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Parcours professionnels

Dans le document La population espagnole en France (Tome 2) (Page 30-34)

PARTIE 1 : PARCOURS MIGRATOIRES

B. Parcours professionnels

Les principaux secteurs d‟emploi des personnes arrivées jusque dans les années

1970 sont les secteurs traditionnels de l‟emploi des immigrés en France : le bâtiment,

l‟industrie, et les travaux saisonniers dans l‟agriculture. Les réseaux communautaires

jouent un rôle important sur la trajectoire des immigrés espagnols dans la mesure où la

recherche d‟emploi passe par des relations tissées dans l‟entourage.

9 58% ont émigré seuls, selon une étude faite sur 124 personnes à Paris et à Lyon (M.C. Muños, in

Situaciones de exclusión de los emigrantes españoles ancianos en Europa, dir. U. Martinez Veiga,

FACEEF, Paris, 2000)

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« J'ai continué, parce que j'ai toujours eu beaucoup de chance, en fait quand il y avait un ouvrier qui sortait de prison ou un truc comme ça, ils venaient et je les prenais avec moi, et ensuite [après la faillite] quand j'ai eu besoin ils m'ont trouvé du travail ; Chef-Ferrailleur dans une grande entreprise. »

(N.)

Si le chômage est relativement faible pendant les Trente Glorieuses, l‟ascension

sociale l‟est également. Quelques personnes interrogées ont conservé le même emploi toute

leur vie et/ou sont restées au sein de la même entreprise. La création d‟entreprises par les

immigrés espagnols se fait essentiellement dans les secteurs de la restauration et surtout du

bâtiment. En ce qui concerne les femmes, on les trouve dans les emplois domestiques

(femmes de ménage, employées de maison, garde d‟enfant) et de gardienne d‟immeuble.

Toutefois, du fait des bons niveaux de rémunération, on rencontre aussi des hommes qui

travaillent dans le secteur du ménage dans les entreprises. Ce secteur n‟est pas réservé aux

femmes.

La « valeur travail » est essentielle pour les Espagnols arrivés au cours de cette

période. Elle tend à être un référent identitaire revendiqué. Elle structure la perception de

soi, la justification d‟un parcours social.

« J’ai fait comme Linda de Suza. Je suis venue avec une valise et regardez tout ce que j’ai. Voilà. Et les enfants. C’est ça qui est le plus important. »

(An.)

« J’ai toujours fait des ménages, […] mais maintennt je suis contente, j’ai mené mes enfants, j’ai commencé à 7 francs de l’heure et on s’en est tirés »

(Mar.)

C‟est autour du travail que se construit le rapport à soi et aux autres. Une vie de

travail justifie les ruptures générées par la migration et justifie la place dans la société

d‟accueil. La valeur travail catalyse aujourd‟hui, même après l‟âge de la retraite, le malaise

induit par la difficulté à trouver une place dans une société en mouvement, où l‟emploi

tend à perdre sa centralité et ses significations. Certaines personnes transforment ce

malaise en racisme à l‟égard des nouvelles vagues migratoires qui connaissent un taux de

chômage élevé. Le travail sert de point d‟appui pour se distinguer de l‟immigration

africaine. Ces témoignages montrent comment la discrimination peut être reproduite par

ceux qui l‟ont subie 20 ou 30 ans plus tard dans les mêmes conditions.

Ce comportement est symptomatique d‟un groupe qui connaît un déclassement et

qui cherche les moyens d‟une distinction sociale. La population espagnole en France a

beaucoup vieilli, puisque près d‟un Espagnol sur deux avaient plus de soixante-cinq ans

lors du recensement de 1999 (cf. tome 1 de la présente étude, page 30). Or, comme le

souligne Marie-Claude Muñoz, les conditions d‟exclusion de cette population se sont

aggravées

11

. Les conditions de revenus de ces personnes âgées, souvent modestes en raison

des emplois peu qualifiés qu‟ils ont occupés

12

, particulièrement pour les femmes, même si

elles bénéficient des aides compensatoires du minimum vieillesse, restreignent leurs

conditions de vie en France. C‟est notamment le cas pour cette personne qui a exercé le

métier de femme de ménage pendant toute sa vie, probablement non déclarée sur certaines

périodes :

« Je suis partie à Grenoble, pour me rapprocher de mes enfants pendant trois ans… Avec ma retraite je n’ai pas pu rester à Grenoble, je payais 2500 F de loyer et je n’arrivais plus à manger avec ma petite pension.. Mais je pouvais pas rester là-bas... je bouffais tout ce que je gagnais… ici je suis en HLM et tout est moins cher ».

(Mar.)

