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Chapitre 1 Introduction générale

2. La personnalité : un déterminant du statut social ?

2.2. La personnalité chez l’animal

Le deuxième niveau est appelé le trait, et est défini comme la propension d’un individu à présenter un comportement similaire dans différentes situations et/ou contextes, et ce de manière stable au cours du temps. Par exemple, un individu peut présenter un comportement agressif en réponse à une menace d’un congénère, indépendamment de l’identité de l’agresseur, donc de manière systématique. On pourra alors parler du trait d’agressivité face à la menace. La condition de stabilité temporelle n’implique pas forcément que la personnalité d’un individu ne peut évoluer, mais plutôt que les différences de personnalité entre individus restent équivalentes au cours du temps (Réale et al. 2007).

Le dernier niveau est la dimension, qui regroupe plusieurs traits corrélés entre eux, décrivant ainsi un profil comportemental, encore appelé syndrome comportemental (Sih et

al. 2004). Par exemple, nous pouvons regrouper les traits d’agressivité face à la menace,

d’agression des congénères en dehors de situations de menace, et d’évitement des conflits sous la dimension Agressivité. Au sein d’une population ou d’une espèce, les différentes dimensions sont généralement indépendantes les unes des autres.

Un très grand nombre d’études portant sur la personnalité chez l’animal ont été réalisées et la distinction entre traits et dimensions de personnalité n’est pas toujours très claire. La structure des différents modèles exposés varie beaucoup d’une espèce à l’autre, et la section suivante s’intéresse aux principales dimensions généralement considérées chez l’animal.

2.2. La personnalité chez l’animal

2.2.1. Historique et champs d’application

Des études concernant la personnalité ont tout d’abord largement été menées chez l’être humain par des psychologues (Gosling 2001). Un modèle de personnalité aujourd’hui largement répandu est le modèle à cinq facteurs, encore appelé FFM (Five-Factor Model) ou

Big-Five, décrit par John (1990). Ce modèle comprend cinq grandes dimensions intitulées :

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1990, Costa & McCrae 1992, Gosling & John 1999). Des exemples de traits composant ces dimensions sont présentés dans le tableau I.1.

Tableau I.1 : La composition des dimensions du modèle à cinq facteurs (d’après Gosling & John 1999).

Dimensions Exemples de traits

Névrosisme Anxiété, dépression, vulnérabilité au stress, humeur maussade

Agréabilité Confiance, coopération, manque d’agressivité, Extraversion Sociabilité, activité, émotions positives, assurance Ouverture d’esprit Intelligence, imagination, créativité, curiosité Caractère consciencieux Auto-discipline, respect, ordre,

Bien que largement décrite chez l’être humain, la personnalité n’est étudiée chez l’animal de manière approfondie que depuis le début des années 90. En effet, malgré les travaux pionniers de Stevenson-Hinde (Stevenson-Hinde et al. 1978, Stevenson-Hinde et al. 1980), les différences comportementales interindividuelles observées chez les animaux ont longtemps été considérées comme un bruit autour de la moyenne (Wilson 1998). Les scientifiques ont de plus été réticents à décrire la personnalité chez les animaux, domaine jugé comme étant très anthropomorphique (Gosling & John 1999). La discipline a cependant trouvé son essor dès 1990, et les publications relatives à la personnalité sont de plus en plus nombreuses. L’existence d’une personnalité a ainsi été démontrée dans des groupes phylogénétiques variés (Gosling 2001), incluant les mammifères (Gartner & Weiss 2013, Clarke & Boinski 1995, Freeman & Gosling 2010), les oiseaux (Groothuis & Carere 2005, Bokony et al. 2012, Evans et al. 2010), les poissons (Budaev & Zhuikov 1998, Dugatkin & Alfieri 2003), les arthropodes (Briffa et al. 2008, Watanabe et al. 2012) ou encore les céphalopodes (Mather & Anderson 1993).

