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Chapitre 2 : Le rôle des entreprises dans la réussite du processus d’entrée des

1. Les pratiques de recrutement comme socialisation anticipée

1.2. La perception par les nouveaux embauchés des pratiques de recrutement

L'ensemble des pratiques de recrutement que nous venons d'aborder contribue à véhiculer des informations socialisantes pour les futurs salariés et favorise donc la réussite de leur entrée organisationnelle. Par son importance, le recrutement se doit donc de respecter les caractéristiques psychométriques fondamentales de toute méthode scientifique et notamment la fidélité et la validité prédictive (Lévy-Leboyer, 2007 ; Steiner, 2004). D'une part, cela signifie que deux évaluateurs différents, en suivant la procédure de recrutement, telle que définie précédemment, évalueraient de manière identique un même candidat. D'autre part, les méthodes utilisées devraient permettre de prédire la réussite professionnelle du futur salarié. Il est de plus en plus question, dans les recherches, de tenir compte également de la validité

apparente de la procédure (Bertolino & Steiner, 2011). Si une technique de sélection est

perçue comme pertinente par les candidats au regard du poste pour lequel ils prétendent, alors elle possède une bonne validité apparente (Macan, Avedon, Paese & Smith, 1994 ; Smither, Reilly, Millsap, Pearlman & Stoffey, 1993). En 1993, Gilliland propose un modèle concernant la perception de justice à l'égard des pratiques de recrutement en se basant sur les apports théoriques de la justice organisationnelle (Greenberg, 1987).

1.2.1. La justice organisationnelle et le recrutement

La justice organisationnelle concerne les perceptions des salariés à propos de ce qui est juste ou injuste dans leur entreprise (Bertolino & Steiner, 2011). Elle comprend trois aspects (Colquitt, 2001).

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Le premier élément s'intéresse à l'évaluation par les salariés de l’équité de leurs rétributions au travail et se rapporte à la justice distributive. "Dans le contexte du

recrutement, les candidats trouveraient équitable ou juste un recrutement (la rétribution) qui donne le poste au candidat le plus en adéquation avec l’emploi, c’est-à-dire celui ayant le plus de contributions démontrées par ses performances aux tests, et d’autres évaluations de ses qualifications et compétences" (Bertolino et Steiner, 2011, p. 60).

Le second aspect correspond à la justice procédurale. Elle est liée aux perceptions des individus concernant la manière dont les décisions de rétribution sont prises par les décisionnaires (Thibault & Walker, 1975). En contexte de recrutement, les individus trouveraient la procédure juste s'ils ont la possibilité de s'exprimer sur le processus décisionnel. C'est le concept de "voix" selon Thibault et Walker (1975). Leventhal (1976, 1980) complète cette conception en évoquant six règles à respecter : application des mêmes procédures à tous les candidats (cohérence), absence de biais et de préjugés (impartialité), utilisation d'informations exactes et exhaustives pour prendre la décision d'embauche (précision), prise en compte de tous les critères pertinents (représentativité), possibilité de revenir sur une décision (adaptabilité) et respect des standards de moralité usuels (éthique).

Le dernier aspect concerne la justice interactionnelle. Elle est composée de la justice interpersonnelle (sentiment d'être traité avec dignité et respect par les décisionnaires) et la justice informationnelle (sentiment d'avoir reçu les explications concernant les décisions prises ou la façon de les prendre). En contexte de sélection, la justice interpersonnelle est reliée au fait d'être traité avec respect par les recruteurs et d'avoir le sentiment que ceux-ci sont chaleureux. La justice informationnelle se traduit par le sentiment d'avoir reçu les explications concernant la procédure de sélection et la façon dont la décision d'embauche est prise (Greenberg, 1993).

1.2.2. Le modèle de Gilliland (1993)

Les premières études qui se sont intéressées à la perception des pratiques de recrutement par les candidats datent des années 1970. Elles abordent alors la question d'un

sentiment général de justice à l'égard de la procédure de sélection (Landy, Barnes &

Murphy, 1978 ; Landy, Barnes-Farrel & Cleveland, 1980). C'est en 1993 que Gilliland présente un modèle de perception des pratiques de recrutement au regard du sentiment de

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justice procédurale qui correspond à la justice perçue des procédures ou des méthodes utilisées dans les décisions de sélection.

Gilliland (1993) identifie dans son modèle dix règles de justice procédurale à respecter dans le cadre du recrutement qu'il a regroupées en trois catégories.

La première catégorie porte sur les caractéristiques formelles des systèmes de sélection et comprend :

 La pertinence pour l'emploi : sentiment que les méthodes utilisées pour

évaluer les compétences sont en lien avec les compétences effectives du poste. En d'autres termes, il s'agit de la relation entre le contenu de la méthode et le poste de travail. Cette dimension fait référence à la validité apparente de la procédure. Une méthode ou un test a une bonne validité apparente dans la mesure où le candidat les perçoit comme pertinentes et en adéquation avec l'emploi pour lequel il postule (Macan, Avedon, Paese & Smith, 1994 ; Smither, Reilly, Millsap, Pearlman & Stoffey, 1993).

