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Chapitre 4. Des outils papier de communication/planification vers des outils

1.4.2. Les supports papier existant pour la planification

Les éléments précédents nous permettent de souligner que « les autistes sont souvent des penseurs visuels » (Peytavy, 2011, p. 111). Pour accompagner les personnes avec autisme au niveau de leur développement cognitif et communicatif, étudié dans le précédent chapitre, il est d’usage de découper la journée (planification dans un emploi du temps) de l’enfant afin qu’il puisse en visualiser les différentes étapes. Les difficultés rencontrées dans la perception et la construction temporelle au cours du développement de l’enfant avec des TED demandent un certain aménagement de l’accompagnement pédagogique, et ce, quel que soit l’environnement. En conséquence, « pour cela, il est indispensable de structurer le temps en utilisant des outils visuels. L’enfant avec autisme doit pouvoir anticiper les événements au risque de le voir développer des comportements inadaptés liés à l’anxiété générée par cette situation imprévisible. Il est donc important de réaliser un emploi du temps visuel des activités à venir en ayant le souci de la régularité (même jour, même heure, même lieu…) du rythme des activités. Celui-ci sera réalisé en fonction de son niveau de représentation, à l’aide d’objet, de photos, voire de pictogrammes ou de mots écrits. Pour certains, l’inscription au jour le jour sur un support effaçable (tableau noir ou Velleda) est suffisante » (Leroy et Lenfant, 2011, p. 54). Ainsi, les supports de gestion de temps doivent être conçus en prenant en compte les ressources et les besoins de l’enfant, car il est important de pouvoir apporter un support adapté aux personnes avec des difficultés d’apprentissage afin qu’ils puissent bénéficier d’un ensemble d’informations utiles dans leur quotidien (Rodgers et Namaganda, 2005).

Les pictogrammes utilisés sur la frise chronologique doivent également répondre de façon adaptée aux besoins en termes d’organisation et de représentation de ses activités. Il est important de ne pas faire régresser l’apprenant dans l’usage des pictogrammes et s’il est capable de lire le mot « manger », il ne faut pas se précipiter sur le pictogramme « manger » pour concevoir l’agenda quotidien. De plus, le support papier propose une infinité de possibilités quant à l’utilisation des pictogrammes et il est possible de faire évoluer l’agenda papier au fil du temps en fonction des nouvelles connaissances du jeune avec des TED. En effet, Beiger et Jean (2011, p.

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134) reprennent cette idée au travers de ces propos : « même si les enfants autistes apprécient la routine, le but n’est pas de les renforcer à l’intérieur de celle-ci, mais de leur permettre de s’adapter au fur et à mesure en travaillant la même chose, mais avec des ateliers différents, ou en incorporant des nouveautés ». Alors, Pry (2013, p 51) souligne que « l’utilisation de ces outils obéit à une hiérarchie développementale qui va de l’élément le plus concret au plus abstrait (objet, objet miniature, photo, dessin, icône, texte). Il est important d’adapter ce support visuel aux caractéristiques de l’enfant, à la complexité de la tâche et à la lisibilité du symbole utilisé ». À travers ces éléments, nous retrouvons la notion d’évolution des pictogrammes utilisés en fonction des ressources et capacités de l’enfant avec des TED qu’il est nécessaire de respecter. L'application çATED prévoit cette possibilité.

Certains publics avec autisme utilisent l’agenda papier (le calendrier ou l’emploi du temps ; en format papier, tableau ou classeur... etc.) qui se présente comme une frise chronologique reprenant tous les événements ou activités de la journée. « Ils [les emplois du temps] sont des signaux visuels qui indiquent quelles activités sont à faire et dans l'ordre. Ils doivent être compréhensibles pour votre enfant, accessibles et détaillés » (Ouss-Ryngaert, 2008,

p. 125). La décomposition de la journée dépend encore une fois des ressources et des besoins de

l’enfant accompagné. Chaque tâche est représentée par un pictogramme photo, image ou mot écrit et chaque pictogramme est ensuite assemblé de façon juxtaposée sur un socle fixé au mur d’une des pièces du lieu de vie. Les pictogrammes, plastifiés, sont apposés sur le socle à l’aide d’une bande de Velcro®. Ce système permet de réutiliser le système plusieurs fois et d’initier l’enfant dans la création de l’agenda quotidien, avec l’aide du professionnel quand c’est possible. L’apprenant peut également être impliqué dans le travail de mise à jour du support papier au fil de la journée. En effet, quand une activité est terminée, il peut lui être demandé d’agir sur le pictogramme représentant l’activité qu’il vient de réaliser avec le professionnel.

