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A partir de la seconde moitié du XXème siècle et jusqu’à l’époque actuelle, un

Chapitre 4 : L’importance du site dans la localisation des espaces végétalisés en ville

2. A partir de la seconde moitié du XXème siècle et jusqu’à l’époque actuelle, un

Dans la seconde moitié du XXème siècle un nouveau rapport à la nature s’inscrit dans l’aménagement des espaces végétalisés angevins. Celui-ci va générer de nouvelles formes assez différentes les unes des autres mais qui partagent la propriété d’être des formes de nature plus libres, des formes toujours sophistiquées mais moins fragiles. Ce nouveau rapport à la nature, qu’il faut également remettre dans un contexte d’avancées techniques, va permettre d’investir une nouvelle situation dans la vallée inondable.

2.1 Un nouveau rapport à la nature, un goût pour le « naturel »

Si le « modèle fleuri » (Bergues, 2010) persiste dans les anciens jardins, un nouveau rapport à la nature apparaît, avec un goût pour le « naturel ». Ce dernier se décline en différentes variations au cours du XXème siècle dans les aménagements effectués à Angers.

Le parc Saint-Nicolas : Le caractère pittoresque (première moitié du XXème siècle)

Le site de l’étang Saint-Nicolas est le premier site situé sur les berges à être considéré par l’aménagement végétal. Il s’agit d’une ancienne carrière de schiste, traversée par un affluent de la Maine, le Brionneau. L’achat des terrains et l’aménagement du parc par la commune s’échelonnent entre 1934 et 1940 (Figure 54). En parallèle le site est protégé en 1936 en étant classé au rang des sites pittoresques en accord avec la loi de 1930 qui concerne « la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque ». L’étang est plus exactement classé au titre de « Monument Naturel ». Le fait que la création du parc et le classement du site soient synchronisés, mais aussi la superposition quasi parfaite du périmètre de protection avec le périmètre du parc nous montre que la valorisation du patrimoine naturel a ici joué un rôle déterminant pour le choix du site.

L’ « espace vert » : la base de loisirs du Lac de Maine (1968-1976)

Les modernes ont donné une place très importante à la nature et aux espaces végétalisés. Le Corbusier écrivait ainsi : « La ville se transformera petit à petit en un parc » (Le Corbusier dans Choay p. 243). Cependant, cette pensée n’a jamais donné de formes à ces espaces végétalisés. Françoise Choay (1985) a parfaitement résumé cette situation lorsqu’elle écrit : « Paradoxalement, l’urbanisme CIAM, tout centré qu’il soit sur les espaces verts, n’a donné naissance à aucune doctrine concernant leur aménagement et leur esthétique » (p. 260). Ce constat mériterait d’être éclairci d’un point de vue théorique : est-ce réellement un oubli, ou ces espaces végétalisés étant pensés comme nature, il n’était pas possible de définir des formes précises ? A Angers, la base de loisirs du Lac de Maine témoigne de l’aménagement végétal de cette époque (Figure 55). Outre les équipements sportifs, elle a été aménagée avec des massifs boisés, des pelouses, des formes très simples en comparaison de celles des espaces végétalisés précédents. De part sa situation en fond de vallée, cette base de loisirs traitent largement de l’eau avec un lac principal et divers petits plans d’eau, chacun associés à un objectif fonctionnel (baignade, sports nautiques). La grande surface de cet espace, et la nécessité de contrôler les coûts d’entretien ont certainement contribué à la simplicité des formes (nous allons y revenir).

Figure 54 : Le parc Saint-Nicolas en 1947 (Carte postale ancienne, édition M. Chretien)

Figure 55 : La plage de la base de loisirs du lac de Maine avec son cadre végétal.

(Photographie Bodénan, 2014)

Le « jardin au naturel » : le parc Balzac (1990-2005)

La critique de « l’espace vert », la montée de valeurs environnementales et le « désir de campagne » (Hervieu, Viard, 1996 dans Bergues, 2010) ont modifié le regard sur la nature. Cela a modifié les attentes concernant l’aménagement d’espaces publics végétalisés au tournant des années 1980-90. A la fin du XXème siècle, on voit apparaître un nouveau modèle d’aménagement végétal, sans pour autant faire disparaître le modèle horticole. On retient des formes végétales plus libres, les attentes sont moins fortes sur des floraisons aux couleurs vives. On revalorise la flore indigène mais on adopte aussi des plantes exotiques rustiques et autonomes. D’un point de vue technique, cela se traduit par la critique d’un mode de gestion technologique usant d’engrais, de pesticides et de traitements mécaniques intensifs. Ce changement de regard accompagne aussi une nécessité de limiter les coûts d’entretien alors que la surface des espaces végétalisés augmente nettement. C’est l’émergence de la « gestion différenciée » (Aggéri, 2004). Cela concourt à former le modèle du « jardin au naturel » (Bergues, 2010) 7.

