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3.1 Le but pastoral de Vatican II

Le développement sur la « forme pastorale » de la doctrine à Vatican H et le discours inaugural de Jean XXUI nous amène à poser la question du but pastoral du concile. Parmi les auteurs que nous avons étudiés, plusieurs en ont fait mention51. L'un d'eux est Peter Hunermann qui, dans son texte « Redécouvrir le "texte" passé inaperçu. À propos de l'herméneutique du concile52 », utilise à six reprises le terme « pastoral »53. Deux fois l'auteur emploi la terminologie en note de bas de page : l'une pour citer un ouvrage de Walter Kasper54, et l'autre pour citer un

extrait de la Notificato du 15 novembre 196555. Cette note concerne le caractère normatif des

50 Ibid, p. 380.

51 Cela est mentionné entre autre par Giussepe Rugierri dans son texte : « Discussion du "De Fontibus" : le choix conciliaire pour la "pastoralité" de la doctrine », p. 300-321. Voir la section 4 de ce chapitre. Aussi, même s'il ne mentionne pas explicitement le but pastoral du concile, Walter Kasper parle de l'orientation et de l'intention pastorale de Vatican II. Voir Walter Kasper, « Le Défi de Vatican II qui demeure : à propos de l'herméneutique des affirmations du Concile », La théologie et l'Église, coll. « Cogitatio Fidei », no 158, Paris, Cerf, 1990, p. 411-423. Enfin, le théologien H.J. Pottmeyer souligne également le but pastoral de Vatican II dans son texte : « Vers une nouvelle phase de réception de Vatican U. Vingt ans d'herméneutique conciliaire », dans G. Alberigo, J.-P. Jossua, J. Komonchak (dirs), La réception de Vatican IL, coll. « Cogitatio Fidei », no 254, Paris, Cerf, 1985, p. 58-64. Pour lui, « l'herméneutique dogmatique a coutume d'interpréter les déclarations d'un concile en prenant très exactement le contrepied des erreurs que le concile veut condamner. Ce principe ne peut s'appliquer à Vatican II qui n'a pas voulu condamner d'erreurs. Concile de réforme à visée pastorale, il a plutôt souhaité une rénovation de l'Église en se concentrant sur l'essentiel du message chrétien, de manière à servir la mission de l'Église qui est d'être un signe de salut dans le monde d'aujourd'hui. » Lbid, p.56.

Peter Hunermann, « Redécouvrir le « texte » passé inaperçu. A propos de l'herméneutique du concile », dans A. Melloni et C. Theobald (dirs), Vatican IL Un avenir oublié, Paris, Bayard, 2005, p. 229-258.

53 Pour un aperçu de la position du théologien dans les débats sur l'herméneutique de Vatican II dans les vingt dernières années, voir la section 2.5 du premier chapitre de ce mémoire, p. 19-21.

54 Voir Walter Kasper, « Le Défi de Vatican II qui demeure... », p. 411-423.

55 Cette notification donnée durant le concile touche au caractère normatif des différents documents et renvoie au texte même : « En prenant en compte l'usage conciliaire et la visée pastorale du présent concile, ce saint synode ne définit comme devant être tenu par l'Église en matière de foi et de mœurs que ce qu'il déclare explicitement comme tel. Mais le reste de ce que le saint synode propose doit être accepté et embrassé par tous les chrétiens, individuellement et collectivement, comme doctrine du magistère suprême de l'Église, conformément à l'intention

documents et le terme « pastoral » est utilisé pour désigner le but du concile. Les quatre autres mentions sont réparties comme suit :

Tableau 3 : Définition du terme « pastoral » dans le texte de Peter Hunermann "Redécouvrir le "texte " passé inaperçu... "

Définition Nombre de mentions

Esprit du concile 1

Orientation 1

Événement 1

Énoncés du concile 1

Total 4

La première utilisation du terme « pastoral » est faite par Hiinermann dans la première partie de son texte, lorsque celui-ci résume les travaux d'Ormond Rush, qui fait une distinction entre l'herméneutique des auteurs, l'herméneutique du texte et l'herméneutique des récepteurs56. Le théologien cite Rush qui explique que « le but du concile ne consistait pas à écarter des erreurs spécifiques, sous forme de canones par exemple, mais à viser, dans un esprit pastoral, à "renouveler l'Église à la lumière des questions urgentes de notre temps"57 ». Dans cette citation, le but du concile est lié à son esprit pastoral, sans toutefois que celui-ci ne soit défini de manière explicite. Hunermann emprunte aussi une citation Rush pour définir le genre, textuel des textes conciliaires. La pastoralité est alors liée à l'orientation et au but du concile : « Le genre littéraire des documents de Vatican II est unique en son genre au sein de l'histoire doctrinale des conciles. Son orientation étant pastorale, le concile ne visait consciemment pas à s'attaquer à des erreurs

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spécifiques, mais à renouveler l'Eglise à la lumière des questions urgentes de notre temps . » Dans cet énoncé, le genre textuel des textes conciliaires va de pair avec l'orientation et le but du concile qui sont définis de « pastoral ». Pour définir la notion de « genre textuel », Hunermann lui

du saint-synode lui-même, intention qui ressort soit de la matière traitée, soit de la façon de s'exprimer, conformément aux directives de l'interprétation théologique. »

Pour un aperçu des travaux d'Ormond Rush sur l'herméneutique théologique de Vatican H, nous verrons Ormond Rush, Still Interpreting Vatican II, New York, Mahwah N.J., Paulist Press, 2004, 125 pages; «Reception Hermeneutics and the « Development » of Doctrine : An Alternative Model », dans Pacifica, vol. 6, no 2, 1993, p.

