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5.3 Modélisation mécanique du comportement de l’intra-pli du renfort Hi-

5.3.3 Perspective : description du comportement de flexion spécifique

Le comportement de flexion du renfort HiTape® caractérisé dans le chapitre 3 présente deux spécificités majeures : (i) il est fortement non-linéaire, tel que la rigidité de flexion diminue fortement avec la courbure, et (ii) la rigidité de flexion réelle est largement inférieure à celle prédite par la mécanique des milieux continus – cf. figure 3.14 p.68.

Nous nous sommes placés jusqu’ici dans le cadre de la mécanique des milieux dits « matériellement simples » (ou milieux de Cauchy) pour lesquels la connaissance de F (i.e. de u b ∇) et de son histoire suffisent pour déterminer l’état de contrainte via la loi d’état. Cependant, la description d’un comportement de flexion qui présente les spécificités (i) et (ii) introduites ci-avant, i.e. le fait qu’il ne soit pas directement lié au comportement de traction et qu’il puisse être modifié sans que le comportement de traction le soit, nécessite de sortir de ce cadre. En effet, la flexion est un mode de structure, i.e. lié aux dimensions : la déformation varie alors selon une dimension, par exemple selon E3 dans notre cas de flexion hors-plan autour de E2. Une solution pour

découpler tension et flexion est d’utiliser un milieu capable d’avoir des comportements dissociés : c’est le cas des milieux continus généralisés que nous introduisons dans le paragraphe suivant.

Introduction aux milieux continus généralisés

Il existe principalement deux types de milieux non matériellement simples dits « généralisés » qui permettent cette différenciation : d’une part les milieux d’« ordre supérieur » qui possèdent des degrés de liberté supplémentaires indépendants du dé- placement u, par exemple des micro-rotations ; et d’autre part les milieux de « degré supérieur » pour lesquels la contrainte dépend des gradients du déplacement jusqu’à l’ordre n [123]. Ces milieux continus généralisés sont classiquement utilisés pour rendre compte des effets d’échelle, par exemple de la microstructure sur le comportement ma- croscopique. En cela, ils nous paraissent être une approche intéressante pour prendre en compte le comportement de flexion, qui est fortement influencé par les mobilités

entre les fibres. Le tableau 5.3 liste certains types de milieux continus généralisés.

Type Degrés Dépendance de la contrainte

de libertés

Milieu de Cauchy [124] u u b ∇

Milieu d’ordre supérieur u, ... u b ∇, ...

dont micromorphe [125] u, χ u b ∇, χ

dont de Cosserat [126] u, r u b ∇, r b ∇

Milieu de degré supérieur u u b ∇, u b ∇ b ∇, u b ∇ b ... b ∇

dont de 2nd gradient u u b ∇, u b ∇ b ∇

Tableau 5.3 – Classification des milieux continus généralisés et quelques exemples d’après [123, 127].

Nous nous proposons de développer succinctement ci-après trois approches pos- sibles pour décrire le comportement de flexion spécifique de notre matériau dans la modélisation mécanique. Ces trois approches sont présentées dans le cadre de l’hypo- thèse des petites perturbations. Une étude plus approfondie pourrait être entreprise dans le cadre de travaux ultérieurs.

Quelques approches possibles

Approche n°1 : via un milieu de degré supérieur de type second gradient Pour un milieu

de second gradient, une seconde mesure de déformation K liée au second gradient du déplacement est ajoutée ; ainsi que sa contrainte conjuguée S et une loi de com- portement qui les relie. Le comportement peut être décrit par un unique potentiel. L’équation d’équilibre est modifiée pour prendre en compte l’effet du second gradient comme présenté dans le tableau 5.4. Ce type de milieu peut être vu comme un cas particulier des milieux micromorphes (voir tableau 5.3) obtenu en posant les degrés de liberté supplémentaires χ du milieu micromorphe tels que χ “ u b ∇.

Mesures de déformation ε “ 1

2 `u b ∇ ` pu b ∇qT ˘ K “ ε b ∇

Équation d’équilibre pσ ´ S ¨ ∇q ¨ ∇ ` fv “ 0

Tableau 5.4 – Équations d’équilibre et mesures de déformation pour un milieu de second gradient [98].

