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11. Recommandations, méthodes de sélection

11.5. Participation des usagers à la sélection

La sélection collaborative, soit une collaboration qui serait faite de concert par des bibliothécaires et un comité de lecteurs actifs de la bibliothèque, ne semble pas être une pratique qui a été mise en place par les bibliothèques nous ayant répondu dans le cadre de ce travail. Si les Bibliothèques Municipales de Lyon témoignent avoir fait une telle expérience dans le cadre de la sélection de bandes-dessinées61, elles n’ont en revanche jamais été

tentées de le faire pour les documents en langues étrangères. La Bibliothèque de Grenoble

ainsi que la Bibliothèque publique du Queens possèdent des clubs de lecture et de conversation animés dans différentes langues62, mais leurs usagers ne passent pas

nécessairement spontanément par ce biais pour faire leur suggestion d’achat. Même si les clubs de lecture et de conversations sont propices aux échanges, les usagers font plutôt leur proposition par le biais du site de leur bibliothèque, ou dans un cahier de suggestions à la BMI. Néanmoins, dans cette dernière, les personnes en charge des clubs de lecture, étant bien souvent initialement des usagers avant de devenir animateurs, proposent régulièrement des ouvrages aux bibliothécaires. Nous pourrions donc qualifier ces échanges avec les animateurs comme étant des éléments nourrissant activement la réflexion autour de la sélection des documents.

Organiser, du moins en partie, le processus de sélection des ouvrages en langues étrangères avec la participation active des usagers dans le cadre d’un club de lecture pourrait être intéressant ; nous pourrions même apparenter cela à une forme de médiation culturelle autour des collections. S’il s’agit d’un comité constitué de lecteurs allophones ou parlant couramment la langue dans laquelle ils lisent, leurs conseils en matière de sélection pourraient être précieux. Les bibliothécaires pourraient, en effet, bénéficier d’un autre référentiel culturel apporté par leurs usagers pour orienter leur choix. Nous pourrions considérer que la participation des usagers aux différents processus bibliothéconomiques aurait le mérite de les replacer au centre de la vie des bibliothèques et du développement des collections (Lhuillier 2017).

‘‘ […] Par la reconnaissance des capacités linguistiques et culturelles de leurs usagers et par leur intégration à chaque étape du processus bibliothéconomiques, certains bibliothécaires qui travaillent sur les langues étrangères n’incarnent plus la fonction par rapport au savoir et sont amenés à aller au-delà de la méditation. […] dans la mesure où ils intègrent l’altérité de ceux auxquels ils font appel qui sont aussi ceux qu’ils servent nous sommes tentés de dire qu’il s’agit ici d’intermédiation […]’’

(Lhuillier 2013, p.180)

L’alliance des compétences des bibliothécaires aux connaissances et aux capacités linguistiques des usagers peut être une grande source de richesse pour le développement des collections et pour la vie de la bibliothèque. Ces échanges de compétences, qualifiés d’intermédiation par Marion Lhuillier citée précédemment, auraient également l’avantage incontestable de participer à la mise en valeur les collections en langues étrangères et à les rendre plus visibles auprès des différents publics.

Pour faire écho à cette réflexion, nous donnerons ici l’exemple de la Bibliothèque de Meyrin63,

qui a témoigné d’une expérience remarquable dans la cadre du développement d’une collection en tamoul. En effet, si les usagers n’ont jamais participé directement à la sélection par le biais d’un club dans cette institution, il est déjà arrivé qu’ils y aient collaboré d’une manière différente et tout à fait originale. Une usagère, originaire d’Inde, souhaitant pratiquer le français s’était initialement proposée pour faire du bénévolat à la bibliothèque. Le statut de bénévole ne pouvant pas lui être conféré par l’institution, l’usagère s’est tout de même portée volontaire pour ramener des livres en tamoul lors de ses séjours dans son pays d’origine, et ce pendant plusieurs années. Grâce à cette collaboration, cette collection s’est bien vite étoffée, l’usagère a également été amenée à faire du catalogage afin de référencer le fonds.

62 Voir annexe 16, question 37 et annexe 18 question 41. 63 Voir annexe 12, question 17.

Cette dernière, très contente de permettre à la Bibliothèque de Meyrin de mettre en valeur des ouvrages dans sa langue, en a fait la promotion auprès de sa communauté. Le fonds est donc devenu très populaire auprès de celle-ci, et ce pendant le temps de cette collaboration. Néanmoins, il est vrai que le fait donner une certaine responsabilité aux usagers dans le cadre des tâches de sélection, que cela soit par le biais d’un club ou d’autres tâches bibliothéconomiques, peut être vécu difficilement par les professionnels. En incluant les usagers aux diverses animations, et autres tâches bibliothéconomiques, ces derniers sont positionnés différemment face aux bibliothécaires, les rôles traditionnellement attribués sont bouleversés. Ce transfert de pouvoir, même s’il n’a qu’une forme symbolique, pourrait donc parfois induire une forte crainte de ‘‘déprofessionnalisation’’ chez les bibliothécaires qui pourraient y voir une dévalorisation de leurs compétences (Lhuillier 2013).

Envisager de faire participer les usagers aux tâches de sélection par le biais d’un club de lecture autour des langues étrangères pourrait être alors considéré comme une forme de soutien ou d’aide, une manière aussi de rester en contact assez directement avec les besoins du public. Si une telle entreprise est mise en place, le cadre dans lequel les usagers seraient amenés à apporter leur contribution devrait être idéalement clairement défini. Selon quels critères leurs propositions d’achat seraient-elles prises en compte ? Disposeraient-ils, eux aussi, d’un extrait de politique documentaire leur indiquant quels documents sont exclus d’emblée à l’achat ? Comment motiver un refus et ne pas générer trop de frustration auprès du public ? Les usagers animeraient-ils les clubs eux-mêmes, comme c’est le cas à la Bibliothèque Municipale interculturelle de Grenoble, ou accompagnés par un bibliothécaire ? Autant d’interrogations auxquelles il faudrait tenter de répondre lors de la mise en place d’un service induisant une collaboration telle que celle-ci.

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