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Perception, réception du diagnostic et conséquences.

Chapitre III. Diagnostic et soins : recours et réception.

TOTAL OBS Nb cit.

3.3. Perception, réception du diagnostic et conséquences.

La réception du diagnostic par les personnes varie très fortement : selon les formes prises par le diagnostic, et selon la manière dont les individus se représentent la maladie et envisagent ce que peut être la vie avec. Mais plus encore, ce sont bien les caractéristiques des trajectoires de vie antérieure qui paraissent déterminantes dans la réception du diagnostic.

Pour quelques personnes, le diagnostic apparaît comme souhaitable car il permet de donner sens aux troubles, aux difficultés rencontrées et d’ajuster les comportements des proches.

«MME (épouse) : …je trouve que c’est important, peut-être moins pour lui, mais pour moi c’est important de savoir, pour mieux se situer, clarifier les choses aussi par rapport à notre entourage… » Mr : « Moi aussi j’ai besoin de savoir, mais il n’y a pas de thérapie, il n’y a rien à faire… » (CMRR- Mr P-78 ans- St Egrève .)

Mais pour la plus grande part de l’échantillon, l’évocation d’Alzheimer représente une épée de Damoclès, un futur inéluctablement sombre. L’annonce du diagnostic leur apparaît comme un jugement sans merci, en l’absence de traitement en vue de guérison.

- [Madame : ] « Parce que, on nous a dit que c'était peut-être la maladie d'Alzheimer. - E. : Qui est-ce qui vous a dit ça ?

- [Madame : ] : Ben, euh… - [Époux : ] Les docteurs. - [Madame : ] Des docteurs. - E. : Le médecin généraliste ?

- [Madame : ] Un docteur que j'ai vu une fois, à l'hôpital, il a dit : « il se peut que vous ayez la maladie d'Alzheimer ». J'ai dit : « merci ».

- D'accord… Et ça…

- [Époux : ] C'est bien un début [interrompu].

- [Madame : ] Qu'est-ce que ça donnerait, une maladie d'Alzheimer ? (…) ça se guérit comment ? Ils ont pas trouvé encore le remède ? » (CMRR-MME-L-88-Grenoble)

Dans certains cas, le doute quant à la nécessité de poursuivre les investigations s’exprime nettement.

- « M. et Mme : une de nos filles est neurologue, donc bien informée de tout cela. - Mme : est-ce que je dois le dire [en se tournant vers son mari]

- M. : mais bien sûr il faut tout dire.

- Mme : un moment donné mon mari s'est vraiment pas senti bien, un gros trou de mémoire une grosse prise de panique, l’ont amené à consulter son généraliste. Il lui a prescrit un scanner, dont les résultats ont été rassurants.

72 - Mme : et du coup cela a enclenché toute la suite. C'est-à-dire la consultation que nous avons eue en

juin 2013 ici. Et là c'est vrai qu’il voulait tout arrêter, la chute de moral complète.

- M : même maintenant j’aimerais bien tout arrêter. Parce qu’on sait que dans ce domaine-là on ne peut rien faire, avec Alzheimer il n'y a rien à faire. On n'a pas encore découvert le remède miracle. » (CMRR-MR-P-78-St Egrève)

Les modes de diagnostic qui reposent sur des consultations répétées, des passations de tests, insécurisent les personnes, qui se confrontent à des difficultés de plus en plus importantes au fil du temps et se trouvent ainsi en échec.

« Mme : oui et pendant les tests, les examens que l'on passe au bilan il y a des tableaux que l'on doit bien regarder, et ensuite il faut répondre aux questions. Il y a quelques temps j'étais bonne, et au dernier test très mauvaise. J'ai des choses qui restent trop peu de temps dans ma tête. On voit les choses sans les voir tout en les voyant. Ils font tout ça au test. » (CMRR-MME-B-82-Meylan)

Face à ce déclin mis en lumière par les premières consultations ou les tests, la motivation des personnes pour le diagnostic baisse sensiblement et certaines ne vont pas jusqu’au bout de la démarche. Cette situation est fréquente par mi l’échantillon de personnes vues au CPA auxquelles une préconisation de diagnostic a été posée. Dans la majeure partie des situations, le suivi de la préconisation, ne se fait pas immédiatement et une longue période de diversion commence, pendant laquelle les personnes tentent de poursuivre leur vie à l’identique.

« - E : Mais par rapport à vos questions de mémoire, est-ce qu'ils vous ont dit de… ? par rapport aux médecins, d'autres visites de spécialistes, par rapport à ces questions de mémoire, est-ce qu'ils vous ont dit quelque chose ? Est-ce qu'ils vous ont fait des préconisations ?

- MME : Ils voudraient qu'on se revoie, on m'a dit, « pour tester pour votre mémoire », c'est tout. - E. : D'accord. Et quand ?

- MME : Un an après.

- E : Dans un an. D'accord. Ils vont vous rappeler, ou ça sera à vous d'y aller ? - MME : À moi d'y aller. J'ai plus envie d'y aller ! [Elle rit.]

