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Économiste au CLERSÉ, UPRESA 8019 CNRS, laboratoire membre de l’IFRÉSI, Lille ; maître de conférences à l’Université de Lille 1 ; heran@noos.fr

L’approche économique standard considère qu’en rase campagne comme en milieu urbain, les avantages de la vitesse dépassent de très loin ses inconvénients. Car, si à court terme, la vitesse fait « gagner du temps », à long terme, elle permet surtout d’aller plus loin et d’accéder ainsi à un nombre de destinations plus variées (Koenig, 1974). Cet élargissement de l’« univers de choix » favorise une meilleure adéquation entre offre et demande sur tous les marchés. Ainsi, les consommateurs bénéficient d’un éventail de biens et services plus large, les entreprises accroissent leurs clients et fournisseurs potentiels, les actifs peuvent trouver plus facilement un emploi et les employeurs dénicher des salariés mieux adaptés à leurs besoins.

Aussi, est-il possible d’en déduire que la productivité, les revenus et la richesse devraient augmenter et le chômage diminuer au rythme croissant du nombre de destinations accessibles et donc de la taille des villes (Prud’homme et Chang-Woon, 1999). Divers travaux modélisent et mesurent ces effets : « Toutes choses égales par ailleurs, augmenter la vitesse des déplacements de 10 % augmenterait la productivité et la production de près de 3 %. Améliorer les transports contribue ainsi à la croissance. » parviennent, par exemple, à préciser M. Didier et R. Prud’homme (2007) dans un récent rapport au Conseil d’analyse économique. Très optimiste, J. Poulit (2005) en conclue sans détours : « le bien-être s’améliore »...

À côté de tels avantages, les nuisances des transports paraissent bien modestes. La vitesse n’augmente guère la pollution qu’au-delà de 70 km/h et la congestion génère au contraire beaucoup de pollution. L’impact de la vitesse sur le bruit n’est vraiment important qu’aux vitesses élevées, c’est-à-dire en rase campagne loin des populations. Ne reste finalement que les accidents pour lesquels la vitesse joue un rôle incontestable (mais souvent qualifié seulement d’« aggravant »). Au total, les nuisances supplémentaires ne représenteraient qu’1 à 3 % de la richesse totale créée (Poulit, 2005).

Bref, pour l’approche standard, il ne fait aucun doute que le transport de voyageurs est « durable » même et y compris en milieu urbain, grâce à l’amélioration continue des vitesses. Toute politique qui tendrait à affecter la « mobilité » – modération de la circulation, politiques de report modal favorisant des modes moins rapides que l’automobile ou moindres investissements dans les voies rapides – seraient donc antiéconomiques et nuisibles.

Nous montrerons, au contraire, qu’en agglomération, les avantages de la vitesse sont très surestimés, voire néfastes, et les nuisances fortement sous-estimées.

Si la vitesse accroît certes la portée des déplacements, elle contribue aussi fortement à dédensifier la ville en provoquant un étalement urbain (Wiel, 1999). Avec ces faibles densités et malgré de bonnes vitesses de circula- tion, la périphérie offre une accessibilité 2 à 3 fois moindre que le centre-ville. Ce résultat a été démontré avec régularité par de multiples auteurs. Il est possible d’en conclure qu’en agglomération et à long terme, au con- traire de ce qui est d’habitude affirmé, la vitesse réduit bel et bien l’accessibilité. En un temps donné, dans une ville très dense comme Paris qui a donc pu être dotée de transports publics efficaces, on peut accéder tous modes confondus à bien plus de destinations que principalement en voiture dans une ville comme Los Angeles, 12 fois moins dense.

Une autre critique et non des moindres consiste à douter de l’intérêt d’étendre indéfiniment l’univers de choix. Car nous sommes entrés dans une « société d’hyperchoix » : sur de très nombreux marchés, le choix est devenu aujourd’hui si considérable que les agents déboussolés en arrivent à retarder les échanges ou même à ne plus les conclure. Désormais, dans l’adéquation entre offre et demande, d’autres facteurs jouent manifestement

La vitesse est donc loin de représenter l’avenir radieux de nos villes. Il est parfaitement raisonnable de penser au contraire que la maîtrise de la vitesse constitue une condition essentielle pour assurer leur durabilité. La densité, la proximité et la modération de la circulation qui leur est indispensable apparaissent comme les seuls facteurs à permettre à la fois une réduction des nuisances (Fouchier, 1997) et une diversité comme un approfon- dissement des relations économiques et sociales, sources de productivité pour les activités et de satisfaction pour les populations.

Bibliographie

Ascher F., 1998, La République contre la ville. Essai sur l’avenir de la France urbaine, La Tour d’Aigues , éd. de l’Aube, 200 p.

Baumstark L., 2003, « Le coût économique des politiques de réduction de la mobilité », 39e colloque de

l’ASRDLF (Association de science régionale de langue française) Concentration et ségrégation, dynamiques et inscriptions territoriales, Lyon, 1-3 sept.

Didier M., Prud’homme R., 2007, Infrastructures de transport, mobilité et croissance, Rapport au Conseil d’analyse économique, Paris, La Documentation Française, 241 p.

Fouchier V., 1997, Les densités urbaines et le développement durable. le cas de l’Île-de-France et des villes nouvelles, éd. du SGVN, Paris, 212 p.

Koenig G., 1974, « Théorie urbaine de l’accessibilité », Revue économique, n° 2, p. 275-297.

Poulit J., 2005, Le territoire des hommes. La création de richesse, d'emplois et de bien-être au sein d'une planète préservée, Paris, Bourin Editeur, 349 p.

Prud’homme R., Chang-Woon L., 1999, « Size, Sprawl, Speed and the Efficiency of Cities », Urban Studies, vol. 36, n° 11, p. 1849-1858.

Wiel M., 1999, La transition urbaine ou le passage de la ville pédestre à la ville motorisée, Sprimont, Pierre Mardaga Éditeur, 149 p.

Quel avenir pour le développement soutenable ?