C’est ce nouveau modèle qui caractérise le plus le Parc de Balzac à Angers construit entre le début des années 90 et le début des années 2000. Ainsi, même si la culture horticole se manifeste encore par une collection de chênes et de graminées plantées sous forme de massifs (Figure 56), le parc développe des formes plus souples avec des motifs champêtres tels que des « champs fleuris », des « basses prairies » voire des références plus nettes à un espace plus sauvage avec « le marais » ou « le verger aux oiseaux »8. Dans l’ensemble du parc, les espèces autochtones telles que les chênes, les peupliers ont été employées, de même, des prairies « naturelles » favorisent la flore locale. Cette nouvelle esthétique touche également les formes de l’eau. Le ruisseau du Brionneau est mis en scène dans des canaux creusés dans une partie du parc, sur le modèle du marais poitevin (Davodeau, 2014) (Figure 57). Le parc étant en partie en zone inondable, dans une partie du parc, des modelés du terrain appelés « dunes et vagues vertes » soulignent astucieusement les variations du niveau d’eau de la Maine. Au niveau local, cet aménagement fait référence à la zone humide des basses vallées

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Ce modèle du « jardin au naturel » prend en fait ses sources dès la fin du XIXème et au début du XXème siècle. C’est le courant du wild garden en Angleterre avec pour figures de proue les jardiniers-paysagistes William Robinson et Gertrude Jekyll. Pour un développement sur le sujet, nous nous réfèrerons à la thèse de Gaëlle Aggéri ( 2004).

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angevines (BVA) qui est revalorisée d’un point de vue environnemental (Nous y reviendrons dans le chapitre 5).

Malgré son qualificatif de « naturel », ce nouveau modèle reste cependant toujours entre nature et artifice. Les motifs agricoles sont largement réinterprétés (Figure 58). Les végétaux rustiques incluent de nombreuses espèces exotiques ou des cultivars horticoles recherchés aussi pour leurs qualités esthétiques. En dépit d’une simplicité apparente, ce nouveau style d’aménagement végétal n’en reste pas moins sophistiqué et très travaillé.

Figure 56 : Des massifs de graminées : des végétaux exotiques mais acclimatés et rustiques.

(Photographie Bodénan, 2014)

Figure 57 : Des canaux en référence au Marais Poitevin (Photographie Bodénan, 2014)

Figure 58 : Des motifs agraires recomposés (Photographie Bodénan, 2014)

Simultanément à l’aménagement du parc de Balzac, la municipalité investit à partir de l’an 2000 l’île Saint-Aubin9, un espace agricole constitué de prairies, située au Nord de la commune (Figure 43). C’est un site qui possède de facto des formes champêtres. Des sentiers

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La ville avait acquis dès le milieu des années 1970 des terrains pour garder cet espace ouvert, alors que le fond de vallée se tournait vers la populiculture (cf. chapitre 5). Mais jusque là il n’y avait pas eu d’ouverture au public.

d’interprétation y sont balisés, l’accès au site est facilité par l’achat du bac et la suppression du droit de passage de celui-ci.

Le parc de Balzac et l’île Saint-Aubin s’intègrent entre les années 1970 et 1990 dans un vaste ensemble emblématique du point environnemental et entrent notamment dans des périmètres de protection (cf. chapitre 3).

2.2 Une nouvelle localisation dans le fond de vallée inondable

Ce nouveau regard ainsi que l’abandon des fonds de vallée par l’agriculture a permis d’envisager l’investissement des zones inondables (Figure 59). Dans ce changement de situation, on voit également apparaître un changement d’échelle. Les espaces végétalisés implantés en fond de vallée sont en effet sensiblement plus grands que les précédents. Cela renvoie à de nouvelles formes plus simples ainsi qu’à de nouvelles techniques d’entretien et de gestion, liées d’abord à la mécanisation et aux intrants chimiques (années 1960-80) puis au contexte environnemental (« gestion différenciée ») qui implique une gestion extensive.