- E : Pourquoi vous n'avez plus envie d'y aller ?

- MME : Je sais pas. [Elle rit.] Moi, je… [Éclat de rire.] J'aime bien rester chez moi ! »(CPA-MME-M- 76-Echirolles).

Pour un tiers des personnes, l’annonce du diagnostic vient confirmer ce qu’elles disent savoir déjà. Il s’agit alors de la confirmation d’une intuition .

« - E. : Et vous, Monsieur, ça vous a surpris cette annonce ?

[Époux : ] Non, parce que je m'étais aperçu que ça n'allait pas. » (CMRR-MME- G- 81 Grenoble) -

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Pour un tiers en revanche, l’annonce du diagnostic est comme « un coup de tonnerre » qui désorganise la pensée et le quotidien.

« Mme C. : Je l’ai mal pris, je l’ai mal pris. Il m’a dit « madame C., vous avez un début de maladie d’Alzheimer », et quand il m’a enlevé le Réminil, je lui ai téléphoné quelque temps après, parce qu’il m’a dit « je veux vous voir que dans un an », et je voulais qu’il me reprenne, parce que je me disais « comment ça se fait qu’il m’a enlevé le Réminil ? ». Rien que de savoir que je prenais plus le Réminil, ça allait encore plus mal. Il n’aurait pas dû, mais alors là, je suis plus moi-même, pour tout vous dire. Je le dis pas à ma fille, mais je suis plus moi-même. Je le vois tous les jours. Moi, quand on me disait de faire la sieste, malheur, moi, je faisais pas la sieste. J’avais ma machine à coudre, j’aime coudre et tout. Mais là, quand j’ai fini de manger, il faut que je me couche un moment. Et j’ai la tête vide, toujours. » (CMRR-Mme-C-82-Fontaine)

« Ben mal, on le vit obligatoirement mal. Parce que quand on parle de la maladie d’Alzheimer, c’est quelque chose de grave. Mais maintenant je me sens pas... non. Peut-être que j’ai plus la mémoire que j’avais avant, mais... par contre quand j’ai quelque chose à faire, j’appréhende. Ben le mot il fait peur oui. Quand on vous dit que vous avez la maladie d’Alzheimer, ça fait trois fois le tour dans la tête, c’est pas agréable. » (CMRR-MME-D-78-Mont St Martin)

D’autres personnes enfin paraissent ne pas avoir enregistré le diagnostic ou alors elles optent stratégiquement pour un oubli ou une occultation.

« E : Le CMRR ça vous dit quelque chose ? Le professeur X dont vous m’avez parlé en arrivant dirige le CMRR.

Mme. : Ah oui d’accord mais autrement, ça m’a pas… occupée plus.

E : Est-ce qu’on vous a parlé de troubles de la mémoire ou de choses comme ça ?

Mme C. : Je pense pas non. Moi normalement, je pense pas que j’ai des trous de mémoire. Mais bon. Si on me le dit, c’est que… Mais autrement moi, je vis là, bien, toute seule. (CMRR-MME-C-88-Pontcharra).

Il est étonnant de relever que parmi les personnes adressées par le CMRR comme étant diagnostiquées, bon nombre déclarent aux enquêteurs ne pas avoir encore le diagnostic ou être en cours d’évaluation.

« - Mr : Le diagnostic est pas encore assuré à 100% non plus. J’ai rendez-vous le 17 juin avec le professeur X j’y suis allé au mois de janvier, il a dit que c’était pas assuré à 100% pour cette maladie-là.

- E : Donc entre 2011 et le mois de janvier, vous êtes retourné... - Mr : Tous les 6 mois on y va. Il nous convoque tous les 6 mois. - E : Donc vous n’avez pas de diagnostic ?

- Mr : Pas à 100% non. C’est pas encore certain que ce soit ça. Il me l’a même dit la dernière fois au mois de janvier. Il m’a dit « c’est peut-être pas ça ». Mais il me dit pas ce que ça pourrait être. Il me dit rien. Alors je sais pas. » (CMRR-MME-D-59-Vif)

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Cette question de la réception du diagnostic apparaît donc complexe. Les modalités de l’évaluation et le temps long qui caractérise les investigations paraissent rendre difficile pour les malades, la conscience de ce qui se joue lors de ces multiples entretiens. Pour certains, la fait qu’un suivi tous les six mois soit proposé, signifie que la réalité de la maladie n’a pu être encore établie. Pour d’autres ces séances évaluatives sont assimilées à des exercices, tels des ateliers mémoire et ils n’en voient pas la spécificité.

« oui c'est bien ça, c'était il y a très très longtemps, mais c'est peut-être un peu prétentieux, mais cela ne m'a rien apporté. Je savais déjà répondre à tout ce que l'on me demandait. » (CMRR-MME-Z-70- Seyssinet)

Cependant, la grande majorité des personnes insistent sur la relation « chaleureuse », « humaine », qui accompagne leurs visites au CMRR ou au CPA.