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LES INITIATIVES DES INSTITUTIONS SUISSES ET DANS LE SECTEUR PRIVÉ . 23

Comme le soulignent le Conseil fédéral ainsi que Roland BÜCHEL, conseiller national de l’Union Démocratique du Centre saint-gallois s’opposant au congé paternité, chaque employé pourrait négocier un congé paternité avec l’employeur ou sciemment rechercher des entreprises qui l’ont mis en place.162 Il s’agit dès lors d’analyser si le marché du travail offre une telle possibilité aux travailleurs.

4.1. Les initiatives dans le secteur public

4.1.1 Le congé paternité en faveur du personnel de la Confédération

Le 31 août 2011, le Conseil fédéral a publié un Message concernant la modification de la Loi du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération (LPers)163 afin de permettre à la Confédération, en sa qualité d’employeur, de « réagir plus rapidement aux changements » et de disposer « d’un droit du travail moderne et compétitif ».164 Ainsi, le Message a proposé de modifier l’art. 17 LPers afin d’y prévoir une base légale expresse selon laquelle le Conseil fédéral peut, en matière de personnel de la Confédération, réglementer la question du congé dit « parental », c’est-à-dire le congé maternité, le congé de paternité ainsi que le congé en cas d’adoption.165

En effet, à teneur du droit en vigueur en 2011, l’Ordonnance du 6 décembre 2001 du Département fédéral des finances (DFF) concernant l’ordonnance sur le personnel de la

160 Cf. infra 5.

161 PERRENOUD, Durées du travail, p. 657.

162 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3838 ; Débat entre Lucie ROCHAT et Roland BÜCHEL : [https://www.rts.ch/info/suisse/10849684-referendum-lance-contre-le-conge-paternite-federal-juge-trop-couteux.html] (28.03.2020).

163 RS 172.220.1.

164 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant une modification de la loi sur le personnel de la Confédération, FF 2011 6171, 6172.

165 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant une modification de la loi sur le personnel de la Confédération, FF 2011 6171, 6185.

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Confédération (O-OPers)166 ne prévoyait qu’un congé paternité de 5 jours sans toutefois se fonder sur une base légale spécifique (art. 40 al. 3 let. b aO-OPers).167

Ainsi, le 31 mai 2013, le DFF a modifié l’art. 40 al. 3 let. b O-OPers en prévoyant que les employés bénéficieraient d’un congé paternité de « 10 jours de travail à prendre, en bloc ou séparément, durant les 12 mois après la naissance d’un ou de plusieurs enfants […] ».168 Cette disposition est entrée en vigueur le 1er juillet 2013 mais a été modifiée le 26 novembre 2013 afin de l’appliquer également en cas de naissance de l’enfant du partenaire enregistré (art. 40 al. 3 let. b O-OPers actuel).169 Cette modification est entrée en vigueur le 1er janvier 2014.170

Actuellement, les employés de la Confédération sont donc mieux lotis que les employés soumis au régime de l’art. 329 CO. La Confédération s’est en effet dotée d’un congé paternité afin d’être un employeur plus moderne, comme le reconnaît Conseil fédéral, et donc plus compétitif. Ce sont donc des considérations économiques qui ont motivé la décision d’instaurer un congé paternité, sans qu’aucun argument lié au bien de l’enfant ou à l’égalité des sexes ne soit formulé.

4.1.2. Le congé paternité en faveur du personnel des institutions cantonales Tous les cantons ont adopté une réglementation s’agissant du congé paternité accordé à leur personnel en cas de naissance d’un enfant.171 Néanmoins, ces réglementations varient beaucoup. Le canton d’Obwald est le moins généreux et ne prévoit un congé payé que de 1 jour, limitant ainsi une éventuelle application de l’art. 329 al. 3 CO permettant d’octroyer, dans certaines circonstances, un congé de 2 jours.172 Vient ensuite le canton de Soleure, qui n’octroie que 2 jours de congé payé, suivi de Schwytz et de l’Argovie, qui prévoient 3 jours.173 Les cantons de Glaris, Appenzell Rhodes-Intérieures, les Grisons, Zurich, Lucerne, Uri, Nidwald, Zoug, Fribourg, Bâle Campagne, Schaffhouse, Saint-Gall, Vaud, Appenzell Rhodes-Extérieures et la Thurgovie, c’est-à-dire la majorité des cantons suisses, prévoient quant à eux un congé payé de 5 jours.174

Il convient de souligner que, depuis 2016, les cantons d’Appenzell Rhodes-Extérieures et Rhodes-Intérieures, Glaris et la Thurgovie ont augmenté leur congé de 2 à 5 jours, tandis que Nidwald l’a augmenté à 5 jours également, alors que ce canton ne prévoyait qu’un

166 RS 172.220.111.31.

167 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant une modification de la loi sur le personnel de la Confédération, FF 2011 6171, 6185.

