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obligatoire sans contrepartie – demeurerait. Il n’y a pas d’esclavage bienveillant. Même tempérée par un traitement humain, la servitude involontaire reste de l’esclavage.

Cette citation concerne l’esclavage, mais elle s’applique tout aussi bien à la réduction en esclavage.

124. Pour ces motifs, la Chambre d’appel estime que la définition du crime de réduction en esclavage donnée par la Chambre de première instance n’est pas trop large et reflète l’état du droit international coutumier à l’époque des actes incriminés. Les griefs des Appelants sont en conséquence rejetés, de même que le moyen d’appel relatif à la définition du crime de réduction en esclavage.

B. Définition du crime de viol

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selon lequel « doivent être réprimées les violations graves de l’autonomie sexuelle »154. Par ailleurs, l’Intimé observe que « l’emploi de la force, la menace de son emploi ou la contrainte » excluent tout « consentement véritable »155.

2. Examen

127. Après un examen poussé de la jurisprudence du Tribunal et des lois de plusieurs systèmes juridiques internes156, la Chambre de première instance a conclu que

l’élément matériel du crime de viol est constitué par : la pénétration sexuelle, fût-elle légère : a) du vagin ou de l’anus de la victime par le pénis du violeur ou tout autre objet utilisé par lui ; ou b) de la bouche de la victime par le pénis du violeur, dès lors que cette pénétration sexuelle a lieu sans le consentement de la victime. Le consentement à cet effet doit être donné volontairement et doit résulter de l’exercice du libre arbitre de la victime, évalué au vu des circonstances. L’élément moral est constitué par l’intention de procéder à cette pénétration sexuelle, et par le fait de savoir qu’elle se produit sans le consentement de la victime.157

128. La Chambre d’appel ne peut que souscrire à la définition que la Chambre de première instance a donnée du viol. Cependant, la Chambre d’appel est convaincue de la nécessité d’insister sur deux points. Tout d’abord, elle rejette la condition de « résistance » avancée par les Appelants, élément supplémentaire pour lequel ils n’ont fourni aucun fondement au regard du droit international coutumier. Lorsque les Appelants croient pouvoir affirmer que seule une résistance continue permet d’indiquer au violeur que ses avances ne sont pas les bienvenues, cette affirmation est tout aussi erronée en droit qu’absurde dans les faits.

129. Ensuite, s’agissant du rôle de la force dans la définition du viol, la Chambre d’appel observe que la Chambre de première instance semble s’être écartée des définitions antérieures dégagées par la jurisprudence du Tribunal158. Toutefois, en faisant du défaut de consentement la condition sine qua non du viol, la Chambre de première instance n’a pas désavoué les définitions antérieures issues de la jurisprudence du Tribunal ; elle a plutôt tenté d’expliquer le lien existant entre l’emploi de la force et le consentement. L’emploi de la force ou la menace de son emploi constitue certes une preuve incontestable de l’absence de consentement, mais l’emploi de la

154 Réponse unique de l’Accusation aux mémoires d’appel, par. 4.15 (citant le Jugement, par. 457). Il est d’ailleurs intéressant de noter que, dans le code pénal allemand, la section concernant les sanctions que la loi prévoit pour le viol et pour d’autres formes d’abus sexuels s’intitule « Atteintes à la liberté sexuelle d’autrui » (code pénal allemand (Strafgesetzbuch), chapitre 13, modifié par la loi du 23 novembre 1973).

155 Réponse unique de l’Accusation aux mémoires d’appel, par. 4.19.

156 Jugement, par. 447 à 456.

157 Ibid., par. 460.

158 Voir, par exemple, Jugement Furund`ija, par. 185. Les définitions antérieures ont privilégié l’emploi de la force comme une caractéristique constitutive du viol. Si l’on suit ce raisonnement, soit l’emploi de la force ou la menace

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force n’est pas en soi un élément constitutif du viol159. La Chambre de première instance a tenu en particulier à insister sur l’existence de « facteurs ?autres que l’emploi de la force? qui feraient de la pénétration sexuelle un acte non consensuel ou non voulu par la victime »160. Une définition restrictive fondée sur l’emploi de la force ou sur la menace de son emploi pourrait permettre aux auteurs de viols de se soustraire à leur responsabilité pour des actes sexuels qu’ils auraient imposés à des victimes non consentantes à la faveur de circonstances coercitives, mais sans pour autant recourir à la force physique.

130. La Chambre d’appel constate par exemple que dans certains systèmes juridiques internes, ni l’utilisation d’une arme, ni l’exercice d’une domination physique sur la victime ne sont nécessaires pour prouver l’emploi de la force. Une menace de représailles ultérieures proférée contre la victime ou contre une tierce personne est un élément suffisant pour établir l’emploi de la force dès lors « que l’on peut raisonnablement penser que l’auteur du viol mettra sa menace à exécution »161. S’il est vrai que s’attacher à un seul aspect apporte un éclairage différent à la définition de l’infraction, il est néanmoins important de noter que les circonstances de l’espèce, comme celles de la plupart des affaires où les actes incriminés sont qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, se caractérisent presque toujours par la coercition. Somme toute, en pareil cas, un consentement véritable n’est pas possible.

