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C - Des parcours de santé encore marqués par les inégalités sociales et territoriales

Des différences de recours aux professionnels de santé existent en fonction du gradient social des familles et de leur lieu de résidence, renvoyant aussi à des questions de répartition territoriale de l’offre de soins primaires.

1 - Un recours plus important aux urgences dans les milieux sociaux moins favorisés Selon une étude de la Drees sur des données de 2013121, le recours aux urgences des enfants est plus élevé que celui des adultes, à l’exception des 85 ans ou plus ; les enfants de moins de deux ans représentaient 6 % des passages aux urgences contre 2 % de la population.

Des résultats similaires sont observés en 2019, à partir d’une exploitation de la statistique annuelle des établissements : sur plus de 22 millions de passages aux urgences, 7,5 millions (soit 26 %) concernent des patients de moins de 18 ans. En 2019, les enfants de moins de deux ans représentent 31 % des passages aux urgences, soit presqu’autant que pour les enfants âgés de deux à cinq ans (34,5 %), et que pour les enfants de 6 à 11 ans (34,3 %).

Avec une proportion importante de consultations non justifiées aux urgences, comme l’a souligné l’Igas, le recours croissant aux urgences hospitalières des enfants témoigne d’un report sur l’hôpital, en raison de difficulté pour trouver une consultation non programmée en ville, et sans doute de l’inquiétude des parents. Le besoin de réassurance et de conseils, notamment pour les parents de très jeunes enfants, expliquerait ce recours aux urgences pédiatriques.

Ce recours aux urgences dépend aussi du gradient social et de la commune de résidence des parents. Ainsi, les enfants de la cohorte Elfe ont davantage été aux urgences lorsqu’ils appartenaient à des foyers défavorisés, y compris avec des passages multiples, et lorsqu’ils n’habitaient pas dans des communes rurales. Les motifs de consultation en revanche ne sont pas différents selon le gradient social ou le territoire de résidence.

121 Drees, Études et résultats n° 1 128, Urgences : plus du quart des passages concernent les enfants de moins de 15 ans, octobre 2019. Les analyses de cette étude utilisent les données de l’enquête nationale sur les structures des urgences de juin 2013, réalisée par la Drees auprès de 736 points d’accueil d’urgences.

2 - Un recours plus fréquent aux pédiatres pour les enfants de moins de deux ans, urbains et des milieux sociaux favorisés

En 2019, les pédiatres n’assuraient que 33 % des consultations d’enfants âgés de moins de 12 ans (contre 67 % pour les généralistes). Cette proportion diminue quand l’âge augmente, et se concentre avant deux ans pour représenter la moitié des dépenses remboursées de pédiatrie par l’assurance maladie obligatoire (soit 105 M€ en 2019).

Le recours à un pédiatre plutôt qu’à un médecin généraliste dépend aussi du milieu social de l’enfant, et plus particulièrement du niveau de revenu (ce qui renvoie à la pratique répandue de dépassements d’honoraires). Ainsi, quel que soit l’âge, la proportion d’enfant consultant au moins une fois dans l’année un pédiatre double presque entre les 20 % des foyers les plus modestes et les 20 % les plus aisés (cf. tableaux 27, 32 et 37 de l’annexe 6) selon les résultats issus de la cohorte Elfe : elle est par exemple respectivement de 35 % et 68 % à 1 an, ou de 25 % et 44 % à 5,5 ans.

Par ailleurs, la place du pédiatre dans le parcours de santé de l’enfant varie fortement en fonction des départements et des communes de résidence, ce qui est lié à l’inégale répartition territoriale des pédiatres libéraux et donc à la disponibilité de l’offre. Comme le montre la carte ci-dessous la part des consultations de pédiatre est plus importante dans les départements les plus urbanisés et à proximité des grandes métropoles, à l’exception des Hauts-de-France. Si la taille de l’aire urbaine de résidence n’a aucun impact sur le fait de consulter un médecin, elle modifie la spécialité : la proportion des enfants âgés de 3,5 ans de la cohorte Elfe ayant consulté un pédiatre dans l’année est de 32,2 % pour les enfants vivant dans des communes rurales, de 50 % pour ceux des grandes aires urbaines122 et de 61,5 % à Paris123.

122 Aires urbaines de 500 000 à 1 000 000 d’habitants.

123 Voir annexe 6 tableau 34.

Carte n° 10 : part (en %) des consultations de pédiatrie en médecine de ville (2019)

Source : Cnam. Données 2019. Calculs et représentation par la Cour des comptes Note : Consultations pour les enfants de moins de 2 ans. Données non disponibles pour la Corse et les DROM.

