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Dans ce chapitre, nous essaierons d’apporter des éléments qui nous permettent de considérer la question de la performance comme complexe et conduisant à la penser au pluriel. Pour ce faire, nous nous attachons d’abord à mettre en évidence qu’il s’agit d’une question relativement discutée par les spécialistes. Ensuite, nous nous attachons à étayer l’idée selon laquelle il y a un intérêt à parler de performances et non pas d’une performance. Nous discuterons finalement la question de leurs mesures.

1.

Une notion complexe et discutée

Pour introduire ce chapitre, nous aborderons les difficultés que l’on peut rencontrer lorsque l’on tente de définir le concept de performance de manière générale. Pour ce faire, nous nous proposons de présenter deux formes d’approche de la notion de performance. Tout d’abord, nous discuterons des approches que nous qualifierons de « classiques » car elles nous semblent être les plus répandues et peut-être les plus faciles à « matérialiser ». Dans un deuxième temps, nous présenterons des approches moins « traditionnelles », qui nous paraissent aborder la question différemment, en considérant le fonctionnement organisationnel de façon plus systémique mais, par conséquent, de façon plus complexe. Pour ce faire, nous emprunterons de nombreux résultats issus des sciences de la gestion et de l’économie.

1.1 Une notion « floue »

Dans le domaine de la recherche en gestion, la place du concept de performance est capitale (Villarmois, 1998). Pourtant, bien qu’ayant des significations précises pour les économistes et les gestionnaires, les termes de performance, d’efficacité et d’efficience sont souvent utilisés indistinctement. C’est la raison pour laquelle certains auteurs (Bourguignon, 1996) s’accordent à dire que la performance reste un terme relativement flou. En effet, la performance est une notion multifactorielle et elle repose, selon le même auteur (Ibid. p 19), sur trois significations :

• Celle d’un succès. La performance n’existe pas en soi et est fonction des représentations de la réussite, donc elle est variable d’un sujet à l’autre, d’une entreprise à l’autre.

• Celle de résultats mesurables. La performance est envisagée ici comme l’évaluation des résultats obtenus par rapport à des objectifs fixés.

• Celle d’un processus organisationnel permettant de parvenir aux résultats souhaités. La performance est vue comme une action, comme la mise en actes d’une

compétence. Elle n’est alors que potentialité.

De façon générale, on pourrait définir la performance comme la réalisation d’objectifs organisationnels, quel que soit la nature de ces objectifs. Terme polysémique,

68 « performance » peut donc englober tant les résultats obtenus que le processus pour y parvenir. C’est une notion qui, selon nous, relève d’un aspect subjectif. Non seulement elle est subjective par la différence des points de vue de ceux qui tentent de la définir, mais aussi par ceux qui sont acteurs de cette performance au sein des organisations.

D’après Louart (1996), il pourrait y avoir trois orientations possibles pour la définition du mot :

• La première consiste à montrer en quoi l’idée de performance reste floue pour répondre à des fonctions politiques, sociales, etc. C’est l’orientation que nous avons explicitée plus haut.

• Une deuxième orientation tente de conceptualiser la performance par opposition aux termes de sens voisins. La performance n’est ni vue comme une rentabilité, efficience, efficacité ni comme une capacité à atteindre des résultats. Elle serait plutôt envisagée comme une appréciation par les clients, les concurrents, des utilités qu’elle produit.

• Enfin, une troisième orientation s’interroge sur le fait qu’il existe une interprétation de la performance par les acteurs des entreprises. Cette orientation s’attache aux relations particulières entre les individus et cherche à comprendre leur diversité. Dans ce cadre, nous insistons sur l’idée que la performance répond à deux types d’enjeux : soit on essaie de comprendre des résultats évalués par des acteurs, soit on essaie d’identifier les processus d’action pour atteindre ces résultats. Ainsi, la performance-action contient mais dépasse largement la performance-résultat (Bourguignon, 1996)20.

