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La composition végétale et les végétaux comme instruments de traduction spatiale

Chapitre 7 : La mise en œuvre du végétal comme matériau et outil pour faire la ville

1. La composition végétale et les végétaux comme instruments de traduction spatiale

Le végétal participe à travers la composition végétale à construire l’espace urbain. La composition végétale constitue une traduction spatiale en réponse aux enjeux identifiés dans les programmes. Le savoir-faire végétal permet d’élaborer une grande diversité de formes afin de répondre à la diversité des enjeux urbains que nous avons identifiés dans le chapitre 6.

1.1 La composition végétale pour une structuration des déplacements et des activités

Le fleuve, en tant que grand ensemble paysager, est l’outil qui donne forme et structure les projets étudiés à une petite échelle (cf. conclusion partie I pour le cas d’Angers). Le végétal quant à lui intervient à une échelle plus grande dans un rôle complémentaire.

Structuration et organisation des déplacements

La composition végétale participe à une structuration des berges, ce qui vise la « clarté et lisibilité des réseaux de distributions et d’échanges » (Corajoud, 1999, p. 9). Plus précisément, il s’agit d’organiser les différents flux de déplacements tant sur l’axe longitudinal que transversal (vers l’intérieur des quartiers riverains), et ce pour différents modes de déplacement : piétons, cyclistes, tramway (à Bordeaux). Les aménagements végétaux participent à la délimitation et à la sécurisation de ces différents couloirs de circulation. Les outils de la composition végétale permettent de marquer des limites physiques : « […] nous avons choisi de proposer la création d’un terre-plein central plus généreux que prévu, de 3,40 m […] il permet la plantation d’arbres » (Corajoud, 1999, p. 10). Les plates bandes délimitent à Lyon la piste cyclable de l’axe piétonnier. Mais il y a également un jeu sur les différentes strates végétales, les textures : à Bordeaux et Angers des arbres tiges définissent ainsi des espaces sous voûte plantés pour souligner dans la volumétrie l’axe routier (Figure 113). A Bordeaux, l’axe du tramway est souligné avec du gazon, etc.

Le végétal permet également de construire des liens transversaux au-delà du périmètre d’étude, dans les quartiers riverains (Figure 114). On lit dans le projet Corajoud (p. 37) : « des opportunités doivent être saisies au centre des Chartrons […] pour établir des espaces publics plantés généreux qui relient le centre du quartier à l’espace des quais ». En effet, la plasticité du végétal permet de rapprocher des formes végétales de différents aménagements urbains publics, même si ceux-ci ne reprennent pas exactement le même répertoire végétal, voire il est possible de faire des rapprochements avec des espaces végétalisés privés : les jardins.

Figure 113 : Des flux de déplacement pensés dans l’axe des berges et structurés par des aménagements végétaux à Angers (Coupe : Grether-Phytolab, 2013)

Figure 114 : Des flux de déplacement transversaux entre les quais et les quartiers riverains pensés et construits grâce à l’outil végétal à Bordeaux (Schéma : Bodénan, 2015 d’après Corajoud, 1999)

Structuration des différents usages sur les berges

Comme nous avons pu le voir dans le chapitre 6, les projets de réaménagement des berges visent à accueillir de nouveaux usages et de nouvelles fonctionnalités en réponse notamment aux attentes de temps libre et de loisirs. De nombreux commerces, équipements sportifs et de loisirs, etc. se répartissent tout au long des berges (Figure 115). Le végétal tient un rôle délicat. D’une part, il s’agit de traiter les délimitations afin d’organiser de façon claire l’espace, mais d’autre part, il s’agit de conserver une cohérence générale aux berges et aux quais, et de ne pas segmenter ce qui doit rester un ensemble. Cette synthèse est rendue possible par la malléabilité propre au végétal. Figure 116, on identifie par exemple qu’un parking est délimité par une haie. Mais en contrepartie, pour casser ce qui pourrait apparaître comme un morcellement des quais, un alignement d’arbre coupe ce parking et se prolonge au-delà sur le quai, ce qui permet de construire une transition, et une réelle continuité visuelle.

