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Une méthode d’analyse des projets d’aménagement paysagers centrée sur les

Chapitre 6 : Une analyse de trois projets d’aménagement paysagers à Bordeaux, Lyon

1. Une méthode d’analyse des projets d’aménagement paysagers centrée sur les

1.1 L’analyse du projet d’aménagement paysager

La notion de projet d’aménagement paysager

La notion de projet est définie par Jean-Pierre Boutinet (2001) comme « une image opérative (en opposition à l’image représentative), qui définit les contours d’un objet inexistant à faire advenir par une stratégie d’action appropriée où se distinguent deux phases : le temps de conception puis le temps de la réalisation ». Du latin projectare (1529), cette notion désigne « l’idée que l’on met en avant, le plan proposé pour réaliser cette idée » (Donadieu, 2002, « Projet de paysage »).

Prise dans un sens architectural et paysager, l’idée de projet « exprime la représentation d’une situation, d’un état que l’on souhaite atteindre. C’est un dessin (figuration graphique en deux ou trois dimensions) autant qu’un dessein (expression d’une intention). » (Ibid). Le projet est un processus qui participe à la fois de l’élaboration des idées mais aussi de leur mise en forme. Le projet paysager est un processus d’action complexe social et spatial. C’est à la fois un « projet architecturant, au sens où il propose des formes et des organisations de l’espace matériel, prenant en compte le long terme, et un projet sociétal dans la mesure où il anticipe des pratiques à organiser » (Choay, Merlin, 2000 dans Romain, 2010, p. 164). Le projet se présente comme un processus souvent long de plusieurs années, voire décennies. La figure 93 permet d’identifier les grandes étapes du processus d’aménagement paysager.

Figure 93 : Une analyse centrée sur une étape du processus de production du projet d’aménagement paysager : la conception (Schéma : Bodénan d’après Leger-Smith, 2014)

L’étude du projet nécessite une méthodologie spécifique afin de saisir la complexité de ce processus. Chacune des étapes ne peut être approchée de façon déconnectée du reste du processus. La cohérence du projet tient en effet à une construction globale savamment élaborée. La méthode de construction du projet de paysage fait d’ailleurs l’objet d’un enseignement spécifique dans les écoles de paysage. Une méthodologie de recherche propre à l’analyse du projet de paysage a été développée dans le champ de connaissances propres à la « théorie et démarche du projet de paysage » (Berque, Conan, Donadieu, Lassus, & Roger, 1999 cité dans Léger-Smith, 2014). Notre méthode s’inscrit de fait dans la ligne méthodologique déjà abordée dans d’autres thèses ayant spécifiquement travaillées sur l’analyse du projet de paysage (Keravel, 2008 ; Romain, 2010 ; Léger-Smith, 2014).

L’étude du projet peut amener à diverses analyses, qui mettent l’accent sur différentes étapes de ce processus. L’analyse peut porter sur le passage du programme au document de conception, ce qui permettra de rendre compte du positionnement du paysagiste (son parti pris) par rapport à la commande politique. C’est notamment le sens du travail de Sonia Keravel (2012) sur le projet du parc Eole à Paris. L’analyse du projet de paysage peut également porter sur les documents de conception et en aval sur l’espace réalisé et la maîtrise d’usage3. C’est le sens du travail entrepris par Fanny Romain (2010) sur les projets de réaménagement de berges à Montpellier et Perpignan. D’autres analyses insistent sur les aspects de gestion (Aggéri, 2004). Dans notre cas, l’analyse du projet cible plus précisément les documents de conception (Figure 93).

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« Il devient possible de mesurer l’écart entre le projet décrit par son auteur, le projet réalisé et la perception de ce même projet par les utilisateurs » (Romain, 2010, p. 164).

Une analyse du projet de paysage centrée sur l’étape de conception

Dans ce travail de recherche, nous avons centré notre analyse sur l’étape de conception du projet. La conception du projet est portée par la maîtrise d’œuvre et notamment les équipes de conception. Celles-ci sont généralement pluridisciplinaires, mais dans le cas du projet de paysage, les paysagistes tiennent une place prépondérante. La conception apporte une réponse architecturale, technique et économique au programme fourni par un commanditaire (le maître d’ouvrage). Dans nos cas d’étude, le commanditaire est constitué par les collectivités publiques. Dans la maîtrise d’ouvrage, on distinguera alors les élus, des professionnels (l’assistance à maîtrise d’ouvrage) qui sont rattachés aux services « aménagement » des collectivités.