168 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3826-3830 ; DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES FINANCES, Ordonnance du DFF concernant l’ordonnance sur le personnel de la Confédération (O-OPers), Modification du 31 mai 2013, RO 2013 1605, 1609.

169 DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES FINANCES, Ordonnance du DFF concernant l’ordonnance sur le personnel de la Confédération (O-OPers), Modification du 26 novembre 2013, RO 2013 4401, 4401.

170 DÉPARTEMENT FÉDÉRAL DES FINANCES, Ordonnance du DFF concernant l’ordonnance sur le personnel de la Confédération (O-OPers), Modification du 26 novembre 2013, RO 2013 4401, 4402.

171 Cf. infra B Tableau 1, p. 36 ; PÄRLI, p. 948.

172 Cf. infra B Tableau 1, p. 36 ; PÄRLI, p. 949.

173 Cf. infra B Tableau 1, p. 36 ; PÄRLI, p. 948, p. 950.

174 Cf. infra B Tableau 1, p. 36.

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congé de 1 jour en 2016.175 Il y a donc une évolution, au cours des quatre dernières années, vers un congé plus généreux et dépassant la réglementation du CO dans ces cantons.

De plus, les cantons de Berne, de Bâle Ville, de Genève, du Valais, du Tessin et du Jura prévoient un congé payé de 10 jours, soit l’équivalent de la proposition du Contre-Projet.176

Ainsi, dans les administrations cantonales, un congé de 5 à 10 jours est la norme. Le seul canton prévoyant un congé paternité de 20 jours, correspondant au projet de l’Initiative, est le canton de Neuchâtel.177

En résumé, seuls deux des vingt-six cantons ne prévoient pas de congé plus avantageux que la solution prévue par le CO, ce qui dénote un certain changement de mentalité. Les réglementations diffèrent néanmoins beaucoup d’un canton à l’autre, si bien que la conciliation entre vie familiale et professionnelle ne sera pas facilitée de la même manière pour tous les pères. Il semble également peu plausible qu’un fonctionnaire cantonal déplace son centre de vie et déménage d’un canton à l’autre afin de bénéficier d’un meilleur traitement en matière de congé paternité. Le système actuel, permettant à chaque administration cantonale de régler la question pour autant qu’elle respecte le congé minimal d’1 ou 2 jours tel que prévu par le CO est donc source d’inégalité pour les employés dans les institutions cantonales suisses. Un plancher d’au moins 10 jours comme celui pour lequel la Confédération a opté permettrait de garantir un standard plus

« moderne » pour reprendre les termes du Conseil fédéral.178

4.1.3. Le congé paternité en faveur du personnel des institutions communales Les communes disposent également d’une marge de manœuvre pour régler le congé paternité de leur personnel. Celles qui font usage de cette possibilité sont en général généreuses, surtout lorsqu’il s’agit de grandes villes. Ainsi, comme le montrent les statistiques de Travail.Suisse, les villes de Zurich, Bâle, Delémont, Thoune, Köniz, Fribourg, Sion, Zoug et Soleure ainsi que les commues de Vernier et de Lancy prévoient un congé paternité payé de 10 jours, allant ainsi au-delà, pour certaines, de ce que les cantons dans lesquels elles se trouvent prévoient pour leurs propres employés.179

De plus, les villes de Genève, Berne, Lucerne, Neuchâtel, Lausanne, Bienne, Bellinzone, Saint-Gall et Aarau ont adopté un congé paternité de 20 jours, prévoyant ainsi d’elles-mêmes le congé que le comité d’initiative préconisait.180 Ainsi, comme le souligne Travail.Suisse, on constate parmi les grandes villes – qui constituent donc des communes – que l’adoption du congé paternité suit une courbe ascendante.181 S’il faut donc certes se

175 Cf. infra B Tableau 1, p. 36 ; PÄRLI, p. 948ss.

176 ASSEMBLÉE FÉDÉRALE, Loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité – Modification du 27 septembre 2019, FF 2019 6501, 6501 ; PÄRLI, p. 948ss ; Cf. infra B Tableau 1, p. 36.

177 Cf. infra B Tableau 1, p. 36.

178 CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant une modification de la loi sur le personnel de la Confédération, FF 2011 6171, 6172.

