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La peinture comme impulsion pour un dynamisme psychique

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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VIRGINIE MERCURE

LA PEINTURE COMME IMPULSION POUR UN

DYNAMISME PSYCHIQUE

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en arts visuels

pour l’obtention du grade de Maître ès arts (M.A.)

ÉCOLE DES ARTS VISUELS

FACULTÉ D’AMÉNAGEMENT, D’ARCHITECTURE ET DES ARTS VISUELS UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2013

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Résumé

La conscience d’un individu se développe au fil du temps par expérimentation, imitation et conditionnement. Sa compréhension du monde se construit à partir de déductions logiques qui s’appuient à la fois sur un désir d’acceptation sociale et sur son émotivité propre. Pour conserver l’équilibre psychique ainsi acquis, l’attitude qu’il adopte, dictée par cette vision du monde, peut devenir de plus en plus rigide. Il serait cependant possible de prendre en charge l’évolution de la conscience par une mise en mouvement volontaire de l’esprit. Celle-ci permettrait la participation positive de l’inconscient à l’évolution des connaissances et ainsi faciliterait l’adaptation de l’attitude aux constants changements de l’environnement. Pour moi, la peinture représente un outil favorisant ce dynamisme psychique.

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Avant-propos

Aborder des concepts complexes et protéiformes comme ceux de psyché, de conscience ou de goût, pour ne nommer que ceux-là, est une entreprise risquée lorsqu’on se spécialise dans la pratique des arts visuels. C'est pourquoi ma prétention se limite ici à partager avec le lecteur, des ouvrages, des idées et des configurations théoriques qui m’ont inspirée dans ma pratique. J’expose les spéculations conceptuelles qui visaient à éclaircir ma démarche artistique ; j’invite le lecteur à faire le tour du terrain de jeux qui était le mien lors de la production d’XYZ, mon exposition de fin de maîtrise.

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Remerciements

Je tiens à remercier, Zia, Marc-André et Grisou pour leur soutien moral quotidien; Marie-Christiane Mathieu, ma directrice de recherche, pour la confiance qu’elle m’a accordée en me laissant une grande liberté dans le développement de mes idées; à Louise Prescott pour son patient travail de correction; à tous mes professeurs et compagnons de maîtrise, qui ont fait de mon séjour aux ateliers du Roulement à billes, une période des plus fécondes et finalement, à Pierre Martin pour son soutien, grandement apprécié.

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«La Nature paraît chaotique dans le fait qu’elle est le réservoir d’infinies possibilités. La conscience, émergée de ce soi-disant chaos, n’est qu’une chose superficielle n’effleurant que la frange de la réalité. Notre conscience n’est rien d’autre qu’un insignifiant îlot flottant sur un océan, mais de ce petit observatoire il nous est donné de percevoir l’immensité de l’inconscient lui-même.»

D.T. Suzuki «Le paradoxe, aussi étrange que cela paraisse, est un de nos biens spirituels suprêmes, alors que l’uniformité de signification est un signe de faiblesse […] seul le paradoxe est capable d’embrasser, ne fût-ce qu’approximativement, la plénitude de la vie. Ce qui est sans ambiguïté et sans contradiction ne saisit qu’un côté des choses et, par conséquent, est incapable d’exprimer l’insaisissable et l’indicible»

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Table des matières

RÉSUMÉ... III REMERCIEMENTS ...V TABLE DES MATIÈRES ... VII LISTE DES FIGURES ... VIII

INTRODUCTION ... 9

CHAPITRE 1 : CONSTRUCTION DE LA CONSCIENCE ... 12

1.1 Développement et construction des connaissances selon Jean Piaget ... 12

1.1.1 Première étape : expérimentation et déduction par l’entremise du corps ... 13

1.1.2 Deuxième étape : apparition des structures opératoires fermées. ... 13

1.1.3 Troisième étape : l’abstraction. ... 13

1.2 Socialisation et adaptation selon Pierre Bourdieu. ... 14

1.2.1 L’habitus ... 14

1.2.2 Le sens pratique ... 15

1.3 L’énergétisme psychique de Carl Gustav Jung. ... 17

1.3.1 Le complexe : élément énergétique central de la psyché. ... 17

1.3.2 Principes de conservation des énergies. ... 18

1.3.3 L’entropie psychique. ... 19

1.3.4 Progression, stagnation, régression et retour à la progression de l’énergie psychique. ... 20

CHAPITRE 2 : PRISE EN CHARGE DE L’ÉVOLUTION DE LA CONSCIENCE ... 24

2.1 L’esprit du zen. ... 25

2.1.1 Le système des koans. ... 28

2.2 L’imagination active et le travail autour du symbole... 30

2.2.1 L’imagination active et l’attitude perceptive ... 31

2.2.2 Le sens manifeste et le sens latent des expressions imaginatives ... 32

2.2.3 Le symbole ... 33

2.2.4 L’attitude symbolique ... 34

2.2.5 Le concours du conscient et de l’inconscient ... 35

2.3 Le travail de John Cage : traduction des principes zen dans une pratique en art moderne. ... 35

2.3.1 La musique indéterminée ... 36

CHAPITRE 3 : XYZ. ... 39

3.1 La construction de koans visuels ... 41

3.1.1 La participation de l’esprit logique ... 41

3.1.2 La participation du visuel ... 43

3.2 L’imagination active et le travail autour du symbole... 45

3.2.1 L’attendu et l’inattendu ... 46

3.2.2 Quelques exemples d’attendus et d’inattendus dans mes compositions ... 47

3.3 Ressemblances et dissemblances de ma démarche d’avec celle de John Cage ... 48

CONCLUSION ... 50

BIBLIOGRAPHIE ... 51

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Liste des figures

Figure 1 Vue d’ensemble de l’exposition XYZ, Caravansérail, Rimouski. ... 52

Figure 2 Vue d’ensemble de l’exposition XYZ, Caravansérail, Rimouski. ... 52

Figure 3 Isométrie #3 ... 53 Figure 4 Isométrie #4 ... 54 Figure 5 Isométrie #5 ... 55 Figure 6 Isométrie #6 ... 56 Figure 7 Isométrie #8 ... 56 Figure 8 Isométrie #7 ... 57

Figure 9 Isométrie #3, détail ... 58

Figure 10 Isométrie #3, détail ... 58

Figure 11 Isométrie #4, détail ... 59

Figure 12 Isométrie #5, détail ... 59

Figure 13 Isométrie #6, détail ... 60

Figure 14 Isométrie #7, détail ... 60

Figure 15 Isométrie #8, détail ... 61

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Introduction

La pensée et la conscience se construisent dans le temps. L’humain commence sa vie dans une confusion indifférenciée qui se structure lentement par expérimentation, imitation et conditionnement. Pour adhérer à la société qui l’accueille et qui assure sa survie, il adopte les structures comportementales et les valeurs véhiculées par celle-ci. L’individu est, de plus, influencé par son affectivité ainsi que par des prédispositions psychiques propres. À l’âge adulte, l’orientation que suit la conscience est plus ou moins fixée et, dans un désir de stabilité psychique, l’individu peut se développer suivant une tendance unilatérale.

Il serait cependant possible de prendre à son compte l’évolution de la conscience par une remise en question des idées héritées et ainsi de provoquer des occasions permettant la restructuration de celle-ci. Elle ne serait plus, alors, la répétition d’autres consciences, mais bien une structure mentale propre acceptée à travers une réflexion éclairée.

Mes recherches, pratiques autant que théoriques, ont toujours été attachées à l’idée d’une appropriation de la conscience par une meilleure connaissance de son fonctionnement. J’ai ainsi cherché des moyens qui favoriseraient cette démarche. Il m’est apparu que, pour y arriver, une analyse objective des processus mentaux, de l’individu par l’individu, s’impose et que l’atteinte du détachement nécessaire à cette analyse passe par une déconstruction temporaire des connaissances. Les allers-retours successifs entre déconstruction et reconstruction de celles-ci peuvent ensuite mener à une transcendance de la conscience et une transformation de l’attitude. La difficulté de ce travail provient essentiellement de la déconstruction, c’est pourquoi mon travail pictural se veut un outil aidant à désordonner la pensée, à brouiller ses repères.