Beaucoup de ces retraités ont eu des difficultés pour toucher toutes les aides

auxquelles ils ont droit en raison de leurs difficultés d‟expression en français et de leur

méconnaissance des réseaux institutionnels. En outre, pour ceux qui avaient travaillé en

Espagne, avant leur arrivée, il a souvent été très difficile de toucher une pension de

vieillesse espagnole, ce qui a souvent laissé un sentiment d‟injustice et d‟aigreur face à

l‟Etat espagnol. Ces conditions difficiles, expliquent, dans certains cas selon M.C. Muñoz,

qu‟un certain nombre de ces personnes âgées soient retournées dans leur village d‟origine

où elles possédaient une maison familiale qui leur permettait de mieux valoriser leurs

revenus. Pour combler les lacunes relationnelles liées à la solitude des personnes âgées

vivant seules, plusieurs associations ont vu le jour dans les grandes métropoles

13

, mais nous

n‟en avons pas retrouvé la trace en province.

11 M.C. Muñoz, in Situaciones de exclusión de los emigrantes españoles ancianos en Europa, dir. U. Martinez Veiga, FACEEF, Paris, 2000.

12 Rappelons que un quart des Espagnols touche selon l‟enquête emploi de 2002 un salaire net inférieur ou égal à 884 euros, soit à peine trente euros de plus que le SMIC, (cf. p.84, tome 1 de la présente étude).

13 M.C. Muños, op. cit, mentionne l‟association ARELA à Lyon, ou la Casa de España de Paris, qui ouvre ses portes aux retraités tous les après-midi.

Ce n‟est qu‟à partir des années 1980 que les secteurs d‟emploi changent avec le

type d‟immigration, vers des postes qualifiés. Des informaticiens ont profité des besoins de

main-d‟œuvre à la fin des années 1990, années de la « bulle internet ». On observe

également une migration d‟ingénieurs et de commerciaux. Plus récemment, le secteur

hospitalier attire de jeunes infirmières. Cette vague migratoire est encore trop récente pour

constater une réelle ascension sociale.

Cette ascension est cependant nettement perceptible chez les enfants d‟Espagnols

nés en France. Les secteurs d‟emplois sont nettement diversifiés. On constate une volonté

d‟investir sur le plan symbolique une certaine hispanité par le biais professionnel. Cela se

traduit par exemple par des études supérieures en littérature espagnole pour rejoindre

ensuite l‟enseignement. L‟école a fait son office d‟ascenseur social pour une partie des

enfants de réfugiés et d‟ouvriers.

« Alors, il faut savoir dans quelles conditions j'ai pu faire mes études. Il faut dire que chez nous, on ne faisait pas d'études. On allait au certificat et on allait travailler. J'ai eu la chance d'être un élève brillant à l'école élémentaire et d'avoir un instituteur qui s'intéressait à moi. Lui et le président des parents d'élève ont fait le siège de la maison jusqu'à ce que ma mère dise oui. Tous les samedis après-midi, il venait et il frappait et ma mère disait le revoilà. Il disait, "il faut qu'il continue, il faut qu'il continue". Ma mère a accepté mais il fallait qu'il s'occupe de tout. Ma mère n'est pas allée à l'école et elle n'était pas capable d'assumer toutes les nécessités au niveau paperasserie. Donc j'ai fait des études. D'abord, je suis allé au Lycée de la Cathédrale, qui était un lycée public d'état moderne technique. […] J'ai fait la sixième, cinquième, quatrième, troisième. Ensuite, je suis rentré au lycée Camille Guérin. J'ai fait ma seconde, première, terminale et puis ensuite, j'ai fait une licence d'espagnol. Après ma licence d'espagnol, je me suis interrogé et je me suis demandé ce que j'allais faire maintenant. En 1971, je me suis renseigné du côté de l'enseignement pour savoir qu'elles étaient les possibilités et les chances. Les chances étaient estimées à peu près à 1%. Donc, j'ai dit non, j'ai fait une année de prépa et comme j'étais licencié, j'étais inscrit directement en deuxième année. J'avoue à ma grande honte que je suis allé deux fois en cours. Je n'étais pas du tout concerné par les méthodes de travail, les matières enseignées. Mais, bon, je pensais que ça pouvait me donner des pistes pour aller dans l'interprétariat, des choses comme ça. Donc, j'ai décidé de postuler pour être instituteur. J'ai rempli un dossier que j'ai déposé à l'inspection académique en décembre 1973. J'ai été convoqué l'année suivante en janvier 1974 par l'inspecteur adjoint d'académie, qui m'a dit : votre candidature nous intéresse. »

La trajectoire professionnelle des Espagnols s‟inscrit donc dans l‟évolution de la

structure du marché du travail français. Parmi les personnes interrogées ou leurs enfants,

nous avons recensé une majorité de professions intermédiaires (cadres, commerciaux) et

d‟enseignants, bien qu‟une dizaine de membres de la deuxième génération occupe encore

des emplois d‟ouvriers peu qualifiés. La tendance générale est celle d‟une lente ascension

avec une nette amélioration pour les nouvelles générations.

Dans le document La population espagnole en France (Tome 2) (Page 30-34)