Spencer & Soldatos [128] ont entrepris l’utilisation de cette théorie pour décrire la contribution de la flexion dans un milieu isotrope transverse constitué de fibres ;

5.3 Modélisation mécanique du comportement de l’intra-pli du renfort HiTape® 111

ce travail a été poursuivi par d’autres [129, 130]. Cette approche consiste à supposer l’existence d’un potentiel hyperélastique de second gradient, i.e. dépendant à la fois du premier et du second gradient du déplacement, ou autrement dit du tenseur des dilatations de Cauchy-Green droit que nous avons déjà introduit et de son gradient. Plus particulièrement pour les milieux fibreux, on fait l’hypothèse plus restrictive que le terme de second gradient ne dépend que du gradient du vecteur porteur de la direction des fibres dans la configuration courante (noté G) projeté sur la direction des fibres ramenée dans la configuration initiale (noté κ0), i.e. :

κ0 “ FT¨ G ¨ M ; G “ pF ¨ M q b ∇ “ M ¨ pFTb ∇q ` F ¨ pM b ∇q . (5.61)

Faisant appel à la théorie des invariants introduite dans la partie 5.2.4 (p.100), la forme suivante est alors proposée pour le potentiel hyperélastique WII du milieu de second

gradient : WII ´ C, M , ∇pCq ¯ “ WII`C, M, G˘ “ WII`C, M, κ0 ˘ “ WIIpI1, I2, ..., I11q (5.62) où les I1Ñ5 ont été définis dans (5.42), et où les I6Ñ11 (détaillés dans la référence

[128]) sont construits de façon similaire comme des fonctions isotropes de `C, M, κ0

˘ . S’intéressant plus particulièrement au comportement de flexion hors-plan des renforts secs, des travaux [131–134] proposent de supposer découplées les contributions du premier gradient et du second gradient. En sélectionnant uniquement la contribution correspondant à celle de la flexion hors-plan des fibres, caractérisée par l’évolution de l’angle entre la direction initiale des fibres et celle de l’épaisseur du renfort i.e. If lex “ pE3¨ C ¨ E1q,1 “ C31,1 (en notant ,i la dérivée BXBi), le potentiel hyperélastique

devient finalement :

WIIpI1, I2, ..., I11q “ W pI1Ñ5q ` WpIIqpIf lexq (5.63)

où W pI1Ñ5q correspond au potentiel hyperélastique établi précédemment (5.50).

Afin de caractériser le comportement de notre renfort, il reste à définir la forme de WpIIqpIf lexq.

Pour utiliser ce type de modèle pour décrire le comportement de notre renfort, l’étape suivante consisterait à relier ce modèle mécanique aux résultats expérimentaux que nous avons présentés dans le chapitre 3. Cependant, l’invariant If lexne s’exprimant

pas directement en fonction de la courbure mesurée expérimentalement, une méthode inverse peut être utilisée pour déterminer les paramètres matériaux [131,132].

Approche n°2 : via un milieu d’ordre supérieur de type Cosserat Dans un milieu de Cosse-

rat (parfois aussi appelé milieu « micropolaire »), la cinématique est enrichie à l’aide d’un vecteur de micro-rotation r. Les mesures de déformations (qui ne sont plus symé- triques) sont donc redéfinies à partir de l’ensemble des degrés de liberté : apparaissent une déformation relative εR et une déformation de courbure κ. Elles sont conjuguées respectivement au tenseur des contraintes de Cauchy σ et de moment M. Le tableau 5.5 synthétise les équations importantes du problème mécanique pour la théorie des

milieux de Cosserat (avec c un champ de couple). Ce type de milieu peut être vu comme un cas particulier des milieux micromorphes obtenu en posant χ “ ´ ¨ r où  est le tenseur de permutation d’ordre 3 de Levi-Civita.

Mesures de déformation εR“ u b ∇ `  ¨ r κ “ r b ∇ Équations d’équilibre σ ¨ ∇ ` fv “ 0

M ¨ ∇ ´  ¨ σ ` c “ 0

Tableau 5.5 – Équations d’équilibre et mesures de déformation pour un milieu de Cosserat [98].

