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Chapitre 3. La particularité du développement des personnes avec des TED sur

1.3.1. La perception du temps et la construction temporelle chez les

« Le changement perpétuel qu’il fallait affronter partout ne me donnait jamais le temps de me préparer. La tension qu’exigeait la nécessité d’attraper les choses au vol pour les assimiler fut le plus souvent trop forte pour moi. Il me fallut trouver un biais pour ralentir les choses afin de m’accorder le temps de négocier avec elles. (…). L’un des procédés qui me permettaient de ralentir le monde consistait soit à cligner des yeux, soit encore à fermer et allumer alternativement la lumière rapidement… »23

Donna Williams (1992), auteur avec autisme, Dans son livre autobiographique : « Si on me touche, je n’existe plus ».

« Le temps est une construction sociale complexe ancrée dans la vie sociale » (Tartas, 2013, p. 18) qui demande à l’homme de s’approprier les marqueurs du temps social, historique et biographique (Jewsiewicki et Létourneau, 1998, p. 66). Ces derniers se traduisent par l’acceptation d’un modèle sociétal régi par la notion de temps qui est, selon Risso (2015, p. 108), « une invention de l’homme qui lui permet d’appréhender les changements qui surviennent dans le monde qui l’entoure ».

Joubert (2003, p. 437) caractérise la conception usuelle du temps, cadre dans lequel se développent les perceptions et les apprentissages de la façon suivant : « le temps ; temporalité, tempo ; temps vécu, temps mesuré. La temporalité est ce qui a affaire au temps en tant qu’organisé. Organisé dans une succession chronologique, un avant, précédant, et un après. Un temps qui, s’il n’a ni commencement ni fin, se dirige toujours dans le même sens, d’un début vers une fin ». Le concept de temps intéresse depuis des années les scientifiques qui s’efforcent de la définir au mieux afin d’en comprendre le sens et le rôle qu’elle peut jouer sur le développement humain. « Il [le temps] crée une continuité à partir d’instants ; continuité nécessaire pour que les

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choses persistent. Le temps incarne donc la permanence dans le changement et assure la continuité des lois physiques, psychiques et sociales » (Quartier, 2008, p. 128). Ainsi, le temps est rythmé par les moments de la vie selon Ancet et Nuss (2012, p. 171) qui font une distinction entre le « temps chronos » et le « temps tempus ». Klein, Paty, et Spiro (1995, p. 79-80) quant à eux, développent cette distinction au travers de ces propos : « le temps subjectif éprouvé par chacun d’entre nous – celui que l’on pourrait dénommer tempus – est de toute évidence non uniforme et relatif. Le temps des physiciens – celui que l’on pourrait dénommer chronos –, d’abord considéré comme absolu et uniforme dans la mécanique classique, est également devenu élastique et relatif avec la relativité ».

Le développement de la notion de temps commence dès le plus jeune âge et respecte un certain rythme (Mareau et Dreyfus, 2004, p. 77) plus ou moins rigide selon les auteurs. Pour Jean Piaget et Henri Wallon, le développement de l’enfant est cadencé par des stades ou étapes successives plus ou moins chronologiques. Pour Piaget l’apparition d’un nouveau stade n’est possible que si le précédent a été dépassé alors que Wallon propose un modèle avec une approche dialectique24 en insistant sur les discontinuités d’apparition des différents stades. La théorie

piagétienne est constructiviste, c’est-à-dire que les apprentissages sont le résultat d’interactions entre l’individu et son environnement où l’origine de la représentation se situe dans la continuité du développement sensori-moteur. Ainsi, le temps « intuitif », avant l’âge de cinq ans, se limite aux rapports de successions et de durées données dans la perception immédiate. L’enfant est alors centré sur l’activité et se limite à des impressions. Lors du stade de « la pensée préopératoire » (Tableau 2), les intuitions se transforment en représentations de plus en plus abstraites et donc les intuitions d’espace, de vitesse et de durée s’individualisent tout en prenant conscience du temps qui s’écoule pendant l’action (exemple : « plus vite » ne veut pas dire « plus de temps »). Le jeune entre ensuite dans le stade des « opérations concrètes de pensée logique ». Le système temporel devient donc, selon Piaget, logique et ainsi, l’enfant différencie dans toutes les situations l’ordre spatial et temporel, il sait déterminer n’importe quelle succession, quel qu’en soit le sens.

24 Dictionnaire Larousse en ligne : « Méthode de raisonnement qui consiste à analyser la réalité en mettant en

évidence les contradictions de celle-ci et à chercher à les dépasser » (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dialectique/25177).

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Age Stade

0-2 ans le stade de l'intelligence sensori-motrice 2-7/8 ans le stade de la pensée préopératoire

7/8 – 11/12 ans le stade des opérations concrètes de pensée logique 11/12 – 15/16 le stade des opérations abstraites

Tableau 2 : Les stades de développement selon les travaux de Jean Piaget.

