plus vaste, nous nous intéresserons à présent au point de vue de Lacépède sur cette industrie qui – au péril d’un désastre environnemental certain – a façonné les échanges maritimes pendant plusieurs siècles.