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Les perceptions sont importantes lorsque l’électeur prend la décision de participer et la décision de déserter ou non un premier choix. La viabilité des partis ainsi que l’autoévaluation de l’impact de son propre vote sont les deux principales perceptions étudiées dans cette thèse.

Nos données confirment que les perceptions sont plus importantes que les mesures objectives dans l’application du modèle de l’électeur rationnel. Leurs comportements

peuvent en effet être qualifiés de rationnels seulement selon leur propre perspective puisque ces perceptions ne sont pas toujours bien fondées. En effet, les participants à nos expériences ont tendance à surévaluer la probabilité qu’un vote compte ainsi que la viabilité de leur parti préféré. En particulier, la probabilité d’être pivot est fortement surévaluée. Ainsi, nous avons vu au Chapitre 4 (page 130) que cette surévaluation est d’environ 30 points de pourcentage. La viabilité du premier choix, nous avons vu au chapitre 3 (pages 102-3) est également surévaluée en moyenne de 15 points de pourcentage.

Les participants devaient estimer les chances de gagner de chaque parti ainsi que la probabilité que leur propre vote décide qui gagnera avant chaque élection. Mesurer les perceptions des individus est davantage au diapason de la Théorie des Choix Rationnels que des mesures objectives puisque ce sont les informations subjectives qui entrent dans le calcul de l'électeur.

5.3.1 La viabilité des différentes options

La taille des différents partis a un impact sur le comportement des électeurs. Notre devis expérimental a l'avantage de faire varier les tailles relatives des partis d'une série d'élections à l'autre. Rappelons que les positions politiques des participants changent également d'une série à l'autre pendant que les positions des partis demeurent les mêmes. Cette variation permet d'évaluer l'effet de la taille du parti préféré sur les comportements. La corrélation entre la taille et la viabilité est assez forte. Plus un parti est important en termes du nombre d'appuis qu'il a dans l'électorat, plus ses chances de gagner sont élevées. Un parti qui est relativement de petite taille par rapport à ses compétiteurs est considéré comme ayant peu de chances. La taille d'un favori importe dans le choix (Chapitre 1), toutefois, la perception relative des chances de victoire d'un parti a un impact encore plus

fort sur la décision de déserter ou non le premier choix (Chapitre 2). Un avantage des perceptions subjectives est qu’elles peuvent inclure les calculs stratégiques de l’électeur. Si ce dernier croit que des électeurs vont déserter, ce raisonnement va se refléter dans les attentes de l’électeur quant à la viabilité de chaque candidat. La taille d'un parti favori influence directement, et indirectement via les perceptions, la décision de déserter.

Nos expériences confirment qu'un électeur choisit parfois de voter pour un parti politique qui n'est pas le préféré. La raison en est qu'il prend en considération les chances de gagner qu'il attribue lui-même aux différents partis. La préférence d'un électeur ne constitue pas la seule considération dans son choix électoral. Nous démontrons sans ambiguïté l'importance capitale des perceptions de qui va gagner dans le choix de l'électeur. Un candidat peu viable est fréquemment déserté. La tendance est la même sous UT et RP.

Il est ainsi aisé de répondre à la question : qui bénéficie de la désertion stratégique? La réponse est simple : un candidat qui n’est pas le pire choix d’un électeur ET qui est plus viable que le premier choix.

Ainsi, un parti politique qui parvient à faire croire en sa viabilité ou en la non- viabilité d'un parti adverse peut influencer le résultat d'une élection. Dans certains contextes, ceci peut être plus simple que de convertir les partisans des autres formations politiques et justifie le fait de recourir à de la publicité massive lors de campagnes électorales afin de signaler leur viabilité aux électeurs.

Sous RP toutefois, il semble qu’une seconde stratégie de désertion est parfois rencontrée : les électeurs votent pour un autre parti que leur préféré parce que leur favori est (trop) viable et est perçu comme ayant déjà remporté un siège. Cette désertion se fait vers un parti non viable qui n’est pas le pire choix de l’électeur. L’idée est d’aider ce parti plus faible à remporter un siège tout en étant assuré que le favori remporte son siège. Cette

désertion stratégique permet potentiellement à l’électeur stratège de faire élire, en plus de son favori dont il ne doute pas de la victoire même sans son vote, un autre parti qu’il apprécie plus que d’autres en lice.

Nous avons vu que la viabilité des partis influence fortement la désertion. Une autre perception ayant un impact important sur la désertion est l'évaluation par l’électeur des répercussions de son propre vote sur le résultat final. La perception d'être pivot lors d'une élection favorise la désertion. Un électeur qui croit être pivot et qui perçoit son premier choix comme peu viable déserte d'autant plus. Une contribution importante de cette thèse est de démontrer empiriquement pour la première fois l'importance, parfois avancée, mais jamais prouvée, de la perception d'être décisif chez l'électeur déserteur.

5.3.2 La croyance en l'impact d'un seul vote

Lorsque deux partis pouvant accéder au même siège sont de taille semblable, un vote a plus de chances d'être décisif. L’élection est plus compétitive que si un parti est nettement en avance. Toutefois, la compétitivité est un indicateur approximatif de P, la probabilité d'être pivot. Dans nos expériences, nous employons un indicateur direct de P en demandant aux participants leur évaluation de cette probabilité, ce qui permet d'évaluer l'impact de P sur les comportements.

La perception d’être pivot influence la désertion, mais également la participation électorale. Plus un électeur estime comme étant élevée la probabilité que son vote compte, plus il vote. Les électeurs ont toutefois des perceptions erronées de la probabilité que leur vote compte. La probabilité de modifier le résultat par son propre vote est surévaluée de beaucoup. Tout laisse croire qu'une part de cette surévaluation pousse les gens à voter. Une explication crédible au paradoxe de la participation est que le taux de participation « fort »

que l'on observe empiriquement est causé par l'ignorance des électeurs de leur véritable chance d'être pivot. Est-il souhaitable que les électeurs aient une perception de leur chance d'être décisif fausse puisque ceci les pousse à voter davantage? Je ne crois pas que ce soit souhaitable. Si cette perception est importante dans la décision de l'électeur, afin que celui- ci prenne la meilleure décision, cette perception doit être la plus juste possible. Par exemple, tenter de faire mousser le vote en faisant croire aux électeurs que chaque vote compte me paraîtrait une façon mensongère de contrer le déclin de la participation aux élections.

À la lecture du Chapitre 3, un décideur politique d'une formation mineure pourrait voir une invitation à encourager ses partisans à ne pas surévaluer l'impact de leur propre vote afin de faire en sorte que ces derniers ne désertent pas vers un autre parti, mais votent bien pour leur parti favori. Je dois mettre en garde ce décideur d'un point important et l'inviter à lire le Chapitre 4. Un électeur percevant son vote comme moins décisif déserte certes moins de manière stratégique, toutefois il participe moins au processus électoral. Si l'objectif est de trouver un moyen pour contrer coûte que coûte l'exode de votes vers un autre parti perçu comme plus viable, je crois que tempérer l'enthousiasme des électeurs quant à leur impact sur le résultat pourrait fonctionner. Toutefois, si l'idée est de faire sortir le vote, je doute que ce soit la solution.