179 Cf. infra B Tableau 1, p. 36.

180 Cf. infra B Tableau 1, p. 36.

181 Cf. infra B Tableau 2, p. 3638 ;TRAVAIL.SUISSE, Factsheet, p. 4.

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réjouir de ce constat, nombreuses sont encore les communes qui prévoient soit des congés paternités bien inférieurs, soit qui ne contiennent aucune réglementation sur ce point. Les employés communaux dans les grandes villes bénéficient donc de conditions de travail plus modernes, mais il est regrettable que ce ne soit pas le cas sur tout le territoire suisse.

4.2. Le congé paternité dans le secteur privé

4.2.1. Le congé paternité dans les CCT

Selon l’art. 356 al. 1 CO, « par la convention collective, des employeurs ou associations d’employeurs, d’une part, et des associations de travailleurs, d’autre part, [peuvent établir] en commun des clauses sur la conclusion, l’objet et la fin des contrats individuels de travail entre employeurs et travailleurs intéressés ». Les CCT ainsi conclues ont un effet « quasi législatif » envers les employeurs et les travailleurs (art. 356 al. 1 et 2 CO et art. 357 CO).182 En effet, les dispositions négociées et inclues dans les CCT sont ensuite partie intégrante du contrat individuel de travail de tous les travailleurs auxquels la CCT s’applique.183

Selon l’Office fédéral de la statistique, il y avait, en 2018, 581 CCT en Suisse applicables au total à 2'115'300 travailleurs.184 Les CCT sont donc une réalité touchant une part importante de la population en Suisse, dont les conditions en matière de congé paternité ont un réel impact d’un point de vue quantitatif.

Selon le comité d’initiative, plus de la moitié des jeunes pères soumis à une CCT ne bénéficient que d’un congé entre 1 et 3 jours à la naissance de leur enfant.185 En effet, Travail.Suisse a étudié 46 CCT couvrant 75-80% des employés bénéficiant d’une CCT et a démontré que seules sept prévoient un congé paternité de plus de 5 jours.186 Ainsi, plus de la moitié des salariés soumis aux CCT étudiées bénéficient d’un congé inférieur à 5 jours, tandis que les CCT plus généreuses ne touchent que 12% des travailleurs qui y sont soumis.187 De plus, lorsque le Conseil fédéral avait, en 2013, analysé 132 CCT en réponse au postulat FETZ, seules 35 CCT prévoyaient un congé en faveur du père à la naissance d’un enfant.188

Ainsi, la majorité des travailleurs soumis à une CCT en Suisse ne bénéficient pas de congé paternité et ne peuvent donc pas s’approprier un rôle actif dans l’éducation de leur enfant à l’heure actuelle.189 En effet, les solutions prévues par certaines CCT ne touchent qu’une minorité des assujettis.

182 CR CO I–AUBERT, CO 356 N 1.

183 BSK OR I-PORTMANN/RUDOLPH, CO 356 N 1; WYLER /HEINZER, p. 821.

184 OFS, Conventions collectives de travail, p. 1.

185 SECRÉTARIAT DE LASSOCIATION «LE CONGÉ PATERNITÉ MAINTENANT !»,p. 4

186 Cf. infra B Tableau 3, p. 37 ; CONSEIL FÉDÉRAL, Message concernant l’initiative, FF 2018 3825, 3830.

187 Cf. infra B Tableau 4, p. 37 ; TRAVAIL.SUISSE, Factsheet, p. 2.

188 Rapport 2013, p. 81ss.

189 PÄRLI, p. 951-952.

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4.2.2. Le congé paternité au sein des entreprises privées

Au vu de la situation légale actuelle, plusieurs entreprises en Suisse prévoient des congés plus avantageux que les simples 2 jours prévus par l’art. 329 al. 3 CO. D’après un sondage effectué par des journalistes de la Radio Télévision Suisse ainsi que d’après les statistiques de Travail.Suisse, les grandes entreprises octroient entre 1 et 126 jours de congé rémunéré aux jeunes pères.190 La rémunération étant à charge de l’entreprise, il n’est pas surprenant que les grandes structures soient en mesure de proposer de tels congés. Néanmoins, même au sein de ces puissantes structures, les différences sont notables étant donné qu’Emmi ne propose que 1 jour de congé alors que Novartis en propose 90. De plus, comme le souligne Travail.Suisse, « la plupart des PME sont encore au minimum légal d’un jour ».191