Abordée à présent par un grand nombre de disciplines, l’étude de la personnalité trouve de nombreux champs d’application pratiques, allant de la compréhension de l’individualité permettant des améliorations en termes de bien-être, de relation homme-animal, d’apprentissage ou encore de production animale (Weiss et al. 2011, Morgan et al. 2000, Jones & Gosling 2005, Sutherland et al. 2012), à la biologie de la conservation, avec des méthodes de réintroduction plus adaptées (McDougall et al. 2006). D’un point de vue

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fondamental, de nombreuses études s’attachent à comprendre le lien existant entre ces différences interindividuelles et les performances de reproduction, de croissance et de survie, permettant ainsi de mettre en lumière la valeur adaptative de la personnalité (Réale

et al. 2010, Wolf & Weissing 2012). Enfin, des études effectuées chez les primates tentent de

comprendre comment l’évolution de la personnalité a pu dessiner les différentes dimensions observées chez les espèces, et notamment chez l’être humain (Gosling & Graybeal 2007, Morton et al. 2013).

2.2.2. Principales dimensions étudiées chez l’animal : le cas des primates

La multiplication des études dans le domaine a entrainé l’émergence d’un très grand nombre de termes servant de titres aux dimensions de personnalité étudiées (Réale et al. 2007, Briffa & Weiss 2010, Gartner & Weiss 2013). Ainsi, selon les études, une même dimension peut avoir différents noms, et un même terme peut décrire des dimensions très différentes. De plus, certaines études mélangent traits et dimensions sans réelle distinction. Enfin, la présence de dimensions spécifiques à certaines espèces ajoute à la confusion. Dans la présente section, une synthèse des dimensions classiquement utilisées dans les études chez les primates est illustrée. La structure la plus communément utilisée dans cet ordre est celle du modèle FFM à cinq dimensions, développé chez l’être humain (John 1990, Gosling & John 1999, Freeman & Gosling 2010). A ces cinq dimensions de personnalité s’ajoute la dimension de dominance, fréquemment retrouvée chez les primates (Freeman & Gosling 2010). Ces catégories présentent de nombreuses similarités avec les cinq dimensions de personnalité proposée par Réale et al. (2007) employées habituellement dans de nombreux autres taxons.

La première dimension est l’extraversion qui regroupe cinq traits principaux : la sociabilité, qui discrimine les individus sociables, i.e. qui passent beaucoup de temps à interagir avec leurs congénères à travers le toilettage social ou encore le jeu, et les individus solitaires qui préfèrent rester éloignés des autres ou qui ne cherchent pas à interagir avec leurs congénères (Capitanio 1999, Mondragon-Ceballos & Santillan-Doherty 1994) ; l’excitabilité qui est définie comme la sur-réaction à des changements ou des stimuli de l’environnement social et/ou physique de l’individu (Stevenson-Hinde & Zunz 1978, Buirski

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et al. 1978) ; l’indépendance qui est caractéristique d’individus décidant de leurs actions

sans tenir compte des autres membres du groupe (King & Figueredo 1997) ; le jeu dans un contexte non-social, qui est souvent associé aux plus jeunes individus du groupe (Stevenson-Hinde & Zunz 1978) ; et enfin l’activité qui représente l’ensemble des activités locomotrices et des mouvements entrainant une dépense énergétique élevée (Gold & Maple 1994, Dutton et al. 1997). Chez certaines espèces, le jeu et l’activité son considérés dans une dimension à part, appelée l’activité, qui ne covarie pas avec les autres traits relatifs à l’extraversion sociale (Bard & Gardner 1996, Gosling & John 1999). Cette dimension d’extraversion rassemble ainsi deux dimensions du modèle de Réale et al. (2007) que sont 1) l’activité hors situations risquées ou nouvelles, où l’on évalue un niveau général d’activité locomotrice de l’animal, qui peut être mesuré grâce à la distance journalière parcourue par l’animal, ou encore l’estimation de la dépense énergétique, et 2) la sociabilité qui se définit comme étant la propension d’un individu à entrer en interaction avec un ou des congénères, et/ou sa réaction face à la sollicitation d’un congénère, à l’exclusion des comportements agonistiques. L’activité est très importante pour la compréhension des stratégies d’adaptation, puisque les individus actifs sont par exemple plus efficaces dans la recherche de nourriture, de sites préférentiels ou de partenaires sexuels que les individus moins actifs, mais sont également plus exposés à la prédation et ont une dépense énergétique plus élevée. Cette balance entre coûts et bénéfices permet ainsi un équilibre en termes de survie et de reproduction entre les différents profils d’activité, et conduit à leur coexistence au sein d’un groupe ou d’une population (Wolf & Weissing 2012). La sociabilité se révèle également intéressante d’un point de vue écologique, car déterminante pour la capacité d’un individu à rester en cohésion avec son groupe, mais également pour évaluer sa dépendance vis-à-vis de ses congénères pour entamer une nouvelle activité (Wolf & Weissing 2012).

