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Des patrons d’activation représentationnels associatifs et des traitements relationnels

2.2. Une approche « intégrative et continue » à multiples processus 37 !

2.2.1. Des patrons d’activation représentationnels associatifs et des traitements relationnels

Dans les considérations à multiples processus du CE que nous qualifions de « classique », les auteurs admettent plus ou moins explicitement une limite exclusive entre les processus supposés sous-tendre le CE (e.g., De Houwer, 2007 ; De Houwer et al., 2005 ; Jones et al., 2009) : un effet de CE donné est considéré résulter soit de processus associatifs de bas niveau, soit de processus élaboratifs-propositionnels de haut niveau. Bien que nous partagions l’idée selon laquelle des processus associatifs et élaboratifs soient appropriés pour rendre compte de l’ensemble des effets de CE directs et indirects, notre conception de la fonction de ces processus et de leur relation est sensiblement différente de celle proposée dans l’approche présentée précédemment.

Dans le cadre de l’approche « intégrative et continue » à multiples processus que nous proposons, les processus associatifs permettent la mémorisation de contenus mentaux représentationnels sous la forme de patrons associatifs. Les processus élaboratifs permettent l’établissement de relations entre de tels contenus mentaux conduisant à la formation de nouveaux patrons associatifs, ou au renforcement partiel de patrons associatifs déjà existants. En ce sens, notre approche défend l’idée d’une interaction entre les processus associatifs et élaboratifs supposés sous-tendre le CE et rejoint ainsi une des prédictions fondamentales du modèle récemment proposé par Gawronski et Bodenhausen (2011). Le format associatif constitue l’unique format de mémorisation des connaissances ; les processus élaboratifs, qui ne possèdent pas de format de mémorisation propre, agissent sur les associations mémorisées en permettant leur renforcement et la production de nouvelles associations. On notera qu’à l’exception de cette hypothèse, le modèle de Gawronski et Bodenhausen (2011) nous semble plus proche d’une variante de l’approche « classique » précédemment décrite que d’un voisin de l’approche « intégrative et continue ». En effet, au même titre que l’approche « classique » ce modèle de

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Gawronski et Bodenhausen (2011) se distingue de l’approche du CE que nous proposons sur certains points majeurs (e.g., définition et fonction des processus associatifs et élaboratifs, conception des représentations mentales), et pourrait en ce sens être considéré comme relevant des approches à multiples processus classiques du CE.

Par exemple, à la différence de Gawronski et Bodenhausen (2011) et des modèles du CE précédemment évoqués, nous ne concevons pas les processus élaboratifs comme des processus de raisonnement propositionnel. D’après la définition large et d’ordre strictement fonctionnelle que nous adoptons, l’élaboration correspond à un traitement relationnel entre des contenus mentaux. Dans cette perspective, de tels traitements relationnels ne sont pas nécessairement conduits par la formation de propositions syntaxiques (e.g., De Houwer, 2009 ; Mitchell et al., 2009). Autrement dit, élaborer, c’est mettre en lien des informations, celles-ci pouvant être issues de la situation présente et d’expériences passées. Appliqué au CE, nous considérons que l’élaboration consiste à établir des liens entre certaines caractéristiques de la représentation du SN et certaines caractéristiques de la représentation du SA conduisant ainsi à l’émergence d’une représentation commune intégrant les (certaines) caractéristiques des deux stimuli. Cette considération nous amène à souligner une deuxième divergence majeure entre notre approche et les précédentes approches du CE évoquées jusqu’à présent : le statut des représentations mentales.

Nous concevons les représentations mentales, dans le sens des contenus mentaux résultants de l’expérience de stimuli tant endogènes qu’exogènes, comme étant distribuées, situées et dynamiques. Dans la lignée d’un certain nombre de modèles connexionnistes dont le modèle de Masson (1995), nous concevons la formation d’une représentation d’un stimulus comme la construction d’un patron d’activation particulier de plusieurs unités (i.e., représentation distribuée sur plusieurs unités). Nous imputons alors le caractère « construit » du patron d’activation au fait que la représentation du stimulus émerge de l’interaction présente entre les activations générées par l’ensemble de la situation (ou le contexte) spécifique et les unités activées « par la mémoire » de ce stimulus (i.e., représentation située). En ce sens, à chaque instanciation, les unités du patron d’activation d’un stimulus donné sont plus ou moins différentes (i.e., représentation dynamique), certaines ayant déjà été antérieurement coactivées par ce stimulus contrairement à d’autres unités (e.g., activées par la situation spécifique). Autrement dit, les contenus mentaux mémorisés lors de l’interaction avec un stimulus, c’est-à-dire les patrons d’activation associatifs d’après l’approche « intégrative et continue », sont assimilables à des configurations globales et particulières d’activation. Les contenus liés à ce stimulus qui seront remémorés par la suite correspondent alors