Le processus de conception se caractérise par une double dimension, de synthèse et de création. Tout d’abord c’est une synthèse dans le sens où cette étape reprend l’ensemble des éléments rassemblés dans le programme : les données du terrain (les documents réglementaires, les études, etc.) et les intentions de la société (via la concertation avec les habitants ou via les choix politiques des élus). Nous noterons que cette synthèse n’est pas neutre, le paysagiste propose ainsi une reformulation de la commande. Ensuite, c’est une étape créative dans le sens où la conception propose véritablement une solution d’ensemble en réponse au programme. Cette solution d’ensemble possède un caractère propre et unique qui reflète le parti pris des concepteurs. Le processus de créativité n’est pas facile à décrire. Il est « parfois désigné sous le terme de « boite noire » (Davodeau, 2007). Jean-Marc Besse évoque l’apparition « d’une forme, d’une structure, dont on a l’intuition mentale » (Besse, 2009) ». (Léger-Smith, 2014, p. 27). Le résultat de cette étape de conception se structure autour d’un concept et se décline par des propositions spatiales. Cela donne lieu à un schéma d’intention, puis une esquisse d’aménagement.

L’intérêt de cibler cette étape du processus est qu’elle se situe à l’articulation entre les attentes exprimées et, les formes du paysage physique qui vont être mises en place. Les documents de conception peuvent être vus comme une étape clé du processus du projet de paysage, c’est la première étape qui met en forme des intentions qui n’étaient jusque là, ni spatialisées ni formalisées. Sous un angle inversé, c’est aussi la dernière fois dans le processus du projet de paysage que les intentions et les représentations seront explicitées et directement accessibles. Les documents de conception possèdent ainsi la spécificité dans l’ensemble du projet de paysage de donner à voir de façon conjointe – reliée - les lieux, les formes mais aussi l’explicitation des intentions et des représentations. Cette spécificité est particulièrement intéressante du point de vue de la question de la place et du sens accordés au végétal dans le projet urbain.

1.2 La méthode d’analyse des documents de conception

Les documents de conception sont rédigés par les équipes d’aménageurs (Paysagistes, architectes, urbanistes, etc.). Ils sont composés d’éléments de natures très différentes et complémentaires. Ces documents comportent du texte, mais ils se caractérisent surtout par la variété des procédés graphiques employés (plans, photomontages, photographies, coupes, schémas). La méthode d’analyse des documents de conception s’apparente à la méthode d’analyse de contenu en sciences sociales, c’est à la fois une analyse discursive et iconographique. Nous allons ici préciser les filtres de lecture (le cadre d’analyse) ainsi que la grille d’analyse des documents de conception.

Le cadre d’analyse des documents de conception

Les documents de conception seront tout d’abord contextualisés par rapport au public auquel ils s’adressent, à la fois professionnel et non professionnel. Puis nous aborderons les cadres économique et procédural dans lesquels ils s’inscrivent.

Un document qui s’adresse à des publics différents : professionnels de l’aménagement et profanes (élus, habitants)

Les documents de conception s’adressent à différents publics. D’une part, ils s’adressent aux professionnels de l’aménagement. Il s’agit des professionnels de l’assistance à maîtrise d’ouvrage (en amont) et des professionnels de la maîtrise d’œuvre en charge de la construction (en aval). Dans ce cas, ce sont d’abord les figurations plus techniques et cognitives qui seront privilégiées. Pour ce public professionnel, des représentations abstraites en plan et en coupe ne constituent pas un obstacle pour lire et comprendre la composition urbaine. Leur expertise leur permet de se projeter dans cet espace abstrait pour saisir les potentialités du futur espace. Mais d’autre part, les documents de conception constituent un support d’échange, de décision pour les élus et les habitants. Or ceux-ci, en tant que non experts, peuvent avoir des difficultés à se projeter dans l’espace en plan, un espace encore abstrait. Le recours à des perspectives, des schémas simplifiés permet alors de rendre plus accessibles aux non initiés les informations sur les transformations de l’espace.

La difficulté4 de lecture de ces documents, tient au fait qu’ils s’adressent en même temps à ces deux types de public. Ainsi des représentations rigoureuses coéxistent avec des représentations plus libres qui permettent aux profanes de se projeter. Notre lecture devra donc faire la part des choses afin d’éviter des contresens.

Un cadre économique

Les documents de conception sont produits dans le cadre de marchés entre les collectivités publiques et les équipes d’aménagement qui exercent dans le cadre de professions libérales. La production des paysages intègre un marché. Cela induit des comportements et des choix d’ordre économique, notamment de la part des paysagistes (Léger-Smith, 2014). Cela implique de lire les documents de conception à travers le filtre de cette relation entre un professionnel et son client. Les travaux produits portent un discours professionnel visant une promotion du travail à des fins professionnelles et commerciales. Il s’agit de persuader le commanditaire de la valeur du travail de conception. Cette dimension de publicité du projet (au sens de forme de communication visant à faire adopter un comportement souhaité) est plus ou moins palpable suivant les phases d’avancement du projet. Nous distinguerons notamment les phases avant et après concours.

