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Sciences Po Lille, CLERSE (UMR CNRS 8019) ; Patrick.mardellat@iep.univ-lille1.fr

La problématique du développement durable, telle qu’elle s’est imposée, depuis une vingtaine d’années, dans le domaine public et au sein de différentes communautés scientifiques, à travers la définition du rapport Brundtland, est centrée sur la notion de « besoins humains ». Deux citations extraites du rapport le montrent aisément, celle qui définit le développement durable comme le « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, (...), et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de notre environnement à répondre aux besoins actuels et à venir » ; et cette autre qui y voit « un processus de change- ment par lequel l’exploitation des ressources, l’orientation des investissements, des changements techniques et institutionnels se trouvent en harmonie et renforcent le potentiel actuel et futur de satisfaction des besoins des hommes » (nous soulignons).

La centralité et l’apriorité des besoins ainsi affirmées imposent une conception poïétique de l’économie comme l’illustre la seconde citation : l’économie est désignée à travers les activités d’exploitation des ressour- ces, d’investissements, de maîtrises technique et institutionnelle des besoins. Ces activités sont conçues comme des réponses à une vie déterminée par le manque et le besoin. Le consommateur est donc en dernière instance désigné comme responsable du développement des activités non soutenables, position cohérente avec le postulat néoclassique de souveraineté du consommateur. D’où le développement d’une analyse économique de la consommation soutenable/durable, qui propose la définition suivante :

« The use of services and related products which respond to basic needs and bring a better quality of life while minimising the use of natural resources and toxic materials as well as the emissions of waste and pollutants over the life-cycle of the service or product so as not to jeopardise the needs of future generations. »

(OECD 2002, Towards Sustainable Consumption: An Economic Conceptual Framework) Selon cette conception, néoclassique dans son esprit, c’est aux consommateurs que revient le pouvoir de changer les aspects non soutenables/durables de l’activité humaine ; les mécanismes de marché et la structure des incitations doit les conduire à adopter un mode de vie et de consommation « plus vert », si le besoin s’en fait sentir. L’action publique et gouvernementale du paradigme de la bonne gouvernance, associé à cette conception, se trouve réduite à encadrer la « bonne structure » des incitations, la concurrence et la sélection marchandes faisant le reste. Ce mythe repose sur un modèle du consommateur parfaitement informé des conséquences de ses choix, totalement responsable de sa prise de décision et dont la seule vertu est la rationalité exercée dans un contexte où plus est toujours mieux.

Cette analyse économique de la consommation soutenable doit être dénoncée pour ses effets funestes, dédouanant les agents du système productif (investisseurs, décideurs, actionnaires, ingénieurs, publicitaires, marketeurs, etc.), toujours en mesure de se retrancher derrière le consommateur souverain au service duquel ils se placent. Mais le propos de ce projet de communication soumis au conseil scientifique de ce colloque, vise, au- delà de la critique de l’analyse économique de la consommation soutenable, à réhabiliter une perspective aristo- télicienne sur les enjeux mêmes du développement durable « articulant équité intragénérationnelle et équité intergénérationnelle (...) visant à concilier équité sociale, efficacité économique et préservation de l’environne- ment » (extrait de l’appel à communication). La consommation ne doit pas être instrumentalisée par la problé- matique du développement durable comme il suit de la définition du rapport Brundtland. Il sera montré que la soutenabilité de l’activité économique ne doit pas être rapportée à la notion de besoins mais bien plutôt à l’accomplissement pratique d’une vie, à l’idée de qualité de vie conçue comme plénitude (Nussbaum et Sen, 1993). La vie ne se réduit pas à l’accumulation de biens extérieurs en vue de s’assurer la couverture optimale des besoins, besoins qui se développent à l’infini comme l’a montré Hegel ; la vie humaine s’inscrit à « demeure » dans une communauté des vertus qui est essentiellement politique : ce n’est pas à la régulation marchande qu’il

marché ; la qualité de vie, qui dans sa déclinaison comprend la qualité des lieux de séjour que nous offre ce monde, est un bien politique au plus haut point.

Les changements de comportement, de mode de vie et de consommation sont la clé du développement durable. Cette problématique réactualise la question des choix de vie, des manières de vivre et de la qualité de vie. L’économie ne peut plus se tenir à distance de l’éthique et de la politique dans une position d’indépendance et de neutralité objective. La notion de consommation soutenable interroge les rapports de l’économie et de la politique sous la perspective de l’éthique, entendue comme la science des choix de vie. Une réorientation de la consommation vers des choix plus soutenables ne peut être laissée aux seuls mécanismes marchands. Comment motiver une consommation soutenable ? Il ne s’agit pas seulement d’inciter en sollicitant l’intérêt personnel, mais bien de motiver, c’est-à-dire d’inscrire la consommation durable dans une communauté de valeurs où la qualité de vie tient la place éminente. La notion de consommation soutenable bien comprise est un appel lancé pour une politique des vertus. L’avènement de la consommation soutenable impose une sortie de la société de consommation, au sens d’une société déterminée par les nécessités de la reproduction [des besoins] de la vie (H. Arendt), et une re-privatisation de la consommation comme usage de soi et de ses semblables.

Éléments de bibliographie

Arendt H., 1958, The Human Condition. Aristote, Éthique à Nicomaque.

Aristote, Les politiques.

Berthoud A., 2005, Une philosophie de la consommation. Agent économique et sujet moral, Presses universi- taires du Septentrion.

Cohen M., Murphy J. (eds), 2001, Exploring Sustainable Consumption. Environmental policy and Social Sciences, Pergamon.

OECD, 2002, Towards Sustainable Consumption: An Economic Conceptual Framework.

Jackson T., 2005, Motivating Sustainable Consumption, Report to the Sustainable Development Research Network.

Nussbaum M., Sen A. (eds), 1993, The Quality of Life, Clarendon Press-Owford university Press. Zaccaï E. (ed.), 2006, Sustainable Consumption, Ecology and Fair Trade, Routledge.

Les paiements pour services environnementaux