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Une localisation pensée à l’échelle de la ville dans la seconde moitié du XIXème

Chapitre 3 : L’importance de la situation dans la localisation des espaces végétalisés

3. Une localisation pensée à l’échelle de la ville dans la seconde moitié du XIXème

A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, les espaces végétalisés acquièrent de nombreuses nouvelles fonctions. Celles-ci visent à répondre aux multiples attentes des citadins (Ponte, 1990) : récréatives, éducatives, fonctions liées à la santé, etc. En parallèle, les espaces végétalisés s’intègrent à une échelle de plus en plus large dans le fonctionnement global de la ville. En effet, dans le sillage de l’urbanisme qui se développe alors, une pensée et des moyens se structurent et permettent d’accroître l’intégration spatiale des parcs et jardins au reste de la ville.

3.1 Des espaces végétalisés publics pleinement pensés dans le fonctionnement de la ville.

Une intégration de plus en plus forte au fonctionnement urbain

Le premier élément révélateur de cette intégration plus forte apparaît dans le traitement de la délimitation. Au XIXème siècle à Angers le Jardin des Plantes et le Jardin du Mail sont encore délimités par des grilles (Figures 39 et 40). Les limites restent donc physiquement marquées, mais s’ouvrent encore un peu plus. On notera par exemple que les grilles contrairement aux mûrs (avec la révolution industrielle, le fer devenant moins coûteux), laissent désormais ces espaces végétalisés perceptibles depuis le reste de l’espace public urbain.

Figure 39 : Le Jardin des Plantes (Carte postale ancienne : « L.V. », fin XIXème, début XXème

siècle)

Figure 40 : Le Jardin du Mail (Carte postale ancienne : « L.V. », fin XIXème, début XXème

siècle)

Cette intégration, se fait également par la prise en compte des flux et des réseaux urbains qui sont pensés dès la conception du parc. Dans le cas du Jardin du Mail, construit dans le prolongement du grand Mail, on voit ainsi que les entrées latérales du parc et une partie des

cheminements ont été placées dans la continuité des rues adjacentes ce qui permet de prolonger les déplacements piétonniers au-delà du parc. Ces formes traduisent la volonté de relier les espaces végétalisés au reste de la ville ou du moins, d’éviter qu’ils ne créent une rupture. De même, on voit qu’une rue a été tracée entre l’ancien Grand Mail et le Jardin du Mail et évite ainsi un long contournement pour les véhicules (Figure 41). On retrouve cette même volonté dans des réalisations plus sophistiquées d’Olmsted à Central Park ou d’Alphand à Paris. A Central Park par exemple, quatre voies traversières ouvertes à la circulation piétonne et automobile permettent de traverser le parc. Construites dans le prolongement des rues, ces voies ont été insérées dans des encaissements afin qu’elles soient les plus discrètes possible pour les usagers du parc. De même, dans le parc des buttes Chaumont, il est intéressant de voir à quel point les réseaux ont été intégrés à la conception du jardin. Celui-ci est traversé par une voie de chemin de fer, certaines allées ont été tracées dans le prolongement des rues adjacentes au parc. Dans le cas des mails et promenades d’Angers, cette intégration a été si poussée que l’usage lié au déplacement, à l’axe de communication a largement pris le pas. Ces espaces sont devenus les avenues et boulevards de la ville.

Figure 41 : Le jardin du Mail, un espace végétalisé public intégré aux flux et aux réseaux urbains (Carte schématique : Bodénan, 2014, d’après Demoget, 1877)

Une logique spatiale qui se rationalise à partir du XIXème siècle

Au cours du XIXème siècle va se développer une réelle logique d’implantation spatiale. En effet, assez rapidement, il ne s’agit plus seulement de choisir une parcelle à proximité de la ville ici ou là. Il apparaît une volonté d’établir une répartition équilibrée de ces espaces à l’échelle de la ville toute entière. La nature même des cartes traduit ce changement. Jusqu’au début du XXème siècle, nous avions des plans d’inventaires, même si certains anticipaient voire prévoyaient quelquefois des aménagements à venir. Mais avec le plan de 1936 « d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension » on a ce qu’on peut considérer comme

le premier plan de planification5 d’Angers. Cette planification démontre qu’on entre vraiment dans la conception spatiale des espaces végétalisés.

