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Jean-David GERBER

IDHEAP

L’analyse des politiques publiques tend à concevoir l’action publique dans une perspective essentiellement sectorielle. Promu par l’analyse de l’intervention étatique des années 1950 aux années 1980, le découpage sectoriel de l’action publique se trouve être la conséquence directe du processus historique de division du travail et de spécialisation des activités productrices en secteurs socioprofessionnels qui caractérise les sociétés indus- trialisées.

À cette division sectorielle, s’ajoute indéniablement une seconde division, territoriale celle-ci. Historique- ment, l’approche sectorielle a réglé la question de la «contingence territoriale» de l’État en reprenant à son compte les approches institutionnelles et politiques classiques, qui se fondent sur le principe de l’organisation spatialisée de la puissance publique. Ainsi, le formatage des politiques publiques mises en œuvre et, en amont, la définition des problèmes publics qu’elles cherchent à résoudre ou amoindrir, résultent la plupart du temps de ce double découpage sectoriel et territorial.

Si cette conceptualisation de l’action publique et de ses domaines d’intervention a démontré une pertinence certaine pour rendre compte des réalités sociales, politiques et institutionnelles des Etats nations, force est cepen- dant de constater que nombre de domaines de l’action étatique et, en premier lieu, les politiques dites « à inci- dences spatiales » (par ex. : environnement, transports ou aménagement du territoire) ont eu, dès le départ, plus de peine à entrer dans ce découpage sectoriel et territorial du monde (Lascoumes, 1994 ; Muller, 1990). Et ce, notamment en raison du fait que les périmètres des problèmes publics autour desquels se cristallisent ces poli- tiques se trouvent souvent en décalage par rapport aux logiques sectorielles des politiques publiques, de même que par rapport aux territoires institutionnels de leur ancrage (Faure, 1995 ; Faure et Douillet, 2005). C’est ainsi que plusieurs processus de régulation inventés dans le cadre de ces politiques se déploient selon des logiques fort différentes de celles proprement sectorielles (socioprofessionnelles) ou territoriales.

Les exemples de remise en cause de ces logiques sectorielles et territoriales sont nombreux et même en forte augmentation depuis une vingtaine d’années suite notamment à la diffusion de la problématique du développe- ment durable. À titre purement illustratif, mentionnons ici la mise en place d’une gestion intégrée de l’eau au niveau d’un (sous-)bassin hydrologique telle que la prévoit la directive européenne 2000/60/CE, la création de réseaux d’espaces naturels protégés à l’échelle internationale dans le cadre du programme Natura 2000, la coor- dination au niveau international des politiques agricoles, environnementales et de santé publique en vue de garantir la sécurité de la chaîne alimentaire face à d’éventuelles crises ou épizooties (vache folle, grippe aviaire ou contamination d’aliments par la dioxine) ou à des innovations biotechnologiques (OGM), ou encore la redis- tribution des externalités positives et négatives générées par les infrastructures aéroportuaires (Halpern, 2007).

œuvre, à la question des droits de propriété détenus par certains individus, groupes ou organisations, sur des portions souvent importantes de l’environnement naturel (ressources naturelles) et construit (ressources manu- facturées). En particulier, ils soutiennent que ces régimes ou corpus de droits de propriété (droit foncier, droit rural, droits d’eau, concessions, affermages, etc.) viennent fréquemment contrecarrer les objectifs et la mise en œuvre de ces politiques.

Cette prise de conscience, pour l’instant plus théorique qu’empirique, de ces trois contraintes fondamentales des politiques de la durabilité que constituent l’intersectorialité des problèmes, la transterritoiralité des péri- mètres de régulation et la résistance des droits de propriété existants, contribue à questionner les conceptions jusque-là dominantes sur la manière d’interpréter les politiques publiques à incidences spatiales, notamment dans la perspective de leur contribution à la durabilité du développement de nos sociétés et, en premier lieu, à une gestion durable des ressources.

L’objectif de cette contribution consiste dès lors à identifier et documenter les différentes modalités empiri- ques de remise en cause – sous la pression, notamment, des politiques de la durabilité – des logiques existantes (sectorielles et territoriales) de l’action publique, puis à proposer deux outils analytiques – le concept d’espace fonctionnel (Nahrath, Varone, 2006, 2007) et le cadre théorique des régimes institutionnels de ressources (RIR) (Knoepfel, Nahrath, Varone, 2007 ; Varone, Nahrath, Gerber [à paraître] ; Gerber, Knoepfel, Nahrath, Varone [à paraître)] – permettant de rendre compte de ces phénomènes émergeants de formatages alternatifs de l’action publique ; ceci de manière à mettre en lumière les principales plus-values analytiques apportées par ces deux approches à l’analyse des conditions institutionnelles de mise en place de régimes et de périmètres de régulations favorable à la durabilité et, en premier lieu, à la gestion durable des ressources.

Références

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Modes de développement et vulnérabilités territoriales :