125-140.

57 Peter Hunermann, « Redécouvrir le "texte"... », p. 233.

attribue quelques caractéristiques. D'abord, ce genre « propose les principes de l'ordre de vie et

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de l'ordre social de l'Eglise . » Aussi, ces principes « doivent rendre possibles, soutenir et définir la vie croyante et communautaire au sein de l'Église, et avec les hommes et le monde60. » Cette caractéristique apparaît également dans les débats qui ont mené à la réélaboration du schéma sur la Révélation. Hunermann note que «les Pères ont souvent signalé le manque de

dimension pastorale des énoncés6 . » Ici, c'est la dimension pastorale des énoncés qui est

soulignée, et plus particulièrement les énoncés des schémas préparatoires qui ont été rejetés par les Pères. Il s'agit de la dernière utilisation du terme « pastoral » faite par l'auteur dans son texte. 3.1 Conclusions théologiques

Dès le début de son texte, Hunermann constate un « pluralisme contradictoire » dans les débats sur l'herméneutique théologique de Vatican II. C'est pourquoi il résume la proposition de Rush qui synthétise les trois composantes herméneutiques de Vatican H. Cependant, le théologien pose une question qui concerne la fonction d'orientation du concile : « a-t-on besoin du deuxième concile du Vatican pour en venir à la manière d'aborder la tradition et la transmission de la foi telle qu'elle est proposée ? » Pour répondre à cette question, Hunermann propose de partir de la question centrale jusqu'ici non traitée dans les débats : celle du genre littéraire des documents conciliaires. Avant Vatican H, le genre littéraire employé dans les documents conciliaires consistait en des « jugements » et des « lois ». Les textes de Vatican II ne manifestent pas ce genre textuel. Pour l'auteur, le genre littéraire des documents de Vatican U est unique au sein de l'histoire des conciles puisque son orientation est « pastorale ». Cependant, cette information ne permet pas de nommer le genre littéraire spécifique de Vatican U, mais bien de le délimiter négativement par rapport au genre juridique des conciles précédents. Mais pourquoi la question du genre littéraire est-elle si importante ? Parce qu'elle permet de situer les auteurs et les intentions par rapport au texte, mais aussi parce que «du genre littéraire des textes résulte également la façon fondamentale dont les lecteurs ou récepteurs sont liés au texte et à son

59 Ibid, p. 245. 60 Ibid, p. 246. 61 Ibidem 62 Ibid, p. 235.

orientation ou à son énoncé, et en quel sens ils sont à mobiliser leur propre créativité63. » Pour Hunermann, la spécificité du genre littéraire forme une unité avec la spécificité du concile. C'est à partir de cette spécificité qu'il propose cinq éléments pour définir le genre littéraire de Vatican II : il s'agit d'une réflexion sur les fondements, il propose les principes de l'ordre de vie et de l'ordre social de l'Église, il est caractérisé par le fait qu'il se veut le critère de toutes les activités ecclésiales, il tire sa spécificité du fait que les documents de Vatican II se présentent comme l'expression d'un consensus de base de l'Église catholique, il s'agit d'un genre textuel qui a la préséance sur toutes les autres injonctions et communications pouvant être émises par des autorités au sein de l'Église. Ces éléments permettent de désigner le genre textuel de Vatican comme « constitution de la vie croyante au sein de la vie de l'Église64. »

La réflexion d'Hunermann sur le genre textuel des textes de Vatican LT cherche à sortir de l'écueil selon lequel les textes du concile sont des textes de compromis. D s'agit de la difficulté que constate Hunermann dès le début de son texte : « les textes conciliaires, bien qu'ayant été adoptés à une très large majorité, ne sont pas perçus comme des points de référence d'un concensus englobant la totalité de l'Église, mais comme des occasions de controverses65. » Pour le théologien, cette situation a un effet « paralysant » pour l'Église puisqu'elle provient d'une tendance interprétative qui part d'une opposition entre majorité et minorité. Après Pottmeyer qui

parlait d'une « incohérence interne des textes conciliaires66», Hunermann souligne que la

question centrale des débats sur l'herméneutique théologique du concile est celle du genre textuel des textes. Cette affirmation met en évidence une spécificité de Vatican II : il s'agit d'un concile avec un genre littéraire unique. Dans ce sens, Hunermann souligne la relation entre l'orientation pastorale de Vatican II et son genre littéraire. Cela est en continuité avec l'intuition de Jean XXUI sur la fonction pastorale du magistère ecclésial, puisque le genre littéraire des textes conciliaires touche à la manière même de présenter la doctrine. Ce genre littéraire qui « propose les principes de l'ordre de vie et de l'ordre social de l'Église », est une nouveauté dans l'histoire des conciles et une nouvelle manière pour l'Église de s'adresser au monde. En ce sens, l'intérêt de la proposition d'Hunermann est de préciser le genre littéraire de Vatican II pour mieux comprendre 63 Ibid, p. 238.

64 Ibid, p. 250. 65 Ibid, p. 231.

66 H.J. Pottmeyer, « Vers une nouvelle phase de réception de Vatican II. Vingt ans d'herméneutique conciliaire »,

son unité. Cependant, cette attention à l'orientation et au but pastoral de Vatican II n'est pas suffisante pour définir précisément le genre textuel du concile. Même si l'on doit reconnaître une certaine unité du genre littéraire de Vatican H, la diversité des textes et des thèmes abordés rendent difficile l'élaboration de critères herméneutiques qui attestent d'un genre littéraire unique.