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L’imagination active et le travail autour du symbole

CHAPITRE 2 : PRISE EN CHARGE DE L’ÉVOLUTION DE LA CONSCIENCE

2.2 L’imagination active et le travail autour du symbole

L’objectivation de l’individu, qui arrive par l’extraction de sa conscience du chaos mental du début de la vie, peut lui donner l’impression que sa compréhension du monde représente les limites de son être. Selon le zen et selon Jung, il n’en est rien. Dans l’expression «"incompréhensible" intuition globale de l’infini34», qu’utilise D.T. Suzuki, l’infini pourrait

désigner le fait que l’humain n’est pas un être fini, que la globalité de celui-ci se trouverait autant dans sa conscience que dans l’incompréhensible qu’il ressent en lui et qu’il rencontre en toute chose. Comme nous l’avons vu plus tôt, la conscience propre à un individu pourrait effectivement le rapprocher d’une conscience finie. S’il adopte une attitude qui rend autant que possible sa psyché imperméable aux connaissances qui le déstabilisent, il se pourrait que son évolution soit considérablement ralentie. D’un point de vue énergétiste, le travail réalisé par le koan, fait de la psyché non plus un système fermé, mais un système ouvert, un système «in-fini».

Le koan est un exercice permettant d’apprivoiser l’incompréhension et l’inattendu en étant mis face au paradoxe et à l’absurde. Ainsi, l’étudiant arrive à ne plus sentir le trouble psychique de la phase de régression comme un inconfort, il l’associe plutôt au plaisir de voir sa conscience se transcender. À l’aide du koan, il réalise que ce sont les jugements issus de sa conscience qui bloquent l’accès à son être total. Le regard intuitif, qui ne se soucie plus de jugement, mais qui cherche à se fondre et à ressentir l’objet appréhendé, devient alors essentiel. Reconnaître en lui le reflet que rend vivant la chose ou l’être éprouvés, ouvre l’étudiant au potentiel créateur de son inconscient.

Jung suggère d’observer les contenus de l’inconscient sans les préjugés ordinairement dépréciatifs portés sur lui. Il propose ainsi un type d’appréhension pouvant être comparé au

regard intuitif du zen. La transformation de l’attitude consciente pourrait alors se faire à partir d’un travail d’élaboration autour du symbole qui permettrait d’entrer en contact avec tous les possibles dont ce dernier est porteur. Jung conseille pour cela l’imagination active qui est libre, spontanée et créatrice. Ceci consiste, à travers toutes sortes de moyens spontanés d’expression, à laisser un affect prendre une forme symbolique afin que le conscient puisse entrer en contact avec lui. Tous les types d’activités dont la caractéristique principale est de mobiliser l’être dans sa totalité, qu’on soit créateur, participant ou spectateur, peuvent servir à cette fin : écriture, dessin, peinture, danse, jeu… Pour permettre le dépassement de l’opposition entre conscience et inconscience, qui bloque l’intégration des nouveaux éléments, l’imagination active sort nécessairement des limites de l’intellectualité. On doit laisser faire la nature, l’esprit intervenant plus tard dans la compréhension du symbolisme des formes imaginatives puis à leur intégration au moi conscient par la mise en mot.

2.2.1 L’imagination active et l’attitude perceptive

De façon générale, l’imagination crée des représentations qui ne correspondent à rien qui soit dans la réalité extérieure : elles émanent essentiellement de l’activité créatrice de l’esprit. Celle que Jung dit active est provoquée par l’intuition et, par opposition à l’imagination passive, est caractérisée par une attitude perceptive envers les contenus de l’inconscient. Cette attitude permettrait à l’énergie psychique de s’approprier immédiatement les éléments qui émergent pour leur donner, par association à des contenus conscients analogues, le maximum de clarté et de relief. Ceci présuppose que l’individu provoque volontairement une certaine régression de son énergie psychique et laisse une quantité assez considérable d’énergie échapper au contrôle de sa conscience pour qu’elle puisse s’attacher à des matériaux inconscients. La participation positive de la conscience à l’attitude perceptive permet ainsi à l’individu de s’emparer d’indices ou fragments de rapport relativement peu accentués pour les amener à une expressivité maximum. L’imagination active est donc le produit d’une attitude consciente non opposée à 34 Carl Gustav Jung, Types Psychologiques, Genève, Goerg Éditeur S.A., 1986, p.63

l’inconscient et qui permet plus facilement aux processus que cette dernière renferme de compenser le conscient.

2.2.2 Le sens manifeste et le sens latent des expressions imaginatives

Jung distingue dans les contenus inconscients ainsi appréhendés, un sens manifeste et un sens latent. Le premier découle de l’énonciation immédiate du contenu, de ce qui s’y manifeste de façon évidente. D’autre part, si ces contenus se présentent de façon fragmentaire ou embryonnaire ils auront le caractère d’une irréelle objectivité. Ainsi, ils ne pourront satisfaire l’exigence de compréhension de la conscience et cette dernière en cherchera le sens caché, le sens latent. Bien que l’existence de celui-ci ne soit en aucun cas certaine et que rien ne s’oppose à ce qu’on en conteste la possibilité, le désir de trouver une explication davantage satisfaisante peut suffire à un examen plus minutieux et détaillé afin de découvrir ce sens caché.

La recherche du sens latent peut être d’ordre purement causal. On en cherchera la cause dans les origines psychologiques de l’apparition imaginative. On cherchera des motifs antérieurs ou des forces instinctives qui auraient pu fournir l’énergie nécessaire à la production imaginative. Autrement dit, le regard est tourné vers le passé et vers l’histoire personnelle. Pour Jung, ce type d’explication peut contenir quelques vérités, mais elles sont à la fois trop simples et trop faciles. Ainsi, l’investigation causale ne doit pas se terminer là. On ne peut en effet expliquer totalement la psychologie de l’individu en ne puisant qu’en lui-même. Il est important de savoir qu’il est conditionné par son époque et aussi de quelle manière.