Figure 59 : L’investissement du fond de vallée (Carte, Bodénan, 2014)

Des aménagements et des plantes moins fragiles et moins exigeantes

L’investissement du fond de vallée a accompagné de nouvelles attentes de nature et des formes nouvelles de jardin. L’emploi de formes végétales plus simples (dans le cas des « espaces verts ») ou ensuite l’emploi de végétaux choisis pour leur rusticité et leur adaptation au milieu dans le cas du « jardin au naturel », ont permis d’envisager l’aménagement du fond de vallée dont les conditions de culture sont longtemps apparues comme moins propices. Par exemple l’emploi de vivaces, mieux ancrées dans le sol que des plantes annuelles permet désormais aux plantations de résister aux crues. De même, ces nouvelles attentes ont permis

l’utilisation de plantes adaptées aux zones humides : peupliers, saules, aulnes, frênes, etc. Ces nouvelles attentes de nature se traduisent également dans le reste de l’aménagement, qu’il soit conçu dans un objectif de fonctionnalité ou dans un objectif de simplicité rustique. Ainsi le mobilier urbain a des formes plus simples, les allées sont tracées et gravillonnées plus grossièrement (Figure 60). Cette résistance à l’inondation est aussi conférée par des solutions techniques nouvelles, par exemple l’emploi de résines qui imitent un sablage fin des allées. Ces formes résistent mieux aux inondations.

Figure 60 : Un mobilier rustique, des tracés moins nets, des éléments qui résistent aux inondations dans le Parc de Balzac (Photographie Bodénan, 2014)

Des aménagements malgré tout protégés

Mais si les formes végétales supportent désormais la submersion lors des crues saisonnières (Figure 61), une partie des aménagements continuent à en limiter les impacts. Dans ces deux cas, l’eau reste contrôlée. Dans le cas du parc de Balzac, l’aménagement végétal est partiellement protégé derrière une digue-promenade insubmersible, la promenade Yolande d’Aragon (Figures 62 et 64, coupe A). Celle-ci limite notamment l’apport de dépôts (branchages, limons) lors des crues (Figure 63). En ce qui concerne la base de loisirs du Lac de Maine, une partie des équipements sportifs, les plus sensibles (cours de tennis, bâtiments de la base nautique, etc.) ont été construits sur des remblais afin d’être mis hors d’eau (Figure 65). Le parc et le Lac de Maine sont aussi séparés du lit principal par l’ancien chemin de halage qui a été réaménagé et renforcé (Figure 64, coupe B). Si ce dernier est submergé lors des crues, il permet en revanche une régulation du niveau d’eau dans le lac en période d’étiage.

Figure 62 : La promenade-digue Yolande d’Aragon séparant le Parc de Balzac du lit mineur de la Maine

(Photgraphie : Couderc, 2013)

Figure 63 : Limon déposé sur le quai après une crue de la Maine (Photographie : Bodénan, 2012)

Figure 64 : Le parc de Balzac et la base de loisirs du lac de Maine, une situation en fond de vallée, mais toujours à l’écart du lit mineur de la rivière (Coupes : Bodénan, 2014)

Figure 65 : Des équipements placés hors d’eau dans la base de loisir du lac de Maine (Photographie : Angers Loire Tourisme, vers 2000)

Des techniques de gestion adaptées à l’entretien de vastes espaces

Les espaces aménagés en fond de vallée ont en effet en commun d’être immenses par rapport aux parcs du XIXème siècle. La base de loisirs du lac de Maine mesure près de 220 hectares, le parc de Balzac mesure quant à lui près de 50 hectares. Pour comparaison, jusque là, le Jardin du Mail ou le Jardin des Plantes ne faisaient pas plus de 4 hectares, ce qui représente un rapport de 1 à 55. Ce changement d’échelle a été rendu possible par une évolution des techniques de gestion et d’entretien. On distingue deux époques :

Dans les années 1960-70, une batterie de nouveaux outils et techniques va apparaître dans le sillage de l’agriculture (Figure 66). Cela permet la mécanisation des travaux d’entretien, l’utilisation d’agents chimiques pour le désherbage, etc. Cette évolution va influer la création des aménagements végétaux à tel point que M. Rumelhart et G. Chauvel (1995) parlent de « Jardins publics, jardins mécaniques ». Cela a notamment permis d’augmenter sensiblement la taille des espaces végétalisés publics. Ces outils techniques permettent en effet de gérer des espaces beaucoup plus importants à moyens égaux en termes d’effectif et de coût.