La deuxième dimension de personnalité étudiée est la névrose, définie par quatre principaux traits : la peur, définie comme des réactions de fuite ou d’évitement face à des situations stressantes et des menaces potentielles ou réelles (Buirski et al. 1978, Gold & Maple 1994) ; l’irritabilité qui se caractérise par une mauvaise humeur et des réactions négatives face à la provocation de congénères (Stevenson-Hinde et al. 1980, King & Figueredo 1997) ; l’impulsivité qui est définie par l’apparition de comportements spontanés et soudains, qui ne peuvent être anticipés (Buirski et al. 1973, Fairbanks 2001) ; et enfin

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l’anxiété qui caractérise les individus hésitants, indécis et erratiques (McGuire et al. 1994). Cette dimension se rapproche de celle de la réaction des individus face à des situations risquées présentes dans d’autres taxons (Réale et al. 2007). Un concept largement étudié dans ce contexte est le continuum timidité-témérité, mis en évidence chez de nombreuses espèces (Wilson et al. 1994, Sih et al. 2004). On y décrit des individus téméraires, qui sont généralement explorateurs et qui prennent des risques, occupant ainsi la position de leaders dans l’exploration de l’environnement, et des individus dits timides, qui restent à couvert et synchronisent leur activité avec les téméraires. La réaction face aux situations risquées est alors particulièrement utile dans la compréhension de l’adaptation de l’animal à son environnement, puisqu’il est exposé chaque jour à des changements et à des situations à risque, comme dans le cas de la prédation par exemple (Wolf & Weissing 2012).

Les deux dimensions suivantes comprennent chacune deux principaux traits de personnalité. La dimension d’agréabilité comprend les traits d’agréabilité, qui caractérise des individus affectueux, coopératifs, peu agressifs ou hostiles avec leurs congénères et ayant de nombreuses affinités (King & Landau 2002, Martin 2005) ; et d’indépendance, qui est classée soit dans l’agréabilité soit dans l’extraversion selon les études (King & Figueredo 1997, Gosling & john 1999). Cette dimension se rapproche à nouveau de la dimension de sociabilité décrite dans les autres taxons (Réale et al. 2007). L’ouverture d’esprit est quant à elle une dimension comprenant la curiosité, définie comme l’intérêt porté à de nouvelles situations (Stevenson-Hinde & Zunz 1978, Watson & Ward 1996) ; et l’intelligence, qui correspond à la compréhension de situations sociales ou environnementales (Dutton et al. 1997). Cette dimension est similaire à celle de la réaction face à des situations nouvelles décrite par Réale et al. (2007), rassemblant les traits de personnalité relatifs à la peur, l’anxiété, la curiosité et la prise de risque manifestées dans des situations nouvelles, comme la rencontre d’un nouvel environnement, objet, congénère ou aliment. Là encore, cette catégorie est utile pour la compréhension de l’adaptation de l’animal à son environnement, notamment lors de l’exploration de nouveaux territoires, ou la rencontre de conspécifiques inconnus (Wolf & Weissing 2012).

La dernière dimension du modèle FFM est la conscience, qui est caractérisée par l’autodiscipline, le respect et l’ordre, mais également le manque d’attention et l’imprévisibilité (John 1990 ; Gosling & John 2010). Cette dimension n’est retrouvée que chez