Pour notre étude, nous proposons deux exemples d’emploi du temps qui se rapproche le plus de l’application numérique utilisée pour nos observations. Le premier exemple (image 1) correspond à un emploi du temps journalier avec une chronologie horizontale (mais peut être aussi présentée de façon verticale) imagée et relayée par des pictogrammes ou des mots (Louis et Ramond, 2010, p. 117). Le second exemple (image 2) correspond à un emploi du temps hebdomadaire (Valkenborg et Vermeulen, 2013, p. 99) regroupant les différents découpages

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journaliers de la semaine. L’application que nous utilisons permet aux enfants de visualiser leur semaine (horizontalement ou verticalement), mais également un accès pour tous les jours de la semaine quand ceux-ci sont préprogrammés par l’encadrant ou l’enfant lui-même quand c’est possible.

Image 1 et 2 : Agenda papier journalier et hebdomadaire (Sources des images33)

L’utilisation d’un Time Timer® (minuteur visuel, image 3) permet à l’enfant de gérer l’écoulement du temps pour acquérir une meilleure perception de l’enchainement des étapes de la journée (Philip, Magerotte, et Adrien, 2012, p. 9). De plus, le Time Timer® permet d’apporter une mesure concrète du temps qui est nécessaire à une activité (Tardif, 2010, p. 237).

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Image 3 : Time Timer® mécanique (minuterie)

Dans leur étude, Grey, Healy, Leader, et Hayes (2009) rendent compte de l’intérêt d’utiliser un Time Timer® auprès d’un enfant avec des troubles développementaux afin d’augmenter le comportement d’attente de ce dernier. Ils concluent que cette méthode est une stratégie efficace pour augmenter le comportement d'attente appropriée avec ce participant dans un cadre scolaire. L’étude ne portant que sur un seul individu il est alors difficile de généraliser leur résultat. Or, il serait intéressant, comme le soulignent Allman et Deleon (2009), d'examiner si les dispositifs tels que le Time Timer® sont efficaces pour réduire les comportements répétitifs pendant les périodes d'attente, et ce, auprès de plus d’un individu.

Il est très difficile de trouver des études qui évaluent les limites et les inconvénients des supports papier de planification. Cependant, la littérature anglo-saxonne contient une étude qui traite de la question dans un cadre qui lui est propre. En effet, l’auteur propose dans son écrit plusieurs limites qu’elle relève dans son observation auprès de personnes avec syndrome d’Asperger. Elle souligne, tout en s’appuyant sur les travaux de Peeters et Gillberg (1999), que peu d'informations peuvent donner lieu à peu de prévisibilité et conduire à des problèmes de comportement, alors que trop d'informations peuvent entraîner des difficultés de traitement pour l'individu, ce qui pourrait entraîner de la confusion. Toujours en s’appuyant sur ces auteurs, elle met en lumière l’importance d’individualiser les horaires afin de faciliter la clarté et la prévisibilité de l’emploi du temps. Elle termine son exposé en soulignant qu’il est reconnu que la nécessité de cette forme de soutien varie considérablement entre les individus.

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Nous proposons de faire, pour notre part, un état de l’art des conditions d’utilisation d’un emploi du temps pour des personnes avec autisme et non pas avec un syndrome d’Asperger dans le but d’amener un cadre adapté dans l’accompagnement pédagogique.

a. La pratique professionnelle

- L’évolution du contenu des pictogrammes papier : « Cette approche demande beaucoup de temps de préparation pour personnaliser le vocabulaire et rendre l’apprentissage

ludique » (George, 2008, p. 65). Une fois l’emploi du temps personnalisé, une forme de

routine se met en place dans l’accompagnement pédagogique or « l’exagération de cette ‘routinisation’ des pratiques pourrait conduire à un immobilisme des situations risquant d’œuvrer à l’inverse de l’autonomisation et l’adaptation de l’élève. Des variations minimes et réfléchies pourront être introduites progressivement, afin d’aider l’élève à

élargir sa zone de proche développement (ZDP)34 » (Valkenborg et Vermeulen, 2013, p.

117). Cette approche permet d’adapter, au fil des mois, le support papier afin de proposer un accompagnement répondant aux besoins et respectant les évolutions dans les apprentissages de l’enfant tout en évitant de maintenir l’apprenant dans son désir d’immuabilité.