A partir des années 1990, ces avancées techniques qui avaient permis pour la première fois d’envisager l’aménagement de vastes espaces se trouvent en contradiction avec les principes poursuivis avec les attentes environnementales. Mais un autre cadre va permettre de conserver des espaces végétalisés très vastes. Ce sont les principes de la gestion différenciée/raisonnée. Ceux-ci reposent à la fois sur l’acceptation d’avoir des espaces avec un entretien moins intensif (présence de mauvaises herbes, espacement des tontes), mais aussi sur de nouvelles techniques d’entretien10. La gestion différenciée se fait alors aussi gestion extensive. L’aménagement et le mode de gestion du Parc de Balzac11 reposent sur ces principes de gestion. Pour l’île Saint-Aubin qui a servi en partie de modèle au même titre que l’ensemble des basses vallées angevines (Figure 67), l’entretien est intégré à une production agricole (pâture et production de foin) qui bénéficie de mesures agro-environnementales. Dans le cas du Parc de Balzac, l’entretien repose sur des animaux d’élevages, des baudets du Poitou (Figures 67 et 68) et des vaches ‘Highlands’, mais sans qu’il y ait de valorisation économique de ces élevages.

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La notion est en réalité bien plus complexe. Pour une définition plus complète, voir la thèse de Gaëlle Aggéri (2004)

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Ces principes de la gestion différenciée sont aujourd’hui fortement revendiqués (site web de la ville), mais au moment de sa création (le parc a été réalisé en régie par la ville) au début des années 1990, cette gestion était encore envisagée avec des modes plus intensifs, avec des tontes régulières par exemple.

Figure 66 : Entretien du Parc de Balzac avec des moyens mécaniques adaptés à de grands espaces (Photographie : Ville d’Angers, 2011)

Figure 67 : Des espaces gérés en partie sous formes de prés fauchés ou de pâtures dans le parc de Balzac, sur le modèle des basses vallées

angevines (Photographie : Bodénan, 2014)

Figure 68 : Baudet du Poitou dans le parc de Balzac (Photographie : Bodénan, 2014)

Conclusion :

Dans ce chapitre, nous avons montré que le site reste un élément important dans le choix du lieu d’implantation des espaces végétalisés, même en milieu urbain. En effet, les projets d’aménagement végétalisés reflètent une certaine sensibilité à la nature de la société. Celle-ci se matérialise dans des formes végétales et des espèces qui sont recherchées, mais aussi des formes de l’eau. Or, ces formes végétales et ces formes de l’eau sont alors très dépendantes du site et des données biophysiques qui lui sont associées. La présence de l’eau et le fait qu’elle puisse être contrôlée facilement constituent une caractéristique importante, mais les expositions au vent, au soleil, sont aussi des facteurs largement pris en compte. Au cours du temps, le choix de différents sites a évolué en fonction des variations d’une sensibilité à la nature, et par conséquent d’exigences différentes sur les formes que les aménageurs ont recherché à mettre en place dans leurs projets.

En s’appuyant sur l’histoire des jardins de la fin du XVIIIème siècle à aujourd’hui, et en suivant l’évolution du rapport à la nature et des formes qui s’y rattachent, nous avons pu identifier des localisations privilégiées. On constate ainsi un déplacement dans l’implantation des espaces végétalisés du plateau et des coteaux vers le fond de vallée :

- Le plateau et les coteaux (de la fin du XVIIIème siècle au milieu du XXème siècle)

Ces ensembles rassemblent différentes formes d’espaces végétalisés (jardins, premiers parcs et jardins publics) qui ont cependant en commun d’être constitués de cultures exigeantes et d’éléments architecturés sophistiqués. Le plateau et les coteaux permettent alors de protéger au maximum ces aménagements fragiles.

- Le fond de vallée (à partir de la seconde moitié du XXème siècle)

Cette localisation correspond à des formes très différentes d’espaces végétalisés (« espace vert », « parc au naturel »). Ces espaces végétalisés coïncident avec des formes végétales plus simples, plus rustiques qui ont pu être implantées dans des sites à priori moins propices comme le fond de vallée, submergé par les crues de la rivière au moins une partie de l’année. Mais ces aménagements dans le fond de vallée ont également été possibles par l’usage de moyens matériels et techniques supplémentaires.