Afin de circonscrire ce sur quoi mon travail cherche à agir, j’esquisse tout d’abord le portrait possible du développement d’une conscience. Cette partie constitue un outil de compréhension pour la suite du texte, vise à départager le conscient de l’inconscient et à identifier les ornières qui orientent les pensées. C’est à travers les théories de Jean Piaget, Pierre Bourdieu et Carl Gustav Jung que je le fais. Le premier s’est intéressé à la construction des structures mentales, de la naissance jusqu’à l’âge adulte, qui ordonnent les éléments de la conscience. Le second a étudié les rouages du jeu social et cherché à

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expliquer l’influence qu’ont ceux-ci sur le développement des connaissances. Il retient de ses observations le caractère arbitraire des choix et des actions que l’individu pose par l’entremise de ces connaissances, ceux-ci visant le plus souvent à s’accorder aux règles tacites de la société. Jung, quant à lui, formule une théorie générale qui illustre les relations entre les différentes forces psychiques, issues de l’affectivité ainsi que des dispositions propres à l’individu, et la façon dont elles exercent un contrôle dans l’agglomération des connaissances. Il remarque que c’est la nature de ces relations qui amène l’harmonie ou la disharmonie dans la psyché. Il observe par ailleurs que le réflexe premier de l’individu est de conserver sa stabilité psychique en s’accordant au jeu social et en négligeant son individualité. En outre, le désir d’harmonie psychique pourrait amener une rigidité dans les connaissances et dans l’attitude.

La deuxième partie de ce document présente des exercices et des moyens que proposent le bouddhisme zen et Carl Gustav Jung pour assouplir la conscience et lui permettre de s’adapter plus aisément aux constants changements de l’environnement. Ce sont de ceux-ci que je m’inspire pour conférer à mes tableaux les propriétés d’outils visant l’appropriation de l’évolution des connaissances. Du zen, j’ai retenu l’exercice du koan qui consiste à rendre l’esprit logique humble et ainsi développer un regard impartial et intuitif. De Jung, j’ai retenu l’imagination active et le travail autour du symbole. Ceux-ci présupposent, par l’entremise de productions symboliques, une participation du conscient, volontaire et sans préjugé, dans l’exploration de l’inconscient. L’auto-analyse que rend possible l’imagination active favorise l’assimilation de nouvelles connaissances et l’enrichissement de la personnalité.

Je présente à la toute fin de cette partie, en vue de comparer les ressemblances et les dissemblances d’avec ma pratique, le travail de John Cage. Ce dernier s’est appuyé sur certains concepts empruntés à la sagesse ancestrale du zen pour élaborer sa musique indéterminée.

Dans la troisième partie de cet ouvrage, j’explique, en m’appuyant sur le koan, l’imagination active et la démarche de John Cage, la façon dont je m’y suis prise pour brouiller les repères de la conscience à travers la production des six tableaux qui composaient l’exposition XYZ. J’expose, de plus, les questionnements concernant la

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construction de ma propre conscience qui surgissent au fil de ma pratique et qui guident mes choix picturaux.

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Chapitre 1

Construction de la conscience

La pensée et la conscience se construisent à travers l’histoire du monde et l’histoire personnelle. L’humain commence sa vie dans une confusion indifférenciée qui se structure lentement par expérimentation, imitation et conditionnement. La société qui l’accueille transporte et reproduit l’histoire; pour y adhérer, il adopte les structures comportementales et les valeurs qu’elle sous-tend. Il intègre, dans ses grandes lignes, le langage, les goûts, l’attitude qui correspond à sa classe sociale, son genre et son âge. L’individu est, de plus, influencé par son environnement immédiat ainsi que par des prédispositions psychiques propres. À l’âge adulte, l’orientation que suit la conscience est plus ou moins fixée et, dans un désir de stabilité psychique, l’individu peut se développer suivant une tendance unilatérale. Ceci, dans le but de satisfaire d’abords aux impératifs extérieurs et ensuite aux exigences intérieures.

1.1 Développement et construction des connaissances selon Jean

Piaget

Le développement de l’intelligence suit un cheminement qui commence par une indifférenciation du sujet par rapport aux objets, ces derniers entendus au sens large de matière et de concept. J.M. Baldwin a en effet démontré « […] que le nourrisson ne manifeste aucun indice d’une conscience de son moi, ni d’une frontière stable entre données du monde intérieur et de l’univers externe […]1». Cet état que Piaget qualifie d’«adualisme» se poursuit jusqu’à ce qu’il soit possible au moi de se construire par correspondance et par opposition avec celui des autres. Les contours du moi se dessinent à travers une série d’étapes dont Piaget situe l’origine dans l’action.

1 Jean Piaget, L’épistémologie Génétique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je?, 1970,

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1.1.1 Première étape : expérimentation et déduction par l’entremise du corps

Au cours de la première grande étape, partant de la zone de contact entre son corps propre et celui des choses, l’enfant construit en concomitance le monde intérieur et le monde extérieur. L’expérimentation par le corps amène une coordination graduelle des actions avec les réactions et crée les premiers actes d’intelligence. Arrivent ensuite les prémisses de l’abstraction, du langage, du jeu symbolique, de l’image mentale, de la conceptualisation, etc. Ces fonctions s’affineront dans l’action, mais aussi par imitation, cette dernière étant importante dans le développement de la socialisation.

1.1.2 Deuxième étape : apparition des structures opératoires fermées.

À travers la deuxième grande étape, on assiste à l’avènement de la sériation, de la classification, de la quantification ainsi que de l’inférence et on voit apparaître les premières opérations logico-mathématiques. La coordination entre l’anticipation et la rétroaction ainsi que la capacité à reconnaître les lois régissant un système permet au sujet d’élaborer des structures opératoires fermées qui impliquent le postulat d’une invariance dans la structure totale de ces systèmes. Piaget voit dans ces premiers systèmes opératoires stables la base sur laquelle pourront se construire les structurations ultérieures. À ce stade, les connaissances restent liées à des actions concrètes, à des manipulations effectives et sont donc en relation directe avec la réalité.

1.1.3 Troisième étape : l’abstraction.

La nouveauté qu’apporte la troisième grande étape est la pensée formelle qui libère la connaissance du réel et lui permet la formulation d’hypothèses dont la médiation du concret n’est plus indispensable. C’est l’apparition des opérations logico-mathématiques autonomes : la manipulation des concepts peut dorénavant se faire par la pensée seulement. Les moyens combinatoires de la pensée formelle, comme effectuer une sériation de toutes les sériations, que Piaget nomme opérations à la deuxième puissance, ouvrent la voie

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indéfinie des possibles. Ceci permet d’enrichir les ensembles de connaissances de départ. En outre, les opérations logico-mathématiques deviennent des instruments d’assimilation qui construisent les relations encadrant ou structurant les nouvelles données d’expérience. Ce dernier niveau représente aussi la phase où le sujet se perçoit dorénavant comme une infime partie parmi d’autres dans le monde qui l’englobe et le dépasse de toutes parts. Il devient ainsi accessible à une lecture objective de certaines de ses lois et dans cette conquête de l’objet, du monde, l’esprit est forcé de se décentrer. C’est l’apparition de l’esprit scientifique où l’observateur cherche à ne pas influencer l’analyse : l’esprit peut maintenant imaginer l’objet en dehors de lui-même.

1.2 Socialisation et adaptation selon Pierre Bourdieu.

Les étapes vues précédemment exposent la «mécanique» du développement des connaissances. Comme Piaget le souligne, sans toutefois entrer dans le détail, la socialisation est un facteur déterminant dans le développement de cette «mécanique», car elle y imprime une direction. Les études de Pierre Bourdieu démontrent l’influence qu’a le milieu social sur ce développement. Il dégage des tendances communes de construction des individus et dresse un portrait général des manifestations et du mode de reproduction de ces tendances. Il y parvient en s’appuyant sur des statistiques démontrant la distribution dans l’espace social de la consommation de la culture et du discours qui lui est associé, des habitudes alimentaires ou maritales, de la tendance à fréquenter les institutions scolaires, etc.