Sur la carte de 1877 (Figure 42), on remarque que les cimetières - construits de façon simultanée - sont spatialement positionnés exactement à des points cardinaux opposés, à l’Ouest et à l’Est. Les toponymes « Cimetière de l’Ouest » et « Cimetière de l’Est » soulignent aussi cette intention. Sur la même carte on observe également que les promenades ont symétriquement été aménagées au Nord et au Sud. Sur le plan de 1936 (Figure 42), un cimetière planifié au Sud de la ville vient compléter la structure des cimetières préexistants. On observe ce même souci d’organisation équilibrée avec des réserves boisées bien réparties sur les pourtours de la ville. Cette logique de rationalisation répond à deux grands principes : - Etablir une égale répartition sur l’espace urbain et ainsi créer une proximité pour tous les habitants. Historiquement cette logique a été fortement influencée par une logique hygiéniste6. Mais ce principe d’une répartition rationalisée des espaces végétalisés tient également d’une logique sociale, elle vise à garantir un bon accès à tous, depuis l’ensemble des points de la ville. Dès 1829, Loudon envisage une organisation théorique de ville dans laquelle « il ne pourrait jamais y avoir un habitant qui soit plus éloigné d'un demi mile d'une situation ouverte et aérée »7 (Loudon, 1829, p. 687). De même, Forestier (1906) écrit que « la préoccupation principale doit être de les [les petits parcs, les jardins de quartiers] distribuer largement à la portée de chacun » (Forestier, 1906).

- Organiser une complémentarité des usages. En effet, si plusieurs fonctions peuvent être comprises dans un même espace (un parc est par exemple à la fois un espace profitable pour l’hygiène mais c’est aussi un espace récréatif), il est des fonctions qui nécessitent des espaces spécialisés. C’est ce que souligne William Robinson (1869), « les parcs [un seul type d’espace] n’auraient pu satisfaire tous les besoins ». Aussi, il existe une spécialisation des espaces qui permet de répondre à des fonctions spécifiques. Cette idée d’une différentiation est présente chez Adolphe Alphand avec son système hiérarchisé « d’espaces verdoyants », puis chez Jean-Claude Nicolas Forestier avec son « système de parcs ». Tous deux ont déterminé une typologie d’espaces qu’ils décrivent avec des formes, des tailles et des fonctions différentes. De là apparaît une complémentarité des espaces qu’il va falloir organiser afin que les habitants puissent avoir accès à l’ensemble des usages associés aux espaces végétalisés.

Une logique d’être au plus près des habitants et du bâti conduit à aménager les espaces végétalisés sur le plateau et les coteaux, à l’abri des crues, là où se construit la ville. Les rares exemples où des espaces sont aménagés dans ce qui est la zone inondable correspond aussi à des remblaiements et donc à une mise hors d’eau. On rejoint alors les caractéristiques du bas des coteaux. Outre leur caractère inondable, les terres situées dans le fond de vallée sont également préservées pour leur intérêt agronomique (les terres sont naturellement fertilisées par les alluvions lors des crues. Les engrais de synthèse quant à eux n’apparaissent qu’au cours du XIXème siècle et surtout au cours du XXème siècle).

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Celui-ci correspond à la première loi relative à l’aménagement de la ville : la loi Cornudet de 1919.

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On comprend dès le XIXème siècle le lien entre le développement de maladie, notamment la tuberculose avec les conditions de vie et de logement. Dès lors la nécessité d’aérer et d’acheminer de l’eau de qualité pour « éliminer les miasmes » de la ville va ainsi être élevée en principe « de l’air, de l’eau et du soleil » (Rambuteau, cité par Baridon, 1998, p. 942). Or pour aérer, apporter du soleil, il convient de réserver des espaces non construits, qui vont donc révéler des espaces végétalisés. Les espaces végétalisés publics vont contribuer à cet objectif. Camillo Sitte (1889) écrit : « Les allées et les jardins publics jouent un rôle important dans la décoration des villes modernes et contribuent pour une bonne part au maintien de la santé publique. »

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“ […] there could never be an inhabitant who would be farther than half a mile from an open airy situation” (Loudon, 1829, p. 687)

3.2 L’espace végétalisé dans une continuité du reste de l’espace public

A partir de la seconde moitié du XXème siècle, l’espace végétalisé n’a plus à s’intégrer dans le reste de l’espace public. C’est un espace public à part entière. C’est au contraire lui qui est utilisé comme un lien.

