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Nous cherchons à connaître non seulement les pratiques que l’étudiant a de ses outils numériques pendant le cours (ordinateur et smartphone) ainsi que le sens qu’il attribue à ses activités, et ce, au regard de sa temporalité. Nous entendons la « temporalité » dans le sens phénoménologique du « temps vécu tel qu’il se constitue dans et par la conscience (par opposition au temps objectif, physique). Il s’agit pour Husserl de décrire « le temps

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apparaissant comme tel dans la conscience transcendantale » (Morfaux, Lefranc, 2007, p. 559). La temporalité de l’étudiant en cours est appréhendée selon les concepts de chrono-formation et de synchroniseur de temps développés par Gaston Pineau (1987). Elle est aussi sous-entendue dans le choix du concept de « pratique » plutôt que celui d’« usage », qui reconnaît une influence que pourrait exercer le temps du cours.

Nous nous sommes donc rapprochés de l’« attitude phénoménologique », définie comme « une méthode, une direction de recherche » (Vergez, 1973, p. 287), « une étude purement descriptive des faits vécus de pensée et de connaissance » (Vergez, 1973, p. 288).

Elle « vise à exprimer le réel à travers les liaisons qui nous le laissent connaître » (Grand dictionnaire philosophique Gallica). Ainsi, notre étude s’intéressera au temps pendant le cours, tel qu’il apparaît à l’étudiant. Rappelons ici que notre étude a pour but in fine de contribuer au raisonnement sur la pédagogie universitaire. Ainsi, une compréhension du sens de l’usage des outils numériques pendant les cours nous permettra probablement de mieux cerner ce qui se joue dans un cours à l’échelle d’un étudiant.

La phénoménologie a été inspirée d’un mouvement de « réaction contre l’extension unilatérale et exclusive des méthodes empiristes et positivistes aux sciences de l’homme » (Mouchot, 1988, p. 233). Fortement reprise par la philosophie allemande (Hegel, Nietzsche, puis Husserl) (Taminiaux, 2017), la phénoménologie est d’abord une attitude heuristique4 qui analyse le monde selon la subjectivité (Mouchot, 1988) par le moyen de la suspension du jugement. Elle est apportée en France par Levinas au début des années 1930, puis par les travaux de Sartre, Merleau-Ponty, Dufresne dans les années 1940-1950 (Greisch, 2017).

L’objet d’étude des Sciences humaines étant l’humain, la phénoménologie montre l’importance d’une analyse de la subjectivité, car elle considère que le monde doit être étudié tel qu’il apparaît à l’humain (Mouchot, 1988). Cette dimension subjective peut être étudiée selon l’égologie – « étude du moi perçu comme "sujet personnel" » (Encyclopedia Universalis) -, car c’est la personne, à travers son expérience personnelle, qui procède à la constitution des objets du monde. « Personne » étant entendu étymologiquement comme le masque de théâtre, il désigne depuis Kant le sujet moral (Russ, 1996). L’homme, par l’expérience qu’il a du monde, constitue les objets du monde en leur donnant une signification personnelle. Ainsi, l’on comprend l’expression de Protagoras, reprise par Mouchot : « l’homme est la mesure de toute chose » (Mouchot, 1988).

4 L’adjectif « heuristique » renvoie à ce « qui sert à la découverte » (CNRTL).

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La phénoménologie cherche à atteindre l’objectivité en étudiant la subjectivité (Mouchot, 1988). L’attitude phénoménologique consiste alors à mettre « entre parenthèses » (Einklammerung) « les données factuelles telles que nous les acceptons à travers nos habitudes et nos préjugés, notre éducation, notre culture et même nos connaissances les mieux établies » (Mouchot, 1988, p. 234). En effet, elle pose le principe du « retour aux choses elles-mêmes », c’est-à-dire à l’immédiat. Mais cet immédiat n’est pas donné par l’attitude naturelle (Sevenant, 1999) : l’appréhender nécessite un effort, une démarche (Vergez, 1973, 288), en d’autres termes, une méthode phénoménologique.

