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PERSPECTIVES DE DROIT COMPARÉ : LA SUISSE MAUVAISE ÉLÈVE ?

5.1. Délimitation de la comparaison et outils employés

La Suisse est un modèle de bonne volonté dans de nombreux domaines de la scène internationale, ratifiant certains traités la première et s’acquittant de ses obligations avec sérieux. Néanmoins, sur la question du congé paternité, elle demeure en queue de peloton.

La situation est identique en matière de congé parental, que nous aborderons ici en tant

197 TRAVAIL.SUISSE, Factsheet, p. 5 ; VALARINO, Débats, p. 5.

198 AGENCE TÉLÉGRAPHIQUE SUISSE, p. 1 qui rapporte les résultats du sondage effectué par Travail.Suisse en 2015 auprès de 861 personnes, hommes, femmes et tous âges confondus dont 80% se sont prononcés en faveur d’un congé paternité légal d’au moins 2 semaines.

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qu’il fait partie intégrante des ordres juridiques avec lesquels nous comparerons la Suisse, bien qu’il n’existe pas sur notre sol et qu’il ne soit actuellement pas discuté. Travail.Suisse qualifie ainsi la Suisse « d’îlot de richesse et de pingrerie » et la COFF utilise les termes de « lanterne rouge de l’Europe ».199 Il s’agira ainsi d’examiner la réglementation applicable, chez nos voisins, en matière de congé paternité et parental.

Outre le cadre juridique applicable à nos voisins, il est intéressant de se pencher sur les travaux de la Banque Mondiale et, plus particulièrement, sur son projet Women, Business and the Law dans le cadre duquel des données sur les lois et les règlements qui limitent les possibilités économiques des femmes dans les différents pays du monde sont recueillies.200 Ainsi, comme nous l’a expliqué Marie DRY, le projet Women Business and the Law a publié des rapports et des données depuis 2009 afin d’éclairer l’étude de l’égalité des sexes grâce à des repères objectifs, qui permettent de comparer les différents pays entre eux et d’ouvrir des débats politiques sur l’amélioration des opportunités économiques des femmes.201

À cette fin, Women, Business and the Law a développé huit indicateurs permettant d’évaluer entre 0 et 100 les opportunités que chacune des 190 économies mondiales offre aux femmes dans le secteur économique.202 Le score de chaque indicateur est ensuite pris en compte pour appliquer une note finale au pays, entre 0 et 100 toujours, s’agissant de l’égalité entre femmes et hommes dans le monde des affaires.203 L’un de ces indicateurs est, sans surprise, celui de la réglementation applicable en matière de parentalité, étant donné qu’il s’agit d’un facteur ayant un impact important en matière d’indépendance et de développement économique des femmes.204 Cinq questions sont donc examinées dans ce contexte : existe-t-il un congé maternité payé d’au moins 14 semaines ? Le gouvernement gère-t-il 100 % des prestations de congé de maternité ? Existe-t-il un congé paternité payé ? Existe-t-il un congé parental payé ? Le licenciement des travailleuses enceintes est-il interdit ?

Dans le cadre de notre étude, nous nous focaliserons sur les questions du congé paternité et du congé parental afin de comparer le score obtenu par la Suisse avec celui de ses voisins.

5.2. Réglementation applicable dans nos pays voisins 5.2.1. Cadre juridique

Les pays limitrophes de la Suisse – l’Allemagne, l’Autriche, la France et l’Italie – doivent tout d’abord se conformer à leurs obligations européennes. L’Union Européenne ayant adopté la Directive (UE) 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants

199 COMMISSIONS DU DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DE LINTÉRIEUR/OFFICE FÉDÉRAL DES ASSURANCES SOCIALES,p.1 ;TRAVAIL.SUISSE, Le congé paternité, p. 1.

200 Cf. infra D, p. 44; WOMEN BUSINESS AND THE LAW, p. 1.

201 Cf. infra D, p. 44 ; WOMEN BUSINESS AND THE LAW, p. 1.

202 Cf. infra D, p. 44.

203 Cf. infra D, p. 44.

204 Cf. infra D, p. 46.

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(Directive UE),205 le congé paternité et parental est désormais obligatoire dans tous les États membres de l’Union.

