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5.5 Implications

5.5.1 Implications méthodologiques

La méthode expérimentale fonctionne encore mieux qu’attendu. En effet, je voulais simplement comparer différentes règles électorales dans des contextes contrôlés. Je suis ainsi surpris d’observer que les tendances générales lors de nos élections en laboratoire ressemblent à ce que l'on retrouve hors laboratoire puisque, par notre méthodologie, nos expériences sont une simplification des « véritables » élections. En ce qui concerne la validité de la construction, tel qu’indiqué à la fin de la section 1.7, nos expériences ne sont pas parfaites. Malgré le contexte épuré et très formel, je suis toutefois surpris de constater que plus de 90 % des participants indiquent qu’il y a une certaine ressemblance avec les vraies élections, soit de « beaucoup » à « peu de ressemblance » entre les élections

expérimentales et les vraies élections (voir Annexe E, Q11). Rappelons également que la ressemblance ne devrait pas être le seul critère de la validité. La réplication des résultats dans des contextes différents est un critère de la validité – externe – des résultats et nous trouvons plusieurs études empiriques ayant des résultats allant dans le même sens que les nôtres.

La proportion de déserteurs est de 2 à 17 % selon les estimations présentées au Chapitre 1 (pages 16-18). Le taux de désertion moyen retrouvé lors de nos expériences est de 25 %. En ce qui concerne la participation, elle est d'environ 70 % hors laboratoire pour les élections nationales les plus importantes (Voir Chapitre 1). Toutefois, pour des élections de moindre importance (élections locales ou complémentaires), le taux de participation est inférieur. Par exemple, Morlan (1984) conclut que la participation est 17 points de moins lors d’élections locales en Europe et aux États-Unis. Ceci établit un taux de participation plus près de 53 % pour des scrutins de moindre envergure. Le taux de participation que nous avons dans nos élections est du même ordre de grandeur avec 55 %. La magnitude des phénomènes d’intérêt est ainsi très semblable à l’intérieur et à l’extérieur du laboratoire. Ceci est surprenant puisque, théoriquement, les incitatifs rationnels à déserter et s’abstenir sont plus forts en laboratoire.

Lors des expériences que nous avons menées, le taux de désertion est de 36 % sous UT et de 35 % sous RP123. Le taux de participation, en prenant uniquement les élections avec un coût à voter, est de 53 % sous UT et de 56 % sous RP. Dans la littérature non expérimentale, la RP et le UT mènent à des taux de participation et de désertion similaires. Les résultats sont du même ordre. Le fait que les différences entre les systèmes électoraux suivent les mêmes tendances est encore plus intéressant. Hors laboratoire, le taux de participation est de 3 à 11 points de plus sous RP que sous un système non proportionnel

(Blais et Aarts 2006). Ces estimations mesurent des différences de manière moins directe que par la méthode expérimentale où nous savons que ce qui cause les variations est le système électoral. Nos résultats expérimentaux proposent que cette différence due uniquement à un effet direct du système soit de 3 points en faveur de la RP. En ce qui concerne le taux de désertion, l’étude empirique (non expérimentale) de Blais et Gschwend (2011) nous informe que la différence est négligeable, soit de 22 % sous RP et de 21 % sous un système non proportionnel. Ils avancent également que les électeurs désertent davantage un petit parti sous un système non proportionnel. Tout comme eux, nos résultats ne permettent pas d'avancer qu'il y a une différence de désertion entre les deux systèmes puisque nous observons seulement un point de moins de désertion sous RP. De plus, en laboratoire, les électeurs désertent un peu plus fréquemment les partis de petite taille.

Une autre tendance que l'on retrouve dans les deux contextes et qui vient également solidifier la validité externe de nos conclusions est un déclin de la participation dans le temps. Depuis au moins 20 ans, la participation électorale décline constamment dans les démocraties industrialisées (Franklin, 2004). Ce déclin inquiète les citoyens et les classes politiques qui constatent que les mandats accordés aux représentants par la population perdent de leur légitimité (Dalton, 2004). Parmi les facteurs mis au banc des accusés, on retrouve le système UT, qui ne permettrait pas aux partisans des petits partis d’être représentés au Parlement. Notre explication est que les électeurs réalisent que leur vote compte moins que ce qu'ils croient. Le fait de croire que son propre vote comptera et le fait d'être objectivement pivot à l'élection précédente sont des facteurs augmentant la participation. Le sujet mérite d’être exploré plus en détail, mais nous pouvons toutefois dire qu’il ne semble pas, à première vue y avoir une grande différence entre le UT et la RP. Ce qui permet d’être sceptique quant à la thèse selon laquelle UT est la cause du déclin.

Il existe un risque - en attribuant des positions arbitraires aux participants - que ces derniers se désintéressent, votent de manière erratique ou cessent de participer. Seulement

19% des participants affirment que « Les positions politiques qu’on m’a données étaient trop éloignées de mes convictions personnelles » (18 % Montréal, 24 % Paris, 14 % Bruxelles). Les électeurs percevant leurs convictions personnelles comme trop éloignées de leur position dans l'expérience votent en général de façon légèrement moins sincère que les autres (62% contre 65%, t (4030) = -1.83). Cette petite différence peut provenir d’un attachement partisan minimaliste lorsque la position personnelle n’est pas en convergence avec l’idéologie réelle du participant. De plus, nos données suggèrent que les électeurs éloignés - en laboratoire- de leur idéologie réelle ne participent pas moins puisque ces derniers participent davantage (57% v. 55%, mais non significatif).

Notre devis expérimental comporte un petit nombre d'électeurs. Ceci peut avoir une influence sur les conclusions que l'on tire puisque la probabilité objective d'être décisif est nettement moins grande hors laboratoire124. Toutefois, nous avons montré que dans un cas

comme dans l'autre, même avec de l'information parfaite lors des élections en laboratoire, les électeurs surestiment substantiellement leurs chances d'être pivot et cette surestimation semble jouer un rôle important dans la décision de voter ou non et de voter de manière sincère ou non.

Malgré les lacunes de notre devis expérimental, nous croyons que celui-ci ressemble davantage à de vraies élections que les expériences précédentes sur le vote, et ceci tout en étant assez épuré pour pouvoir mesurer avec précision les paramètres nécessaires à tester les effets directs et indirects du système électoral sur la participation politique et la désertion stratégique.

124 Cette probabilité tend vers zéro hors laboratoire, mais est évaluée à une sur cinq dans nos