Cette mise entre parenthèses de l’objectivité du monde se réalise dans le but d’obtenir, par la subjectivité, la réalité essentielle (Wesenssein). En d’autres termes, c’est la

« réduction transcendantale » (Greisch, 2017, p. 48), aussi appelée « réduction phénoménologique » (Vergez, 1973 ; Mouchot, 1988) ou encore « réduction phénoménologique transcendantale » (Seron, 2001, p. 95). Cette réduction permet de

« désentraver le regard de la pensée » afin d’appréhender les « significations intentionnelles » (Greisch, 2017, p. 48). Il s’agit donc de réduire la pensée factuelle et favoriser une approche compréhensive des significations. L’épokhé (Mouchot, 1988), orthographiée également épochè (Vergez, 1973) ou encore épokhê (Encyclopédie Universalis) désigne cette méthode phénoménologique de réduction, ou régression eidétique (Mouchot, 1988), par laquelle le phénoménologue peut suspendre son jugement, donc son adhésion à l’existence du monde, par opposition à son essence (Seron, 2001). L’épochè se compose d’un double mouvement à la fois de « mise entre parenthèses » et de « mise hors circuit », la « mise hors-circuit impliquant une mise à distance de l’objet bien qu’il reste présent, à l’image de la prise électrique que l’on débranche, qui sort donc du circuit électrique, mais qui reste bien présente dans l’environnement (Sevenant, 1999).

La phénoménologie se défend de correspondre à « des aspirations philosophiques dénuées de sens » (Thinès, 2005, p. 22), car elle astreint le chercheur à une méthode phénoménologique.

Mouchot ajoute que « la méthode phénoménologique n’exclut pas l’explication par des lois générales (point de vue empiriste et objectiviste) ; elle lui adjoint la compréhension par l’intuition de ce qui constitue le phénomène en tentant en quelque sorte de pénétrer dans sa totale vérité (point de vue idéaliste et subjectiviste) » (Mouchot, 1988, p. 235). En effet, l’idée selon laquelle « il n’y a que des phénomènes, c’est-à-dire que des représentations sensibles et subjectives » renvoie non pas à la phénoménologie, mais au phénoménisme (Dumas, 1973).

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La schématisation suivante permet de clarifier notre questionnement ainsi que son ancrage théorique :

Figure 4. Synthèse de l'objet d'étude

Méthode phénoménologique

Réduction phénoménologique (épochè) = réduction du sens donné "naturellement"

pour approcher le sens réel donné par le sujet Chrono-formation (Pineau)

Articulation des rythmes

Synchroniseurs de temps Pratiques numériques pendant le cours

Sens attribué aux pratiques

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Problématique

Notre recherche s’intéresse à étudier les activités que font les étudiants pendant le temps en cours. Elle considère l’importance du temps dans les sociétés occidentales (accélération sociale selon Rosa en 2013, promotion de la rapidité, développement du multitâche). Notre recherche comprend aussi l’intégration des outils numériques dans la sphère privée et professionnelle. D’autre part, elle considère le fort taux d’échec à l’université notamment lors de la première année de licence, ainsi que les nombreuses études qui se multiplient sur la pédagogie universitaire particulièrement sur l’intégration possible des outils numériques.

L’étude des activités que les étudiants font sur leurs outils numériques (ordinateur portable et smartphone) se situe à la croisée des chemins que nous venons d’évoquer.

L’ordinateur et le smartphone sont les outils numériques les plus utilisés chez les étudiants, les tablettes restant marginales.

Notre étude s’inscrit dans les réflexions sur la pédagogie universitaire, car en effet, connaître et comprendre les activités des étudiants en cours peut permettre de contribuer aux réflexions sur la pédagogie universitaire, qui s’adresse, en premier lieu, aux étudiants.

Il semble donc légitime de se demander : que font les étudiants sur l’ordinateur et le smartphone pendant le temps en cours ? Quelle place, en termes de temps, occupent-elles dans le cours ?