Le cadre procédural et administratif

Les documents de conception s’inscrivent tout d’abord dans le cadre d’un concours qui permet au maître d’ouvrage de sélectionner l’équipe de conception. Les trois projets étudiés s’inscrivent dans deux types de concours, le « concours de maîtrise d’œuvre » à Bordeaux et le « marché de définition » à Lyon et à Angers5. Les documents de conception entrent ensuite dans le cadre de missions d’aménagement qui sont réglementées. La loi relative à la maîtrise

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S’adresser à ces deux types de publics dans un même document relève de la gageure. La remarque du paysagiste René Pechère est éloquente à ce propos : « […] Un joli plan, plaisant à regarder par la beauté de ses proportions, peut être un mauvais plan à l’exécution. C’est au point qu’il m’est arrivé de dessiner un joli plan pour le faire accepter à des décideurs non avertis, puis de prier mon bureau d’étirer toutes les lignes pour le plan d’exécution » (Pechère, 1995, p. 49)

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Le concours de maîtrise d’œuvre amène à une sélection de l’équipe de maîtrise d’œuvre sur une proposition de l’aménagement qui se veut quasi définitive par rapport au projet qui sera réalisé. A contrario, la procédure du marché de définition sélectionne l’équipe de conception sur une proposition qui sera amenée à évoluer dans la suite du projet. On notera que d’autres procédures existent comme la « procédure restreinte ou la « zone d’aménagement concertée » (ZAC) (Léger-Smith, 2014).

d’ouvrage publique (MOP)6 divise l’intervention d’aménagement suivant près d’une dizaine de phases (Diagnostic, Esquisse, Avant-projet, etc. (cf. annexe 4)). On notera que les projets étudiés ne remplissent pas tout à fait les mêmes missions. Si les phases d’ « esquisse », d’ « avant projet » et de « projet » sont communes, nous noterons par exemple que le projet angevin comprend également un volet « diagnostic ». Enfin, le cadre procédural est défini par les procédures administratives liées aux attendus des pièces constitutives des documents de conception. Celles-ci définissent le format des rendus, les coûts impartis, les délais de livraison des documents, etc. A titre d’exemple, l’annexe 5, illustre la structure attendue pour les documents de rendu du concours dans le cadre du projet de réaménagement des berges de la Maine à Angers, en 2010.

Analyse de la transformation des paysages proposée dans le projet (grille de lecture)

L’analyse de la transformation des paysages nous amène à considérer la modification matérielle d’objets spatiaux, mais aussi la transformation du regard porté sur ces objets (Romain, 2010). Notre grille de lecture des projets nous conduit donc à développer une double analyse.

Une analyse des formes proposées dans le projet

Une première analyse porte sur les transformations physiques de l’espace. Une lecture technique des plans, des vues en trois dimensions, des coupes va permettre de rendre compte des formes du végétal, du travail de composition végétale effectué. Il s’agit de comprendre comment les aménageurs vont retranscrire formellement les attentes sous-jacentes à cet aménagement. Nous questionnerons également les techniques utilisées pour mettre en oeuvre ces formes végétales. Nous nous intéresserons à la nature de ces interventions (techniques horticoles, techniques d’ingénierie écologique) et nous chercherons à qualifier le degré d’intervention des aménagements (intervention forte ou a contrario une intervention s’appuyant sur les dynamiques naturelles déjà présentes sur le site).

Une analyse des représentations mentales véhiculées dans le projet

« Le dessin ne remplit pas seulement la fonction d’incarner le futur de l’espace (projection), il permet une relecture qualifiante de ce qu’il représente » (Davodeau, 2008, p. 7)

Une seconde lecture s’attachera aux représentations mentales véhiculées au travers des documents de conception. Une lecture des textes nous permettra de relever des mots clés, des métaphores. Nous analyserons ensuite le discours dans sa globalité afin d’identifier des références, des modèles. De façon complémentaire, une lecture des représentations graphiques nous permettra de relever les motifs récurrents, le choix de cadrage des visuels, l’esthétique des représentations, etc.

Notre analyse rattachera tout d’abord ces représentations du végétal à une vision de la ville et de sa construction. Ensuite, ces représentations du végétal nous permettront d’éclairer un rapport à la nature.

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La loi 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique (MOP) qui régit la relation entre la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre dans le cas des marchés publics. Les différentes phases identifiées dans la loi MOP sont détaillées dans l’annexe 4, d’après les travaux d’Anaïs Léger-Smith (2014).