1.2.1 L’habitus

Selon Bourdieu, toutes les connaissances, plus particulièrement celles du monde social, sont une construction basée sur un système de schèmes de pensée acquis par l’individu à travers son histoire personnelle, mais constitué au cours de l’histoire collective. Bourdieu nomme «habitus» l’ensemble, chez un sujet, de ces schèmes de pensée incorporée.

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Différents habitus se construisent à travers différents champs de conditions d’existence. Ceux-ci président à la classification et à la distribution des individus dans les différents groupes sociaux, sous-tendant ainsi le jeu social collectivement orchestré. L’ordre social, soutenu par la reproduction des habitus, s’inscrit progressivement dans les structures mentales par l’intermédiaire :

[…] de toutes les hiérarchies et de toutes les classifications qui sont inscrites dans les objets […], dans les institutions […] ou, simplement, dans le langage, par l’intermédiaire enfin de tous les jugements, verdicts, classements, rappels à l’ordre, qu’imposent les institutions spécialement aménagées à cette fin […] ou qui surgissent continûment des rencontres et des interactions de l’existence ordinaire […].2

Les structures arbitraires de perceptions qu’engendrent les conditionnements de l’habitus paraissent à l’individu comme nécessaires, voire naturelles. Elles enfouissent dans les pratiques «ce que l’on appellerait à tort des valeurs dans les gestes les plus automatiques ou dans les techniques du corps les plus insignifiantes en apparence, comme les tours de main ou les façons de marcher, de s’asseoir ou de se moucher […]3».

1.2.2 Le sens pratique

Les schèmes de pensées incorporées ou habitus se manifestent de façon pratique : c'est-à-dire, à travers l’expérience directe du monde social. Celui-ci agit en deçà de la conscience et du discours, donc en dehors d’un examen conscient, d’un contrôle volontaire ou d’un calcul stratégique. L’habitus se manifeste par un sens pratique, sorte de règle tacite du jeu social, qui oriente des «choix» non délibérés, mais pourtant organisés. Les actes issus du sens pratique ne répondent pas à une recherche de cohérence logique, mais sont vécus à travers l’urgence et la nécessité des enjeux vitaux. Le sens pratique agit comme une sorte de grammaire, comme un code normalisé permettant à l’individu d’improviser des réactions adaptées aux situations rencontrées ainsi qu’aux conditions d’existence propres à son statut social. L’habitus, à travers le sens pratique, possède, selon l’expression de

2 Pierre Bourdieu, La distinction, Critique sociale du jugement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979,

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Bourdieu, des «qualités de structure structurante» : c'est-à-dire qu’en même temps qu’il donne à l’individu la capacité de structurer ses actions, il assure la structuration et la constance du monde social dans lequel il évolue. Plus l’apprentissage du jeu social s’est fait de manière insensible et ancienne, la limite étant d’y naître, plus l’individu ignore son investissement dans ce jeu. L’inconscience des présupposés sociaux assure leur perpétuation.

Le sens pratique s’appuie sur des principes de division communs à l’ensemble de la société et acceptés comme allant de soi : sortes de principes axiomatiques servant de base à l’ensemble des règles sociales. Ces principes s’expriment par des oppositions et s’organisent autour de positions polaires (dominant/dominé, jeune/vieux, riche/pauvre, homme/femme…). Ils inscrivent progressivement dans les cerveaux une anticipation des frontières divisant les groupes sociaux et amènent les individus à s’exclure de ce dont ils sont exclus. Ceux-ci tendent ainsi « à s’attribuer ce que la distribution leur attribue, refusant ce qui leur est refusé ("ce n’est pas pour nous"), se contentant de ce qui leur est octroyé, mesurant leurs espérances à leurs chances, se définissant comme l’ordre établi les définit […]4». L’individu reproduit dans le verdict qu’il porte sur lui-même, celui que porte sur lui

la société. Ces principes de divisions et donc d’unions, se traduisent dans le quotidien par l’acceptation de règles gérant le «bon» goût, l’attitude acceptable, l’ambition qui peut être poursuivie (qu’elle soit d’ordre économique, intellectuel, physique ou autre) et tend à susciter un dégoût pour tout ce qui sort des classements incorporés ou qui les remet en question.

En outre, le fait que l’habitus tende à assurer sa propre constance et sa propre reproduction pousse l’individu à se défendre contre le changement. Celui-ci sera sélectif quant aux informations nouvelles, en rejetant, en cas d’exposition accidentelle ou forcée, les informations qui l’obligeraient à reconsidérer les données déjà accumulées. Ce tri s’effectue aussi en défavorisant l’exposition à de telles informations : le sujet «choisit» les lieux, les événements, les personnes à qui s’exposer. Il évite donc les crises et les remises en question critiques tout en s’assurant un milieu auquel il est le plus préadapté que possible. 3 Ibid., P.543

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1.3 L’énergétisme psychique de Carl Gustav Jung.

Bourdieu expose la dynamique du jeu collectif et imagine la façon dont elle imprime une direction à l’organisation des connaissances. Il faut ajouter que cette orientation de la compréhension est aussi construite autour de contenus psychiques affectivement chargés. Jung observe que ce développement se fait en suivant des tendances propres à l’individu. Ainsi, de la même façon qu’il doit satisfaire aux exigences du jeu social, l’individu fera des «choix» qui satisferont aux impératifs de son univers intérieur. Par le biais de théories énergétistes issues de l’étude des phénomènes physiques, Jung formule une théorie générale qui illustre les forces entrant en action dans l’agglomération des connaissances. Il observe ainsi les diverses relations entre les contenus de l’appareil psychique. Ces derniers étant en partie inconscients et considérablement différents d’un individu à l’autre, Jung pense qu’il est inutile de s’attarder à la qualité de ceux-ci dans l’élaboration de sa théorie. C’est pourquoi il construit plutôt ses idées autour d’aspects quantitatifs en utilisant une méthode d’observation indirecte : «L’énergie […] est un concept abstrait des relations de mouvement. Ses fondements ne sont donc pas les substances elles-mêmes, mais leurs relations5». En ce sens, ses études portent sur l’énergétique psychique déduite de

l’observation des interactions entre les différents contenus qui construisent la personnalité. Cet examen révèle tranquillement et au bout d’une longue analyse, la qualité des contenus psychiques particuliers à l’individu.

1.3.1 Le complexe : élément énergétique central de la psyché.

Jung désigne le complexe comme un phénomène d’association construisant la personnalité de l’individu. Celui-ci est un groupement de contenus affectivement accentués composé d’un élément central et d’un grand nombre d’associations secondaires constellées. L’élément central se construit autour de deux conditions : la première est donnée par l’expérience, les événements vécus et causalement reliés à l’entourage, la deuxième est de

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nature dispositionnelle, inhérente au caractère individuel.6 Le plus souvent, l’élément central est inconscient et reste caché à l’individu. Jung détermine deux raisons poussant l’élément central à rester inconscient. La première est un refoulement tel que Freud l’aurait théorisé, c’est-à-dire que l’attitude consciente est hostile à un contenu inconscient. Il ajoute qu’il peut aussi être un contenu nouveau et «pour cette raison précisément, étranger à la conscience, il n’existe encore aucune association, aucun pont qui le relie aux contenus de celle-ci7». Le refoulement pourrait donc être capable de conscience, mais l’étrangeté du

contenu le tient encore dans l’inconscient.

Le contenu affectivement accentué de l’élément central lui confère une valeur énergétique, une force «constellante» :

Le complexe […] est […] une constellation dynamiquement conditionnée par la valeur énergétique. La constellation résultante n’est pas cependant une pure et simple irradiation de l’excitation, mais bien un "choix" des contenus psychiques excités, choix déterminé par la qualité de l’élément central.8

La force «constellante» détermine donc les connaissances qui formeront la conscience : elle exerce une sélection dans les contenus psychiques qui seront excités et donc utilisés dans les opérations conscientes d’appréhension du monde. Par conséquent, les éléments non excités iront rejoindre l’inconscient.