 L'opportunité de montrer ses points forts : sentiment de pouvoir montrer ses

compétences, ses savoirs et ses capacités pour le poste à pourvoir lors du recrutement (Arvey & Sackett, 1993).

 La possibilité de reconsidération : sentiment de pouvoir recevoir une seconde

chance, comme repasser une épreuve de sélection par exemple.

 La cohérence dans l'administration du recrutement : sentiment que les

autres candidats au poste ont été évalués de la même façon (Murphy, Thornton & Reynolds, 1990).

La seconde catégorie porte sur les explications présentées au cours de la sélection et comprend :

 Le feed-back : possibilité d'avoir un retour d'informations sur l'évaluation de la

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 Les informations sur le processus de sélection : sentiment d'être informé

quant à la procédure de recrutement (Sheppard & Lewicki, 1987) et plus particulièrement relativement à la décision d'embauche (Tyler & Bies, 1990).

 L'honnêteté : sentiment que le recruteur a été sincère et honnête dans les

explications qu’il a fournies et dans la communication qu’il a établie avec le candidat (Bies & Moag, 1986).

La dernière catégorie porte sur le traitement interpersonnel et comprend :

 L'efficacité interpersonnelle du recruteur : concerne la bienveillance du

recruteur et le sentiment que celui-ci s'est comporté de manière chaleureuse (Rynes, 1991) et respectueuse (Bies & Moag, 1986).

 La communication bilatérale : sentiment d'avoir eu l’opportunité d'une réelle

interaction avec les personnes rencontrées au cours du recrutement, d'avoir pu poser des questions et solliciter des explications (Tyler & Bies, 1990).

 La bienséance des questions : sentiment que les questions posées ne sont pas

inappropriées dans la situation de recrutement ou préjudiciables pour les candidats portant atteinte à leur vie privée (Stone & Stone, 1990).

Le respect de l'ensemble de ces règles contribue à la perception globale de la procédure de sélection et a des répercussions sur les réactions des individus durant la phase de sélection et après leur entrée dans l'organisation.

1.2.3. Les conséquences de la justice perçue du processus de sélection sur les attitudes et les comportements des individus

Les conséquences attitudinales et comportementales des perceptions de justice à l'égard du recrutement durant la procédure de sélection concernent :

 La satisfaction liée au processus de sélection : les études de Macan et al.

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pertinentes pour l'emploi favorisent la satisfaction envers le processus de sélection mesurée au même moment. En outre, les travaux de Truxillo, Bauer & Sanchez (2001) montrent que cette relation peut durer dans le temps. En effet, ils ont évalué, dans un premier temps, les perceptions de justice à l'égard de deux tests passés lors d'un processus de sélection, et, la satisfaction vis-à-vis de ce processus un mois plus tard.

 L'attrait organisationnel : il existe un lien positif entre le sentiment de justice

dans le dispositif de sélection et l'attrait pour l'organisation (Hausknecht et al., 2004), qui toutefois n'est plus significatif après une période de quatre mois dans l'entreprise (Cunningham-Snell, Anderson & Fletcher, 1999).

 L'intention d'accepter l'offre d'emploi : il y a une relation positive entre les

perceptions de validité apparente et les intentions d'accepter le poste (Hausknecht et al., 2004 ; Macan et al., 1994). Toutefois cette relation n'est pas retrouvée dans les travaux de Truxillo, Bauer, Campion et Paronto (2002). Cette différence pourrait être expliquée par le fait qu'il existerait d'autres facteurs pouvant rentrer en ligne de compte dans l'intention d'accepter un poste, tels que le marché de l'emploi, une autre opportunité d'embauche ou des raisons d'ordre personnel.

 L'intention de recommander l'entreprise : les études à ce sujet ne sont pas

convergentes. En effet, certaines études font ressortir un lien positif entre les perceptions de justice pendant la sélection et l'intention de recommander l'entreprise (Bauer et al., 2001 ; Hausknecht et al., 2004 ; Ployhart & Ryan, 1997 ; Smither, Reilly, Millsap, Pearlman & Stoffey, 1993) alors que d'autres n'en dégagent aucun (Bauer et al., 1998 ; Truxillo et al., 2002).

 L'intention d'entamer une procédure judiciaire : les études montrant le lien

entre la perception de justice et l'intention d'un recours juridique n'ont pu se faire qu'en laboratoire, ce type de sujet étant difficile à obtenir en contexte réel (Bauer et al., 2001 ; Ostberg, Truxillo & Bauer, 2001).