Une délimitation presque transparente : l’espace végétalisé dans une continuité de l’espace public

Au cours du XXème siècle, cette délimitation tend à être encore plus discrète, en témoigne le démantèlement des grilles du Jardin du Mail. Les parcs du Lac de Maine et de Balzac, ne sont également plus clôturés (Figure 44). Il y a donc une tendance qui tend à rendre la limite physique entre les espaces végétalisés et le reste de la ville de moins en moins marquée, jusqu’à disparaître parfois. Cependant, nous noterons deux nuances à cette tendance. La première est que cela n’est pas systématique, et la clôture physique peut garder son utilité, notamment pour des raisons de sécurité (parcs fermés la nuit). La seconde est que la limite physique disparaît, mais pas forcément la limite symbolique. Il ne s’agit pas de fusionner les espaces, leur singularité est préservée, il s’agit de les rapprocher. La limite est traitée d’une manière différente, notamment à travers le choix des revêtements, ou par des seuils. Ce phénomène a été observé bien au-delà d’Angers. Ann Caroll Werquin et Alain Demangeon (2006) ont fait le même constat, ils parlent d’un « rejet de la clôture vue comme une séparation radicale ». Ils expliquent : « […] on préfère dorénavant marquer la rupture des espaces par des seuils et des transitions. La clôture traditionnelle, sans être vraiment remise en question, est traitée comme une interaction entre le dedans et le dehors. La séparation des espaces, qui reste une condition quasi obligatoire […] est étudiée pour rester transparente de quelque côté que l’on soit » (Ibid, p. 13).

Une multiplication des fonctions attribuées à ces espaces végétalisés publics

La continuité de l’espace entre l’espace végétal public est aussi marquée par la diversité des fonctions qui leur est aujourd’hui attribuée. La terminologie des espaces végétalisés des cartes étudiées confirme cette évolution, cet enrichissement des fonctions et des usages qui vont être accordés à ces espaces végétalisés : « mail », « parc », « réserve boisée », « cimetière », « stade », « avenue », « parc des sports », « promenade », « jardin des plantes » (Cartes d’Angers de 1776, 1877 et 1936). Ils ont conservé un rôle récréatif pour les citadins, un rôle pour la santé et le bien être, un rôle éducatif, outil d’urbanisme (limite d’urbanisation), etc. Ce à quoi de nouvelles fonctions se sont rajoutées au cours du XXème siècle, avec un rôle environnemental, un rôle de lien social, un rôle de valorisation territoriale (Figure 43), etc. Cette démultiplication des fonctions dévolues aux espaces végétalisés publics constatée à Angers s’inscrit dans une histoire plus générale du jardin et du paysagisme.

L’aménagement du Parc de Balzac à la fin des années 1990 reflète bien cette extrême multiplicité des fonctions. On parle notamment de développement durable :

- « D’un point de vue environnemental, le projet [du parc de Balzac] doit assurer le rôle de vase d’expansion des crues (le parc est inondable sur sa majeure partie), favoriser l’auto- épuration et la double fonction de drainage – irrigation du Brionneau, permettre la reproduction de certaines espèces de poissons, et globalement favoriser la biodiversité.

-D’un point de vue économique, il doit renforcer l’attractivité de la ville en jouant sur l’image « verte » qu’il véhicule, permettre le développement d’un tourisme de randonnée (par la continuité du réseau d’espaces « naturels ») complémentaire du tourisme culturel (perspective du parc du végétal). La mise en place des jardins familiaux dans une partie du parc doit favoriser l’éclosion d’une économie solidaire.

- D’un point de vue social enfin, le parc propose une offre de loisirs mais se présente comme un espace de rencontre, et de dialogue […] » (Angers (Ville), 2001)

Figure 43 : Angers, en tête des classements des villes pour leur cadre de vie. Le choix politique de la ville d’Angers de consacrer des moyens importants à la conception et à l’entretien de vastes espaces végétalisés publics lui a permis de développer une « image » marketing.

A gauche : Palmarès 2014 des « Villes les plus vertes de France » établi par l’Union des Entreprises du Paysage (UNEP)

A droite : Affiche installée à la gare d’Angers par la communauté d’agglomération et reprenant le titre de l’enquête 2014 des « 50 villes où il fait bon vivre » menée par le Magazine l’Express.