1.3.2 Principes de conservation des énergies.

Le principe de la conservation des énergies physiques se décline en deux sous principes : celui de l’équivalence et celui de la constance. Jung ne reprend que celui d’équivalence puisque la constance, qui dit que «la somme d’énergie reste toujours égale à elle-même et ne peut ni augmenter, ni diminuer9», supposerait que nous puissions quantifier les transferts

6 Jung fait ici référence aux huit types psychologiques explicités dans son ouvrage Types psychologiques. Ces

derniers sont basés sur deux attitudes, introvertie et extravertie et quatre fonctions d’orientation : la sensation, la pensée, le sentiment et l’intuition. Chacun des huit types psychologiques se définit par la conjonction d’une attitude et d’une fonction d’orientation.

7 Ibid., p.29 8 Ibid., p.28 9 Ibid., p.36

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d’énergie entre le monde physique et le monde psychique. Sans nier qu’il existe de tels transferts, Jung juge que la science n’est pas encore en mesure de les observer et considère donc la psyché comme un système relativement clos. Le principe d’équivalence, quant à lui, présuppose que «pour chaque énergie utilisée ou consommée […] apparaît ailleurs un quantum d’énergie de même grandeur et de même, ou d’une autre, forme10». Jung s’appuie

sur cette définition, ainsi que sur une longue expérience pratique, pour affirmer «qu’une activité psychique ne peut être remplacée que par des substituts qui lui soient équivalents11». Ainsi, un attachement psychique affectivement chargé ne peut être remplacé

que par une attraction d’égale intensité à un autre intérêt.

1.3.3 L’entropie psychique.

L’entropie est le principe énergétique qui complète celui d’équivalence. Tel que formulé dans le principe thermodynamique de Carnot :

Les transformations d’énergie ne sont possibles que grâce à l’existence de différences d’intensité. […] la chaleur ne peut se transformer en travail que si elle passe d’un corps plus chaud à un corps moins chaud. […] Ainsi un système énergétique clos équilibre peu à peu ses différences d’intensité en une température égale […].12

De ce fait, l’appareil psychique, considéré comme système relativement clos, présente des transformations d’énergie menant à la compensation des différences. L’entropie est le degré de mesure de l’équilibre d’un système : une entropie zéro représente l’équilibre parfait et plus le degré est élevé plus le système est chaotique. Ce que Jung nomme l’entropie psychique, c’est l’équilibration du système psychologique. Toutefois, l’entropie psychique absolue est impossible puisqu’elle supposerait un système parfaitement clos et un isolement complet de l’extérieur. Le processus énergétique se poursuit donc sous forme de progression naturelle, mais le plus souvent dans l’orientation unilatérale du complexe, limitant ainsi les soubresauts dans l’équilibre psychique.

10 Ibid., p.36

11 Ibid., p.40 12 Ibid., P.45

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1.3.4 Progression, stagnation, régression et retour à la progression de

l’énergie psychique.

La tendance la plus observée est de satisfaire avant tout aux contraintes des conditions du milieu. Mais comme l’adaptation se fait par une attitude orientée et donc partiale, il peut facilement arriver qu’elle ne soit plus en mesure de remplir son rôle adéquatement. L’adaptation au monde n’est jamais faite une fois pour toutes et, bien que l’attitude envers lui s’avère souvent très durable, l’individu se voit parfois obligé de réadapter son monde intérieur aux conditions changeantes de son milieu. Cette transformation est la condition essentielle au rétablissement de l’entropie, de l’équilibre du système psychique. Jung illustre ceci par les principes de progression et de régression.

1.3.4.1 Progression de l’énergie psychique.

La progression va de pair avec l’entropie. Jung l’entend comme la marche quotidienne des processus psychiques fondée sur la nécessité vitale d’adaptation. La nécessité oblige l’individu à s’orienter selon les conditions du milieu et à refouler les tendances et possibilités servant l’individuation13. La progression est maintenue par «l’effet

coordonnateur de la pulsion antagoniste14». Il appartient en effet «à l’essence de la

progression, qui est la réussite du travail d’adaptation, qu’impulsion et contre impulsion, que oui et non, en soient arrivés à agir régulièrement en une harmonieuse réciprocité.15» On

dit que l’adaptation réussit quand les nouveaux éléments de connaissance, amenés par les changements du milieu, s’insèrent aisément dans le système déjà en place. De ce fait, l’évolution lors de la progression ne menace pas l’état d’entropie de la psyché.

13 Le processus d’individuation est un processus que Jung a théorisé à travers plusieurs ouvrages. Il le

considère comme celui qui pousse l’humain à prendre conscience de sa propre existence. Ce processus permet à l’individu de se percevoir comme un être distinct en dégageant sa personnalité de la psychologie collective. C’est un processus qui a son origine dans l’évolution de l’espèce et qui permet une maturation spontanée de la psyché. Selon Jung, tout comme le développement du corps, le développement de la psyché humaine suit un chemin prédéterminé.

14 Ibid., P.54 15 Ibid., P.54

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1.3.4.2 Stagnation, régression et retour à la progression de l’énergie psychique.

La régression est l’adaptation aux conditions du monde intérieur et est fondée sur la nécessité vitale de satisfaire aux exigences de l’individuation. Celle-ci est précédée d’une phase de stagnation marquée par une perte de l’équilibre psychique. À l’occasion, l’individu se voit forcé d’assimiler de nouvelles données entrant en conflit avec l’attitude qui prévalait jusque-là. L’incompatibilité des nouveaux contenus psychiques fait alors obstacle à la progression de l’énergie et celle-ci s’accumule à la manière d’un cours d’eau dont on bloquerait le débit. Dans cette phase, «oui et non ne peuvent plus s’unir en vue d’un acte coordonné, puisqu’ils ont atteint des valeurs égales qui se contrebalancent réciproquement16». Ainsi, la pulsion antagoniste n’exerce plus son action équilibrante et est remplacée par une action d’opposition favorisant le trouble psychique. La lutte des opposés pourrait se poursuivre indéfiniment si ne se mettait en branle le processus de régression, la marche rétrograde de l’énergie psychique. Le choc des contraires a pour effet de dévaloriser l’énergie du couple : tenant auparavant chacun leur place aux extrêmes du concept qu’ils soutenaient, ils se trouvent maintenant à pouvoir occuper alternativement et en passant par toutes les possibilités médianes, un extrême comme l’autre. La force «constellante» du contenu conscient diminue peu à peu et la confusion s’installe. La perte de valeur des opposés conscients, selon le principe d’équivalence, augmente alors la valeur de contenus inconscients ou de «processus psychiques qui n’entrent pas en ligne de compte pour l’adaptation et qui, pour cette raison, sont rarement, ou ne sont jamais utilisés par la conscience.17» La régression amène ainsi au-dessus du seuil de conscience des éléments

psychiques qui étaient jusqu’alors obscurément conscients ou totalement inconscients. Puisqu’ils ont subi l’inhibition conséquente de l’orientation exclusive du conscient, ces contenus et tendances incompatibles sont jugés immoraux, inesthétiques ou irrationnels. Ces contenus semblent ainsi sans valeur pour l’adaptation. Ces jugements que l’on porte sur eux sont sans doute à l’origine du verdict ordinairement dépréciatif porté sur l’inconscient. Cependant, bien que ce soit :

16 Ibid., P.54

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[…] la fange du fond que la régression met au jour […] si l’on ne s’en tient pas à cette observation ni à cette estimation superficielle du matériel mis au jour, et si l’on renonce à juger d’après l’apparence en s’appuyant sur une opinion préconçue, on découvrira qu’il n’y a pas là que […] des tendances […] incommodes et condamnables […]; il y a aussi des germes de nouvelles possibilités de vie.18

Ce qui donne toute leur valeur aux contenus ainsi rendus conscients, c’est qu’ils seraient en mesure de compléter ou de remplacer efficacement l’attitude consciente dorénavant défaillante. Vu le caractère du jugement d’incompatibilité que l’on porte sur les contenus inconscients, il est normal que la conscience se cabre contre leur acceptation. Pourtant, elle doit s’y contraindre à cause de l’impossibilité de progresser. Elle doit se soumettre à la nécessaire adaptation du monde psychique intérieur que la régression impose pour retrouver l’entropie et la progression de son énergie.