Pour utiliser ce type de modèle pour modéliser le comportement souhaité, certains auteurs [127, 132] contraignent de plus le milieu de Cosserat pour que le vecteur des micro-rotations r décrive la rotation matérielle via la partie antisymétrique du gradient du déplacement, c’est-à-dire que :

r “ 1 2 `u b ∇ ´ pu b ∇q T˘ “ 1 2∇ ^ u “ 1 2 ¨ ˝ u3,2´ u2,3 u1,3´ u3,1 u2,1´ u1,2 ˛ ‚. (5.64)

Cette contrainte peut être imposée par pénalité [127], ou bien à l’aide de degrés de liberté supplémentaires correspondant à des multiplicateurs de Lagrange [132].

On rappelle que les essais de flexion longitudinale hors-plan réalisés correspondent à une rotation de la direction des fibres (initialement selon E1) autour de l’axe E2.

Dans le cas particulier de notre étude, la seule composante non nulle du vecteur ro- tation serait donc r2. Par conséquent κ21 “ r2,1 serait la seule composante non nulle

de κ ; elle serait à comparer à la courbure expérimentale mesurée dans le chapitre 3, prise au niveau du feuillet moyen de la structure par exemple.

Approche n°3 : via un milieu couple de contraintes Ce type de milieu à couple de contraintes

est un cas limite des deux approches précédentes. D’une part, il est obtenu en prenant un milieu de second gradient et en restreignant χ à la partie anti-symétrique du gra- dient du déplacement plutôt qu’au gradient du déplacement lui-même. D’autre part, il correspond également un milieu de Cosserat contraint par la condition (5.64) intro- duite ci-avant, i.e. telle que la micro-rotation et la rotation matérielle soient égales. Plus généralement, un milieu couple de contraintes est un milieu micromorphe avec de plus χ “ 1

2 `u b ∇ ´ pu b ∇qT

˘ .

5.4 Modélisation mécanique du comportement de l’interface entre les plis du HiTape® 113

L’intérêt de cette approche par rapport à un milieu de Cosserat et un milieu de second gradient réside dans la définition des grandeurs manipulées. En effet, la cinéma- tique ne décrit plus de déformations relatives mais permet de prendre en compte toute la déformation via des déformations et contraintes standards, ainsi que des courbures et micro-couples, tous des tenseurs du second ordre.

Conclusion

Conscients des limites de l’utilisation des milieux matériellement simples de Cauchy pour la description du comportement de flexion spécifique des renforts fibreux, nous avons présenté succinctement trois approches de modélisation mécanique qui pour- raient permettre de décrire le comportement de flexion spécifique de notre matériau. Avant de faire un choix, ces approches doivent être développées, et le lien avec l’ex- ploitation des résultats expérimentaux reste à préciser. Une difficulté envisagée liée à l’utilisation d’un milieu de Cosserat ou de second gradient est la gestion des conditions aux limites (statiques en particulier), à la fois en termes de mise en œuvre et de choix (sens physique). La sélection d’une stratégie appropriée dépendra également du cadre éléments finis proposé pour la résolution du problème, et nous verrons dans le chapitre 6 que dans ce cadre, des approches complémentaires de type « superposition » d’élé- ments peuvent également être considérées.

5.4

Modélisation mécanique du comportement de l’interface entre

les plis du renfort HiTape®

La partie précédente 5.3 a permis d’établir une loi de comportement pour le milieu intra-pli du renfort HiTape®, i.e. pour un pli unitaire. Lorsqu’on considère un empi- lement, il faut de plus décrire le comportement de l’interface entre les plis. On rappelle que le chapitre 4 a permis de caractériser le comportement de frottement inter-plis et de mettre en évidence le rôle non négligeable de l’adhésion/décohésion entre les plis même si nous ne l’avons pas caractérisé. Nous cherchons donc à modéliser le com- portement d’un empilement de renforts lors de sa mise en forme, tel que (i) les plis sont initialement en contact, (ii) au cours de la mise en forme du glissement inter-pli intervient au niveau de l’interface, (iii) ce glissement se traduit par du frottement inter-plis, et (iv) le voile à l’état fondu crée une adhésion entre les plis.

Pour cela, nous commençons par inscrire dans un cadre rigoureux le comporte- ment de l’interface où interviennent deux phénomènes irréversibles : le frottement et l’adhésion/décohésion.

5.4.1

Retour sur le cadre thermodynamique en présence d’une interface et de