Ainsi, la Directive UE reconnaît dans son préambule la nécessité d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée tant pour améliorer l’égalité des sexes que de combattre le vieillissement démographique. Elle prévoit donc à son art. 4 al. 1 un congé paternité de 10 jours ouvrables à la naissance de l’enfant, les États membres demeurant libres de déterminer si le congé doit être pris en bloc ou de manière flexible. Ce congé n’est de plus subordonné à aucune exigence d’ancienneté et est totalement indépendant de la situation maritale ou familiale du travailleur (art. 4 al. 2 et 3 Directive UE).

En outre, la Directive UE prévoit que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que chaque travailleur ait un droit individuel à un congé parental de quatre mois, à prendre avant que l’enfant n’atteigne un âge déterminé pouvant aller jusqu’à huit ans » (art. 5 al. 1 Directive UE). De ces 4 mois, 2 mois sont intransférables (art. 5 al. 2 Directive UE). Les États membres sont cependant libres prévoir une condition d’ancienneté allant jusqu’à un an maximum (art. 5 al. 3 Directive UE).

S’agissant de la rémunération, elle est prévue à l’art. 8 de la Directive UE. Ainsi, le congé paternité doit être rémunéré à hauteur minimale de ce que « le travailleur concerné recevrait en cas d’interruption de ses activités en raison de son état de santé, dans la limite d’un éventuel plafond fixé par la législation nationale » (art. 8 al. 2 Directive UE).

S’agissant du congé parental, les Etat membres sont plus libres : la rémunération « est définie par l’État membre ou les partenaires sociaux et elle est fixée de manière à faciliter la prise du congé parental par les deux parents » (art. 8 al. 3 Directive UE).

L’Allemagne, l’Autriche, la France et l’Italie ont donc pour obligation d’implémenter la Directive UE dans les trois années qui suivent sa publication dans le Journal Officiel.206 L’Allemagne prévoit ainsi un congé parental, et non un congé paternité au sens strict. Les deux parents ont droit à un congé individuel et intransférable de 24 mois chacun qui doit être pris dans les huit ans qui suivent la naissance de l’enfant.207 Si chacun des parents prend 2 mois de congé au moins, 14 mois du congé parental seront rémunérés au total, tandis que si l’un d’entre eux prend moins de 2 mois, seuls 12 mois du congé seront rémunérés.208 Les pères sont donc fortement incités à prendre 2 mois de congé. De plus, la rémunération peut être perçue sous forme de pourcentage du salaire pendant une période de 14 mois environ ou sous forme d’indemnité pendant 24 mois.209

Dans la première hypothèse, la rémunération n’est en principe perçue que durant les 14 premiers mois et s’élève à un montant entre 65 et 67% du revenu avant la prise de congé (au minimum € 300 et au maximum € 1800 par mois).210 Dans la seconde, les parents

205 Journal Officiel L 118 p. 79.

206 DE GIROLAMO, p. 1.

207 REIMER/ERLER/SCHOBER/BLUM, in 15th International Review of Leave Policies, p. 225.

208 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3843 ; REIMER/ERLER/SCHOBER/BLUM, in 15th International Review of Leave Policies, p. 226.

209 REIMER/ERLER/SCHOBER/BLUM, in 15th International Review of Leave Policies, p. 226.

210 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3843.

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touchent une rémunération mensuelle comprise entre € 150 et € 900 en fonction de leur salaire antérieur, et ce pendant 24 mois, auxquels s’ajoutent 4 mois de bonus si les deux parents travaillent à temps partiel pendant plus de 4 mois consécutifs en parallèle (entre 25 et 30h par semaine).211 De plus, les parents peuvent prendre congé simultanément s’ils le souhaitent.212

L’Allemagne ne prévoit pas de congé paternité, estimant qu’elle remplit ses obligations imposées par la Directive UE du fait que les pères peuvent déjà, grâce au congé parental, prendre 10 jours de congé payé, ce qui équivaut aux prescriptions européennes en matière de congé paternité (art. 4 Directive UE).213

