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A. D ÉFINITION DU CRIME DE RÉDUCTION EN ESCLAVAGE (D RAGOLJUB K UNARAC ET R ADOMIR

1. Arguments des parties

a) Les Appelants (Kunarac et Kovac)

106. Les Appelants Kunarac et Kovac contestent la définition donnée par la Chambre de première instance du crime de réduction en esclavage au motif qu’elle est trop large et qu’elle ne précise pas nettement les éléments constitutifs de ce crime124. Ils font valoir, plus particulièrement, qu’une distinction claire doit être faite « entre la notion de réduction en esclavage (esclavage) telle qu’elle est interprétée dans tous les textes de droit ?...? et la détention telle qu’elle figure dans l’Acte d’accusation »125. Les Appelants proposent de substituer les éléments suivants à ceux retenus par la Chambre de première instance pour le crime de réduction en esclavage.

107. En premier lieu, pour qu’une personne soit déclarée coupable du crime de réduction en esclavage, il doit être démontré qu’elle a considéré la victime « comme son propre bien »126. Les Appelants soutiennent que l’Accusation n’a pas été en mesure de démontrer qu’ils se sont comportés de la sorte envers l’une quelconque des victimes.

108. En deuxième lieu, l’un des autres éléments constitutifs du crime de réduction en esclavage est l’absence manifeste et constante de consentement des victimes pendant toute la durée de leur détention ou de leur transfert127. Les Appelants font valoir que cet élément n’a pas été établi dans la mesure où, lors de leur témoignage, les victimes ont déclaré qu’elles jouissaient de leur liberté de mouvement, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’appartement, et qu’elles

124 Mémoire d’appel de Kunarac, par. 130.

125 Mémoire d’appel de Kovac, par. 160 et Compte rendu de l’audience d’appel, p. 118.

126 Compte rendu de l’audience d’appel, p. 120. Voir également Mémoire en réplique de Kunarac et Kovac, par. 6.39.

127 Compte rendu de l’audience d’appel, p. 119 et 125.

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pouvaient, en conséquence, fuir ou tenter de changer leur situation128. De même, les Appelants soutiennent que les victimes n’étaient pas contraintes d’effectuer des tâches ménagères, mais qu’elles le faisaient de leur plein gré129.

109. En troisième lieu, les victimes doivent avoir été réduites en esclavage pendant une durée indéfinie ou, du moins, prolongée130. Selon les Appelants, la durée « doit indiquer qu’il y a eu sans équivoque intention de garder les victimes dans cette situation pendant une période indéfinie. Toute période de temps plus courte ne saurait établir le crime de réduction en esclavage »131.

110. Enfin, pour ce qui est de l’élément moral du crime de réduction en esclavage, les Appelants font valoir que l’élément moral requis est l’intention de détenir les victimes sous contrôle constant, pendant une période prolongée, dans le but de les utiliser sexuellement132. Les Appelants ajoutent que, pour aucun des accusés, l’Intime n’a été en mesure de prouver, au-delà de tout doute raisonnable, l’existence d’une telle intention. L’Appelant Kovac soutient, pour sa part, que cette intention n’a pas été établie et qu’elle n’existait pas dans la mesure où il a accueilli les victimes133 dans son appartement en vue d’organiser leur transfert en dehors de la zone où se déroulait le conflit armé134.

111. En conséquence, les Appelants concluent qu’en définissant la réduction en esclavage comme étant l’exercice sur une personne de l’un quelconque ou de l’ensemble des attributs du droit de propriété, la Chambre de première instance a commis une erreur de droit qui invalide la décision. En outre, poursuivent-ils, l’Intime n’a pas établi au-delà de tout doute raisonnable que le comportement des Appelants Kunarac et Kovac satisfaisait l’un quelconque des éléments constitutifs du crime de réduction en esclavage tels qu’ils les ont définis dans leurs conclusions135.

128 Ibid., p. 119. Mémoire d’appel de Kovac, par. 164 ; Mémoire d’appel de Kunarac, par. 131 et Mémoire en réplique de Kunarac et Kovac, par. 5.64, 5.65 et 6.39.

129 Mémoire d’appel de Kovac, par. 164 et Mémoire en réplique de Kunarac et Kovac, par. 5.65 et 6.39.

130 Compte rendu de l’audience d’appel, p. 120, 122 et 126 et Mémoire d’appel de Kovac, par. 165.

131 Compte rendu de l’audience d’appel, p. 120.

132 Ibid., p. 118 et 119 ; Mémoire d’appel de Kunarac, par. 129 et 133 et Mémoire d’appel de Kovac, par. 163 et 165.

133 Il s’agit en l’occurrence de FWS-75, FWS-87, A.S. et A.B.

134 Mémoire d’appel de Kovac, par. 165.

135 Compte rendu de l’audience d’appel, p. 120 et Mémoire en réplique de Kunarac et Kovac, par. 5.67 et 6.39.

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b) L’Intimé

112. L’Intimé fait valoir que la Chambre de première instance n’a commis aucune erreur de droit susceptible d’invalider la décision. Elle avance que la définition de la réduction en esclavage donnée par la Chambre de première instance ne fait que refléter, de manière tout à fait correcte, l’état du droit international coutumier pendant la période couverte par les Actes d’accusation136. Elle affirme que, même si certains traités ont défini le concept d’esclavage de manière restrictive, aujourd’hui « la réduction en esclavage en tant que crime contre l’humanité doit être définie de manière plus large car ses manifestations contemporaines sont diverses »137. La réduction en esclavage est « certes étroitement liée à l’esclavage eu égard à la définition première qui en est donnée ?...? mais elle recouvre d’autres formes modernes d’esclavage que n’ont prises en compte ni la Convention de 1926 relative à l’esclavage, ni des conventions similaires ou ultérieures »138.

113. L’Intimé soutient en outre que la Chambre de première instance a bien identifié les éléments qui doivent être pris en considération pour déterminer s’il y a eu réduction en esclavage, y incluant, entre autres, l’absence de consentement ou de libre arbitre des victimes.

Un tel consentement est souvent rendu impossible ou sans objet par des facteurs tels que la détention, la captivité ou les pressions psychologiques139. L’Intime considère de plus que tous ces facteurs ont fait des victimes des êtres « incapables d’exercer leur droit à la liberté et à l’autonomie »140.

114. En réponse à l’argument des Appelants selon lequel la victime doit être réduite en esclavage pendant une durée indéfinie ou du moins prolongée, l’Intimé soutient que la durée ne constitue qu’un des nombreux facteurs que le Tribunal peut considérer, et doit, en règle générale, être examinée à la lumière d’autres éléments141.

115. Enfin, l’Intimé fait valoir que la Chambre de première instance a bien défini l’élément moral et que le droit international coutumier n’exige pas une intention spécifique de réduire une

136 Compte rendu de l’audience d’appel, p. 246 et Réponse unique de l’Accusation aux mémoires d’appel, par. 5.164 à 5.169.

137 Compte rendu de l’audience d’appel, p. 246.

138 Ibid.

139 Ibid., p. 256.

140 Ibid., p. 257. Voir également Réponse unique de l’Accusation aux mémoires d’appel, par. 5.178.

141 Compte rendu de l’audience d’appel, p. 254 et 255, 272 et 273.

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personne en esclavage, mais plutôt une intention d’exercer sur elle un attribut du droit de propriété142.