Les médecins généralistes jouent un rôle croissant dans la prise en charge de la santé des enfants. Cependant, selon une étude de la Cnam de 2012, citée par l’Igas, les pratiques des médecins généralistes et des pédiatres diffèrent : le principal motif de consultation chez les pédiatres est préventif alors que les 2/3 des consultations chez les généralistes concernent des maladies aigües, ce qui se retrouve aussi dans les différences observées dans les montants moyens de rémunération sur objectif de santé publique (ROSP).

3 - Des recours variables aux autres professionnels de santé

Si la majorité des dépenses de ville remboursées par l’assurance maladie obligatoire en 2019 pour les enfants de moins de 12 ans concerne la médecine (31 %) et la pharmacie (23 %, en particulier avant deux ans en raison des vaccins), l’orthophonie représente 12 %, les soins dentaires 7 % et les soins visuels en incluant l’optique 5 % des dépenses totales.

Alors que le recours aux chirurgiens-dentistes comme aux ophtalmologistes varie fortement en fonction du gradient social quel que soit l’âge des enfants, la prise en charge par une orthophoniste est plus importante dans les départements ruraux et au sein des foyers les plus modestes comme l’illustre le tableau ci-dessous. Ainsi, à 5,5 ans, 36 % des enfants de la

cohorte Elfe avaient consulté un chirurgien-dentiste au cours de l’année précédente, mais seulement 32,2 % pour les enfants des mères les moins diplômées contre 41,3 % pour ceux des mères les plus diplômées.

Tableau n° 10 : proportion d’enfants ayant consulté un orthophoniste à 5,5 ans

Résidence Commune hors aire

urbaine < 199 999 200 000 –

499 999

500 000 –

999 999 Aire de Paris*

16,3 % 14,6 % 15,7 % 18 % 11,6 %

Revenus Quintile 1 (inférieur) Quintile 2 Quintile 3 Quintile 4 Quintile 5

18,3 % 15,8 % 13,4 % 13,1 % 11,7 %

Source : cohorte Elfe, analyse pour la Cour des comptes.

___________________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________________

La stratégie nationale de santé (SNS) 2018-2022 consacre un volet spécifique à la santé des enfants et porte l’ambition de réduire les inégalités de santé par une intervention plus précoce en matière de prévention. La structuration insuffisante de sa déclinaison opérationnelle ne permet ni un pilotage ni une évaluation des projets et actions engagés.

En premier lieu, la persistance de nombreux plans nationaux thématiques, non synchronisés bien qu’abordant des sujets très intriqués, ne porte pas une vision unifiée et lisible de la santé des enfants. Au plan territorial, la dispersion des actions et priorités relatives à la santé des enfants parmi les nombreux axes et objectifs des projets régionaux de santé rend tout aussi complexe l’identification d’une politique régionale de santé de l’enfant.

En l’absence dommageable de vision consolidée des dépenses consacrées à la santé des enfants, liée à la multiplicité des sources de financement et à la faiblesse des systèmes d’information disponibles, la Cour les a estimées à 8,9 Md€ en 2019.

Malgré les efforts en faveur d’une approche plus transversale et coordonnée de la santé des enfants, qui se donne à voir dans le comité interministériel pour la santé et son instance dédiée aux enfants et aux jeunes, le CoSEJ, le fonctionnement en silo persiste. Les grands acteurs de la santé des enfants que sont le ministère de la santé, l’Assurance maladie, la protection maternelle et infantile, ou l’Éducation nationale, poursuivent leurs propres logiques : très structurée pour décliner les priorités nationales pour l’assurance maladie ; répondant au principe de libre administration pour les services départementaux de la PMI sans représentation nationale identifiée.

Enfin, l’efficacité des dispositifs définis soit spécifiquement aux enfants au premier rang desquels les examens et vaccinations obligatoires, soit pour l’ensemble de la population mais s’appliquant également aux enfants comme la complémentaire santé solidaire, ou la régulation des dépassement d’honoraires pratiqués par les pédiatres, est à nuancer. En effet, les parcours de santé des enfants restent marqués par des inégalités de recours aux professionnels et aux structures de santé, en fonction du gradient social des familles et de leurs lieux de résidence.

C’est pourquoi la Cour formule les recommandations suivantes :

2. Renforcer le pilotage interministériel pour la santé des enfants en s’appuyant sur un CoSEJ renouvelé dans ses missions et son fonctionnement (ministère de la santé).

3. Unifier le cadre de contractualisation entre l’ARS, l’assurance maladie, la PMI et l’éducation nationale pour garantir la cohérence des actions et des financements relatifs à la santé des enfants pour renforcer les compétences d’animation des ARS au niveau départemental (SGMAS, Cnam).

Chapitre III