1.3.4.3 Contenus affectifs et contenus intellectuels.

Le processus d’adaptation se fait obligatoirement par une fonction consciente dirigée et caractérisée par une rigueur logique qui doit nécessairement mettre de côté tout ce qui ne convient pas pour conserver sa direction. Or, la logique qui maintient l’orientation est arbitraire et peut facilement faire faillite devant les exigences du monde en constant changement. En outre, la rigueur logique de la conscience est maintenue à la fois par l’intellect et par l’affectivité. La faillite peut alors provenir d’une défaillance de l’un ou de l’autre. Si la pensée échoue en tant que fonction d’adaptation parce qu’elle fait face à une situation à laquelle seulement l’affectivité peut s’adapter, «c’est dans le matériel inconscient activé par régression que l’on trouvera précisément la fonction affective manquante19». De même, chez le type de fonction opposée, la régression activera une

fonction intellectuelle compensant efficacement le contenu affectif conscient qui échoue. Ces contenus de remplacement apparaissent sous «une forme embryonnaire, voire archaïque et non développée20». Ils devront nécessairement passer à l’examen du conscient

18 Ibid., p.56

19 Ibid., p.57 20 Ibid., p.57

(23)

pour s’insérer dans la nouvelle formulation logique qui maintiendra l’orientation de l’attitude transformée.

1.3.4.4 Risque d’établissement d’une attitude immuable

La transformation d’énergie réussie peut voir apparaître une attitude de plus en plus immuable et, plus le changement est radical, plus le risque d’établissement d’une attitude rigide est important:

Après des oscillations violentes au début, les oppositions s’équilibrent et peu à peu se forme une nouvelle attitude, dont la stabilité ultérieure est d’autant plus grande qu’étaient plus fortes les différences du début. Plus forte est la tension entre les contraires, plus grande est l’énergie, plus puissante est sa force constellante et attractive. À cette plus grande attraction correspond une plus vaste étendue du matériel psychique constellé, et plus grandit cette étendue, plus diminue la possibilité des troubles ultérieurs qui pourraient résulter de différences avec le matériel non constellé auparavant. C’est pourquoi une attitude résultant de vastes équilibrations est particulièrement durable.21

Ainsi, plus le système psychologique est fermé, et donc accepte peu d’excitations provenant de l’extérieur, plus se manifeste le phénomène d’entropie. Bien que l’équilibre psychique soit l’état idéal, il peut pousser l’individu à rester dans une attitude rigide afin d’éviter le travail et l’inconfort du passage troublant de l’état de régression. Cette attitude peut être marquée par la progression naturelle provoquée par les changements du milieu sans toutefois apporter une réelle évolution : les nouvelles données d’expérience acceptées ne font plus qu’augmenter et rendre plus subtile la constellation s’articulant autour du complexe inchangé.

21 Ibid., p.45

(24)

Chapitre 2

Prise en charge de l’évolution de la conscience

Selon ce que nous avons vu jusqu’à présent, l’attitude serait une habitude de penser et d’agir acquise par conditionnement. Celle-ci se construirait d’une façon unidirectionnelle sur la base d’une logique qui s’appuie conjointement sur des déductions rationnelles et émotives. En outre, elle serait intimement liée à la conscience et cette dernière tiendrait à l’intérieur des structures mentales telles que formulées par Piaget. Bien que la conscience soit essentielle pour pouvoir agir sur le réel ainsi que pour évoluer dans l’espace social, elle demeurerait incomplète. Elle s’avérerait commode et efficace pour une participation fonctionnelle au jeu social, mais pourrait être limitative pour l’évolution de l’individualité. Le réflexe premier serait l’adaptation aux règles sociales et tous comportements individuels, semblant inadéquats en regard de cette adaptation, seraient rejetés dans l’inconscient.

Toutefois, la construction mentale arbitraire qu’est la conscience rencontrerait nécessairement des éléments de connaissance qui lui sont étrangers, mais possédant une trop grande énergie pour rester dans l’inconscient. Se mettrait alors en branle un processus psychique d’intégration des éléments nouveaux. Les structures de pensée déjà en place subiraient ainsi un morcellement temporaire issu de la perte de la polarisation des opposés qui maintenait jusque-là la stabilité de la conscience. Ce processus naturel, que Jung nomme processus d’individuation ou fonction transcendante, assurerait l’adaptation de la conscience aux constants changements du réel en enrichissant la personnalité.

Jusqu’ici, nous avons vu la construction et la progression normale de la psyché. Or, cette dernière, laissée à son évolution naturelle, serait faite d’une grande part d’inconscient et, dans une bonne mesure, bloquée par un désir de conservation de l’équilibre psychique. En outre, l’inconscient posséderait une influence effective sur le développement de l’attitude.

(25)

Ainsi, l’individu se croyant libre de ses choix pourrait être, malgré lui, sous l’emprise de contenus psychiques inconscients. Cet état de fait pourrait être inconfortable plus encore que le trouble psychique provoqué par les nouveaux contenus de connaissances qui s’imposent à l’individu.

La pensée de Jung ainsi que la sagesse ancestrale du bouddhisme zen nous encouragent à la prise en charge de cette évolution et d’ainsi rendre les attitudes inconscientes de plus en plus conscientes. La volonté d’appropriation de l’évolution mènerait alors à un équilibre psychique non plus conservée par une immuabilité de l’attitude, mais par une maîtrise, en le facilitant, du passage d’éléments inconscients vers la conscience. Pour Jung ainsi que pour les adeptes du zen, l’habitude de rationalisation basée sur la croyance que celle-ci prévaudrait à l’irrationnel représenterait un obstacle fréquent à l’évolution de la conscience. Cette croyance provoquerait une méprise chez l’individu qui prendrait pour véritable le concept plutôt que la réalité qu’il désigne. L’avènement d’une vision neutre et ouverte, qui met de côté la rationalisation, serait donc une condition à l’observation de l’inconscient. Pour satisfaire à cette condition, le zen propose des exercices qui favorisent l’appréhension du réel en dehors des mots et de la logique. Le système des koans représenterait le plus efficace de ces exercices.

Partant de l’hypothèse que l’individu possède déjà la capacité d’observer l’inconscient d’une façon neutre et ouverte, Jung propose l’imagination active et le travail autour du symbole. Ces derniers consistent à tirer le maximum d’informations d’une visite de l’inconscient pour ainsi transcender la conscience.

John Cage a tenté par sa musique indéterminée de traduire et de communiquer certains principes zen. Essentiellement, il invite par sa musique à dépasser les limites de la logique et à atteindre la «noblesse» comme entendu par le zen.

2.1 L’esprit du zen.

Le zen prétend à l’atteinte d’une liberté d’esprit par une certaine conscience de soi. Pour y arriver, la personne doit rechercher et découvrir «une sorte de supersoi caché derrière le soi

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moral22». Pour réaliser qu’elle possède ce soi qui dépasse sa conscience, il est nécessaire qu’elle puisse le mettre devant ses yeux et l’observer. La difficulté est que, comme pour ses propres yeux, le supersoi qui est toujours avec elle ne peut lui être arraché en vue d’être inspecté. Il lui faut donc une sorte de miroir. La conscience représente une appréhension objective qui nécessite une séparation entre le sujet (le regardeur) et l’objet (le regardé). Pour le zen, elle ne peut être ce miroir. L’adepte du zen doit alors être éveillé à une autre forme de regard, un regard qui ne fait plus la distinction entre sujet et objet, mais où les deux fusionnent. Il doit y avoir, par-dessus et à travers la vision physique, une vision intuitive qui transforme le regard ordinaire en une vision totalisante. La réalité ainsi regardée devient le miroir par lequel le supersoi peut être observé. Lorsque l’adepte du zen rencontre une fleur, par exemple, celui-ci ne doit pas seulement voir la fleur, mais il doit aussi laisser la fleur le regarder:

L’approche zen de la réalité consiste à pénétrer droit au cœur de l’objet lui-même. Connaître la fleur est devenir la fleur, fleurir comme elle et comme elle jouir du soleil et de la pluie. Alors la fleur nous parle, nous livre sa vie entière, telle qu’elle est, frémissante au plus profond d’elle-même. […] connaissant maintenant la fleur, nous connaissons notre Moi. C’est-à-dire nous-mêmes absorbé dans la fleur, nous connaissons notre moi aussi bien que la fleur.23 En ce sens, l’esprit du zen se meut dans une direction opposée à l’esprit rationnel et scientifique :

