• Aucun résultat trouvé

Le lien culturel : la pratique des langues

Dans le document La population espagnole en France (Tome 2) (Page 43-45)

PARTIE 1 : PARCOURS MIGRATOIRES

A. Le lien culturel : la pratique des langues

A travers la pratique de la langue, c‟est à la fois un rapport entre les générations et

les sociétés d‟accueil et d‟origine qui s‟affirme. Chez les anciens migrants, la pratique du

français est chargée de complexes. L‟apprentissage se fait sur le tas, à travers les relations

professionnelles, avec l‟administration et le voisinage, sans méthode. Les excuses quant à

la faiblesse de la maîtrise de la langue sont quasi systématiques avant un interview.

Certains ont refusé l‟entretien sur ce prétexte. Trente ans après, la langue demeure à la fois

un obstacle subi et un paravent contre une perte de soi. La langue est le rocher sur lequel

les migrants accrochent leur hispanité. Inversement, l‟absence de maîtrise du français peut

s‟analyser comme une résistance à la dilution identitaire. L‟un des modes d‟assimilation

courant de la langue française est la diglossie, l‟utilisation de termes des deux langues dans

l‟expression. Une autre forme de diglossie courante est la pratique de la « francisation » de

termes espagnols et, inversement, « l‟hispanisation » de termes français pour pallier les

manques de vocabulaire. La diglossie peut devenir dans certains cas pathologique lorsque

la personne perd totalement la conscience d‟une distinction entre les deux langues.

La transmission de la langue espagnole aux enfants s‟observe dans l‟ensemble de la

communauté. Il y a deux exceptions : les réfugiés qui ont décidé de tirer un trait sur leur

hispanité, ce qui reste extrêmement rare, et les descendants de migrants qui pratiquent le

français dans le foyer et ne s‟astreignent pas à parler espagnol avec leurs enfants.

Dans ces conditions, les enfants font office de vecteur d‟entrée du français dans le

foyer. Ils médiatisent le rapport à la société française, notamment lorsque les parents les

utilisent pour effectuer des démarches administratives.

« Tous les papiers concernant le lycée, la scolarité, concernant la maison, c'était toujours moi qui m'en suis occupé. Depuis l'âge de 12 ans, je m'occupe des papiers de ma mère, banque etc… »

(C.)

Les enfants construisent leur espace linguistique entre deux pôles, le foyer et

l‟extérieur. L‟usage de l‟espagnol est réservé pour communiquer avec les parents et lors

des séjours en Espagne. Le rapport au foyer, et donc aux parents est dès lors, étroitement

associé à la langue espagnole et au pays d‟origine.

« Au niveau des langues que vous pratiquez à la maison ?

C'est très précis. C'est les deux, mais en fait, il y a des échanges, c'est très codé. Avec mes parents toujours en espagnol, depuis le début jusqu'à aujourd'hui quand on leur parle. Entre frangins, on peut se mettre à parler français. Ca dépend si c'est un sujet qui nous concerne uniquement ou si l'écoute des parents pas loin peut être intégrée ou pas. Ils vont comprendre ce qu'on dit si on parle en français. En même temps, si ça devient très sérieux, on a beaucoup plus de vocabulaire en français. On aura des arguments, pour pouvoir aller loin dans les idées, on choisit le français, parce qu'en espagnol, ça va être assez binaire. En espagnol, j'ai un vocabulaire un peu pauvre, même mes parents. Ils ne sont pas très littéraires. Tu sais chez nous, les premiers disques et livres qui sont arrivés à la maison, c'est parce que nous adultes ou adolescents, on a commencé à faire rentrer un livre à la maison. Il n'y en a pas eu avant. Les questions de langue, ça c'est très étonnant. Quand j'étais avec ma femme, au début qu'on se connaissait, mes parents pour lui parler faisaient l'effort de lui parler en français. Dès qu'il s'adressaient à moi, ils parlaient en espagnol. Moi, quand je leur parlais, je leur parlais en espagnol. En fait, c'est un jeu, on décide de parler, c'est naturel, ce n'est pas un calcul, c'est en fonction de qui écoute et qui est concerné par la

discussion. Tout ça est naturel. C'est quelque chose qui est un peu tissée comme cela. C'est vrai que la porte quand tu la pousses tu es en Espagne, à l'extérieur tu es en France. […] Oui, mais si je rentre en "Espagne" (dans l'appartement) avec des Français, alors là, il y avait tout un jeu assez complexe. Des choix de langue pour se parler, mais pas pour se cacher des choses. C'est une question d'ajuster si la personne est concernée au pas. […] D'ailleurs mes parents finissent par leur parler espagnol même s'ils ne comprennent pas tout. Ils vont deviner et vont s'en arranger. C'est une question de familiarité en fait. »

(M.)

Il n‟est donc pas étonnant d‟observer un rejet de l‟espagnol dans le processus de

construction identitaire quand celui-ci se fait dans une perspective de construction de

l‟individualité, contre les parents, pendant l‟enfance et l‟adolescence. Il faut souligner que

cette période de rejet est renforcée pendant les séjours estivaux. Les enfants nés en France

qui ne maîtrisent pas ou plus l‟espagnol se retrouvent stigmatisés par les autres enfants sur

le lieu de vacances. Inversement, une maîtrise de l‟espagnol conditionne une plus grande

proximité avec l‟Espagne. Elle facilite les retours et les contacts avec la famille en

Espagne.

Dans le document La population espagnole en France (Tome 2) (Page 43-45)