Une logique spatiale qui reflète la diversité des fonctions portées par les espaces végétalisés publics contemporains

Il existe aujourd’hui une continuité dans l’idée de construire des espaces végétalisés au plus près du bâti. Donc la localisation sur les coteaux et le plateau perdure. Cela tient notamment à des logiques qui se maintiennent. Dans l’héritage de l’hygiénisme, il est ainsi prévu d’apporter la présence végétale au plus proche de l’habitat afin de profiter des biens-faits des espaces végétalisés en matière de santé, des effets positifs sur le stress, le bien être (De Vries, Verheij et al., 2003, Grahn, Stigsdotter, 2003). De même, des études continuent à évaluer et à tenir compte de l’accessibilité de proximité de ces espaces (Barbosa, Tratalos et al., 2007). Cependant, à partir de la seconde moitié du XXème siècle, l’aménagement végétal a investi le fond de vallée et les berges (Figure 44). Cette nouvelle localisation accompagne un délaissement des prairies inondables par l’agriculture. Elle répond aussi à une série de nouvelles attentes liées au temps libre et aux loisirs,8 En effet, ces nouvelles fonctions ont nécessité des espaces plus grands pour s’adapter à de nouveaux usages (sports, loisirs) et à la nécessité d’accueillir un public de plus en plus nombreux. On notera ainsi que la base de loisir du Lac de Maine construite dans les années 1970 fait plus de 220 hectares, quant au Parc de Balzac aménagé dans les années 1990, il fait près de 50 hectares. Cela est à comparer aux 4 et 2 hectares respectifs du Jardin des Plantes et du Jardin du Mail. Dès lors, on comprend que bien qu’un peu à l’écart du bâti, les berges sont apparues comme un bon compromis entre la proximité du centre urbain, et la possibilité de disposer de ces vastes espaces.

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A la faveur du raccourcissement de la journée de travail et de l’arrivée des congés payés en 1936 apparaît dès l’entre-deux-guerres une nouvelle donnée avec le temps libre et les loisirs. Dans La cité radieuse, Le Corbusier y fait déjà largement référence : « Bientôt, fatalement, l’aménagement du travail machiniste apportera des heures vacantes dans la journée de chacun. […] On sent, dès lors, la nécessité de transformer bien vite cette acception encore informe des « loisirs » en une fonction disciplinée. […] Ainsi se manifeste l’extrême urgence d’aménager les logis capables de contenir les habitants des villes, capables surtout de les retenir. » (Le Corbusier, 1933, p. 101).

Figure 44 : Une nouvelle localisation sur les berges reflet notamment de nouvelles attentes liées aux loisirs et au temps libre (Carte : Bodénan, 2014)

Conclusion :

Dans ce chapitre, nous avons pu voir le souci constant de la situation dans la localisation des espaces végétalisés au cours du temps. En effet, le bon fonctionnement des espaces végétalisés dépend de leur situation dans la ville, notamment par rapport aux axes de communications et par rapport aux fonctions attribuées aux différents quartiers (commercial, résidentiel, etc.). Par exemple, il est plus logique que les jardins privatifs soient contigus à l’habitation dont ils dépendent. De même, les jardins publics se sont préférentiellement implantés à proximité des axes de communication afin d’être plus accessibles. La situation des espaces végétalisés a alors évolué au fil des fonctions qui leur ont été attribuées au cours du temps.

Par ailleurs, cette situation a été pensée à des échelles de plus en plus petites au cours du temps. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, il s’agissait essentiellement de profiter et de développer les avantages d’une situation donnée. Les espaces végétalisés se sont ouverts sur l’espace urbain contigu, puis ils ont été pensés à l’échelle du quartier dans lequel ils se situaient. Ca n’est que dans la seconde moitié du XIXème siècle) que la localisation a été pensée au niveau de l’ensemble de la ville, en étant intégrée à la planification urbaine.

Au final, on a désormais un effet cumulatif :

ƒ A l’échelle de la parcelle, sans être remise en cause, la délimitation s’est ouverte sur le reste de la ville. Les accès ont été multipliés et facilités. La limite physique est peu à peu tombée.

ƒ A l’échelle du quartier, il y a une volonté d’intégration de ces espaces dans une logique et un fonctionnement urbain. Les flux sont intégrés aux tracés des parcs et jardins publics.

ƒ A l’échelle de la commune, l’implantation se veut rationnelle. Elle est pensée en terme d’accessibilité et de complémentarité des espaces.

CHAPITRE 4 : L’importance du site dans la localisation des espaces