- Le temps de création et d’organisation des pictogrammes : L’utilisation de la méthode

PECS demande un travail conséquent en amont. En effet, « le PECS demande une certaine préparation et organisation des pictogrammes et doit être utilisé dans le

quotidien […] » (Adrien et Gattegno, 2014). De plus, Tardif (2010, p. 245) souligne que

pour utiliser cette méthode « toutes les images auront [ont] la même taille. Le reste du matériel consiste en un classeur avec des bandes Velcro et une bande-phrase associée au classeur ». La littérature actuelle ne propose pas d’étude sur le temps de préparation des parents ou des professionnels dans la conception des emplois du temps papier, mais l’on peut imaginer que ce travail journalier peut être relativement conséquent.

34 (Vygotski, 1934)

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b. Les personnes avec autisme

Les enfants avec autisme ont des besoins particuliers et donc il est nécessaire d’adapter le support de planification en fonction de ces derniers.

- Le nombre d’informations disponibles : « Il est fondamental de laisser à l’enfant le temps de traiter la demande et de ne pas le submerger d’informations et de stimuli qui l’obligeraient à traiter à nouveau la consigne depuis le début » (Leroy et Lenfant, 2011, p. 63). Cette citation nous renvoie à la théorie de cohérence centrale (Frith, 1989) étudiée dans le chapitre précédent. En effet, elle nous amène à penser qu’il ne faut pas proposer trop de stimuli aux enfants avec autisme de par leur incapacité à les traiter de façon globale. De plus, Juhel et Hérault (2003, p. 128) recommandent de travailler dans des aires d’activité exemptées de distractions visuelles ou sonores, loin des fenêtres et de tout matériel distrayant. Dans la même idée, Tardif (2010, p. 236) relève que « le mode de communication sera [est] choisi en fonction des compétences de l’enfant. Il s’appuiera [s’appuie] sur des objets, parfois en nombre limité, lorsque les difficultés de l’enfant ne

lui permettent pas d’accéder au symbolisme de l’image ». En somme, le nombre de

stimuli proposés doit être à considérer dans l’agencement d’un emploi du temps pour un enfant avec des TED et doit répondre à ses besoins et ses ressources.

- L’agenda papier comme support de communication et d’interaction : Comme nous l’avons vu plus haut dans ce chapitre, l’utilisation des pictogrammes est un système de communication alternatif pour les enfants avec des TED (Tardif et Gepner, 2014) et permet d’apprendre l'échange et d’initier une interaction (Belhassen et Chaverneff, 2006). Il est donc pertinent de réaliser l’emploi du temps et de mettre à jour ce dernier avec la participation de l’enfant afin de développer ses compétences communicationnelles et développer ses interactions avec autrui. Le site agir pour l’autisme35 propose, en 2014,

une fiche technique permettant de « structurer le temps d’un enfant atteint d’autisme ». Les auteurs recommandent aux encadrants de réaliser « un emploi du temps adapté à son niveau de communication et de compréhension ». Ils ajoutent l’importance de la

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participation du jeune à la création de l’emploi du temps. Ainsi, il sera possible pour l’apprenant d’améliorer progressivement sa perception et sa construction temporelle.

c. Des propriétés physiques propres au support papier

Les caractéristiques des supports de planification varient d’un outil à un autre et il est pertinent de soulever les besoins des enfants dans l’utilisation d’un tel support.

- La variété des emplois du temps d’une sphère à une autre : Selon Bintz (2015, p. 23), l’enfant avec autisme éprouve des difficultés pour réinvestir dans un autre contexte les acquis précédemment assimilés dans un contexte défini. De plus, elle ajoute qu’il est « de ce fait nécessaire de lui permettre de conserver des repères communs d’une activité à l’autre, d’un contexte à l’autre : (…), son timer pour visualiser le temps dont il dispose, pour manger à la cantine des pictogrammes identiques à ceux qu’il utilise à la maison ». L’auteur conclut que cet accompagnement permet, à l’enfant avec autisme, d’intégrer les procédures simples du quotidien grâce à de nombreuses répétitions dans un contexte identique dans un premier temps. Par conséquent, l’utilisation de pictogrammes identiques dans les différentes sphères de l’enfant lui permettra l’accès à de nouveaux apprentissages et à la généralisation des situations. Dans son témoignage36, Maude Dubé,

éducatrice spécialisée, préconise d’utiliser les mêmes pictogrammes entre les différentes sphères (ex. : institution, maison et internat) ce qui demande donc une certaine collaboration entre les professionnels d’une même ou de différentes structures, mais également entre les professionnels et les parents (Yvon, 2014, p. 164).