Toutefois, connaître les différentes activités que les étudiants font pendant le cours ne nous suffit pas si nous souhaitons ensuite contribuer à la réflexion sur la pédagogie universitaire. C’est pourquoi, nous souhaitons comprendre le sens de leurs activités. Qu’est-ce qui amène les étudiants à faire des activités sur leur ordinateur ou leur smartphone sans lien avec le cours ? Nous étudierons donc les pratiques numériques des étudiants au prisme de la chrono-formation de Gaston Pineau (1987 ; 2000).

La chrono-formation permet de considérer le temps du cours comme un temps pendant lequel l’individu (ici, l’étudiant) fait des choix d’activité selon la structuration qu’il donne à ses rythmes (rythme social, familial, de gestion de la vie quotidienne, etc.). La chrono-formation, à travers la notion de « synchroniseur de temps » qu’elle sous-tend, permet également de reconnaître que le temps du cours est un contexte particulier où l’activité de l’étudiant est probablement restreinte, car le synchroniseur de temps joue un

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rôle de régulateur des autres rythmes. Pour l’étudiant, il s’agit donc de « rythmer les rythmes » (Pineau, 2000) dans le contexte pédagogique. Ainsi, comment l’étudiant configure-t-il ses rythmes ? Quels synchroniseurs de temps agissent sur l’action de l’étudiant ?

En vertu de cette recherche du sens des pratiques numériques des étudiants, notre étude s’inscrit dans une approche phénoménologique, qui considère l’étudiant comme un sujet actif, et qui se construit selon sa subjectivité et les significations qu’il donne à ce qu’il fait. La phénoménologie veut appréhender le réel par la manière dont il est vécu. Il s’agira donc pour nous de mettre « entre parenthèses » le sens que l’on pourrait « naturellement » donner aux pratiques afin d’en saisir le sens réel, celui que donne l’étudiant concerné.

Ainsi, la question qui guidera notre démarche méthodologique est la suivante :

« En quoi les pratiques numériques des étudiants pendant le temps en cours traduisent-elles la structuration des rythmes de l’étudiant ? »

Trois hypothèses ont été formulées afin de guider notre recherche. Il s’agit des suivantes :

Première hypothèse : « Les activités des étudiants pendant le cours ne sont pas toutes destinées à l’apprentissage du cours ».

Cette hypothèse nous permet d’éclairer les différentes activités réalisées en cours par les étudiants. Nous souhaitons faire une typologie de ces activités à partir de la méthode de la constellation d’attributs. Cette hypothèse permettra de comprendre les éléments qui rythment le temps du cours ainsi que la place des outils numériques (ordinateur portable, smartphone) dans la structuration des rythmes.

Deuxième hypothèse : « Plus la représentation que les étudiants ont du cours est positive, plus le temps passé en cours sur l’ordinateur et le smartphone à faire des activités sans rapport avec le cours diminue. À l’inverse, plus la représentation que les étudiants ont du cours est négative, plus le temps passé en cours sur l’ordinateur et le smartphone à faire des activités sans rapport avec le cours augmente ».

Le concept de « représentation » peut être défini comme un « acte par lequel un objet de pensée devient présent à l’esprit » (Grawitz, 1981). Pour parvenir à valider ou infirmer cette hypothèse, un score de représentation du cours sera construit à partir des données obtenues par l’échelle de Likert, créée dans le questionnaire, ainsi que par le différentiel sémantique qui porte sur la représentation du cours.

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Troisième hypothèse : « Le niveau d’études et le sexe influencent la représentation que les étudiants se font des activités sur ordinateur ou smartphone en cours et sans rapport avec le cours ».

Un score de représentation des activités sera construit à partir du différentiel sémantique portant sur la représentation des activités. Nous le confronterons aux variables niveau d’études et sexe.

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Méthodologie

1. Outils utilisés : le questionnaire, l’entretien, leurs limites