1.2 Des approches « classiques »

Certaines approches de la performance mettent l’accent sur le fait qu’il est nécessaire de pouvoir « matérialiser » cette notion, c’est-à-dire nécessaire de mesurer des résultats, et donc indispensable de trouver des composantes qui soient mesurables. Ensuite, il convient de déterminer les indicateurs adéquats, c’est-à-dire ceux qui seraient les plus représentatifs des composantes choisies. En d’autres termes, il paraît essentiel d’élaborer des outils de gestion. Il s’agit par exemple des indicateurs, des tableaux de bord, des plannings, des modèles de production, des prévisions, etc. (Moisdon, 1997). Bien des gestionnaires, théoriciens et praticiens, leur appliquent de fait ce que l’on pourrait appeler une « théorie positiviste des outils ». (Lorino, 2002). De ce point de vue, l’outil serait déterminé dans sa forme et dans sa matière par l’environnement réel et par lui seul. Cet outil, déterminé donc par les données réelles de l’action, « reflet de situations génériques » (Ibid., p. 6), produirait à son tour des conséquences pratiques, par exemple des décisions de la part des acteurs, de façon prédictible et déterministe. Cette théorie sous-tend les travaux de chercheurs ou de consultants dans lesquels les outils sont présentés hors contexte et supposés induire, de manière déterministe, de par leur structure, des comportements ou des

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69 types d’action clairement spécifiés. Cette théorie est donc positiviste, puisqu’elle suppose qu’existe une réalité objective, indépendante du regard du sujet, et accessible à la connaissance, en l’occurrence à la représentation par les outils. Ainsi, Voyer (1999) propose six composantes mesurables en y associant des indicateurs.

1.2.1 Des composantes mesurables

Dans le cadre de ces approches, l’aspect « mesurable » de la performance semble donc prioritaire pour estimer, évaluer la performance produite par un système productif ainsi que ces effets : « Une organisation existe parce qu’elle a une mission dans son milieu, dans son environnement. Elle tire de cet environnement des clients avec leurs besoins et des ressources (les intrants) qu’elle utilise pour produire, par ses activités (la transformation), des résultats et des réalisations (les extrants), qui vont avoir des effets sur ses clients et des répercussions sur son environnement... » (Ibid. p 99).

La performance, pour l’auteur, consiste à remplir cette mission. Pour pouvoir la mesurer il propose d’utiliser différentes composantes dont dépend la mission, soit :

• « Les clients et leurs besoins », c’est-à-dire, les caractéristiques des clients, leurs besoins et les opportunités d’intervention ;

• « Les ressources et les conditions structurelles », ce qui englobe les ressources humaines, financières, informationnelles et techniques ; la structure, les moyens et les possibilités ; et enfin, les partenaires, les fournisseurs ;

• « Les processus (activités et façon de faire) » : les activités et opérations courantes, la production des biens et services ; les façons de faire, le fonctionnement ; les activités de développement et de transformation, la recherche et le développement.

• « Les résultats de production », réalisations, utilisation des services ;

• « Les résultats d’effets et d’impacts, les retombées » : effets directs sur le client ; impacts et répercussions globales, retombées ; apports de la transformation, de l’évolution de l’organisation ;

« L’environnement » : les conditions, le contexte et les facteurs de performance ; les opportunités en général et les innovations.

Ces composantes pourraient être envisagées comme des axes stratégiques de développement. Dans ce cas, nous pouvons relever les risques de séparer deux axes tels que les processus et les résultats, en particulier concernant la production de service.

1.2.2 Des indicateurs théoriques

La construction du processus d’évaluation de la performance ainsi définie doit se doter de valeurs relativement aux composantes, et par conséquent, mettre en œuvre une série d’indicateurs, qui seront qualifiés ici « d’indicateurs théoriques ». Voyer (1999) en dénombre quatre :

L’économie : l’acquisition des inputs au meilleur coût,

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L’efficacité : l’atteinte des objectifs de réponse aux besoins, les résultats d’effets en

relation avec les demandes (le rendement par exemple),

La pertinence : les résultats d’effets en fonction des besoins.

Comme leur appellation l’indique, ces indicateurs restent, somme toute, relativement théoriques. De plus, ils ne portent que sur la mesure de résultats a posteriori. Leur utilité en termes de compréhension, de définition et de mesure de la performance, peut paraître par conséquent « amoindrie ».