Cependant, cette approche constructiviste ne permet pas de souligner les possibles effets de l’environnement sur le développement des connaissances temporelles des jeunes enfants. La théorie Wallonienne, dans une approche socioconstructiviste, suppose que le développement de l’enfant est la résultante des contraintes neurobiologiques et les conditions sociales de relation au travers d’une médiation entre le sujet et le monde. « L'Homme est un être biologique, c'est un être social et c'est une seule et même personne » souligne Wallon (1959). De plus, cette théorie décrit la succession de stades comme un processus discontinu, faits d’oscillations, de crises et de conflits. Le tableau 3 (ci-dessous) nous permet d’étudier les différents stades décrits par Wallon et de comprendre les relations de l’être vivant dans son milieu. Le premier stade « impulsif et émotionnel » est marqué par le primat des sensibilités internes et du facteur affectif ainsi il régule les réponses motrices grâce à l’action du milieu social. Le deuxième stade « sensori-moteur et projectif » s’institue avec la prédominance des sensibilités externes et de la fonction intellectuelle donc permet l’activité motrice qui est tournée vers la connaissance des mouvements extérieurs et initie l’enfant vers une forme d'imitation différée permettant de se découvrir après avoir créé une image mentale du modèle. Le troisième stade « catégoriel » rend possible la représentation abstraite des choses. Enfin, le dernier stade dit « de l’adolescence » permet le remaniement et l’achèvement de la construction de la personnalité.

Age Stade

0 – 1 an 1 – Les stades impulsif et émotionnel 1 – 3 ans 2 – Le stade sensori-moteur et projectif

6 – 11 ans 3 – Le stade catégoriel

11 – 16 ans 4 – Le stade de l'adolescence

Tableau 3 : Les stades de développement selon les travaux de Henri Wallon.

Le modèle Wallonien prend en compte la dimension psycho-sociale du développement de l’enfant au cours de sa vie. Les stades décrits dans ce modèle permettent à l’enfant de se détacher progressivement de sa personne pour enfin s’ouvrir vers le monde extérieur et donc vers autrui.

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Cependant, cette description ne nous permet pas de rendre compte de la perception et de la construction temporelle. Cependant, la psychologue clinicienne Caroline Sahuc (2006) les aborde en proposant un découpage des repères temporaux de l’enfant en fonction de son âge (tableau 4) tout en considérant la socialisation à l’école et dans la famille comme un levier qui va lui permettre de développer progressivement sa personnalité, d’enrichir sa perception du monde, et sa compréhension de lui-même et des autres. De plus, elle souligne que « la notion de temps est très tôt perçue et comprise par l’enfant, mais selon des modalités qui vont évoluer et se développer au fil de son avancé en âge » (Ibid., p. 28). Les différents repères temporaux décrits par l’auteur montrent, dans un contexte de socialisation, le lien qu’il existe entre la perception du rythme et la construction temporelle tout comme dans les travaux de Fraisse (1956).

Age Repères temporaux

In utero L’enfant perçoit les bruits du cœur de la mère, et ses mouvements selon un rythme diurne-nocturne.

36 mois

L’enfant comprend des notions comme hier (passé), bientôt (avenir proche), et demain (avenir lointain).

Il comprend également avant, après, maintenant, lentement et rapidement.

4 ans L’enfant distingue bien la nuit du jour et commence à s’orienter dans la semaine. 5 ans

L’enfant distingue les saisons et leurs caractéristiques. Il comprend qu’une heure est plus longue que trois minutes.

Il accède à la notion d’irréversibilité de la mort. 6 ans L’enfant décrit les jours de la semaine. 7 ans

L’enfant utilise le calendrier et peut réciter les mois de l’année. Il possède des dates repères (Noël, son anniversaire) et apprend à lire

l’heure.

De 8 à 10 ans

L’enfant accède à une objectivation du temps : il comprend des éléments historiques sans liens avec sa propre histoire. Il peut élaborer un historique personnel et distinguer le passé

immédiat du passé lointain.

Tableau 4 : La notion de temps chez l’enfant jusqu’à l’âge de 10 ans d’après les travaux de Sahuc (2006).

Dans une même approche, Tartas (2013), professeur de psychologie du développement, décrit différents construits temporels en fonction de trois périodes du développement (tableau 5). Elle reprend la notion de perception des rythmes dans la construction temporelle et soulève l’importance du développement des connaissances temporelles dans le langage.

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Tableau 5 : Etapes des constructions temporelles pendant l’enfance selon Tartas (2013).

Le point commun de ces descriptions (excepté celle de Piaget) est de concevoir que les connaissances acquises au cours de chaque étape sont intégrées à la précédente et intégrées en se transformant et en se réorganisant. En somme, dès ses premiers mois, le bébé présente une sensibilité au temps et notamment à la perception du temps et la construction de la temporalité se développe sous l’impulsion des interactions avec le monde extérieur. De plus, le développement des constructions temporelles est corrélé avec le développement du langage. En effet, « progressivement, l’enfant s’approprie un nouvel outil de communication et de compréhension du monde, le langage. Ce dernier va considérablement transformer la mémoire de l’enfant ainsi que ses connaissances temporelles » (Tartas, 2013, p. 20).

