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Part des récits de voyage sondés comprenant un trajet en train

Sondage 1919-1920 1923 1926-1927 1931-1932 1935 1938

% 32 42,9 15,6 56,7 38,7 30,9

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Les chiffres sont irréguliers. Toutes les revues n’accordent pas une importance équivalente au transport ferroviaire. Sa part dans La Revue du Touring-Club de France est quasi nulle, ce qui peut s’expliquer par l’influence du T.C.F. à l’échelle nationale. Lors du sondage 1926-1927, seul Le Cycliste évoque l’utilisation du train, et de manière assez faible. A l’inverse, cinq ans plus tard, sa proportion explose avec l’essor des bulletins de club. Dans les années 1930, Le Cyclotouriste de Lyon est l’organe où l’usage du train est le plus répandu, dans près de 55 % des récits. Cela témoigne de la part de ce club lyonnais de son envie d’explorer d’autres régions que les Alpes, l’Auvergne et la Côte d’Azur. De même, L’Union

Cyclotouriste de Touraine est un grand utilisateur du rail : 60 % en 1931 et 1932. Dans les

revues stéphanoises, Le Cycliste et La Pédale Touristique, moins locales que les bulletins de club, la part du train oscille entre 30 et 40 %, ce qui paraît être le pourcentage régulier sur l’ensemble de l’Entre-deux-guerres, au-delà des soubresauts de 1926-1927 et 1931-1932. Cependant, tous les voyages en train ne servent pas, pour les Parisiens, Lyonnais et Stéphanois, à atteindre des contrées lointaines comme la Bretagne, les Pyrénées ou l’Alsace. Ils servent surtout à éviter l’étape-transport, à gagner du temps ou bien à rentrer plus vite à la maison si l’état de fatigue est grand ou l’estimation de l’horaire mauvaise. Ils servent aussi de raccourci pour éviter une route jugée monotone. Les transports en train ne correspondent pas forcément à de longs trajets abrutissants. Ils ne remettent donc pas fondamentalement en cause l’ancrage régional qui reste dominant au moins jusqu’aux alentours de 1935. Ils sont avant tout une commodité pour le cycliste.

Lorsque nous débarquons sur le quai de la gare de Saint-Brieuc nous sommes quelque peu défraîchis, intellect et physique ; le cerveau est embrumé, l’œil atone et le jarret, lui, plutôt mou ! Et cependant, il est bien pratique ce bon « vieux frère qui fume » qui, en 8 h., par La Rochelle, Nantes et Rennes, nous mène à pied d’œuvre.248

Cette réflexion d’Henri Cabrol pointe un aspect crucial dans la relation entre les cyclotouristes et le train : à l’inverse d’une étape-transport qui met tout de suite le cycliste dans le vif du sujet, le transport ferroviaire n’est pas inclus dans l’évasion. Il fait partie d’une phase transitoire entre le départ de la ville et l’enfourchement de la petite reine où commence réellement le voyage. Aucun récit ne décrit le charme du voyage en train. Son confort relatif et sa déplaisante promiscuité (en comparaison à la solitude du cycliste) sont montrés du doigt mais son utilité n’est jamais remise en cause. Le transit fonctionne également pour le retour

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vers la ville. Pour le dénommé E.-A.L., l’évasion cycliste s’arrête avec « la gare d’Argentan, l’express de Rouen, la lecture des journaux… Bref, une reprise de contact un peu brutale avec les tragiques réalités d’un monde désaxé ».249 Le train symbolise la fin du voyage, le retour en ville et dans la société civilisée. Il a donc un statut ambigu, mettant le dépaysement à portée tout en demeurant un lien avec la ville de départ. Si le rail ne remet pas réellement en cause l’ancrage régional, il permet occasionnellement de s’en émanciper. Le cyclotouriste peut, grâce à lui, découvrir plus aisément de nouveaux horizons et compléter son exploration de la France.

La relation entre tourisme et territoire national est historiquement étroite en France. En raison de la variété de ses climats, beaucoup considèrent le pays comme un microcosme. Dès 1919, le Touring-Club de France entame une politique de valorisation de la France et de ses colonies. Il s’agit d’y attirer les touristes étrangers et de convaincre les Français qu’il n’est pas nécessaire d’aller à l’étranger quand leur nation comporte tant de merveilles. A cette politique s’ajoute une conscience nationale patriotique qui s’éveille particulièrement lors des voyages en Alsace dans les quelques années qui suivent sa réintégration à la France. Ainsi, de passage à Strasbourg, un membre du Touring-Club écrit en 1920 dans Le Cycliste :

Bien que la connaissant de vieille date, j’éprouve un grand plaisir à m’y retrouver et y flâner tout à mon aise, et je visite consciencieusement toutes les curiosités de cette ville si intéressante, sans en omettre, cela va sans dire, la cathédrale et sa plate forme, comme si tout cela était nouveau pour moi, ou plutôt comme si je tenais en quelque sorte à en prendre possession pour mon compte personnel à titre de français, l’ayant visité sous des jours moins heureux.250

Le cyclisme est un vecteur du sentiment national. Le tracé du Tour de France est une affirmation du territoire de la nation. Ainsi, dans l’Alsace reconquise, Strasbourg est une ville-étape de la course de 1919 à 1924 puis de 1927 à 1929 avant de devenir plus occasionnelle251. Certains cyclotouristes s’en inspirent. En 1930 est créé le concept des Diagonales de France, longs voyages consistant à joindre les angles de l’Hexagone en le moins de temps possible. Des records sont d’ailleurs établis.

249 E.-A.L., « Trois jours dans l’Orne, la Sarthe et la Mayenne », Le Cycliste, n°6, juin 1938, p. 204.

250 T.C.F. n°144511, « Voyages en zigzag. Le long de l’ancien Front des Armées », Le Cycliste, n°4,5 et 6, avril- juin 1920, p. 41.

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