Attardons-nous sur l’exemple de la composante « Processus de transformation ». Pour pouvoir donner des éléments de mesure sur ce processus, l’auteur se propose d’effectuer un ensemble de relevés : les méthodes utilisées c'est-à-dire, la mesure des temps et mouvements, le nombre de cahiers des procédures, la proportion des types d’emploi, le degré de respect des valeurs, des droits, le ratio du nombre d’utilisateurs par rapport au nombre de machines, le pourcentage de temps de réunion, le coût de l’encadrement administratif etc. Nous souhaiterions, à ce stade, porter quelques réserves à ce type de mesure :

• Tout d’abord, si un pourcentage de temps de réunion est tout à fait mesurable, il ne nous paraît néanmoins refléter qu’une part de la réalité ? De plus, nous connaissons les limites des méthodes MTM (Meter Time et Measurements) basées sur une organisation du travail totalement parcellisée excluant le travail cognitif de l’opérateur. De telles mesures ne nous semblent pas représentatives des activités réelles et notamment des régulations collectives à l’œuvre au cours des processus de production.

• Ensuite, ce système d’évaluation peut entraîner des « lourdeurs » en termes de temps et de coût financier liés au contrôle. Mettre en place de tels processus peut nécessiter la mise en place d’un processus de contrôle important. Enfin, un système de contrôle « drastique » peut avoir une influence sur la qualité du processus de production des opérateurs.

• Pour terminer, ce système semble « fermé » dans le sens où il semble laisser peu de marges de manoeuvre et par conséquent semble exclure, par exemple, la production et l’utilisation de nouvelles règles de travail, essentielles pour le devenir de la production.

Des approches axées sur la matérialisation des éléments qui peuvent faire performance nous semblent inévitables pour traiter la question du pilotage de l’entreprise. Néanmoins, il nous semble aussi qu’une organisation productive met en jeu des éléments moins perceptibles de prime abord mais tout aussi essentiels à l’atteinte de performance.

1.3 Des approches moins « restrictives »

C’est pourquoi, en parallèle de tentatives de définition de moyens d’évaluation de la performance, d’autres auteurs tentent d’accorder à ce concept des visions plus systémiques,

71 plus proches, nous semble-t-il, de la réalité et de la complexité des situations de travail. Pour autant, nous verrons que la « concrétisation » des évaluations s’avèrera plus difficile. Ces approches sont induites par une position théorique plus pragmatique. Elles sont pour partie issues de travaux pluridisciplinaires et de courants multiples, comme la psychologie de la connaissance (Piaget, 1970), ou encore la théorie instrumentale (Engeström, 1999, 2000). Elles se manifestent de manière plus ou moins directe dans les réflexions de certains auteurs en théorie des organisation (Argyris et Schön, 1978 ; Weick, 1969) et dans les courants constructivistes en gestion.

Pour Lorino (2002), il s’agit d’un courant de pensée à part entière qui s’inscrit dans le cadre des approches pragmatiques et constructivistes de l’organisation, dont les travaux de Simon (1991) sur la « rationalité procédurale » sont, en partie à l’origine. Selon ce même auteur, le lien entre les travaux de Simon et ceux sur l’ « engagement du sujet » permettrait une issue à la théorie positiviste des outils. Ainsi, les travaux de Piaget (1970), pour lequel l’interaction sujet-objet est fondamentale, restent une voie d’ouverture principale : appropriation du monde au sujet, par « assimilation », et transformation du sujet au contact du monde dans l’action, par « accommodation ».

En fait, ce point de vue accorde un aspect particulier au rôle de l’homme et à son développement dans l’atteinte de la performance. Pour préciser ce propos, nous considérerons tout d’abord un apport sociologique et ensuite un point de vue gestionnaire. 1.3.1 La qualification des acteurs

Tout comme nous avons porté quelques réserves sur certains modes et moyens de mesure de la performance, Zarifian (1992a) relève quelques « défauts » aux systèmes traditionnels de contrôle de gestion. Nous en retiendrons trois :

• « Le contrôle de gestion traditionnel est centré de manière unilatérale sur les coûts ». En effet, la valeur effectivement engendrée par l’usage des ressources n’est pas mise en relation avec le coût de ces ressources. Ce mode de contrôle est axé sur le toujours

moins et non sur le toujours plus. Il préférera des coûts toujours plus faibles plutôt

qu’une qualité de service, par exemple, toujours plus forte. Ce qui entraîne, in fine, un désavantage concurrentiel.