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Ces différents descriptifs de constructions temporelles ne s'opèrent pas de la même façon dans le développement des jeunes personnes avec des TED, comme nous le verrons ci-après. Or, comprendre comment les enfants avec autisme développent des connaissances temporelles est nécessaire afin de les accompagner au mieux dans leurs éventuelles difficultés.

Gepner (2006, p. 371) indique que « vivant dans un monde trop rapide et changeant, un monde aux contraintes temporo-spatiales trop élevées pour lui et différentes des nôtres, l’enfant autiste aurait des difficultés à se lier et s’accorder en temps réel et de manière adaptée avec le monde physique et humain ». En conséquence, la perception et la construction temporelle entrainent, chez les personnes avec autisme, certaines difficultés pour appréhender l'environnement qui les entoure. En effet, « on observe souvent que la notion de temps ne se traduit pas de la même façon pour de nombreuses personnes avec autisme. Ce ne serait pas surprenant, étant donné la preuve croissante qui associe l'autisme à un déficit au niveau des connexions neuronales et à la manière dont les expériences sont assemblées » (Torres et Donnellan, 2015, p. 146). Le développement des connaissances temporelles donc est plus complexe pour cette population qui se confronte à une tout autre réalité propre à chacun. Ce constat explique en partie les difficultés temporelles rencontrées par les personnes avec des TED dans leur développement.

Ancet (2009) soulève, dans ses travaux en gérontologie, les différences de temporalité qu’il peut exister entre les résidents (des personnes âgées) et le personnel encadrant des structures d’accueil et explique que « le temps des soignants, notamment des soignants dits ‘efficaces’, est un temps de l’urgence, de la vitesse, qui se double parfois de gestes et de ton de voix emportés. Le heurt de ces deux temporalités peut être redoutable : nous avons affaire d’un côté au temps de l’attente, ‘temps-tempus’ qui s’étale et s’étire dans la durée ; de l’autre au ‘temps-chronos’, temps des horloges, un temps souvent minuté, où l’on ne cesse d’anticiper sur ce qui va suivre ». Un parallèle similaire peut être envisagé avec notre population étudiée. Ici, le temps-chronos de l’encadrant bouscule et demande une certaine cadence dans les ateliers éducatifs de la journée ne permettant pas toujours de se caler sur le rythme de l’enfant. Alors que le temps-tempus de l’enfant est souvent bien plus ralenti et demande une adaptation spécifique de la prise en charge par l’encadrant afin qu’il puisse s’accommoder à la situation. Ajoutons, à cette difficulté de

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perception temporelle, l’importance du désir d’immuabilité25 dans le quotidien de ces personnes.

Ainsi, Joubert (2003, p. 435) fait un le lien entre le mécanisme de défense dans la vie des enfants avec autisme et la temporalité : « en annulant toute temporalité, l’immuabilité, modalité défensive caractéristique des syndromes autistiques, permet un contrôle aussi paradoxal qu’absolu sur le temps ». C’est pourquoi ce mécanisme impacte d'une certaine façon la perception et la construction temporelle et ainsi il ralentit les apprentissages auprès du public avec autisme car « l’immuabilité […] s’impose au thérapeute comme à l’entourage des enfants dits ‘autistes’ comme le plus redoutable des freins au changement » (Ibid., p. 436) alors que toutes nouvelles connaissances demandent du changement (Bastien, Bastien-Toniazzo, et Richard, 2004).

À cet effet, Kanner (1943) souligne, dès le milieu du 20ème siècle, que les jeunes avec des TED présentent des sensibilités aux changements dans leur quotidien, c’est-à-dire que des modifications mineures peuvent entraîner des crises intenses d’angoisse et de rage. Ils « sont très sensibles aux modifications de leur environnement » (Ouss-Ryngaert, 2008, p. 231) et qui de ce fait nécessitent un accompagnement adapté respectant leur désir d’immuabilité et leur difficulté à percevoir et construire la notion de temporalité. En effet, les professionnels doivent s’assurer de proposer un cadre identique chaque jour et de ne pas apporter trop de changements dans les apprentissages au cours des activités. Ainsi pour compenser cette sensibilité, les enfants avec autisme sont rapidement immergés dans une organisation spécifique ou ritualisée des évènements du quotidien. Alors, cette forme de prise en charge permet de ne pas bousculer l’apprenant, d’apporter les informations ou les repères nécessaires au bon fonctionnement de la journée et d’installer des situations dites rituelles. « Les situations dites rituelles : ce sont des séances qui se répètent quotidiennement comme le rituel de l’accueil ou de la date. Ce rituel est essentiel à l’école maternelle. Il contribue fortement à la construction progressive de la notion de temps social et de cycle » (IREM de Besançon, 2006, p. 17). Ces emménagements de l’accompagnement pédagogique proposent un cadre bienveillant et propice aux enfants avec des TED et donc de répondre en adéquation au fonctionnement particulier de ces derniers. Nous le verrons, l'application çATED propose un cadre temporel de planification des activités, adaptable aux besoins de chaque sujet afin de répondre aux déficits d'organisation temporelle des enfants avec autisme.

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