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La participation du visuel

3.1 La construction de koans visuels

3.1.2 La participation du visuel

Pour rendre l’image encore plus difficile à appréhender dans sa totalité, j’ai aussi utilisé des stratégies visuelles qui devaient briser les liens entre les constituants de celle-ci. Les principales sont : l’utilisation d’illusions d’optique, la juxtaposition de différentes perspectives et la vision ou la disparition de contenus selon qu’on se trouve éloigné ou rapproché de l’œuvre.

3.1.2.1 L’illusion d’optique :

L’illusion d’optique que j’utilise le plus souvent est celle où une même image représente deux choses distinctes et que le regardeur se trouve dans l’impossibilité de voir simultanément. Il doit ainsi adopter plusieurs points de vue et faire abstraction de certains éléments pour en percevoir d’autres. Par exemple, dans les Isométries 3, 4, 6 et 8 les dessins de cubes en isométrie, issus de l’assemblage des faux cadres, peuvent être perçus comme des boîtes contenant l’espace, compartimentant ce dernier dans un amoncellement de solides géométriques et évoquant une certaine matérialité. Ils peuvent d’autre part, être perçus comme un réseau de lignes graphiques dans l’intervalle desquelles s’ouvre une fenêtre sur l’espace virtuel du tableau : espace dans lequel les éléments flottent et sortent du cadre pour en faire éclater les limites, évoquant ainsi quelque chose d’aérien et d’étendu. Il s’établit donc une sorte de distance visuelle entre ces différentes perceptions. Le regardeur sait que les deux existent sans toutefois les voir simultanément.

En outre, dans l’Isométrie #7 certaines portions de l’image peuvent être perçues en creux ou en bosse selon l’attention que l’on y porte. Ceci amène une sorte de bouleversement de

47 Ibid.,p.455

l’espace. Le même phénomène se retrouve dans la succession de cubes dans la partie haute de l’Isométrie #6.

3.1.2.2 La juxtaposition de perspectives :

Toute manière de faire apparaître une illusion de profondeur, qu’elle soit réaliste ou non, est une perspective. J’en dénombre quatre dans le présent corpus : la perspective isométrique que présentent les assemblages de faux cadres et qui est reprise à quelques occasions dans les compositions; dans la partie de droite de l’Isométrie #8 apparaît une perspective à point de fuite; les cubes tracés par de fines lignes blanches aussi dans l’Isométrie #8, présentent une perspective parallèle et, pour finir, la représentation d’une montagne dans l’Isométrie #5 s’apparente à une perspective atmosphérique.

Des éléments se présentant, dans une même composition, dans des perspectives différentes, sont vus comme des objets extraits de contextes ou de moments différents et se trouvent alors délimités par leur structure interne. Ils sont donc perçus comme indépendants les uns des autres; s’installe alors une illusion de distance entre eux, visuelle, mais aussi, conceptuelle.

De plus, le fait que ces éléments transportent avec eux la suggestion d’un contexte plus large, mais effacé augmente encore le potentiel d’explication : on ne peut qu’imaginer ce contexte et celui-ci peut prendre plusieurs formes.

3.1.2.3 La vision ou la disparition de contenus selon qu’on se trouve éloigné ou rapproché de l’œuvre :

Le fait que certains éléments disparaissent ou apparaissent, selon que l’on est éloigné ou rapproché de l’image, rend impossible la perception de tout ce que contient l’image d’un seul regard. L’appréhension se fait alors à travers le temps et les déplacements. C’est pourquoi je me suis souvent appliquée à donner aux détails des interventions autant de richesse qu’à la composition entière. L’exemple le plus frappant est l’amoncellement de cubes dans la partie basse de l’Isométrie #5, que l’on ne peut bien percevoir qu’en

s’approchant du tableau. Une fois près de celui-ci, l’ensemble de la composition n’est plus accessible au regard.

La même stratégie est utilisée dans le traitement du dessin apparaissant dans la partie haute de l’Isométrie #6. Le spectateur doit s’approcher pour bien apprécier le jeu de couleurs et de superpositions des différentes couches de peinture qui composent le dessin.

3.2 L’imagination active et le travail autour du symbole

Le caractère irrationnel de mes compositions devait faciliter l’attitude perceptive et l’appréhension par l’intuition. J’imaginais que ceci permettrait l’avènement d’une certaine régression de l’énergie psychique pour laisser celle-ci s’attacher à des contenus inconscients. La participation de ce dernier à l’appréhension des tableaux allait alors pouvoir mener à l’imagination active : celle par qui on laisse un affect prendre une forme symbolique afin que le conscient puisse entrer en contact avec lui. Ce qui devait, avant tout, prendre une forme symbolique était l’ensemble des produits imaginatifs naissant dans la psyché du regardeur, ceux-ci devant suivre la ligne de développement futur propre à ce dernier. Ainsi, mes toiles allaient être des sortes de miroirs par lesquels le spectateur pourrait observer consciemment son inconscient. Je cherchais donc, sans tenter d’y mettre un sens caché particulier, à leur donner le caractère d’un symbole tel que le définit Jung. Ainsi les tableaux devaient se présenter comme étant «gros de signification48» et je devais

rendre difficile la découverte d’une expression qui formulerait «la chose cherchée, attendue ou pressentie49».

Ma volonté de construire des koans visuels visait déjà ce but, mais pouvait aussi faire de mes compositions des symboles qui agissaient d’eux-mêmes. En effet, les compositions devenaient des expressions qui, dans l’ordre des faits, semblaient dénuées de sens et, puisqu’elles étaient créées par une conscience, il devenait impossible d’y voir un produit du

hasard. L’interprétation symbolique s’imposait alors. De plus, certains éléments, les représentations de cubes par exemple, dont l’image était répétée, toujours identique ou exécutée avec un soin minutieux, devaient augmenter l’effet.

Le caractère fragmentaire et embryonnaire des multiples possibilités de sens inspirées par l’image devait conférer à celle-ci une apparence d’objectivité : la raison devait y pressentir une possibilité d’objectivation et chercher à se l’expliquer, sans toutefois pouvoir y parvenir. La composition devait passer outre l’exigence de compréhension de la conscience du regardeur pour que celui-ci en cherche un sens latent. Elles devaient éveiller chez lui le désir constant de trouver une explication plus satisfaisante pour pousser à un questionnement plus minutieux et détaillé.