• « Le contrôle budgétaire par mesure d’écarts est plus un contrôle rétroviseur qu’un animateur de l’avenir ». Ce qui est souligné ici relève de ce que nous avons noté plus haut, à savoir que l’on se cantonne dans un système fermé, bridé, qui ne laisse pas la place à l’innovation dans le travail et par conséquent à l’amélioration du fonctionnement de l’entreprise.

« Le contrôle de gestion traditionnel ignore la sociologie de la décision et de l’action ». Ce système oublie les acteurs et les situations réelles. Ils ne doivent pas être utilisés et compris seulement par une poignée de spécialistes. Les outils ne doivent pas être définis indépendamment des organisations.

72 Ce qui est mis en avant est qu’un système de contrôle classique et a fortiori, de mesure de la performance peut posséder quelques lacunes. En effet, la forme de conception de la performance proposée par l’auteur ne mise pas sur une mesure des résultats a posteriori, qui donneraient une évaluation de la performance, il s’oriente plutôt vers un type d’organisation que nous pourrions qualifier « d’autopoïétique » (Varela, 1989) : une organisation qui construit et se construit par le bas.

Tout d’abord, elle doit favoriser l’approche « événementielle » (Zarifian, 1992a) de l’activité industrielle dans un espace économique marqué par un besoin de flexibilité. Le concept d’événement pourrait, dans une certaine mesure, s’apparenter à celui d’aléa. On y retrouve la panne, le changement de fabrication, une détérioration de la qualité du produit etc. On laisse place, dans un tel paysage, aux marges de manoeuvre et à l’apprentissage par l’aléa, à la construction de nouvelles règles et à leur utilisation. Les opérateurs sont eux- mêmes créateurs de nouvelles techniques de travail par leur expérience de la gestion d’aléas. L’entreprise s’auto-organise dans l’action.

Ce type d’organisation dénommé d’ « organisation qualifiante » par Zarifian (1992b) doit mettre en avant le développement d’une communication active, au sein des équipes de travail, entre les différents services, entre les niveaux hiérarchiques. Dans ce contexte, il semble nécessaire de favoriser la concertation, de mettre l’accent sur le contenu relationnel de l’organisation. En fait, l’organisation par communication prend le pas sur l’organisation traditionnelle par fonctions, avec des zones d’activité communes aux différents services (Zarifian, 1992a).

Enfin, tout au moins pour ce qui nous intéresse, cette organisation qualifiante doit favoriser la transformation des connaissances techniques en compétences « industrielles », c’est-à- dire directement liée à l’action de production. Cet aspect met en avant le rôle de l’apprentissage sur le terrain, le savoir appliqué de l’individu, ce qui permet entre autres, en termes de performance, de répondre à la variabilité des situations et de permettre un développement de l’individu.

Dans ce contexte, le travail d’organisation est envisagé comme facteur de la performance (Terssac, 1998), et par conséquent, son évaluation doit permettre de dépasser une vision « déterministe » proposée par des approches positivistes.

1.3.2 La place du sujet

Ainsi, si les interprétations qui ont cours dans l’entreprise sont le plus souvent du type métrologique, classification ou diagnostic (Lorino, 1995), c’est-à-dire des mesures qui sont répertoriées et dont on se sert comme repère pour le futur, les travaux cités ci-dessus suggèrent qu'on se dirige de plus en plus vers une vision où l’interprétation est portée par les sujets (Ibid. p 106). Ce qui signifie, d’un point de vue de certains gestionnaires, que la subjectivité et le contexte doivent pouvoir être pris en compte dans la compréhension de la

73 performance de l’entreprise. En d’autres termes, le « paradigme interprétatif » pourrait s’imposer comme paradigme essentiel pour le pilotage de l’entreprise face aux « paradigmes mécanistes et computationnels » (Ibid.), orientés par le déterminisme (Tableau 3). L’ergonome traduirait cela par la nécessité de prendre en compte les éléments de l’activité dans la conception de l’organisation.