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d’activation antérieurs générés par le stimulus en question lors d’expériences passées4. Par ailleurs, à chaque émergence d’un patron d’activation donné, les unités qui le composent seraient systématiquement associées par l’intermédiaire des processus associatifs. Ainsi, les unités du patron d’activation d’un stimulus déjà coactivées par ce stimulus dans le passé (i.e., les unités déjà associées par le passé) verront leur association renforcée. On notera que dans la proposition de Masson (1995), les unités sont sub-symboliques, c’est-à-dire que ce modèle ne définit pas ce que ces unités associent (e.g., des traitements, des propriétés sensori-motrices, sémantiques)5. Quelle que soit la nature de ces unités, nous postulons que les unités particulières automatiquement coactivées en mémoire par la rencontre d’un stimulus dépendent d’au moins trois facteurs généraux et établis : 1) le contexte de rencontre, et plus précisément la similarité entre le contexte dans lequel les unités ont été antérieurement coactivées et le contexte actuel ; 2) la fréquence à laquelle les unités ont été coactivées lors des expériences antérieures avec le stimulus (i.e., du fait d’associations renforcées) ; et 3) la récence de la rencontre, c’est-à-dire la récence de la coactivation antérieure des unités. Dès lors, ces trois facteurs influenceraient le niveau de réactivation partielle (ou de reconstruction) du patron d’activation émergeant automatiquement lors de la rencontre d’un stimulus, de telle sorte que la représentation présente du stimulus tendra à se rapprocher de la représentation antérieure de celui-ci la plus similaire contextuellement, la plus fréquente, et/ou la plus récente.

4 La conception de la mémoire que nous adoptons dans le cadre de l’approche « intégrative et

continue » du CE, résonnant avec les visions de type « connexionniste » et « dynamique », se distingue ainsi fondamentalement des approches computo-symboliques concevant les contenus mentaux mémorisés comme un stock d’informations stockées de manière stable, « prête à l’emploi » et localisée dans un des registres de la mémoire à long terme (e.g., Atkinson & Shiffrin, 1968 ; Tulving & Schacter, 1990). Elle se distingue en ce sens de l’approche « classique » à multiples processus du CE. En effet, à notre connaissance, la majorité des chercheurs qui épousent une vision à multiple processus du CE, et plus largement la majorité des théoriciens du CE, adopte plus ou moins explicitement une telle approche computo- symbolique de la mémoire (e.g., Baeyens et al.,1992 ; De Houwer, 2009 ; Jones et al., 2009 ; Martin & Levey, 1978).

5 Nous ne nous positionnerons pas dans ce document de thèse sur la question de la nature des unités de

représentation. Toutefois, nous pensons qu’une approche incarnée de la cognition telle qu’envisagée par Versace et al. (2002), qui impliquerait dans le cas présent que les unités correspondent à des activations strictement sensori-motrices, pourrait se révéler très pertinente pour le CE étant donné l’objet d’étude (i.e., les réponses évaluatives).

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Dans le cadre de cette conception des représentations, l’établissement d’une relation entre des stimuli correspondrait à l’émergence d’un patron d’activation commun sur la base du partage d’unités communes coactivées par ces stimuli. Plus des stimuli donnés ont cooccurré dans des contextes variés, plus ils disposeraient de patrons associatifs communs et partageraient d’unités fortement associées (du fait de la fréquence de coactivation d’unités communes entre les différents contextes, renforçant l’association entre ces unités). En conséquence, lorsque nous rencontrons ces stimuli, l’établissement d’une relation entre ceux-ci serait privilégié (i.e., plus automatique) en raison du partage élevé d’unités communes entre leurs patrons d’activation associatifs. À l’image d’un certain nombre de chercheurs s’inscrivant dans des courants théoriques différents mais partageant l’attribution de propriétés dynamiques au système cognitif (e.g., Masson, 1995 ; Perruchet & Vinter, 2002 ; Versace, Nervers, & Padovan, 2002), nous considérons que la fréquence de la cooccurrence d’une relation entre des stimuli donnés dans des contextes variés est déterminante pour qu’une abstraction de cette relation soit atteinte. Une telle considération permet notamment d’envisager les relations d’ordre sémantique. Ainsi, plus les stimuli sont apparus ensemble dans différents contextes (plus ils disposent de patrons d’activation communs dans le cadre de notre approche), et plus l’émergence d’une relation sémantique entre ces stimuli serait possible (sur la base des différentes unités communes coactivées par les stimuli entre les contextes).

Les considérations théoriques énoncées ci-dessus en ce qui concerne les processus associatifs et élaboratifs, et plus largement les représentations mentales et la mémoire, fondent nos prédictions quant à la fonction des processus associatifs et élaboratifs selon les effets de CE considérés, prédictions que nous développerons ci-après.

2.2.2. Le continuum du CE : d’un effet direct de bas niveau à un effet indirect inférentiel de