131. Au chapitre intitulé « Atteintes à la liberté sexuelle d’autrui », le droit matériel allemand renferme une section prévoyant des sanctions contre les auteurs d’actes sexuels commis sur des détenus ou des personnes placées sous la garde des autorités publiques162. Le défaut de consentement ne constitue pas un élément du viol. Tant au niveau fédéral qu’à celui des États, la législation américaine — prévue pour des circonstances étrangères à un contexte de guerre —

de son emploi exclut toute possibilité de résistance physique à l’agresseur, soit il en découle une telle contrainte que toute possibilité de consentement est exclue.

159 Jugement, par. 458.

160 Ibid., par. 438.

161 Code pénal de Californie 1999, Titre 9, article 261 a) 6). L’article énumère également d’autres situations qui transforment un acte sexuel en viol, par exemple lorsque l’acte « est accompli contre la volonté de la victime par l’emploi de la force, de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la peur d’atteintes immédiates et illicites portées contre l’intégrité physique de la victime ou d’une tierce personne » (article 261 a) 2)). Le consentement est défini comme « la coopération positive dans les actes ou l’attitude, suite à l’exercice du libre arbitre » (article 261.6)

?traduction non officielle?.

162 De fait, la nouvelle version de l’article 177 du Chapitre 13 du Code pénal allemand (Strafgesetzbuch), qui définit le crime de contrainte sexuelle et le viol, reconnaît l’existence de circonstances particulières qui rendent la victime vulnérable. Il a été modifié en avril 1998 pour ajouter expressément que le fait que l’auteur « tire avantage d’une situation dans laquelle la victime est sans défense face au criminel » équivaut à « l’emploi de la force » ou à « la menace de mort ou de violences immédiates ».

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tend de plus en plus à aller dans ce sens. Ainsi, un membre du personnel pénitentiaire qui a une relation sexuelle avec un détenu commet une infraction fédérale, que le détenu soit ou non consentant. La plupart des États ont incorporé des dispositions similaires dans leurs codes pénaux163. Dans l’affaire État du New Jersey c/ Martin, la cour d’appel intermédiaire du New Jersey (Appellate Division of the New Jersey Superior Court) a précisé l’objet de ces dispositions : « ?le législateur? a eu raison de reconnaître le déséquilibre du rapport de forces et les contraintes inhérentes à la situation, qui ne sauraient être compensés par la preuve d’un consentement apparent »164. De même, à la suite de révélations faisant état de la fréquence d’abus sexuels subis par des détenues, certains États ont incriminé le contact sexuel entre membres du personnel pénitentiaire et détenus165. Si ces États ont prévu un régime strict de responsabilité pour les auteurs d’actes sexuels commis sur des détenus qui, par ailleurs, jouissent de protections légales substantielles, telles que l’accès à un avocat et la perspective d’une libération à une date déterminée, il est d’autant plus nécessaire de présumer en l’espèce l’existence d’un défaut de consentement.

132. En l’espèce, les Appelants ont été pour l’essentiel condamnés pour avoir violé des femmes détenues dans des locaux qui servaient de quartiers généraux militaires, des centres de détention et dans des appartements où logeaient des soldats. Les victimes étaient considérées, et c’était là la caractéristique la plus patente de leur condition, comme des proies sexuelles légitimes par les individus qui les détenaient. De manière générale, ces femmes ont été violées par plus d’un agresseur et avec une régularité quasi inimaginable (celles qui au départ ont tenté de chercher de l’aide ou de résister ont été traitées avec davantage de brutalité). Dans le contexte de ces détentions, les circonstances étaient si coercitives qu’elles excluaient toute possibilité de consentement.

163 Voir, par exemple, N.J. Stat. article 2C :14-2 (2001) (une personne se rend coupable de violences sexuelles respectivement simples et aggravées si « elle exerce sur sa victime un pouvoir de contrôle ou un pouvoir disciplinaire en vertu de son statut légal ou professionnel » ou si « elle exerce sur une victime en liberté surveillée ou conditionnelle ou détenue dans un hôpital, une prison ou toute autre institution, un pouvoir de contrôle ou un pouvoir disciplinaire en vertu de son statut légal ou professionnel ») ?traduction non officielle?.

164 State of New Jersey v Martin, 235 N.J. Super. 47, 56, 561 A.2d, 631, 636 (1989). Le chapitre 13 du code pénal allemand contient des dispositions similaires. L’article 174a engage la responsabilité pénale de l’auteur d’« actes sexuels commis sur une personne emprisonnée ou détenue sur ordre des autorités publiques ». L’article 174b punit les actes sexuels que commet une personne en abusant du pouvoir que lui confère sa position d’autorité officielle. Le défaut de consentement ne constitue un élément constitutif du crime dans aucun de ces cas.

165 Voir Les détenues de l’administration pénitentiaire du District de Columbia c/ le District de Columbia, 877 F. Supp. 634, 640 (D.D.C 1994), décision infirmée en appel pour d’autres motifs, 93 F.3d 910 (D.C. Cir. 1996) et Prison Litigation Reform Act de 1996, P.L. 104 à 134, 18 U.S.C. Section 3626.

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133. En conséquence, la Chambre d’appel fait sienne la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle les circonstances coercitives de l’espèce excluent toute possibilité de consentement aux actes sexuels commis par les Appelants. Le moyen d’appel relatif à la définition du crime de viol est donc rejeté.

C. Définition du crime de torture (Dragoljub Kunarac et Zoran Vukovic)