 La motivation à réussir le test : elle joue un rôle médiateur positif entre les

perceptions de la validité apparente d'un test et la performance lors de la passation de celui-ci (Chan, Schmitt, DeShon, Clause & Delbridge, 1997).

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 Le retrait des candidats : plus les perceptions de justice sont positives et

moins les candidats décideraient de retirer leur candidature (Schmit & Ryan, 1997).

Cette première confrontation avec la justice perçue de l'entreprise peut avoir des répercussions sur la réussite du processus d'entrée dans l'organisation. Ces conséquences concernent certaines attitudes à l'égard du travail ou de l'entreprise, telles que la satisfaction

au travail, l'implication organisationnelle et l'intention de rester dans l'organisation

(Bauer, Truxillo, Sanchez, Craig, Ferrara & Campion, 2001 ; Gilliland, 1993, 1994 ; Locufier et al., 2011). En outre, selon Gilliland (1993), il existerait un lien entre le sentiment de justice à l'égard de la procédure de recrutement et le sentiment d'efficacité personnelle. Cette relation est confirmée par les travaux de Hausknecht et al. (2004) et ceux de Locufier et al. (2011). Enfin, nous avons identifié une corrélation significative entre la justice perçue des méthodes de sélection et des aspects relatifs, d'une part, à la santé au travail, tels que les tensions psychologiques ressenties en début de carrière, et d'autre part, à la socialisation

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1.3. Synthèse

La première partie de ce chapitre a permis de montrer l'importance de prendre en compte les pratiques de recrutement des entreprises et les perceptions de justice qu'elles génèrent chez l'individu, car elles contribuent à la réussite du processus d'entrée des nouveaux embauchés dans l'organisation.

Les pratiques de recrutement mises en place peuvent favoriser la socialisation anticipée de la nouvelle recrue par le biais des informations qui lui sont transmises tout au long du processus de recrutement. En effet, l'ensemble des travaux confirme que les

nouveaux embauchés ayant eu une connaissance plus fine des différents aspects liés au travail et à l'organisation avant d'entrer dans l'entreprise ont, non seulement moins d'attentes déçues (Saks & Ashforth, 2000), mais se déclarent également plus satisfaits, plus impliqués dans l'organisation, ont moins l'intention de la quitter et sont en meilleure santé (Bauer & Green, 1994 ; Delobbe & Dulac, 2005 ; Kammeyer-Mueller & Wanberg, 2003 ; Locufier et al., 2011 ; Vandenberghe & Scapello, 1990).

Nous avons ensuite orienté notre analyse vers les perceptions de justice générées par

les procédures de sélection. En effet, elles ont des répercussions sur les personnes lors du

recrutement, mais aussi après leur entrée dans l'organisation. Elles sont en lien avec une meilleure satisfaction au travail, une implication organisationnelle plus importante, l'intention de rester dans l'entreprise et peuvent impacter également le sentiment d'efficacité personnelle et des éléments en lien avec la santé au travail (Bauer, Truxillo, Sanchez, Craig, Ferrara & Campion, 2001 ; Gilliland, 1993 ; 1994 ; Locufier et al., 2011).

Parce que le décalage entre attentes et réalités professionnelles et la justice perçue de la procédure de recrutement peuvent être à la fois déterminés par des pratiques organisationnelles, mais aussi influencer certains indicateurs de réussite de l'entrée organisationnelle, ils constitueraient des indicateurs intermédiaires de la réussite de ce processus.

Nous proposons, pour clore ce chapitre, d'identifier un modèle théorique (cf. figure 6) permettant de faire les liens entre les pratiques de recrutement, les perceptions de celles-ci et les conséquences directes et indirectes que nous avons évoquées. Enfin, il est envisagé de mener, dans le cadre de ce travail doctoral, une première étude permettant d'identifier les pratiques de recrutement socialisantes (au regard des informations qu'elles transmettent) et d'analyser le lien avec des indicateurs intermédiaires de réussite de l'entrée organisationnelle, tels que : le décalage entre attentes et réalités professionnelles, le sentiment de justice

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procédurale à l'égard du recrutement et la socialisation organisationnelle (relative au domaine du travail, du groupe de travail et de l'organisation).

Figure 6 : Modélisation des pratiques de recrutement socialisantes et de leurs conséquences directes et indirectes sur le processus d'entrée dans l'organisation

Stratégies de recherche de candidats - Canaux de recrutement (distance vs proximité et direct vs intermédié) Décalages perçus entre attentes et réalités professionnelles Attitudes à l'égard du travail et de l'organisation - Satisfaction au travail - Implication organisationnelle - Intention de rester dans l'organisation Socialisation organisationnelle Sentiment de justice procédurale (lié au recrutement) Evaluation des candidatures - Aperçu réaliste d'emploi - Accès à des informations claires sur le travail, les relations de travail et l'organisation

Santé au travail

Sentiment d'efficacité personnelle

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