La position adoptée par la science est d’éloigner d’elle-même l’objet de son étude, de ne jamais tenter de s’identifier à lui. Même lorsqu’il s’agit de regarder en soi, dans un but d’introspection, les savants ont souci de projeter à l’extérieur ce qui est à l’intérieur et se rendre ainsi étrangers à eux-mêmes, comme si ce qui leur était intérieur ne leur appartenait pas en propre. Ils redoutent grandement d’être "subjectifs". Mais il faut nous rappeler que, tant que nous nous maintenons à l’extérieur de l’objet, nous lui restons étrangers et par cela même nous ne pouvons connaître de l’objet que des données à propos de lui, mais non pas l’objet en lui-même. Cela signifie que notre véritable Soi nous restera inconnu.24

22 Daisetz Teitaro Suzuki, Les chemins du Zen, Monaco, Éditions du Rocher, Coll. Gnose, 1990, p.77

23 Daisetz Teitaro Suzuki et al., Bouddhisme zen et psychanalyse, Paris, Presses Universitaires de France,

Coll. Quadrige, p.10

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L’identification à la fleur aiderait l’adepte du zen à concevoir que l’univers entier n’est que l’expression de son esprit et que l’intellection, qu’il considérait jusque-là comme la totalité de son être, n’en est qu’une partie.

L’autre fraction est le non-né ou, dans un sens psychologique, l’inconscient. Ce dernier est, pour le zen, le mystère, l’inconnu et la source de toutes les possibilités créatrices. Ainsi pour devenir la fleur et se fondre avec elle il faut renoncer à son être individuel, qui est fait de conscience, de logique et de dualité. En effet, pour le zen il n’y a, «en logique […] pas de liberté. Tout est soumis à la loi rigide du syllogisme.25» De plus, pour cette philosophie :

[…] le "oui" glisse vers le "non" et le "non" vers le "oui". Il n’y a pas […] d’opposition tranchée entre les deux. La nature même de la vie le veut ainsi. Ce n’est qu’en logique que l’opposition devient irréconciliable. Or la logique n’est qu’un instrument construit par l’homme pour l’aider dans ses activités utilitaires.26

Le zen s’oppose à l’intellect seulement s’il est tenu pour l’ultime réalité. Il le considère comme nécessaire pour déterminer approximativement où se trouve la réalité, mais cette dernière ne peut être saisie que si l’intellect renonce à tous ses droits sur elle. En ce sens, l’intellect n’a qu’une importance secondaire pour le zen.

Le regard doit ainsi être dégagé des limitations de l’esprit logique pour laisser peu à peu le mystère de la réalité prendre forme dans la conscience. Ce qui veut dire que l’inconscient n’est pas hors d’atteinte du conscient et le zen propose un «entraînement particulier pour rendre la conscience consciente de l’inconscient27». En définitive, le «supersoi» que recherche le zen est l’adjonction totalisante du regard intuitif et de la vision ordinaire ou de l’inconscient et du conscient.

25 Ibid., p.14

26 Ibid., p.16 27 Ibid., p.22

(28)

2.1.1 Le système des koans.

L’entraînement que propose le zen peut prendre plusieurs formes. Le principe zen prône le développement individuel de la voie empruntée vers l’atteinte du regard intuitif. Cette voie ne doit pas consister en une simple application de règles ou de dogmes préétablis, ni par la reproduction d’étapes qu’un maître aurait empruntées. L’adepte de cette philosophie doit plutôt chercher à se défaire des structures préétablies et à s’éloigner des conventions. Ainsi, enseigner le zen par le système des koans peut paraître paradoxal, mais celui-ci conserverait intacte l’authenticité de l’expérience zen. Les koans faciliteraient, artificiellement et systématiquement, l’avènement dans la conscience de ce que les anciens maîtres produisaient spontanément en eux-mêmes. Ce système aspirerait ainsi à démocratiser l’apprentissage du zen et à en faire vivre l’expérience au plus grand nombre.

Le système des koans est construit spécifiquement pour servir à entraver l’activité discriminante du raisonnement qui veut distinguer entre le sujet et l’objet. Il est destiné à «faire mourir l’esprit calculateur28» de l’intellect dans l’intention d’aller au-delà de ses

limites. Pour dépasser celles-ci, l’adepte doit épuiser lui-même, en utilisant tous les moyens psychiques dont il dispose, les capacités de son intellect. C’est seulement une fois ces limites dépassées que la logique peut faire place à la psychologie et l’intellection à l’intuition.

Le koan est une sorte de problème qu’un maître donne à résoudre à ses disciples. Tirer le koan de l’inconscient pour l’amener dans le champ de la conscience c’est le résoudre. Les koans se présentent généralement comme l’affirmation d’un ancien maître, parfois sous une forme dialectique, mais plus fréquemment ils assument une totale absurdité. Par exemple, un maître exhibera un bâton devant sa communauté et affirmera :

"Ceci n’est pas un bâton! Comment l’appelez-vous?" Parfois, il lancera une affirmation de ce genre : "Si vous l’appelez bâton, vous "touchez" (c'est-à-dire vous affirmez); si vous ne l’appelez pas un bâton, vous "allez contre" (c'est-à-dire vous niez). Comment sans nier ni affirmer, l’appelleriez-vous?" […] Un autre maître, brandissant son bâton, fit cette déclaration énigmatique : "Si vous

28 Daisetz Teitaro Suzuki, Essais sur le Bouddhisme Zen, Paris, Albin Michel, Coll. Spiritualités vivantes,

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avez un bâton, je vous en donnerai un. Si vous n’en avez pas, je vous l’ôterai."29

L’élève est appelé à proposer des solutions au koan qu’il doit résoudre. Pour le maître zen, n'importe laquelle des propositions qui seront traitées selon les normes de la logique demeurera inévitablement à la surface de la conscience. Aussi, «toute interprétation […] qui aurait une apparence logique sera rejetée impitoyablement, voire sarcastiquement […] sans laisser la moindre matière à pareille interprétation30». Après quelques entretiens

semblables, l’élève «ne saura que faire sinon rejeter le maître comme "vieux bigot ignorant" ou "méconnaissant les modes de pensée rationaliste moderne"31». Cependant, le

maître zen sait parfaitement où se trouvent les limites de l’intellection; l’élève, quant à lui, ne les entraperçoit qu’au moment où il se trouve dans l’impasse.

Ainsi, les koans doivent mettre à l’épreuve l’intellect jusqu’au point de tension le plus haut pour que l’élève soit amené à les définir comme totalement absurdes et ne méritant pas ce gaspillage mental. Ces problèmes impossibles sont des variantes de :

[…] cet ultime problème de l’existence que tôt ou tard chacun de nous rencontrera dans le courant de sa vie. […] celui de la vie et de la mort qui concerne le sens même de l’existence. Face à ce problème, notre intellect est bien obligé d’avouer son impuissance à le résoudre, car il aboutit en toute certitude à une impasse ou aporie, que sa nature même ne lui permet pas d’éviter.32

Ainsi, intellectualisme, conceptualisme ou moralisme ne sont nécessaires pour le zen que pour réaliser leurs propres limitations et l’exercice du koan vise à imprimer ces limites dans l’intériorité profonde de l’élève.

Après des mois, parfois des années, passés auprès d’un maître et après avoir tenté sans succès de résoudre le koan sur le plan de la relativité, le disciple zen se trouve dans l’impasse. Il ne sait plus quelle voie prendre. Il a atteint le plus haut point de tension et a épuisé les capacités de son intellect. Il est alors dans une bonne disposition pour faire

29 Daisetz Teitaro et al., Bouddhisme zen et psychanalyse, Paris, Coll. Quadrige, Presses Universitaires de

France, p.51

30 Ibid., p.56 31 Ibid., p.56 32 Ibid., p.57

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face et ainsi laisser tomber l’intellection au profit de l’inconscient. Le regard par lequel il appréhende le monde devient alors «cette "incompréhensible" intuition globale de l’infini33».