PARADIGME COMPUTATIONNEL PARADIGME INTERPRETATIF Modèle universel et unique Modèles multiples et spécifiques Modèle durable et stable Modèle évolutif et jetable Forte complexité du modèle Modèles de complexité limitée Modèle faiblement ciblé (polyvalent) Modèles fortement ciblés (peu

polyvalents) Expertise concentrée dans la gestion du

modèle

Expertise concertée dans l’analyse préalable à la construction du modèle et dans l’animation de pilotage ultérieure sur la base du modèle

Appropriation difficile Appropriation relativement aisée Support technologique essentiel Support technologique accessoire

Tableau 3 : Comparaison entre le paradigme computationnel et interprétatif (d'après Lorino, 1995)

Même si ce n’est pas admis dans les faits, l’auteur accentue le fait que le déterminisme au sein de l’entreprise doit donc être remis en cause. Il doit plutôt laisser place à une conception non déterministe, et ce pour différentes raisons.

La multiplicité des sujets cognitifs

Chaque opérateur de l’entreprise a la possibilité d’influencer les actions par son pouvoir d’interprétation. En effet, chacun d’entre eux, depuis le bas, a la possibilité d’orienter l’action locale et donc l’action globale. Le phénomène est similaire à « l’effet-papillon ». Un simple « battement d’ailes » de la part d’un opérateur dans un atelier, par exemple, va pouvoir influencer « l’orientation globale des vents » de l’entreprise en bourse. « Chaque acteur détient une pièce du puzzle et ignore l’ensemble » (Ibid. p 109). Le système complexe qu’est l’entreprise (« le tout ») n’est pas la somme des parties qui la composent.

La complexité des systèmes

Nous venons de le voir, chaque membre, opérateur, agent etc. de l’entreprise est un être unique d’un point de vue de son histoire, de son expérience, d’un point de vue biologique mais aussi psychique ou affectif. L’environnement et la particularité de chacun rendent chaque situation singulière, ce qui rend le système d’activités complexe et non réductible.

La rationalité limitée de l’acteur

Ce point permet de souligner le fait que les « acteurs de l’entreprise définissent rarement, voire jamais, leurs préférences de manière stable et claire » (Ibid. p 112). Si les choix se

74 font pour l’action, ils sont souvent faits, pour partie, dans cette action. Rien n’est entièrement déterminé par avance.

La dynamique de changement continu et irréversible

Enfin, « pendant que l’on met en œuvre la procédure de visée, la cible se déplace » (Ibid. p 114). Cette phrase résume parfaitement l’ampleur de la notion temporelle. En effet, la procédure d’interprétation s’inscrit dans le temps. Depuis le début jusqu'à la fin de l’interprétation, le temps s’écoule et le monde change. Les options prises au début ne sont pas forcément les plus pertinentes à la fin, c’est-à-dire par rapport à l’état du monde à cet instant. Le paradoxe est que le sujet doit être capable de mesurer les effets de son interprétation.

1.3.3 D’une gestion d’expérience à une gestion d’expérimentation

Dans le même sens que l’abandon du déterminisme pour appréhender le fonctionnement de l’entreprise, Lorino (1995) nous propose de considérer ce qu’il qualifie comme le « domaine heuristique21 ». La gestion d’expérience, basée sur la stabilité du passé (domaine normé), s’articulerait avec une gestion d’expérimentation (domaine heuristique) beaucoup moins stable et centrée sur des « théories de l’action mouvantes » (Ibid. p 246). En opposition au domaine heuristique, le domaine normé rassemble toutes les expériences passées, sous forme de règles écrites, de gammes etc.

La complexité du fonctionnement d’une organisation est liée au fait que ce qui s’y passe n’est pas de l’ordre du domaine heuristique ou du domaine normé, mais de l’articulation