Figure 115: Le végétal, un cadre pour de nouvelles activités liées au tourisme et aux loisirs : ici un terrain de volley à Lyon (Photographie : Bodénan, 2013)

Figure 116 : L’armature végétale structure l’espace des quais à Bordeaux (Schéma : Bodénan, 2014 d’après Corajoud, 1999)

1.2 La composition végétale et les végétaux comme supports d’usages

Un support d’usages

Les aménagements végétalisés peuvent également être directement le support d’usages. Des pelouses sont par exemples des supports de jeux, des supports d’activités sportives à Lyon et à Bordeaux. Dans le projet bordelais, la création d’une pelouse est envisagée dans le prolongement de la place des Quinconces (Figure 117). Cela vise à « […] offrir un autre usage : celui d’être étendu ou de s’ébattre au soleil ou à l’ombre de quelques arbres sur une texture agréable, souple, vivante qui, aujourd’hui, est absente des quais rive gauche » (Corajoud, 1999, p. 25).

Figure 117 : La « Prairie des Girondins » à l’extrémité de la place des Quinconces à Bordeaux (Photomontage : Corajoud, 1999)

La composition végétale prend en compte des usages qui n’ont pas encore été définis

Le végétal est aussi le support des usages à venir. Il permet d’anticiper et de gérer les évolutions dans le temps. Par sa plasticité, le végétal permet d’envisager ou du moins de prendre en compte ce qui n’a pas pu être formalisé dans le présent mais qui va être amené à apparaître dans le futur. De par sa nature vivante, il évolue dans le temps accompagnant ainsi les dynamiques urbaines. Dans le projet bordelais, on peut lire : « des installations qui n’empêchent rien (préservant l’avenir) et au contraire favorisent les initiatives les plus diverses » (Projet Corajoud, p. 7). Et en terme formel, cela s’inscrit dans une partie du projet qui comprend peu ou pas d’aménagements, en amont du Pont de Pierre. Cet espace est aménagé a minima, il est constitué d’une grande pelouse et de quelques équipements sportifs (Figure 118). A l’extrémité Sud, le projet va jusqu’à proposer « de ne pas donner de véritable usage à cet espace » et de laisser uniquement un espace « densément plantés » (Corajoud, p.36).

Figure 118 : Les quais de Bordeaux, en amont du Pont de Pierre, un des rares exemples laissant place à une évolution possible (Photographie : Bodénan, 2013)

1.3 La composition végétale et les végétaux dans une esthétique de la ville Les végétaux peuvent participer directement à l’esthétique de la ville. A Bordeaux, le projet entreprend par exemple une réflexion sur la qualité de l’ombre. Une véritable réflexion est menée sur les motifs, la quantité de lumière perçue, etc. Les végétaux sont comparés et sélectionnés à cet effet (Figure 119).

La composition végétale participe à élaborer une esthétique de la ville en mettant en scène certains éléments du paysage urbain. A Lyon et à Bordeaux, par exemples, le végétal est utilisé pour construire des ouvertures visuelles sur le fleuve et sur les bâtiments historiques depuis les berges (Figures 120 et 121). Le lien au fleuve de la ville est également souligné par l’aménagement d’une ripisylve à Lyon et à Angers qui met en œuvre des végétaux associés à ces zones de bord de cours d’eau. Cette mise en scène du fleuve et du bâti patrimonial participe à une esthétique des espaces aménagés, mais ce soin apporté à l’aménagement renvoie sur le fond également à des objectifs de valorisation touristique et foncière, et de marketing territorial. (cf. Romain, 2011 pour un développement sur le sujet).

D’une façon générale, on peut noter que l’esthétique des aménagements végétalisés, par le choix des végétaux et par leur mise en œuvre, contribue à intégrer et à rattacher les berges à l’espace public urbain. Malgré son caractère volontairement « naturel », surtout à Angers et à Lyon, ce type d’aménagements conserve un certain nombre de codes spécifiquement urbains : un traitement horticole avec de beaux végétaux, des arbres de haute tige, des végétaux soigneusement tenus et entretenus, des délimitations des espaces végétalisés finement tracées, des pelouses régulièrement tondues, etc. En rattachant ainsi l’espace des berges à l’espace urbain, l’aménagement intègre cet espace au reste de la ville là où il y avait autrefois un ensemble d’espaces qui apparaissaient comme disparates, ce vers quoi pouvaient renvoyer ces espaces à la marge, délaissés.

Figure 119 : Etude sur la qualité de l’ombre associée à différentes espèces d’arbres (Photographies : Corajoud, 1999)

Figure 120 : La « guillotière », des plantations placées avec soin pour garantir des points de vue sur des édifices emblématiques : Hôtel Dieu, Fourvière et au loin La Croix Rousse et les ponts du Rhône

Figure 121 : La « feuillée » : une composition végétale pour mettre en scène les façades XVIIIème du port de la Lune (Schéma, Corajoud, 1999)