En outre, il n’y aurait pas de fait psychologique qui puisse être expliqué à fond par sa seule causalité. Chacun est un phénomène indissociable de la progression psychique. Il est toujours, en même temps, un devenu et un devenir. En se réalisant, il prépare ce qui sera. L’inconscient aurait donc une orientation finaliste : la personnalité inconsciente de l’individu tendrait vers un but dont il comprendrait instinctivement la nécessité et l’importance. Ce serait cette ligne psychologique du développement futur qui donnerait au

contenu inconscient sa cohérence et l’énergie qui lui est nécessaire pour être saisie par la conscience. Ainsi, un produit imaginatif et le contenu inconscient qui lui est associé doivent être compris à la fois par leurs causes et par leurs fins. L’interprétation causale de l’apparition imaginative, considérée comme le résultat d’événements antérieurs, donnerait à cette apparition un caractère de symptôme. L’interprétation finaliste qui pressent une ligne psychologique du développement futur lui conférerait plutôt un caractère de symbole.

2.2.3 Le symbole

Selon Jung, à la différence du signe qui est une désignation abrégée d’un fait connu, le symbole «suppose toujours que l’expression choisie désigne ou formule le plus parfaitement possible certains faits relativement inconnus, mais dont l’existence est établie ou paraît nécessaire35». Il représente la meilleure formule possible d’une chose qu’on ne

saurait désigner de façon plus claire et qui contient une conception qui dépasse toute interprétation concevable. Le symbole demeure vivant tant qu’il reste gros de signification. Si cette dernière se fait jour et que «l’on découvre l’expression qui formulera le mieux la chose cherchée, attendue ou pressentie, alors le symbole est mort36». Les phénomènes

psychologiques, pourvu qu’ils énoncent quelque chose qui échappe à la connaissance actuelle, peuvent être des symboles :

Toute création psychique qui, à un moment donné, est la meilleure expression d’un fait absolument ou relativement inconnu peut être considérée comme un symbole, pourvu qu’on soit disposé à admettre qu’elle exprime également ce qui n’est que pressenti et non reconnu clairement. Dans la mesure où elle renferme une hypothèse, où elle est par conséquent la désignation anticipée d’un fait de nature encore inconnue, toute théorie scientifique est un symbole.37

35 Ibid., p.469

36 Ibid., p.469 37 Ibid., p.470

2.2.4 L’attitude symbolique

L’attitude symbolique, qui interprète les phénomènes donnés comme des symboles, est toujours possible en présence d’une conscience à la recherche d’autres sens éventuels des choses, de sens latents. Ainsi, cette attitude n’est impossible que dans le cas où l’individu établit une expression qui dit exactement ce qu’il voulait dire, mais cette restriction peut ne pas exister pour une autre conscience. Cette dernière peut concevoir l’expression comme le symbole d’un fait psychique caché et inconnu de l’intention de l’individu qui a produit l’expression. Il dépend donc, tout d’abord, de l’attitude de la conscience qui observe que quelque chose soit un symbole ou non.

Toutefois, il y aurait des symboles qui ne dépendraient pas seulement de l’attitude du conscient qui l’aborde et qui agiraient d’eux-mêmes par l’effet symbolique exercé sur le spectateur. Ce seraient des expressions qui, dans l’ordre des faits, semblent complètement dénuées de sens. Mais, puisqu’elles sont créées par une conscience, il est impossible d’y voir un produit du hasard. L’interprétation symbolique s’impose alors. Si, de surcroît, comme témoignant de la grande valeur qu’on leur attribue, elles sont représentées de façon répétitive, toujours identique et avec un soin apporté à leurs exécutions, l’effet s’en trouve augmenté.

Cependant, le fait qu’un symbole souligne de façon évidente son caractère symbolique ne suffit pas pour qu’il soit vivant. En effet, puisqu’il dépend du mode de considération ‒l’attitude symbolique entrant en jeux ou non‒ pour qu’une expression soit un symbole, ce dernier pourrait ne jamais exister dans une conscience qui subordonne le sens au fait pur et simple. Ainsi, le symbole pourrait n’agir que sur le côté historique ou philosophique de l’intellect d’un individu ou n’éveiller qu’un intérêt esthétique. L’individu pourrait de plus, se satisfaire d’un sens déjà existant tel que le lui offre la tradition par exemple.

2.2.5 Le concours du conscient et de l’inconscient

Les véritables symboles sont ceux qui ont non seulement une origine profonde, mais qui tendent à la réalisation de l’inconnu. En outre, ils ne sont jamais des produits qui tirent leurs origines du seul conscient ou du seul inconscient : ils résultent d’un égal concours des deux. De nature complexe, ils se composent de données empruntées à la fois au rationnel et à l’irrationnel. Aussi, par «sa signification cachée, le symbole fait vibrer la pensée autant que le sentiment; sa singulière plasticité le revêt de formes sensoriellement perceptibles qui excitent la sensation autant que l’intuition38».

Le caractère libérateur du symbole vient du fait qu’il est l’expression du droit à l’existence de toutes les parties de la psyché. Ainsi, il est issu non seulement des acquisitions suprêmes de l’esprit, mais aussi des contenus du tréfonds de l’être; les fonctions spirituelles les plus hautement différenciées autant que les tendances les plus basses et les plus primitives doivent y jouer un rôle. La coopération créative de ces deux états antagonistes se réalisera si leurs pleins contrastes se montrent côte à côte à la conscience.

2.3 Le travail de John Cage : traduction des principes zen dans une