Pourtant, le congé paternité représente un réel investissement pour les entreprises, qui permet de recruter des talents, de les fidéliser et de les garder grâce à une politique familiale respectueuse leur permettant de concilier vie professionnelle et familiale. C’est la position notamment de Nestlé, qui prévoit 4 semaines de congé paternité afin de soutenir les parents et de se rendre encore plus attractive sur le marché du travail.192 Son employeur, qui a augmenté son congé paternité de 2 à 8 semaines rémunérées à 100%, dont sept sont à prendre en bloc durant les 18 mois suivant la naissance ou l’adoption, estime également qu’il s’agit d’un investissement répondant aux attentes de la nouvelle génération, ce qui permet de mieux recruter et de fidéliser les bons éléments pour accroître la productivité globale de l’entreprise.193

À l’occasion de notre discussion avec Johan EGGER, il est en effet ressorti que pour la nouvelle génération, dite GenZ, qui englobe les jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans, l’argent est moins un critère pour sélectionner son employeur qu’il ne l’était auparavant : désormais, les jeunes talents recherchent des entreprises qui défendent des valeurs telles que l’égalité des sexes et le respect des employés.194 D’ailleurs, Johan EGGER estime que son employeur lui a prouvé se soucier véritablement de sa nouvelle famille et de son équilibre personnel en lui octroyant un congé paternité de 8 semaines, le motivant à rester au sein de l’entreprise et à travailler plus assidument encore que s’il avait reçu un bonus important.195 De plus, son exemple a été suivi par de nombreux futurs pères qui sont venus le consulter afin de lui demander conseil et de partager leurs expériences, ancrant ainsi petit-à-petit une pratique au sein de l’entreprise jusqu’à ce que prendre son congé paternité devienne, par la force de l’exemple, la règle et non l’exception.196

Néanmoins, malgré tous les avantages que peut engendrer le congé paternité, les PME et de nombreuses autres entreprises peinent à franchir le pas et à l’instaurer de leur propre initiative, car elles doivent être en mesure de prendre totalement en charge la

190 Cf. infra B Tableaux 5 et 6, p. 37-38.

191 TRAVAIL.SUISSE, Factsheet, p. 5.

192 COMMUNIQUÉ DE PRESSE NESTLÉ, p. 1.

193 KÜHN, p. 1.

194 Cf. infra C, p. 42.

195 Cf. infra C, p. 42.

196 Cf. infra C, p. 40.

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rémunération du congé. Très nombreux sont donc les travailleurs en Suisse qui ne bénéficient que du congé légal variant entre 1 et 2 jours.197

4.3. Synthèse et analyse critique

Le congé paternité est mis en place dans de nombreuses structures, qu’elles soient de droit public ou de droit privé. Il faut saluer ces initiatives, qui prouvent que l’instauration d’un congé, même long comme c’est le cas chez Novartis, est possible. De plus, il y a lieu d’espérer que, tout comme les autres futurs pères sont venus consulter Johan EGGER pour suivre son exemple, démocratisant ainsi la prise de congé paternité au sein de l’entreprise, le même effet se produira au niveau de la Suisse, grâce aux expériences positives des couples – encore trop peu nombreux hélas – qui ont eu la chance de bénéficier d’un congé de paternité et qui voteront en faveur de l’adoption d’une telle mesure au niveau étatique.

En effet, bien qu’il existe de nombreuses initiatives en matière de congé paternité, celles-ci demeurent fragmentaires et ne présentent aucune unité, de telle sorte qu’elles ne suffisent pas à couvrir la majorité des travailleurs, pourtant désireux, selon les sondages de Travail.Suisse, de bénéficier d’un congé paternité.198 De plus, force est de constater que ce sont surtout les structures financièrement puissantes et bien établies, tels que des cantons, des communes, la Confédération ou de grandes entreprises (que ce soit dans le cadre de CCT ou de contrats individuels de travail), qui peuvent se permettre d’investir à elles seules dans le congé paternité et de payer les salaires de leurs employés sans prestation de travail en retour. Une telle initiative peut sembler risquée pour une PME, tandis que le financement paritaire proposé dans l’Initiative et le Contre-Projet permettrait justement d’alléger la charge financière reposant sur les PME par rapport à la situation actuelle.

Le système en place, qui laisse le choix à chaque institution ou entreprise d’instaurer ou non un congé paternité est ainsi source d’inégalités tant entre les employés qu’entre les employeurs. En effet, les employés ne peuvent pas tous bénéficier d’un congé paternité tandis que les employeurs ne sont pas tous en mesure de financer seuls le congé, si bien qu’ils ne peuvent pas attirer une main d’œuvre aussi qualifiée que les grandes structures.

De plus, ces initiatives ne suffiront pas à provoquer, au niveau sociétal et global, un changement de mentalité et une amélioration tant du point de vue du bien de l’enfant que de l’égalité des sexes. Une intervention étatique est donc nécessaire.