2.2 L’imagination active et le travail autour du symbole

L’objectivation de l’individu, qui arrive par l’extraction de sa conscience du chaos mental du début de la vie, peut lui donner l’impression que sa compréhension du monde représente les limites de son être. Selon le zen et selon Jung, il n’en est rien. Dans l’expression «"incompréhensible" intuition globale de l’infini34», qu’utilise D.T. Suzuki, l’infini pourrait

désigner le fait que l’humain n’est pas un être fini, que la globalité de celui-ci se trouverait autant dans sa conscience que dans l’incompréhensible qu’il ressent en lui et qu’il rencontre en toute chose. Comme nous l’avons vu plus tôt, la conscience propre à un individu pourrait effectivement le rapprocher d’une conscience finie. S’il adopte une attitude qui rend autant que possible sa psyché imperméable aux connaissances qui le déstabilisent, il se pourrait que son évolution soit considérablement ralentie. D’un point de vue énergétiste, le travail réalisé par le koan, fait de la psyché non plus un système fermé, mais un système ouvert, un système «in-fini».

Le koan est un exercice permettant d’apprivoiser l’incompréhension et l’inattendu en étant mis face au paradoxe et à l’absurde. Ainsi, l’étudiant arrive à ne plus sentir le trouble psychique de la phase de régression comme un inconfort, il l’associe plutôt au plaisir de voir sa conscience se transcender. À l’aide du koan, il réalise que ce sont les jugements issus de sa conscience qui bloquent l’accès à son être total. Le regard intuitif, qui ne se soucie plus de jugement, mais qui cherche à se fondre et à ressentir l’objet appréhendé, devient alors essentiel. Reconnaître en lui le reflet que rend vivant la chose ou l’être éprouvés, ouvre l’étudiant au potentiel créateur de son inconscient.

Jung suggère d’observer les contenus de l’inconscient sans les préjugés ordinairement dépréciatifs portés sur lui. Il propose ainsi un type d’appréhension pouvant être comparé au

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regard intuitif du zen. La transformation de l’attitude consciente pourrait alors se faire à partir d’un travail d’élaboration autour du symbole qui permettrait d’entrer en contact avec tous les possibles dont ce dernier est porteur. Jung conseille pour cela l’imagination active qui est libre, spontanée et créatrice. Ceci consiste, à travers toutes sortes de moyens spontanés d’expression, à laisser un affect prendre une forme symbolique afin que le conscient puisse entrer en contact avec lui. Tous les types d’activités dont la caractéristique principale est de mobiliser l’être dans sa totalité, qu’on soit créateur, participant ou spectateur, peuvent servir à cette fin : écriture, dessin, peinture, danse, jeu… Pour permettre le dépassement de l’opposition entre conscience et inconscience, qui bloque l’intégration des nouveaux éléments, l’imagination active sort nécessairement des limites de l’intellectualité. On doit laisser faire la nature, l’esprit intervenant plus tard dans la compréhension du symbolisme des formes imaginatives puis à leur intégration au moi conscient par la mise en mot.

2.2.1 L’imagination active et l’attitude perceptive

De façon générale, l’imagination crée des représentations qui ne correspondent à rien qui soit dans la réalité extérieure : elles émanent essentiellement de l’activité créatrice de l’esprit. Celle que Jung dit active est provoquée par l’intuition et, par opposition à l’imagination passive, est caractérisée par une attitude perceptive envers les contenus de l’inconscient. Cette attitude permettrait à l’énergie psychique de s’approprier immédiatement les éléments qui émergent pour leur donner, par association à des contenus conscients analogues, le maximum de clarté et de relief. Ceci présuppose que l’individu provoque volontairement une certaine régression de son énergie psychique et laisse une quantité assez considérable d’énergie échapper au contrôle de sa conscience pour qu’elle puisse s’attacher à des matériaux inconscients. La participation positive de la conscience à l’attitude perceptive permet ainsi à l’individu de s’emparer d’indices ou fragments de rapport relativement peu accentués pour les amener à une expressivité maximum. L’imagination active est donc le produit d’une attitude consciente non opposée à 34 Carl Gustav Jung, Types Psychologiques, Genève, Goerg Éditeur S.A., 1986, p.63

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l’inconscient et qui permet plus facilement aux processus que cette dernière renferme de compenser le conscient.

2.2.2 Le sens manifeste et le sens latent des expressions imaginatives

Jung distingue dans les contenus inconscients ainsi appréhendés, un sens manifeste et un sens latent. Le premier découle de l’énonciation immédiate du contenu, de ce qui s’y manifeste de façon évidente. D’autre part, si ces contenus se présentent de façon fragmentaire ou embryonnaire ils auront le caractère d’une irréelle objectivité. Ainsi, ils ne pourront satisfaire l’exigence de compréhension de la conscience et cette dernière en cherchera le sens caché, le sens latent. Bien que l’existence de celui-ci ne soit en aucun cas certaine et que rien ne s’oppose à ce qu’on en conteste la possibilité, le désir de trouver une explication davantage satisfaisante peut suffire à un examen plus minutieux et détaillé afin de découvrir ce sens caché.

La recherche du sens latent peut être d’ordre purement causal. On en cherchera la cause dans les origines psychologiques de l’apparition imaginative. On cherchera des motifs antérieurs ou des forces instinctives qui auraient pu fournir l’énergie nécessaire à la production imaginative. Autrement dit, le regard est tourné vers le passé et vers l’histoire personnelle. Pour Jung, ce type d’explication peut contenir quelques vérités, mais elles sont à la fois trop simples et trop faciles. Ainsi, l’investigation causale ne doit pas se terminer là. On ne peut en effet expliquer totalement la psychologie de l’individu en ne puisant qu’en lui-même. Il est important de savoir qu’il est conditionné par son époque et aussi de quelle manière.

En outre, il n’y aurait pas de fait psychologique qui puisse être expliqué à fond par sa seule causalité. Chacun est un phénomène indissociable de la progression psychique. Il est toujours, en même temps, un devenu et un devenir. En se réalisant, il prépare ce qui sera. L’inconscient aurait donc une orientation finaliste : la personnalité inconsciente de l’individu tendrait vers un but dont il comprendrait instinctivement la nécessité et l’importance. Ce serait cette ligne psychologique du développement futur qui donnerait au

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contenu inconscient sa cohérence et l’énergie qui lui est nécessaire pour être saisie par la conscience. Ainsi, un produit imaginatif et le contenu inconscient qui lui est associé doivent être compris à la fois par leurs causes et par leurs fins. L’interprétation causale de l’apparition imaginative, considérée comme le résultat d’événements antérieurs, donnerait à cette apparition un caractère de symptôme. L’interprétation finaliste qui pressent une ligne psychologique du développement futur lui conférerait plutôt un caractère de symbole.

2.2.3 Le symbole

Selon Jung, à la différence du signe qui est une désignation abrégée d’un fait connu, le symbole «suppose toujours que l’expression choisie désigne ou formule le plus parfaitement possible certains faits relativement inconnus, mais dont l’existence est établie ou paraît nécessaire35». Il représente la meilleure formule possible d’une chose qu’on ne

saurait désigner de façon plus claire et qui contient une conception qui dépasse toute interprétation concevable. Le symbole demeure vivant tant qu’il reste gros de signification. Si cette dernière se fait jour et que «l’on découvre l’expression qui formulera le mieux la chose cherchée, attendue ou pressentie, alors le symbole est mort36». Les phénomènes

psychologiques, pourvu qu’ils énoncent quelque chose qui échappe à la connaissance actuelle, peuvent être des symboles :

Toute création psychique qui, à un moment donné, est la meilleure expression d’un fait absolument ou relativement inconnu peut être considérée comme un symbole, pourvu qu’on soit disposé à admettre qu’elle exprime également ce qui n’est que pressenti et non reconnu clairement. Dans la mesure où elle renferme une hypothèse, où elle est par conséquent la désignation anticipée d’un fait de nature encore inconnue, toute théorie scientifique est un symbole.37

35 Ibid., p.469

36 Ibid., p.469 37 Ibid., p.470

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2.2.4 L’attitude symbolique

L’attitude symbolique, qui interprète les phénomènes donnés comme des symboles, est toujours possible en présence d’une conscience à la recherche d’autres sens éventuels des choses, de sens latents. Ainsi, cette attitude n’est impossible que dans le cas où l’individu établit une expression qui dit exactement ce qu’il voulait dire, mais cette restriction peut ne pas exister pour une autre conscience. Cette dernière peut concevoir l’expression comme le symbole d’un fait psychique caché et inconnu de l’intention de l’individu qui a produit l’expression. Il dépend donc, tout d’abord, de l’attitude de la conscience qui observe que quelque chose soit un symbole ou non.

