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A. A PPEL INTERJETÉ CONTRE LA PEINE PAR L ’A PPELANT D RAGOLJUB K UNARAC

1. La peine unique prononcée est-elle conforme au Règlement ?

i) L’Appelant (Kunarac)

337. L’Appelant affirme, en substance, que la Chambre de première instance aurait dû prononcer une peine distincte pour chaque infraction dont il a été reconnu coupable à l’issue du procès et ce, en vertu de l’article 101 C) du Règlement tel qu’alors en vigueur472. Il avance que cette version de l’article 101 C) « n’autorisait en aucun cas le prononcé d’une peine unique », et en veut pour preuve qu’il a fallu modifier le Règlement peu après la conclusion du procès473. Selon l’Appelant, la Chambre de première instance n’a pas respecté le principe qui exige qu’à chaque infraction doit correspondre une peine, et qu’une condamnation globale pour l’ensemble

472 Mémoire d’appel de Kunarac, par. 149. Article 101 C) de la 18e édition du Règlement de procédure et de preuve, 2 août 2000.

473 Mémoire d’appel de Kunarac, par. 150.

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des crimes ne peut résulter de la somme des différentes peines, ni excéder le maximum prévu pour une infraction distincte474.

ii) L’Intimé

338. L’Intimé répond que l’Appelant n’a pas démontré, au sens de l’article 6 D) du Règlement, en quoi l’application du Règlement a, en l’occurrence, porté atteinte à ses droits d’accusé475. Il soutient que la modification en question a codifié la pratique du Tribunal consistant à autoriser la peine unique pour des crimes « commis dans une zone géographique et pendant une période limitées », étant donné qu’« une peine unique rend alors mieux compte de l’ensemble du comportement des Appelants »476. L’Intimé a cité une autre disposition pertinente du Règlement, l’article 87, sans toutefois répondre aux arguments de l’Appelant concernant l’article 101 C).

b) Examen

339. La Chambre de première instance se contente de déclarer qu’elle considère que

« l’application de la dernière version modifiée ?dug Règlement ne porte pas préjudice aux droits des trois accusés», en vertu de l’article 6 du Règlement477 et qu’elle se conforme aux dispositions de l’article 87 C) en imposant une peine unique478.

340. L’article 101 C) du Règlement (18e édition, 2 août 2000) disposait :

En cas de multiplicité des peines, la Chambre de première instance détermine si celles-ci doivent être purgées de façon consécutive ou si elles doivent être confondues.

Cette disposition a été supprimée à la réunion plénière du Tribunal tenue en décembre 2000.

L’article 87 C) de la 18e édition du Règlement disposait quant à lui :

Si la Chambre de première instance déclare l’accusé coupable d’un ou de plusieurs des chefs visés dans l’acte d’accusation, elle fixe en même temps la peine à infliger pour chaque déclaration de culpabilité.

Dans la 19e version du Règlement (19 janvier 2001), l’article 87 C) est ainsi rédigé :

474 Ibid., par. 151.

475 Réponse unique de l’Accusation aux mémoires d’appel, par. 8.5.

476 Ibid., par. 8.9.

477 Jugement, par. 823, note 1406.

478 Ibid., par. 855.

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Si la Chambre de première instance déclare l’accusé coupable d’un ou plusieurs des chefs visés de l’acte d’accusation, elle prononce une peine à raison de chaque déclaration de culpabilité et indique si les peines doivent être confondues ou purgées de façon consécutive, à moins qu’elle ne décide d’exercer son pouvoir de prononcer une peine unique sanctionnant l’ensemble du comportement criminel de l’accusé.

Cette version plus récente de l’article 87 C) allie les dispositions des articles 87 C) et 101 C) de la 18e édition du Règlement, et reconnaît en outre aux chambres de première instance le pouvoir de prononcer une peine unique. L’article 6 D), dont le libellé n’a pas varié entre les deux éditions concernées, dispose :

Les modifications entrent en vigueur sept jours après leur publication sous forme de document officiel du Tribunal contenant les modifications, sans préjudice des droits de l’accusé, d’une personne déclarée coupable ou d’une personne acquittée dans les affaires en instance.

341. La Chambre d’appel considère que ce moyen d’appel allègue une erreur de droit. Il est clair que l’application de la nouvelle version de l’article 87 C) habilitait la Chambre de première instance à infliger une peine unique. La question que doit examiner la Chambre d’appel est celle de savoir si l’infliction d’une peine unique en conformité avec l’article 87 C) du Règlement a porté préjudice aux droits de l’accusé à la fin de son procès.

342. Aux yeux de la Chambre d’appel, la version de l’article 101 C) contenue dans la 18e édition du Règlement n’imposait pas expressément à une chambre de première instance de prononcer plusieurs peines pour des déclarations de culpabilité multiples. Ce texte se bornait à exiger qu’elle indique si des peines multiples, au cas où elles étaient prononcées, devaient être purgées de manière consécutive ou devaient être confondues. L’objectif de cet article était de clarifier les modalités de l’application des peines. C’est également l’interprétation implicitement retenue dans le Jugement Bla{ki}479, où la Chambre de première instance avait précisé480 :

En l’espèce, les crimes reprochés à l’accusé ont été qualifiés de plusieurs manières distinctes mais font partie d’un ensemble unique de faits criminels, commis sur un territoire géographiquement déterminé, au cours d’une période de temps relativement étendue mais dont la longueur même a contribué à asseoir la qualification de crime contre l’humanité et sans qu’il soit possible de procéder entre eux à une distinction de l’intention ou du mobile criminels. En outre, la Chambre observe que les crimes autres que le crime de persécution retenus à l’encontre de l’accusé reposent en totalité sur les mêmes faits que ceux visés pour les autres crimes poursuivis à l’encontre de l’accusé. ?…g Vu cette cohérence d’ensemble, la Chambre considère qu’il y a lieu d’infliger une peine unique pour la totalité des crimes dont l’accusé a été reconnu coupable.

343. Il ressort clairement du dispositif du Jugement Bla{ki} que l’accusé a été déclaré coupable de différents chefs à raison des mêmes actes desquels il a été tenu responsable. Ce

479 Jugement Bla{ki} (en cours d’appel), par. 805.

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jugement montre bien que, parfois, une sentence globale et unique peut être plus appropriée qu’une série de peines infligées pour des déclarations de culpabilité distinctes. Selon l’Arrêt ^elebi}i, le critère fondamental est à cet égard que « la peine prononcée contre un accusé rende compte de l’ensemble de son comportement criminel »481.

344. La Chambre d’appel considère que ni l’article 87 C) ni l’article 101 C) de la 18e édition du Règlement n’interdisaient à une chambre de première instance de fixer une peine unique, et rappelle que la peine unique n’était pas inconnue dans la pratique du Tribunal ou dans celle du TPIR482. La version plus récente de l’article 87 C), sur laquelle la Chambre de première instance s’est appuyée pour déterminer les peines dans la présente espèce, a simplement confirmé le pouvoir des chambres de première instance de prononcer une telle peine. Si, comme c’est le cas, l’Appelant n’a pas remis en cause l’équité de l’article 101 C) dans la 18e édition du Règlement, il ne peut contester celle de l’article 87 C) dans la 19e édition, qui n’a fait qu’intégrer la version antérieure de l’article 101 C) et codifier une pratique déjà existante au Tribunal. Ce moyen d’appel est donc rejeté.

2. Recours à la grille des peines appliquée par les tribunaux de l’ex-Yougoslavie