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3. Temps des étudiants et usages des outils numériques

3.2. La particularité du public étudiant

institutions culturelles, etc. – sont concernés) » (Doueihi, 2013, p. 6). Le développement du numérique est influencé par la socialisation des pratiques numériques.

3.2. La particularité du public étudiant

3.2.1. Les étudiants : tous digital natives ?

Les étudiants font partie de la génération de ceux couramment nommés les digital natives. Le concept de digital natives (natifs du numérique) a été développé par l’écrivain américain Prensky en 2001 et s’oppose à digital immigrants (immigrants du numérique) (Lardellier, 2017). Elle distingue les jeunes des autres générations par la place capitale des outils numériques dans leur vie quotidienne.

Les jeunes – et plus largement les 15-30 ans – ont grandi avec la généralisation de l’accès à la culture, la généralisation des équipements multimédias et technologiques (Chantepie, 2009) et la massification de leurs usages (Boëton, 2013). Ainsi, « se distraire, consommer, s’informer est désormais possible depuis un smartphone ou une tablette, et ce en un simple clic. Vivre connecté, télécharger de la musique en ligne, faire un exposé à partir de Wikipédia, poster ses photos sur Facebook relève de l’évidence pour les digital natives » (Boëton, 2013).

Cette génération de jeunes est également caractérisée par une mise en doute de la légitimité des institutions, rendue possible par Internet. La généralisation de l’accès à Internet a permis de facto la généralisation de l’accès à la culture. Les institutions culturelles font face à des changements de conception du temps, des objets culturels, du lien entre savoir et culture et de ses médiateurs (Chantepie, 2009). Octobre (2009) reprend Dubet pour dire que les institutions culturelles font face à une crise à trois niveaux : crise des mécanismes de la transmission, crise des statuts des transmetteurs et crise des contenus (Octobre, 2009).

Dans l’enseignement, les contenus sont questionnés, car Internet permet de mémoriser les informations et le cerveau humain n’aurait plus qu’à inventer (Boëton, 2013).

Le rapport au savoir de cette génération ainsi que la place de l’enseignant se trouvent donc bouleversés, car les jeunes, ayant accès au savoir, brisent la verticalité et peuvent mettre en cause la parole de l’enseignant. En 2014, Michel Serres explique que le rôle de l’enseignant ne s’efface pas par ces transformations, au contraire, il se modifie pour devenir un médiateur de la connaissance, lui-seul permettant de transformer le savoir en

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connaissance (Serres, 2014). Le défi du numérique est selon Doueihi (2013) de repenser

« une nouvelle forme de gestion de la mémoire, de l’identité et du savoir, et d’élaborer une éthique » (Doueihi, 2013, p. 54). Rappelons que la connaissance est entendue chez le didacticien Brousseau en 1989, dans la théorie des situations qu’il a développée, comme « le résultat d'une adaptation de l'élève à une situation S qui “justifie“ cette connaissance en la rendant plus ou moins efficace » (Brousseau, 1989, p. 1). Le savoir est entendu comme un

« savoir constitué ou en constitution » (Margolinas, 2012, p. 7). Pour qu’une information acquière le statut de savoir, il nécessite une institutionnalisation. Pour que le savoir devienne connaissance, le sujet doit être mis en « situation ».

Toutefois, Lardellier (2017) s’oppose aux concepts de « génération Y », de

« troisième âge médiatique », de digital natives et de digital immigrants, qu’il juge trop dichotomiques, marquant une triple fracture : numérique, générationnelle et cognitive (Lardellier, 2017). En effet, étant donné que les jeunes sont nés avec des outils numériques, ces expressions associent les jeunes à des compétences techniques « innées ». Or, Lardellier pointe les différences d’usage selon l’âge et les blocs d’âge (collège, lycée), et rappelle les problématiques culturelles et que « beaucoup de jeunes se contentent de consommer les services Internet tels qu’ils leur sont proposés par l’industrie, avec assez peu de recul sur les implications juridiques, par exemple, de ce qui se poste en ligne » (Lardellier, 2017, p. 154).

Collin et Karsenti (2013) vont dans le même sens lorsqu’ils disent que « l’idée d’une génération homogène faite de natifs du numérique (Prensky, 2001), dont les compétences technologiques seraient avancées, semble pour le moins réductrice (Hargittai, 2010) » (Collin, Karsenti, 2013, p. 203).

L’idée de natifs du numérique est liée à ce que Proulx, en 2002, nomme « culture numérique ». Il la définit comme « l’ensemble de valeurs, de connaissances et de pratiques qui impliquent l’usage d’outils informatisés, notamment les pratiques de consommation médiatique et culturelle, de communication et d’expression de soi » (Fluckiger, 2008). Pour Fluckiger (2008), cette culture pose un problème pour l’Ecole car elle est construite en dehors des murs de l’école, ce qui amène l’auteur à opposer la culture des élèves et celle de l’école. Il dénonce « la pression institutionnelle, sociale ou marchande qui s’exerce pour que l’école intègre les technologies de l’information et de la communication (T.I.C.) » (Fluckiger, 2008).

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À l’université, on constate que les outils numériques sont déjà intégrés, tant du point de vue de l’utilisation pédagogique par les enseignants que du point de vue fonctionnel de prise de note (entre autres) par les étudiants.

3.2.2. Usages de masses et construction cognitive

Les modes de consommation ont changé, à savoir « la consommation à la demande, [la] convergence des usages sur un même support qui facilite un temps multitâche, [le]

développement de l’éclectisme, de la curiosité et de la consommation culturelles » (Chantepie, 2009, p. 1). L’idée de « convergence des usages sur un même support » peut renvoyer à un souci de rationalisation du temps. De plus, selon le Littré, est éclectique ce

« qui admet ce que chaque système paraît offrir de bon » (Dictionnaire Littré).

L’utilisation de la notion d’éclectisme nous renvoie à la notion de « culture mosaïque » qu’Abraham Moles développait dans son ouvrage « Sociodynamique de la culture » (Moles, 1971). Moles décrit la culture moderne comme une culture qui « se présente comme essentiellement aléatoire, comme un assemblage de fragments, par juxtaposition sans construction, sans point de repère, où aucune idée n’est forcément générale, mais où beaucoup d’idées sont importantes » (Moles, 1971, p. 29). Il s’agit d’un

« flux de messages disparates, sans aucune hiérarchie de principe : [l’individu] sait tout de tout, la structuration de sa pensée est extrêmement réduite » (Moles, 1971, p. 28). Moles précise que « cette culture n’est plus principalement le fait d’une éducation universitaire, d’un cadre rationnel ; elle est le fait du flot de connaissances que nous recevons chaque jour, d’une information permanente désordonnée, pléthorique, aléatoire » (Moles, 1971, p. 29). Il ajoute que « la connaissance n’est plus établie, pour sa part principale, par l’éducation, elle est faite par les mass-médias de communication » (Moles, 1971, p. 29).

Compte tenu de cette nouvelle culture et des modifications cognitives qu’elle engendre et compte tenu des bouleversements produits dans les institutions d’apprentissage (Ecole, Université) que nous avons décrits plus haut, nous conclurons sur la question suivante : « Ne peut-on pas reconnaître aussi que la constatation contemporaine de la

“culture mosaïque“ (Abraham Moles) oblige à explorer de nouveaux modèles pédagogiques intégrant l’environnement médiatique et les usages émergents des technologies numériques » ? (Saillant, 2004).

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