Toutefois, il y aurait des symboles qui ne dépendraient pas seulement de l’attitude du conscient qui l’aborde et qui agiraient d’eux-mêmes par l’effet symbolique exercé sur le spectateur. Ce seraient des expressions qui, dans l’ordre des faits, semblent complètement dénuées de sens. Mais, puisqu’elles sont créées par une conscience, il est impossible d’y voir un produit du hasard. L’interprétation symbolique s’impose alors. Si, de surcroît, comme témoignant de la grande valeur qu’on leur attribue, elles sont représentées de façon répétitive, toujours identique et avec un soin apporté à leurs exécutions, l’effet s’en trouve augmenté.

Cependant, le fait qu’un symbole souligne de façon évidente son caractère symbolique ne suffit pas pour qu’il soit vivant. En effet, puisqu’il dépend du mode de considération ‒l’attitude symbolique entrant en jeux ou non‒ pour qu’une expression soit un symbole, ce dernier pourrait ne jamais exister dans une conscience qui subordonne le sens au fait pur et simple. Ainsi, le symbole pourrait n’agir que sur le côté historique ou philosophique de l’intellect d’un individu ou n’éveiller qu’un intérêt esthétique. L’individu pourrait de plus, se satisfaire d’un sens déjà existant tel que le lui offre la tradition par exemple.

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2.2.5 Le concours du conscient et de l’inconscient

Les véritables symboles sont ceux qui ont non seulement une origine profonde, mais qui tendent à la réalisation de l’inconnu. En outre, ils ne sont jamais des produits qui tirent leurs origines du seul conscient ou du seul inconscient : ils résultent d’un égal concours des deux. De nature complexe, ils se composent de données empruntées à la fois au rationnel et à l’irrationnel. Aussi, par «sa signification cachée, le symbole fait vibrer la pensée autant que le sentiment; sa singulière plasticité le revêt de formes sensoriellement perceptibles qui excitent la sensation autant que l’intuition38».

Le caractère libérateur du symbole vient du fait qu’il est l’expression du droit à l’existence de toutes les parties de la psyché. Ainsi, il est issu non seulement des acquisitions suprêmes de l’esprit, mais aussi des contenus du tréfonds de l’être; les fonctions spirituelles les plus hautement différenciées autant que les tendances les plus basses et les plus primitives doivent y jouer un rôle. La coopération créative de ces deux états antagonistes se réalisera si leurs pleins contrastes se montrent côte à côte à la conscience.

2.3 Le travail de John Cage : traduction des principes zen dans une

pratique en art moderne.

Le travail de John Cage a été influencé, entre autres choses, par les enseignements de D.T. Suzuki dont il a suivi les conférences à la Colombia University. C’est donc en s’inspirant de certains principes du bouddhisme zen qu’il a élaboré sa démarche : celui-ci lui a permis de déconstruire sa musique en la libérant de certaines structures imposées par la tradition et le solfège. Sa volonté était de rendre à l’accident sonore, autant que possible, sa musicalité. Cage définit sa musique comme une discipline d’adaptation au réel. Elle ne vise pas à changer le monde, mais à l’accepter tel qu’il se présente. Cette acceptation serait essentielle parce qu’elle mènerait à cesser d’être inflexible à l’égard du changement et à arrêter de se sentir «vexé» à la moindre distorsion. Aussi, il invite à la «noblesse», terme qu’il emprunte

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au bouddhisme zen : «Être noble, c’est être dégagé, à tout instant, du fait d’aimer et de haïr.39» Il propose, pour cela, de se déshabituer du solfège pour arriver à se défaire, d’une manière plus générale, des structures mentales et de la logique. Celles-ci déformeraient la réalité puisqu’elles seraient construites hors de la vie des choses. Elles seraient des moyens de mesure dans lesquelles nous nous évertuons à replacer chaque chose, mais toujours en évacuant la part de réalité qui ne peut tenir dans ce cadre particulier. Nous réutiliserions souvent et malgré nous, les structures mentales auxquelles nous sommes habitués plutôt que d’adapter celles-ci à l’objet de notre analyse.

Cage adhère à l’idée du zen selon laquelle ce que nous construisons sous la rubrique de la logique représente toujours une simplification par rapport aux événements et à ce qui arrive réellement. Le monde ‒le réel‒ bouge et change constamment ; il n’est pas un objet, mais un processus. Pour Cage, la fonction de l’art actuel est de «nous préserver de toutes ces minimisations logiques que nous sommes tentés à chaque instant d’appliquer au flux des événements40». Ainsi, il cherche à faire s’interpénétrer l’art et la vie, à créer des situations

dans lesquelles l’art disparaît et se trouve peu à peu immergé dans ce qu’on appelle la vie. Tout ce que Cage suscite artificiellement dans ses pièces de musique, l’environnement nous le donne spontanément.

2.3.1 La musique indéterminée

À travers ses pièces de musique indéterminée, Cage s’applique à détruire toute structure et toute harmonie. Celles-ci seraient selon lui des illusions provenant de l’habitude à entendre une musique réglée par le solfège. Ce dernier nous rendrait sourds à une certaine quantité de sons en nous conditionnant à les accepter ou à les rejeter selon qu’ils entrent ou non dans sa structure : il limiterait et amoindrirait la perception. En outre, les sons dont la tonalité et le rythme sont régis par le solfège ne seraient pas écoutés pour eux-mêmes mais pour leurs relations. Aussi, ce serait mépriser la richesse individuelle de chaque son au profit d’une

39 John Cage, Pour les oiseaux, Entretiens avec Daniel Charles, Paris, Coll. Les bâtisseurs du XX, Belfond,

1976, p.202

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structure arbitraire. Tout ceci équivaudrait à une «ségrégation41» et à une forme de «perfectionnement de la race sonore42». Les sons de l’environnement seraient a priori considérés comme pauvres. Or, pour Cage, il n’existe rien d’audible qui ne puisse être intégré dans une composition.

Ainsi, il cherche à donner aux sons toute leur liberté. Il les reconnaît comme étant indépendants les uns des autres et pense qu’ils s’interpénètrent de façon plus riche et avec plus de complexité s’il n’établit aucune relation entre eux : ils se rejoignent sans se faire obstruction. C’est pourquoi Cage veut se libérer de l’habitude d’harmoniser et trouve dans l’utilisation du hasard un outil efficace pour y arriver. Le Yi-King représente son outil privilégié. Il l’utilise lors de la composition de ses Song Books pour déterminer le nombre de solos, le type de chacun (chant ou théâtre, traité électroniquement ou non), leur durée et les matériaux dont ils seront faits (piano préparé, cri, ronflement, machine à écrire…). Dans le but de provoquer des situations propices au hasard et à l’accident sonore, Cage donne ces quelques lignes directrices tout en précisant que l’interprète peut aussi bien en faire ce qu'il veut : les «solos» peuvent être chantés par plusieurs interprètes; ils peuvent aussi en jouer n’importe quel nombre, dans n’importe quel ordre et selon n’importe quelle superposition; un seul interprète a la possibilité de chanter plusieurs solos en même temps et de les rejouer autant de fois qu’il le veut; les interprètes doivent préparer leur partie indépendamment et de ne pas réagir l’un à l’autre lors de la représentation et, enfin, les Song Books peuvent être présentés en superposition ou non avec d’autres pièces de musique indéterminée telle que Rozart Mix ou Concert for piano & Orchestra.

Cage construit ses pièces musicales de façon à ce qu’elles ne puissent jamais être répétées, qu’elles présentent toujours des situations entièrement nouvelles dans lesquelles n’importe quel son ou bruit peut aller avec n’importe quel autre. Ce sont des situations expérimentales dans lesquelles rien n’est sélectionné d’avance, dans lesquelles il n’y a pas d’obligations ni d’interdits et où rien n’est prévisible.

41 Ibid., p.162

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