L’Autriche, quant à elle, prévoit expressément un congé paternité. Ainsi, les pères peuvent prendre entre 28 (minimum) et 31 jours ouvrés (maximum) de congé paternité (soit 13 semaines), pour autant que l’enfant soit né après le 1er mars 2017.214 Le congé doit être pris en un bloc et les pères bénéficient d’une allocation de € 22.60 par jour calendaire.215 L’Autriche prévoit également un congé parental, aux termes duquel les deux parents ont droit à 24 mois de congé au total devant être pris dans les deux ans qui suivent la naissance de l’enfant.216

S’agissant des indemnités, depuis le 1er mars 2017 les parents peuvent choisir entre une rémunération sous forme de forfait ou de pourcentage du salaire.217 Si les parents optent pour un forfait, ils disposent de € 12’366 si un seul parent prend congé ou de € 15'499 si les deux parents prennent congé et doivent se répartir le montant sur la période de congé qu’ils souhaitent prendre.218 Le nombre maximum de jours de congé varie selon qu’un seul ou deux des parents prennent congé : dans la première hypothèse, le parent seul peut prendre entre 365 et 851 jours de congé, et dans la seconde, les parents se partagent entre 456 et 1063 jours, dont 20% sont intransférables.219

Si, en revanche, les parents choisissent une rémunération fondée sur le salaire antérieur, celle-ci s’élève à 80% du salaire perçu durant les six mois précédents, pour un maximum de € 2'000 par mois durant 365 jours maximum si un seul parent fait usage du congé parental et pendant 426 jours si les deux parents se partagent le congé.220 Enfin, lorsque les parents se partagent le congé, ils ne peuvent pas l’exercer en même temps, sauf pendant 1 mois lorsqu’ils s’alternent pour la première fois, étant précisé que le congé est à prendre par tranches de 2 mois minimum et que les parents ne peuvent s’alterner que trois fois sur toute la durée du congé.221

211 REIMER/ERLER/SCHOBER/BLUM, in 15th International Review of Leave Policies, p. 226.

212 REIMER/ERLER/SCHOBER/BLUM, in 15th International Review of Leave Policies, p. 227.

213 REIMER/ERLER/SCHOBER/BLUM, in 15th International Review of Leave Policies, p. 225.

214 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3843 ; SCHMIDT/SCHMIDT, in 15th International Review of Leave Policies, p. 74.

215 SCHMIDT/SCHMIDT, in 15th International Review of Leave Policies, p. 74.

216 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3843.

217 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3843.

218 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3843 ; SCHMIDT/SCHMIDT, in 15th International Review of Leave Policies, p. 73.

219 SCHMIDT/SCHMIDT, in 15th International Review of Leave Policies, p. 74.

220 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3843 ; SCHMIDT/SCHMIDT, in 15th International Review of Leave Policies, p. 74.

221 SCHMIDT/SCHMIDT, in 15th International Review of Leave Policies, p. 74-75.

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La France met également en place à la fois un congé paternité et parental. Elle a ainsi instauré un congé paternité de 2 semaines, soit 11 jours ouvrés rémunérés à 100%

jusqu’au montant maximum de € 3'311 par mois dans le secteur privé, et sans plafond dans le secteur public.222 Le congé doit être pris dans les quatre mois qui suivent la naissance.223 Le congé parental octroyé aux parents s’élève à 36 mois chacun à prendre dans les trois ans qui suivent à la naissance de l’enfant et qui est rémunéré par forfait mensuel variant entre € 146 et € 641 (en fonction du taux d’activité exercé en parallèle) versé pendant 24 mois en principe.224 Les parents peuvent prendre leur congé simultanément.225

Enfin, les pères italiens bénéficient de 5 jours de congé paternité pour lesquels ils touchent la totalité de leur revenu actuel, sans limite supérieure.226 L’Italie devra donc encore se conformer aux obligations de l’art. 4 Directive UE et étendre son congé à 10 jours. De plus, l’Italie prévoit un congé parental sous forme d’un droit individuel et intransférable de 6 mois par parent.227 Le total de congé pris par les deux parents ne doit toutefois pas dépasser plus de 10 mois.228 Le congé est rémunéré à hauteur de 30% du salaire si l’enfant a moins de six ans et est impayé si l’enfant a entre six et douze ans.229

5.2.2. Score de la Banque Mondiale230

Après avoir exposé les différentes réglementations applicables dans les pays limitrophes de la Suisse, il est intéressant de se pencher sur les scores que la Banque Mondiale leur attribue d’un point de vue de l’indicateur de la parentalité d’une part, et de l’égalité des sexes en général d’autre part.