- Disponibilité et permanence des informations liées à la planification : « Lorsque les informations sont présentées oralement, elles restent très peu de temps disponibles pour l’élève, contrairement aux informations visuelles qui peuvent rester présentes autant de temps qu’il en aura besoin. L’enfant va donc pouvoir tirer le profit maximum de ce type de présentation, et cela d’autant plus que les informations seront facilement reconnaissables » (Pry, 2013, p. 51). L’enfant avec autisme a besoin de pouvoir accéder à tout moment à l’information liée au découpage de sa journée, nous l'avons vu. De plus, ce

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besoin peut se traduire par le déficit existant au niveau de l’indice de mémoire de travail (Baddeley et Hitch, 1974) qui est faible chez les personnes avec autisme typique et atypique (Grimm, Assouline, et Piero, 2015). En outre, l’existence d’un Désordre du Traitement Temporo-Spatial (DTTS) des informations sensorielles chez les personnes avec des TED (Gepner et al., 2002) entraine un besoin de s’adapter au rythme de l’enfant afin qu’il puisse prendre connaissance des différentes informations. De ce fait, les informations en lien avec l’emploi du temps doivent être en permanence accessible (Sarfaty, 2015) pour que l’enfant puisse le consulter à tous moments et ainsi éviter des situations anxiogènes (Leroy et Lenfant, 2011, p. 54).

- Particularités du découpage des activités ou des tâches : « On notera qu’il est nécessaire d’ajuster ces emplois du temps séquentiels au niveau de développement des personnes » (Constant, 2013, p. 110). La précision du découpage des séquences de l’agenda papier dépendra des besoins et des ressources de l’enfant et donc d’un accompagnement individuel par les professionnels (Clerq, 2003, p. 68). Le faible niveau de flexibilité cognitive de l’enfant avec autisme ne lui permet pas de passer d’une tâche cognitive à une autre sans difficulté et donc également d’effectuer des transitions (Belhassen et Chaverneff, 2006, p. 147) entre les différentes pièces, comme évoqué précédemment. C’est en ce sens que multiplier les sources d’informations peut être contraignant pour l’enfant jusqu’à l’amener à ne pas être capable de retourner à un son support originel en cas de besoin. L’agenda devrait centraliser l’ensemble des informations détaillées de l’apprenant afin de lui proposer un seul et même outil capable de lui donner les renseignements nécessaires à un instant précis.

- Indications d’activité ou de tâche dissociées de la notion de durée : Le découpage de la temporalité ne se suffit pas à lui-même et doit être accompagné d’une mesure concrète du temps nécessaire à une activité (Philip, Magerotte, et Adrien, 2012; Tardif, 2010). De plus, Jacques Constant (2013) rappelle dans son ouvrage, que « la matérialisation de la durée est un élément rassurant, contenant et calmant, permettant aux personnes autistes les plus déficitaires de mieux moduler leur régulation émotionnelle, et donc de prévenir, au moins en partie, la survenue de crises comportementales » (p. 110). Pour répondre favorablement aux difficultés de perception et de construction temporelle, vu précédemment, un Time Timer® doit être associé à chaque tâche afin de permettre à

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l’enfant de gérer l’écoulement du temps pour acquérir une meilleure perception de l’enchainement des étapes de la journée (Philip, Magerotte, et Adrien, 2012, p. 9). Ainsi, l’emploi du temps ne peut être complet sans l’apport de repères temporels qu’apporte un outil de mesure du temps dans le but de lui permettre de « visualiser le temps qui passe » (Leroy et Lenfant, 2011, p. 55).

Cette revue de la littérature, en lien avec l’élaboration d’un support papier, nous permet de préciser les conditions d’utilisation favorisant l’accompagnement des personnes avec des TED et respectant les particularités de chacun. L’adaptation est primordiale sur l’organisation du temps et de l’espace afin de permettre à l’apprenant de se repérer dans tous les lieux de vie. Dans leur

article, Maillart, Grevesse, et Martinez Perez (2015) ont interrogé dix-neuf orthophonistes

travaillant avec des patients avec des TED et soulèvent que « le développement des technologies

numériques comme soutien à la prise en charge orthophonique est une piste importante » (p.

141). Au travers de leurs résultats, ils soulignent l’importance de pouvoir disposer d’applications

ouvertes, personnalisables, et permettant l’élaboration d’une progression individuelle avec « l’utilisation de supports visuels et, plus particulièrement, de moyens de communication augmentée et alternative (pas seulement pour communiquer, mais aussi pour progresser sur d’autres objectifs personnels) » (p. 149). Dans leur conclusion, les auteurs recommandent de « réaliser des analyses de besoins tant pour les professionnels que pour les patients concernés » (p. 150) afin de proposer des supports numériques adaptés à l’accompagnement des personnes avec des TED.

1.4.3. L’intérêt du support numérique dans les accompagnements pédagogiques pour