Ainsi, La France obtient le meilleur score, en obtenant 100 points pour l’indicateur de parentalité et 100 points pour l’égalité en général. Vient ensuite l’Italie, avec 100 points également pour la parentalité et 97.5 points pour l’égalité en général, suivie de l’Allemagne qui obtient 80 points pour la parentalité mais 97.5 également pour l’égalité.

Ensuite, l’Autriche suit de près en obtenant également 80 points pour la parentalité et 94.4 points pour l’égalité.

La Suisse, en revanche, est loin derrière, atteignant un score de 60 points pour la parentalité et de 85.6 points pour l’égalité, soit plus ou moins l’équivalent de ce

222 BOYER/FAGANI, in 15th International Review of Leave Policies, p. 216.

223 BOYER/FAGANI, in 15th International Review of Leave Policies, p. 216.

224 BOYER/FAGANI, in 15th International Review of Leave Policies, p. 217 ;CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3844.

225 BOYER/FAGANI, in 15th International Review of Leave Policies, p. 217.

226 ADDABBO/CARDINALI/GIOVANNINI/MAZZUCCHELLI, in 15th International Review of Leave Policies, p.

280.

227 ADDABBO/CARDINALI/GIOVANNINI/MAZZUCCHELLI, in 15th International Review of Leave Policies, p.

281; CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3844.

228 ADDABBO/CARDINALI/GIOVANNINI/MAZZUCCHELLI, in 15th International Review of Leave Policies, p.

281; CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3844.

229 ADDABBO/CARDINALI/GIOVANNINI/MAZZUCCHELLI, in 15th International Review of Leave Policies, p.

281; CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3844.

230 Tous les chiffres exposés ci-dessous sont tirés des tableaux Excel publiés par la Banque Mondiale, voir : WOMEN BUSINESS AND THE LAW,Sheet 2 – WBL2020.

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qu’obtiennent, en matière d’égalité, la Bosnie Herzégovine, la Géorgie, la Macédoine du Nord, ou encore le Venezuela. En effet, la Suisse perd beaucoup en matière de promotion de l’égalité des sexes en raison de son mauvais score dans l’indicateur de parentalité, étant donné qu’elle ne prévoit ni congé paternité ni congé parental. Comme le souligne d’ailleurs le Conseil fédéral, la Suisse est le seul pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui agit de la sorte.231

D’ailleurs, Marie DRY a souligné à plusieurs reprises qu’un score de 60 est très bas et surprenant pour un pays comme la Suisse, car s’il est vrai que la Banque Mondiale n’attribue des points qu’aux États qui prennent en charge les coûts des congés maternité, paternité et parental, ce qui explique parfois de mauvais scores en parentalité parmi des États dont les ressources financières sont restreintes, la Suisse est un pays riche et il est peu crédible qu’elle ne puisse pas instaurer un congé paternité ou parental, en comparaison internationale.232

5.3. Synthèse et analyse critique

Au vu de ce qui précède, la Suisse est bien la lanterne rouge parmi ses voisins en matière de congé paternité et parental : elle ne prévoit ni l’un ni l’autre, ce qui ressort également du score obtenu parmi l’indexation de la Banque Mondiale. Toutefois, il faut relativiser les scores de la Banque Mondiale étant donné qu’ils ne reflètent que le contenu de la loi adoptée dans les différents pays et non sa mise en œuvre effective qui est pourtant centrale pour déterminer si un ordre juridique garantit l’égalité des sexes ou non.233 De plus, les lois communales et cantonales, parfois plus généreuses dans certains secteurs, ne sont pas prises en compte.

Néanmoins, non seulement nous avons pu constater que la Suisse est véritablement une exception dans sa zone géographique en ne soutenant ni ses familles, ni le bien des enfants, ni l’implication des jeunes pères dans leur éducation par l’adoption de congés pour les hommes, mais des données contenant des critères objectifs nous confirment que la Suisse est bel et bien en retard sur la question en comparaison aux pays qui l’entourent.